Interview de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à Radio Classique le 8 septembre 2020, sur les enquêtes concernant les mutilations de chevaux, l'épidémie de Covid-19, le Brexit et la vie politique.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Julien DENORMANDIE, commençons par cette affaire justement de chevaux, de poneys, etc., un homme a été arrêté, on ne sait pas exactement s'il est tout ou partie responsable de ces mutilations, qui maintenant ont dépassé le chiffre de 150, vous avez été dans l'Oise, avec Gérald DARMANIN, c'est devenu une affaire nationale. Est-ce que vous avez la piste, ou une piste quelconque, sur un gang, on a parlé d'une secte, on ne sait pas exactement ce qu'il en retourne, donc qu'est-ce que vous savez ?

JULIEN DENORMANDIE
Eh bien aujourd'hui on a plus de 130 enquêtes qui sont ouvertes dans à peu près la moitié des départements de France, c'est pour vous montrer l'étendue de la situation. A quoi on a affaire ? Ce sont des actes d'une cruauté infinie, des sortes de barbaries qui sont prodiguées sur des animaux, des chevaux, notamment des poneys, où on coupe l'oreille, on arrache les parties génitales, on enlève les yeux, parfois on vide l'animal de son sang, et tout cela est fait avec un certain professionnalisme, c'est-à-dire que c'est manifestement des personnes qui savent manier un cheval, manier un poney, ils osent faire ces actes de cruauté parfois à proximité de maisons. Bref, il y a aujourd'hui une situation qui est totalement inacceptable…

GUILLAUME DURAND
Mais est-ce qu'on a une trace, Julien DENORMANDIE, qu'est-ce que vous avez actuellement ?

JULIEN DENORMANDIE
Alors, on n'exclut aujourd'hui aucune piste, est-ce que c'est, par exemple, un groupe d'individus, organisé, répondant à des objectifs inconnus qu'il ne revendique pas, ou est-ce que ce sont des personnes qui agissent par mimétisme, vous savez, par exemple sur les réseaux sociaux ce qu'on appelle le dark web, qui se lancent des objectifs ? Ça on ne le sait pas, c'est l'enquête qui va le dire. Ce qui est sûr c'est qu'on a ouvert plus de 130 enquêtes.

GUILLAUME DURAND
Et l'homme qui a été arrêté donc, celui qui a été arrêté ?

JULIEN DENORMANDIE
En ce moment il est en garde à vue, il est, au moment où je vous parle, en garde à vue, donc…

GUILLAUME DURAND
Elle a été prolongée la garde à vue, sans qu'on sache exactement… alors, il est soupçonné, mais on ne sait pas exactement s'il a un lien exact avec les mutilations dont on vient de parler.

JULIEN DENORMANDIE
Ça ce sera le procureur qui le dira, probablement, à la suite de la garde à vue. Mais, ce que je veux dire par là c'est que, d'abord il y a une crainte, il y a une crainte qui très forte, il y a une peur chez les éleveurs, et je veux leur dire vraiment à la fois le soutien, mais la mobilisation du gouvernement, et notamment des services d'enquête, en particulier ceux de la gendarmerie, parce que beaucoup de ces cruautés se passent dans ce qu'on appelle les zones gendarmerie, et on a une mobilisation totale des gendarmes sur le sujet. L'objectif aujourd'hui il est clair, c'est qu'on puisse prévenir de nouveaux sévices et qu'on puisse attraper celles, ou ceux, qui commettent ces actes d'une cruauté innommable…

GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que vous avez l'impression, après la visite que vous avez menée hier, que ça peut être fait dans le mois qui vient ?

JULIEN DENORMANDIE
En tout cas l'enquête elle est vraiment prise très au sérieux et les moyens sont mis sur la table, très clairement. Et je profite de votre antenne pour dire aussi, et je crois que c'est très important, il faut qu'il y ait cette mobilisation nationale vis-à-vis de ces actes de cruauté, et chacun on peut être acteur, c'est-à-dire dire si quiconque voit des événements, des choses un peu étranges, à proximité d'un paddock…

GUILLAUME DURAND
Vous lancez un appel ce matin ?

