Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, avec France Info le 4 septembre 2020, sur le plan de relance européen, l'épidémie de Covid-19 et les tensions avec la Turquie.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Bonsoir à vous, Clément Beaune.

R - Bonsoir.

Q - Et bienvenue, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes. Jean Castex annonce donc 40% de financements européens sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, et vous vous en félicitez, ce que l'on peut comprendre. Problème, Clément Beaune, ces fonds proviennent du plan à 750 milliards, dont la moitié de subventions, prévu par Bruxelles. Il faut en passer par une évaluation de la Commission européenne, et surtout, un vote au parlement européen. Question : ces 40 milliards ne seraient donc pas encore acquis ? Ils ne sont pas là ?

R - Alors, si, si, ils vont être là le plus vite possible. On va se battre pour les dernières étapes. Vous avez raison de le rappeler : il y a un vote au Parlement européen.

Q - Il y a encore des étapes...

R - Il y a encore des étapes, mais elles vont être franchies, je vous explique comment je pense qu'on va le faire. Et je suis très confiant, pour être très clair, sur ce point, et d'ailleurs les 40 milliards pourront être, et seront, je le pense, supérieurs à ce montant. C'est une fourchette basse.

Q - Mais il y a quand même des pays, vous savez les fameux pays frugaux, austères, certains disent radins, d'ailleurs, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, l'Autriche, s'ils s'y opposent, qu'est-ce qu'on fait ?

R - Pour être très clair, ils ne s'y sont pas opposés au moins de juillet. Et nous avons négocié avec chacun de leurs Premiers ministres, qui eux-mêmes ont vérifié, parce que souvent ce sont des pays de coalitions parlementaires, qu'ils avaient le soutien dans leur parlement. J'ai parlé encore tout à l'heure à mon collègue danois, qui disait qu'il était confiant sur le vote parlementaire. Et d'ailleurs je me rendrai dans chacun de ces pays dit frugaux, parfois radins, pour vérifier qu'on a un consensus politique. Mais honnêtement, je crois qu'il n'y a pas de problème de ce côté-là, puisqu'on l'a vérifié. On a passé quatre jours et quatre nuits à négocier avec tous ces pays, je crois qu'on a là l'accord. Il y a une étape...

Q - Alors Clément Beaune, ce soir, vous nous assurez ce soir sur France Info, que ce scénario catastrophe-là n'aura pas lieu ?

R - Oui, n'aura pas lieu. Je crois qu'il ne faut pas agiter des peurs. Maintenant, il y a un point sur lequel il faut être très vigilant, c'est qu'il faut que ces 40 milliards d'euros ou un peu plus, ils arrivent vite.

Q - Oui, parce que la question suivante, c'est quand ?

R - Alors, exactement. Il y a plusieurs choses. D'abord, les 100 milliards d'euros du plan de relance français : l'ensemble des projets (rénovation thermique, batteries électriques, vélos, agriculture, etc...), tout cela sera voté par le parlement français d'ici la fin de l'année, et commencera dès le début de l'année prochaine, en complément de toutes les mesures d'urgence que l'on connait (chômage partiel, etc...). Cela c'est clair, et ça ne dépend pas de l'avancée des financements européens. Et puis les 40 milliards, qui sont une forme de soutien ou de remboursement, ils vont arriver le plus vite possible en 2021, et il y a un point qui est très important...

Q - Premier trimestre ? Premier semestre ?

R - J'espère, au cours, j'espère qu'on commencera dans le premier trimestre, il faut aller le plus vite possible. Mais ça ne nuira en rien à la mise en oeuvre du plan de relance français. Ça, c'est quand même très important.

Q - Alors, pour bien comprendre les choses, Clément Beaune, la commission européenne a préconisé des conditionnalités vertes, pour les entreprises qui vont bénéficier de ce vaste plan de relance européen. Pourtant, on a bien compris en écoutant le discours de Jean Castex, et cela a été pointé par les associations, il y a des lacunes de "France Relance" à ce sujet. Est-ce que chez nous, il n'y a pas de conditionnalités ? Est-ce que ce qui vaut pour l'Europe, ne vaut pas pour la France ?

R - Pas du tout ! Ce qu'on a négocié au niveau européen, ce sont les 30% de chaque plan de relance qui doivent être consacrés au climat. Les dépenses vertes, encore une fois, la rénovation de logements, la voiture électrique... tout ce qui contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et le Premier ministre l'a dit dès le début du mois de juillet, 30% de notre plan de relance sera consacré au climat, et on l'a vu dans le plan de relance présenté hier. Et nous avons porté au niveau européen, le fait - dans l'accord du mois de juillet sur ce plan de relance européen - que chaque plan de relance de chaque pays européen serait soumis à la même exigence. La conditionnalité verte que vous évoquez, c'est cela. Et cela, on l'a rempli. Et ce n'est pas une question de contrepartie. C'est que par construction, ces aides vont à des dépenses écologiques.

