Texte intégral
Q - 8h16, c'est l'interview politique, je reçois le ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité. Bonjour Franck Riester.
R - Bonjour Pierre de Villenaut.
Q - Première apparition sur Europe 1 à ce nouveau poste. On vous avait quitté avant l'été en tant que ministre de la culture. Suite du bras de fer entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, alors que la Turquie et la Grèce se disputent toujours le droit d'exploiter des gisements d'hydrocarbure en Méditerranée. Recep Tayyip Erdogan qui dit à Emmanuel Macron de ne pas lui chercher querelle. Qu'est-ce qu'on répond dans l'exécutif ?
R - Ecoutez, on laisse l'agressivité au président turc et nous, on souhaite absolument le dialogue et d'avoir des résultats entre la Grèce, Chypre et la Turquie pour qu'il puisse y avoir un accord multilatéral sur la question des exploitations gazières en Méditerranée.
Aujourd'hui, la Turquie est dans un état d'esprit unilatéral de provocation et nous ne pouvons pas laisser la Turquie dans cette manoeuvre visant à déstabiliser la Grèce et Chypre et imposer une souveraineté qui n'est pas la sienne aujourd'hui.
La souveraineté européenne doit être garantie, celle de ses Etats membres aussi. Et c'est uniquement ce que défend le président de la République, en étant ferme mais bien évidemment appelant aussi au dialogue et à un accord pour que cette question gazière soit résolue entre la Grèce, Chypre et la Turquie.
Q - Uniquement les intérêts de l'Union européenne et de la Grèce ? Ou il y a aussi des intérêts commerciaux ? On sait que la Grèce a acheté récemment du matériel militaire, des avions, des frégates.
R - Oui, écoutez, il est important effectivement que la France continue de défendre sa volonté aussi d'avoir une Europe de la défense plus approfondie. Cela passe notamment par des programmes militaires partagés avec ses partenaires européens.
Mais il ne faut pas tout mélanger et il faut en tout cas être très clair : la souveraineté européenne est essentielle, c'est parce que nous serons unis en Europe avec une voix claire vis-à-vis de celles et ceux qui, aujourd'hui, challengent cette souveraineté européenne, que nous aurons des résultats et que l'Europe sera forte. Elle sera forte en terme de défense et elle sera forte aussi en terme commercial, on le voit bien aujourd'hui avec toutes les négociations commerciales que nous avons, avec la Chine, avec les Britanniques dans le cadre du Brexit, avec les Etats-Unis. On ne peut, nous Français, être forts face à ces grands ensembles, avec ces Etats-continent qui veulent défendre leurs intérêts à tout prix, parfois avec des pratiques déloyales, qu'en étant forts en Europe.
Q - On va y venir, justement, à la Chine et justement à votre portefeuille maintenant de ministre chargé du commerce extérieur. Mais, petite dernière question pour l'ancien ministre de la culture, pour cette attaque ad hominem, vous qui connaissez bien le président Macron, sa culture, sa connaissance de l'Histoire, quand Erdogan lui dit " vous ne connaissez pas l'Histoire de France ", est-ce que cela vous choque ?
R - Ecoutez, je vous l'ai dit, on laisse l'agressivité et les attaques personnelles au président turc. Nous, on se concentre sur le fond et sur la volonté d'avoir un accord sur ces exploitations gazières dans la Méditerranée entre la Grèce, Chypre et la Turquie. Ce n'est pas un concours de petites phrases qui fera aboutir à un résultat concret et à un apaisement de la situation.
Q - Franck Riester, demain donc, mini-sommet France-Chine en visioconférence avec Xi Jinping. De quoi s'agit-il exactement ?
R - C'est un sommet entre l'Union européenne et la Chine, donc avec notamment le président du Conseil européen Charles Michel et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. Seront évidemment évoquées les questions notamment commerciales, en espérant qu'il y ait d'ailleurs un traité, un accord entre l'Union européenne et la Chine sur les indications géographiques, vous savez ce sont ces protections des produits en fonction de leur indication géographique. C'est évidemment très important pour notamment les vins, les spiritueux, les fromages français. C'est une grande avancée du fait de la détermination de l'Union européenne à mieux défendre ses intérêts commerciaux par rapport à des grands partenaires comme la Chine. Et j'espère que cet accord sera signé avant le rendez-vous de demain.
Q - Parce qu'il y a un grand manque à gagner pour l'instant ?
R - Oui, il y a en tout cas aujourd'hui une situation où un certain nombre de nos produits phare sont copiés sans payer ce qui devrait être payé pour garantir le droit d'auteur, d'une certaine façon, le droit de protéger sa marque, de protéger son savoir-faire par les producteurs français et européens. Et donc, avec cet accord, nous garantissons, pour plus de cent indications géographiques, la protection sur le marché chinois de ces indications géographiques. C'est une avancée importante et cela démontre que, quand on est rassemblé en Europe, on peut améliorer le fonctionnement du commerce international.
Q - Franck Riester, quand on parle de la Chine, on pense bien sûr à Huawei, le géant téléphonique. Où est-ce qu'on en est dans ce dossier, alors que ce géant est blacklisté aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne ce n'est pas encore tranché ? Où est-ce qu'on en est, nous, de la position française ?