JULIEN DENORMANDIE
D'un pré où il y a des chevaux, il faut qu'à ce moment-là les personnes appellent le 17. Premièrement, cette mobilisation chacun peut être acteur, et deuxièmement, dans notre pays on ne se fait pas justice soi-même, si jamais quelqu'un, et que vous êtes éleveur, s'approche de votre champ, ce n'est pas à vous d'y aller, il faut appeler le 17, les gendarmes sont mobilisés, et les gendarmes arriveront très vite.

GUILLAUME DURAND
Vous portez un masque ce matin, est-ce que vous avez l'impression que la politique gouvernementale, la rentrée qui a été voulue, cette alliance élargie du président de la République, est-ce que vous avez l'impression que tout ça va être bousculé par, peut-être, une deuxième vague du Covid qui ne porte pas encore son nom, mais qui finalement pour certains apparaît comme probable puisque le virus n'a pas vraiment changé de nature, disent certains spécialistes ?

JULIEN DENORMANDIE
Ce qui est sûr c'est que la rentrée elle est sous le sceau de la protection, d'abord de la protection de nos santés respectives, ce qui impose justement ces règles très restrictives, comme le port du masque, je préférerais 1000 fois ne pas avoir à parler avec un masque et m'adresser visage découvert face à vous Guillaume DURAND.

GUILLAUME DURAND
Moi aussi…

JULIEN DENORMANDIE
Mais le deuxième élément c'est aussi la protection et la protection de nos emplois. Pourquoi on a toutes ces mesures de protection ? Pour notre santé, mais aussi pour éviter absolument de devoir reconfiner. Le confinement a eu un impact énorme sur notre économie.

GUILLAUME DURAND
Non, mais c'est une hypothèse qui n'aura pas lieu, je veux dire, parce qu'on a décalé d'une semaine le plan de relance…

JULIEN DENORMANDIE
Enfin, on ne sait jamais, avec ce virus, comment il évolue, quelles sont les conditions qui seront celles qu'on verra dans 2, 3 semaines, 1 mois, 2 mois, et donc la meilleure façon de se prémunir d'un nouveau confinement, qui a un impact économique tellement fort, et donc un impact social tellement important, c'est de respecter ces mesures sanitaires, à l'évidence.

GUILLAUME DURAND
Je voudrais qu'on écoute ce que disait Olivier VERAN, le ministre de la Santé, ce matin chez nos confrères de France Inter.

OLIVIER VERAN, MINISTRE DE LA SANTE
On peut l'éviter la deuxième vague, mais il va falloir, collectivement, réaliser un certain nombre de points, d'abord que non, le virus n'a pas muté comme par magie pour être moins méchant pour l'homme, qu'on passe plus de temps et d'énergie à porter correctement son masque qu'à saisir les tribunaux pour qu'on fasse en sorte d'interdire l'obligation de port de masque en milieu extérieur. Il faut également comprendre que lorsqu'une mesure de mise à l'abri est prononcée, parce que vous êtes potentiellement contagieux pour les vôtres, il faut rester chez vous.

GUILLAUME DURAND
Voilà donc pour les mises en garde d'Olivier VERAN, mais vous savez qu'il n'y a pas, depuis le début de cette affaire, de consensus général, par exemple il y a des gens qui considèrent qu'on se fait tester… enfin tout le monde se fait tester un peu dans tous les sens, y compris des hypocondriaques, etc., etc. Est-ce que ce matin il y a des conditions que vous souhaiteriez annoncer pour que les gens respectent, disons, une certaine forme de priorité et que les laboratoires ne soient pas embouteillés ?

JULIEN DENORMANDIE
C'est cette responsabilité collégiale, je veux dire, on vit en société, dans une société, chacun constate ces files d'attente devant les centres de tests, il y a des files d'attente qui sont très importantes, alors même, songez que cette semaine on a dépassé le million de tests. On est l'un des pays au monde qui teste le plus, on ne s'en rend pas compte parce qu'on ne voit que ces files…

GUILLAUME DURAND
En Allemagne ils étaient déjà à ces chiffres-là à peu près au mois de mai dernier !

JULIEN DENORMANDIE
Et donc, qu'est-ce qu'il faut faire face à ça ? Il faut évidemment qu'il y ait cette responsabilité collégiale, collective, et de voir à quel moment il importe de se faire tester. Il importe d'abord de se faire tester quand vous avez des symptômes, à l'évidence, ou quand vous êtes dans une situation qui fait que le fait…

GUILLAUME DURAND
…Donc pas de test systématique si on n'en n'a pas besoin ?

