Texte intégral
Q - Le secrétaire d'Etat des affaires européennes, Clément Beaune est donc l'invité de "RTL-soir". Bonsoir Clément Beaune.
R - Bonsoir.
Q - Bienvenue à vous. Un nouveau pacte pour la migration, c'est le projet présenté tout à l'heure par la Commission européenne. La question posée crûment, c'est que fait-on des migrants qui arrivent sur les côtes européennes ? Aujourd'hui, il existe une règle, c'est l'accord de Dublin. Le principe, c'est le pays dans lequel le migrant a posé le pied en premier est celui qui va instruire sa demande d'asile. Mais on voit très bien, notamment depuis l'afflux massif d'humains en 2015, que cela ne fonctionne pas. Tout le monde est d'accord pour dire que cela ne fonctionne pas. Faut-il, selon vous, selon la France, abolir cet accord de Dublin ? Faut-il le déchirer déjà ?
R - Il faut des nouvelles règles, en effet.
Q - Donc oui.
R - Oui, et c'est ce que propose la Commission européenne en proposant toute une série d'actes législatifs qui vont maintenant être discutés. Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire ? On a un système dans lequel aujourd'hui on a une responsabilité - assez floue d'ailleurs - qui est confiée aux pays de première entrée, c'est-à-dire ceux où arrivent les migrants, ou ceux où, parfois, ils redéposent une demande d'asile. La France est très concernée, par exemple, par cette situation.
Nous avons donc aussi une situation difficile, parce que notre demande d'asile a beaucoup augmenté ces cinq dernières années. Il faut donc remettre tout cela à plat, c'est ce que propose la Commission, je crois qu'il faut saluer cette volonté.
Q - On va entrer dans le détail après, mais soutenez-vous dans son intégralité ce projet de la Commission européenne ? Est-ce que la France le soutient ?
R - Globalement oui. D'abord le texte est assez touffu, assez complet, on va le regarder dans les jours qui viennent, on va le débattre aussi entre pays européens.
Je ne vais donc pas vous dire que cent pour cent nous va, mais la volonté de la Commission européenne de remettre tout à plat, nous la soutenons, et l'équilibre qu'elle propose entre - on va en parler - solidarité et responsabilité est aussi quelque chose que nous soutenons et que nous avons d'ailleurs défendu.
Q - La nouvelle règle, c'est quoi ? C'est une meilleure répartition ? On ne parle plus de quotas, comme il y a quelques années, ça n'avait pas marché, mais d'une meilleure répartition. Comment cela va-t-il fonctionner ? J'ai regardé cet après-midi, c'est d'une complexité incroyable.
R - Oui. Je vais essayer de résumer le plus possible. Il y a différentes choses : d'abord on renforce la protection de nos frontières, c'est très important. Nous l'avions commencé et ce pacte le prévoit aussi. Pour avoir une protection commune des frontières européennes, il y a une agence européenne, des gardes-frontières, et nous allons augmenter les effectifs de cette agence qui s'appelle Frontex et qui va aider les pays qui sont le plus directement concernés par les arrivées sur leur territoire.
Q - C'est la Grèce, c'est l'Italie, c'est Malte, c'est l'Espagne.
R - C'est Chypre aussi, et cela, nous le faisons déjà. Nous allons le renforcer et l'accélérer.
Ensuite, il faut traiter rapidement les cas individuels. C'est ce que propose, avec toute une série d'outils, la Commission européenne.
Q - Douze semaines pour instruire un dossier !
R - Oui, il y a un délai plus réduit pour instruire une demande d'asile. Et puis il y a ce que l'on appelle une procédure à la frontière : c'est-à-dire que quand quelqu'un arrive en Europe, par exemple en Italie ou en Grèce, on va rapidement - et cela, c'est la responsabilité de chaque pays d'entrée et d'accueil - regarder la situation, faire une procédure rapide, parce que dans beaucoup de cas, les personnes qui arrivent n'ont pas droit à l'asile et on le sait assez vite.
Ce qu'il faut faire dans ces cas-là, c'est le dire, évaluer la situation et reconduire. Parce que des personnes qui n'ont pas droit à l'asile - et pour elles, de toutes façons, ce n'est pas protecteur, ni pour elles ni pour les Européens - il n'y a aucune raison de faire traîner les choses. Ça, c'est ce qu'on appelle la responsabilité.
Q - Donc on traite plus vite, on raccompagne plus vite aussi.