R - La position française, c'est dire que d'abord, on ne fait aucune ségrégation de quelque entreprise chinoise qui soit. Nous voulons absolument laisser le commerce permis pour toutes les entreprises chinoises. Mais par contre, nous sommes très attachés à faire en sorte que la souveraineté européenne, dans un certain nombre de domaines, soit garantie. Et notamment en matière numérique, et notamment en matière de 5G. Et c'est donc les discussions que nous avons aujourd'hui avec nos partenaires européens pour voir de quelle manière nous pouvons garantir notre sécurité numérique, notre sécurité des échanges dans l'avenir concernant la 5G. Tout en, aussi, garantissant le libre-accès au marché pour les entreprises du monde entier, notamment chinoises, si elles sont à ne pas empiéter sur notre souveraineté, là aussi, numérique.
Q - Mais justement, en ce qui concerne la 5G, quand vous voyez que ce matin, dans le journal du dimanche, des maires écologistes demandent un moratoire sur la 5G, pour des tas de raisons, comment est-ce que vous réagissez ?
R - Oui, eh bien je réagis sur le fait que nous devons évidemment vérifier toutes les conséquences éventuelles du développement de la 5G, mais nous ne devons surtout pas refuser le progrès. Et c'est ce qu'on voit depuis un certain nombre de jours, voire de semaines avec ces nouveaux maires écologistes qui sont dans une position très idéologue, qui sont dans une position très sectaire, qui sont dans une position de refuser le progrès d'une certaine façon.
Il ne s'agit pas de soutenir le progrès pour le progrès, le progrès doit être encadré, nous devons regarder les conséquences de la 5G future sur l'environnement, notamment. Mais nous devons rester fermes et déterminés à innover, à miser sur un progrès technologique qui depuis des dizaines d'années nous a permis d'améliorer la qualité de vie de nos compatriotes.
Q - On marche sur des oeufs, Franck Riester, avec la Turquie, avec les Etats-Unis, parce qu'évidemment Washington va scruter ce mini-sommet entre la Chine et l'Union européenne. Bras de fer aussi entre l'Europe et Boris Johnson. Qui va gagner ?
R - Mais il n'y a pas de gagnant. Ce qu'il faut, c'est que l'on puisse avoir un accord pour permettre que nous puissions continuer d'avoir des échanges commerciaux nombreux avec la Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne est un des partenaires majeurs commerciaux de notre continent, et tout particulièrement de la France. Donc nous avons tout intérêt à trouver un accord commercial avec la Grande-Bretagne, mais pas à n'importe quel prix. Et pas notamment au prix de marge de manoeuvre trop importante de la Grande-Bretagne, qui rentrerait dans une forme de dumping par rapport à nos entreprises européennes. Donc il faut absolument rester ferme, mais avec la volonté d'avoir un accord mais aussi à nous préparer si jamais il ne devait pas y avoir d'accord. C'est ce que nous faisons avec les entreprises, ce que nous faisons avec les autres membres du gouvernement qui, chacun dans son domaine, préparent le Brexit, préparent le Brexit y compris s'il n'y a pas de deal, s'il n'y a pas d'accord.
Q - Mais est-ce qu'il y a vraiment des menaces européennes sur l'Irlande du Nord, comme l'affirme Boris Johnson dans le Daily Telegraph ?
R - Non, au contraire. Le négociateur européen Michel Barnier a fait évidemment en sorte que soit prise en compte cette question-là, qui est majeure. Et justement, dans l'accord de retrait, celui qui est aujourd'hui en partie contesté par la Grande-Bretagne, alors même qu'elle a signé cet accord, il est très clairement prévu qu'il n'y ait pas de rétablissement de frontières entre l'Irlande du Nord et l'Irlande. Et ça, c'est la condition de la paix. Et l'Union européenne l'a bien compris et en a fait un élément très fort de sa proposition et de cet accord d'ailleurs qui a été signé par la Grande-Bretagne. Nous sommes très attachés à maintenir la paix entre l'Irlande du Nord et l'Irlande, qui passe par une absence de frontières. Pour autant, à partir du moment où des biens rentrent dans l'Union européenne en entrant en Irlande du Nord, nous devons nous assurer que les normes de production de ces biens soient bien respectées, et notamment environnementales et sanitaires.
Q - Un dernier mot, Franck Riester. La France touchée par le Covid, 10.000 nouveaux cas par jour. Le Covid, vous, vous êtes sans doute quelqu'un de très bien placé pour l'avoir eu et vous en êtes sorti. Comment est-ce que vous réagissez, quand on voit la multiplication du nombre de cas en France ?
R - Il faut absolument que les Français démontrent leur sens de l'intérêt général et respectent vraiment très bien les mesures qui sont demandées par le gouvernement, en accord évidemment avec les autorités sanitaires. C'est un virus qui est très contagieux, et donc il faut se protéger, en portant le masque, en gardant cette distance entre nous, en respectant les gestes barrières. Bref, il faut que nous apprenions à vivre avec ce virus, en étant très vigilant. Et c'est ce que font les Français aujourd'hui, et je les en remercie.
Q - Merci beaucoup, Franck Riester.
R - Merci à vous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2020