JULIEN DENORMANDIE
Si votre test il est simplement de savoir, sans autre finalité, que uniquement de savoir si aujourd'hui vous avez le Covid, là ça n'a pas d'intérêt, en revanche il faut que la finalité elle soit justifiée parce que vous avez des symptômes ou parce que, par votre comportement professionnel, ou personnel, vous pourriez contaminer d'autres personnes si tant est que vous avez la Covid, donc il faut vraiment avoir cette responsabilité…

GUILLAUME DURAND
Mais je reprends la question, avant de parler du Brexit et de l'agriculture, parce que c'est quand même un sujet de préoccupation générale dans la presse ce matin, on est bien d'accord que tout ce qui a été annoncé comme argent qui va être déposé dans les investissements en France, sur la relocalisation, sur les emplois des jeunes, pour la rentrée, etc., il n'y a pas de décalage du plan de relance, il n'y aura pas de nouveau décalage du plan de relance ?

JULIEN DENORMANDIE
Non, et d'ailleurs ça a été – je vous remercie de poser la question – parce que ça a été un faux débat. On a dit « ah mais le plan de relance il est décalé d'une semaine, donc tout ça va être décalé », déjà il faut avoir raison gardée, on parlait d'une semaine dans l'annonce, mais deuxièmement le plan de relance, les crédits vont être votés d'ici la fin de l'année, et une grosse partie des mesures sont en application à partir du 1er janvier, on l'a toujours dit. Certaines sont déjà en application, des mesures pour les jeunes que vous avez évoquées, et elles sont d'ailleurs en application depuis avant l'été, mais le gros des 100 milliards d'euros annoncés la semaine dernière par le Premier ministre sera d'application au 1er janvier. D'ailleurs le boulot des ministres aujourd'hui, le travail des ministres aujourd'hui, c'est de faire en sorte que tout soit prêt, que tous les projets sortent, pour que dès le 1er janvier on puisse envoyer ces investissements et faire en sorte que ça a un impact sur les territoires.

GUILLAUME DURAND
Alors, il y a deux choses dont je voudrais parler pour terminer cet entretien avec vous, c'est évidemment les attaques de l'opposition, des oppositions, sur la sécurité, mais en commençant par ce qui vous concerne directement, qui est le monde de l'agriculture. Si on prend par exemple la pêche, si Boris JOHNSON, pour des raisons qui le regardent, c'est-à-dire qui soient ou des raisons intérieures, ou des raisons idéologiques, aboutit à un no-deal, ça va être un problème pour les Britanniques, mais ça va être un gros problème pour nous, parce qu'il y a énormément de gens, viticulteurs, pêcheurs, qui exportent vers la Grande-Bretagne et qui seront dans des situations, je ne parle même pas des transports, du retour de douanes, etc.…

JULIEN DENORMANDIE
Bien sûr, mais c'est pour ça qu'on se bat, mais avec beaucoup de force, avec la Commission, avec Michel BARNIER, pour faire en sorte que…

GUILLAUME DURAND
Pour l'instant on n'arrive à rien.

JULIEN DENORMANDIE
Ça fait maintenant des mois et des mois que, vous le constatez comme moi, les discussions ont des hauts et des bas, mais lorsqu'elles ont des bas il faut absolument redoubler d'efforts pour trouver les solutions. Aujourd'hui c'est incroyablement important pour nos pêcheurs de pouvoir continuer à pêcher dans les eaux britanniques, mais c'est d'ailleurs incroyablement important pour les Britanniques eux-mêmes, dont une partie de la transformation de leur pêche se fait sur le territoire français. Le problème c'est qu'un divorce ça se finit rarement totalement bien, c'est toujours des histoires douloureuses, et donc aujourd'hui notre…

GUILLAUME DURAND
Vous avez vu les journaux comme moi ce matin, Boris JOHNSON est en difficulté en Grande-Bretagne, il est en train de jouer sur la carte du Brexit ultra pour essayer, non seulement de recueillir, ou de retrouver, une popularité qui est un petit peu perdue, mais aussi par conviction, qu'il est en train, peut-être, de vous faire - pardonnez-moi l'expression - un gigantesque bras d'honneur.

