Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, avec LCI le 3 septembre 2020, sur le plan de relance européen.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, bonsoir.

R - Bonsoir.

Q - Vous étiez là à la conférence de presse, vous êtes vraiment l'homme de l'Europe plus que jamais, un visage relativement nouveau. Quelle est la part que les Français devront à l'Europe ?

R - Ecoutez, une part très importante parce que ce plan de relance qui a été présenté tout à l'heure par le Premier ministre, et j'ai essayé de souligner cette dimension européenne, c'est 40% de cet effort, lui-même historique et inédit dans notre pays, de 100 milliards d'euros. C'est un plan d'investissement, donc c'est un plan qui complète tout ce que l'on fait pour gérer la crise, et pour investir dans la transition écologique, dans la relocalisation industrielle etc. Et donc, je l'ai dit, sur chaque projet, il y a 40% qui est financé par l'Union européenne, il faut le faire savoir et le montrer.

Q - On parle d'argent emprunté de manière collective, d'ailleurs, les 27 devront encore se prononcer sur le détail. Ce principe inédit, " on emprunte ensemble ", ça, c'est un cap psychologique ?

R - Oui, je crois que c'est un changement de modèle en Europe. Quand on parle de dette commune, ce n'est peut-être pas la chose la plus sexy qui se passe en Europe, mais d'un mot, je crois que c'est un vrai changement parce que cela veut dire qu'on est solidaire. Et cela veut dire que, comme pour chaque gouvernement quand il y a une crise, on l'a fait en France, en Allemagne et on l'a fait ailleurs, on emprunte quand c'est difficile et puis on rembourse parce qu'on sait que l'on sera encore ensemble, dans cinq ans, dans dix ans, dans trente ans ; c'est cela une dette. Maintenant, on a une dette européenne, cela veut dire quoi ? Que l'on remboursera ensemble, solidairement, jusqu'à 2058-2060, et donc on croit, on sait que le projet va durer, au moins jusque-là.

Q - La photo du gouvernement où vous êtes, pour rappeler votre cas de personnage particulier dans la galaxie Macron, vous êtes là, 39 ans, macroniste historique, vraiment, depuis les débuts, toujours proche du président, vous lui soufflez à l'oreille, quand vous étiez conseiller, aujourd'hui en tant que secrétaire d'Etat. Il s'est passé un déclic cet été, notamment avec les Allemands, le cap européen, quelque chose s'est produit ?

R - Oui, il y a un déclic, il y a un changement.

Q - Ils ont accepté de s'endetter ensemble, pour eux c'était inouï !

R - Inouï, c'est vrai, c'est pour cela que quand on parle d'inédit, d'historique, parfois c'est galvaudé, mais là je crois que c'est vraiment vrai si je puis dire. Un déclic se fait toujours en se préparant, c'est la dernière étape qui est indispensable et qui se fait dans la discussion entre la chancelière et le président que nous avons préparée. Mais ce sont trois années de travail pour défendre des idées, négocier avec les Allemands, être crédible en Europe aussi, et parler avec tout le monde : l'Allemagne bien sûr, mais aussi toute une série de pays parce qu'on a décidé à 27 à la fin. Les Pays-Bas, la Suède étaient très hostiles ! Mais on a réussi.

Q - Les Européens un peu cruels disent : bien sûr, Emmanuel Macron, bien sûr, les autres, mais en réalité, c'est Mme Merkel qui a mis tout son poids dans la balance pour faire basculer notamment, et faire que les frugaux ne retiennent pas tout cela. On les a vus ensemble à Brégançon, il y a ces images extraordinaires d'Emmanuel Macron l'accueillant en anglais. Qu'est-ce qui s'est passé chez Mme Merkel, qu'est-ce qui fait qu'elle, qui refusait complètement cette idée-là, ait accepté ?