Q - Alors Clément Beaune, vous le savez, pas de relance sereine en cas de rebond féroce de l'épidémie. Vous tendiez l'oreille tout à l'heure au rappel de l'info, 9.000 cas de Covid en France ces dernières 24 heures. L'Union européenne est toujours aussi désunie dans cette lutte contre la pandémie du Covid-19. C'est un échec ? Il n'y a pas vraiment de coopération entre nous...

R - Attendez, ce que vous évoquez, là où il y a effectivement de la cacophonie, de la confusion parfois, je le reconnais, c'est dans la gestion des règles...

Q - Attendez, l'Allemagne, la Belgique, exigent une quatorzaine de notre part...

R - Oui, exactement, parce que nous n'avons pas les mêmes critères sanitaires. On n'utilise pas tous les mêmes indicateurs, les mêmes critères. Et donc la France a proposé, au mois d'août, et cette semaine la commission européenne a repris cette idée, j'espère qu'on pourra aller très vite, pour que nous ayons les mêmes critères sanitaires.

Q - Oui, il faut se dépêcher, parce que l'épidémie rebondit, quand même. Là, ça met du temps...

R - Bien sûr, mais nous allons vivre avec le virus je pense quelques temps. Nous l'avons dit. Et donc, de toute façon, c'est utile d'avoir cette coordination européenne. Mais il y a un point dans la réponse sanitaire qui est très important, c'est que l'Europe a fait d'autres choses. La réponse économique bien sûr, qu'on évoquait. Mais par exemple, sur les vaccins, les contrats qu'on passe, et on a beaucoup accéléré les choses, que l'Union européenne passe avec tous les grands laboratoires qui recherchent le vaccin, - il y en a quatre qui sont déjà en cours -, permettront que tous les Européens soient couverts le plus vite possible par les vaccins.

Q - La Hongrie qui ferme ses frontières, c'est le mauvais élève ? Vous le pointez du doigt ?

R - Je ne pointe pas du doigt. Mais oui, je déplore cette décision. Parce qu'autant il y a des décisions qu'on peut comprendre, quand l'Allemagne classe Paris en rouge, nous-mêmes nous le faisons, donc on ne peut pas en vouloir aux Allemands. En revanche, quand un pays ferme complètement ses frontières, je pense que ça n'est pas un bon comportement européen, pour être clair.

Q - Alors Clément Beaune, le ministre turc des affaires étrangères a déclaré aujourd'hui qu'Emmanuel Macron était devenu "hystérique", je cite cette personnalité, concernant l'évolution des - on va faire court - des conflits en Libye, en Syrie, et de ce différend gréco-turc sur les ressources on va dire en gaz dans la Méditerranée, Mevlüt Çavu?o?lu, c'est l'équivalent grosso-modo turc de Jean-Yves Le Drian, si vous le permettez. Il s'exprimait lors d'une conférence de presse à Ankara : la Turquie qui officiellement traite notre président d'hystérique, qu'est-ce que vous répondez ce soir ?

R - Je ne veux pas être dans la surenchère verbale, parce que ces propos parlent pour eux-mêmes. C'est une provocation de plus. Je crois qu'il y a quelques jours les autorités turques ont dit que les dirigeants grecs et français étaient "corrompus et cupides". Donc voyez, c'est une série de provocations qui justifient, je crois, une chose : notre fermeté en Méditerranée orientale. Nous avons envoyé des équipements militaires, parce que la Turquie...

Q - Envoyer des frégates face à un partenaire de l'OTAN, vous trouvez ça normal, vous ?

R - Alors, je ne trouve pas ça normal. C'est d'ailleurs le président avait fait des critiques sur l'OTAN, on le voit là. Cela montre bien une faille dans l'Alliance. Et ce n'est pas nous qui décidons cette escalade. Mais on doit y répondre. Parce que l'Europe ne peut pas être faible. Je rappelle les actes, au-delà des mots qui peuvent paraître excessifs, mais les actes sont très graves. La Turquie envoie des bateaux régulièrement dans les eaux territoriales de la Grèce et de Chypre, deux pays de l'Union européenne. Et donc, soit nous fermons les yeux, soit nous agissons par des signaux de fermeté et des mesures de sanctions qui pour certaines sont en place depuis quelque temps et nous réfléchissons à d'autres sanctions.

Q - Et pendant ce temps, Mme Merkel et les Allemands discutent avec M. Erdogan et les Turcs, pendant que nous, nous montrons nos muscles. Une fois de plus, cette Europe avance désunie sur un dossier.

R - Non, je ne le crois pas, parce qu'il y a une médiation allemande qui essaie de discuter avec les Grecs et les Turcs. Nous pensons qu'elle est nécessaire, mais qu'elle n'est sûrement pas suffisante, parce qu'on ne peut pas avoir simplement une discussion polie avec un pays qui provoque des pays de l'Union européenne. Et donc, nous avons aussi cette fermeté, ce signal de fermeté qu'a été l'envoi de nos forces en Méditerranée orientale, et nous soutiendrons toujours Chypre ou la Grèce, parce que, sinon, l'Europe n'a pas de sens.

Q - Merci à vous, en tous les cas, Clément Beaune.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2020