JULIEN DENORMANDIE
Oui, sauf qu'à la fin des fins les autorités britanniques…

GUILLAUME DURAND
Mais vous lui diriez quoi ?

JULIEN DENORMANDIE
Mais les autorités britanniques savent bien aussi quel est l'intérêt de leur propre peuple. Aujourd'hui, vous preniez cet exemple de la pêche, cet exemple de la pêche, je le redis, c'est très important, et on va se battre, ma collègue Annick GIRARDIN, on va se battre très fort pour les pêcheurs français. Lorsque vous êtes un pêcheur britannique, et que votre production elle vient se faire transformer sur les côtes françaises, où il y a l'appareil de production, eux-mêmes peuvent se retrouver dans une impasse, et donc tout ce que nous avions construit…

GUILLAUME DURAND
Donc il joue contre son camp, JOHNSON joue… ?

JULIEN DENORMANDIE
Non, mais il y a d'un côté où il y a de la politique, et puis de l'autre côté où il y a les négociations commerciales, et je peux vous dire qu'on va avancer avec une grande exigence et une grande fermeté, avec un seul objectif, c'est défendre les intérêts français.

GUILLAUME DURAND
Le président de la République veut élargir la République en marche à une alliance avec le MoDem, une grande partie du gouvernement va rendre visite donc au MoDem à Biscarosse, mais au-delà de tout ça on est dans une situation où l'opposition - vous êtes à l'origine avec Emmanuel MACRON du petit groupe qui a obtenu le pouvoir, donc après l'élection présidentielle, donc dernière - est-ce que vous avez l'impression, franchement, que ce que vous entendez, à savoir que le président de la République en matière de sécurité serait proche de la catastrophe, « du chaos », a dit Marine LE PEN, « d'Orange mécanique » a dit Xavier BERTRAND, vous leur répondriez quoi ce matin ?

JULIEN DENORMANDIE
Que chacun devrait balayer devant sa propre porte. Vous prenez Xavier BERTRAND, vous prenez la droite républicaine, moi je n'oublie pas que la droite républicaine est celle qui a supprimé 10.000 postes dans la police et la gendarmerie sous le quinquennat de Nicolas SARKOZY, 10.000. Aujourd'hui, dans ce quinquennat…

GUILLAUME DURAND
Le quinquennat de Nicolas SARKOZY c'était il y a presque 10 ans !

JULIEN DENORMANDIE
Oui, mais enfin, dans ce quinquennat, dans ce quinquennat, on est en train de reconstituer 10.000 postes, voyez la différence, c'est-à-dire les donneurs de leçons d'aujourd'hui viennent nous expliquer qu'il faudrait mettre plus de postes…

GUILLAUME DURAND
Et ils tapent fort.

JULIEN DENORMANDIE
Oui, mais parce qu'ils font, pour le coup, purement de la politique. Excusez-moi, moi, ce qui m'importe, c'est le résultat in fine, c'était quoi le résultat du quinquennat de la droite républicaine ? Moins 10.000 postes. Ce sera quoi le résultat du quinquennat d'Emmanuel MACRON ? Plus de 10.000 postes. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que dans un cas vous détruisez celles et ceux qui sont là pour vous protéger, et dans l'autre cas vous les reconstruisez.

GUILLAUME DURAND
Mais Julien DENORMANDIE, vous reconnaissez peut-être que les mots qui ont été échangés entre DARMANIN, et DUPOND-MORETTI ont ajouté une sorte de… comment dirais-je… de flou idéologique à un moment où ce n'était pas nécessaire…

JULIEN DENORMANDIE
Mais le flou idéologique, il n'existe pas, aujourd'hui, c'est très clair, vous avez des Français dont la tâche du gouvernement est de les protéger, moi, j'étais ministre de la Ville, je connais bien la difficulté qu'il y a dans un certain nombre de territoires, en tant que ministre de l'Agriculture, je vois bien les difficultés qu'il y a aussi dans les ruralités, la tâche du gouvernement, elle est de protéger les Français. Le ministre de l'Intérieur s'y emploie, le Garde des sceaux s'y emploie, tout cela sous l'autorité du Premier ministre et du président. Le message, il est très clair, il faut protéger les Français, c'est ce que nous faisons, et nous mettons les moyens pour y arriver.

GUILLAUME DURAND
Nous étions avec Julien DENORMANDIE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 septembre 2020