R - Vous avez raison Mme Merkel a évolué, mais moi, je n'ai aucun problème à dire que c'est aussi grâce à l'Allemagne et à Mme Merkel. D'abord parce qu'en Europe, cela fait partie des lois historiques que l'on vérifie chaque fois, il n'y a pas d'avancée sans la France et l'Allemagne ensemble.

Q - Et c'est une plus grande économie.

R - C'est une plus grande économie, bien sûr. Mais l'Allemagne, vous l'avez rappelé, ne voulait pas de cet endettement commun et donc, objectivement, l'Allemagne a bougé vers les positions françaises, parce qu'elle l'a souhaité, bien sûr, mais aussi parce que l'on a créé cette relation de confiance patiente, constante.

Et je crois qu'un des secrets en Europe, c'est de travailler avec tout le monde, cela paraît évident mais cela n'est pas toujours fait, de dire les choses franchement, on a eu des moments de tensions avec l'Allemagne, le président avec Mme Merkel, on l'a dit publiquement, parfois les désaccords, parce que si on met la poussière sous le tapis, c'est sûr que l'on n'avance jamais. Et puis, il y a des moments où les choses se décliquent, se cristallisent, arrivent, et puis on avance.

Q - Elle a vu passer tellement de présidents, les "Sarkozy", les "Chirac", et elle est toujours là. Dans les rapports personnels entre eux, racontez-nous les téléphones de 19 heures ; ça, c'est extraordinaire, c'est vraiment les Français et les Allemands ; la journée est finie pour Mme Merkel, souvent pour M. Macron, elle commence, il l'appelle et elle, souvent, dit "non, non, il faut attendre demain".

R - Ce n'est pas arrivé si souvent de reporter un appel au lendemain. Mais il y a des appels ou des SMS fréquents, amicaux ou politiques entre la chancelière et le président. Ce n'est pas à moi d'en dévoiler les secrets ou les coulisses. Mais, bien sûr, cela passe aussi par cette relation de confiance, personnelle, amicale, confiante. Et d'ailleurs c'est vrai au niveau européen en général.

Ce qui est magique dans l'Union européenne, même si c'est parfois frustrant, parfois long et difficile, c'est que c'est le seul club international ou chacun, chaque leader se connaît, s'appelle, souhaite ses anniversaires, le président est très attentif aussi à ce genre de diplomatie de l'amitié européenne.

Q - Les derniers jours, encore, est-ce que c'est un changement de ton ? Est-ce qu'il y a plus d'interventionnisme sur la Biélorussie ? Vous avez été très en avance au Liban, évidemment. Est-ce que, là, il y a une évolution ?

R - Européenne ?

Q - Oui.

R - Oui, je crois qu'il y a une évolution en général qui correspond d'ailleurs à ce que l'on essaie de défendre depuis trois ans, c'est-à-dire une souveraineté européenne. Et puis, parler le langage de la puissance, l'Europe n'est pas habituée à s'affirmer comme une puissance. Je crois que c'est d'ailleurs ce que...

Q - Assumer ce mot "puissance" ?

R - Assumer ce mot, s'en donner aussi les moyens, on n'y est pas encore. Mais quand on regarde ce qui s'est passé en trois ans et puis en quelques années au total, la défense européenne, cela devient une réalité. Ce qui s'est passé sur la Turquie, la Russie, le Liban, je pense que les mots forts, les actions fortes, parfois des sanctions, une aide humanitaire - je rappelle qu'au Liban, les pays européens c'est déjà plus de la moitié de l'aide d'urgence, c'est l'Europe qui est le premier soutien au Liban dans cette crise, la France en premier lieu, mais l'Europe en général -, et ça, cela a changé parce que l'Europe a compris que, face à la Chine, face aux Etats-Unis, dans un voisinage difficile en Méditerranée, si on n'agissait pas plus fort, plus unis, on disparaîtrait de la scène internationale.

(...)

Q - Monsieur le Ministre, merci beaucoup. L'Europe au programme jusqu'à 2022 et ensuite peut-être. Merci beaucoup.

R - Merci de votre invitation. Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 septembre 2020