R - Et le grand enjeu, c'est effectivement de faire des retours plus rapides ; là-dessus, les pays qui sont des pays d'entrée, qui accueillent, doivent être accompagnés aussi, c'est-à-dire que l'on va renforcer l'appui européen, ce que j'ai appelé les gardes-frontières, pour faire ces retours le plus vite possible.
Q - Vous entendez les ONG qui disent déjà que l'on s'incline devant les gouvernements anti-immigration, que l'on rapièce un ensemble sans véritable patron, sans structure sans ossature.
R - Non, je crois que ce n'est pas juste de dire cela, je vais y venir dans un instant.
Q - Est-ce sécuritaire ou humanitaire comme projet ?
R - Je crois que c'est justement cet équilibre que nous défendons depuis le début, c'est protéger nos frontières, être responsable. Tout le monde n'a pas vocation, évidemment, à arriver en Europe, tous les migrants n'ont pas vocation à être accueillis et à faire leur vie en Europe, il faut être clair là-dessus.
Mais bien sûr, les réfugiés, ceux qui ont droit à une protection, ceux qui ont droit à l'asile, qui ont fui leur pays pour des raisons politiques par exemple, ceux-là doivent être protégés.
Et ce que fait la proposition de la Commission, c'est d'ajouter un élément qui n'existait pas, et là, je rejoins notamment ce que disent les ONG ou d'autres, c'est d'avoir un élément de solidarité, cela n'existait pas aujourd'hui.
Q - Les pays de l'Est vont vous dire "la solidarité, ce n'est pas pour nous, nous, on ne veut accueillir personne". Il se passe quoi après ?
R - Absolument, et c'est cela qu'a proposé la Commission aujourd'hui, qui manquait, que nous avons défendu. Parce que les personnes qui ont vocation à rester, qui n'ont pas vocation à être reconduites, qui n'ont pas vocation à quitter l'Europe, les réfugiés, ceux-là, il n'y a aucune raison que seulement la Grèce ou seulement la France ou quelques autres les accueillent et prennent leur part de l'effort. Cela doit être partagé entre les pays européens, solidarité obligatoire.
Q - Cela veut dire que vous allez obliger les pays de l'Est notamment, la Hongrie notamment de Viktor Orban qui n'en veut pas, à accueillir des migrants ?
R - Oui, mais d'une façon qui est, pour être précis, revue là-aussi. L'idée c'est que chacun prenne sa part, il n'y a aucune raison qu'un pays soit laissé seul dans l'accueil de réfugiés. Donc, solidarité obligatoire, c'est la grande nouveauté.
Il y a eu ce débat que vous évoquiez sur les quotas obligatoires où chaque pays avait une part déterminée de personnes qu'il accueillait. Cela doit rester le principe dans la solidarité, cela n'était pas le cas aujourd'hui, nous n'avons jamais réussi à faire cela. Donc, la Commission propose cette solidarité, mais elle dit aussi, je pense que c'est une bonne, c'est une idée que l'on a défendue, que si pour une raison ou une autre, un pays ne peut pas, ou ne souhaite pas, accueillir des réfugiés, il doit quand même être solidaire. Mais cela peut être de manière un peu différente, cela peut être en organisant par exemple des retours, en aidant un pays à organiser les premières semaines d'accueil sur son territoire et à traiter les demandes d'asile, cela peut être en aidant les pays d'origine des migrants...
Q - Cela repose quand même beaucoup sur la bonne volonté, tout cela ?
R - Non, parce que c'est un système complexe, vous l'avez dit, mais si des pays s'exonèrent complètement de la solidarité, la Commission européenne, dans cette proposition, pourra les obliger à accueillir ou à avoir une autre forme de solidarité.
Q - À condition encore une fois que ce projet soit voté. Il faudra 55% des Etats représentant 65% de la population.
R - Alors, il faut un accord, effectivement il faut une vaste majorité, c'est le débat qui s'engage aujourd'hui. Vous le savez, ce débat a déjà eu lieu au niveau européen, il n'avait pas réussi parce qu'il avait bloqué sur cette question des quotas obligatoires. Et donc on avait un système actuel sans solidarité organisée. Ce qui fait qu'un pays comme la France ou un pays comme l'Allemagne, qui participaient à cette solidarité par exemple avec la Grèce, on l'a vu encore ces derniers jours, étaient souvent seuls.
Q - Vous parliez de "chacun doit prendre sa part". On a deux cas pratiques, très concrets. On a vu ce camp de la Moria en Grèce brûler sur l'île de Lesbos. Combien la France va-t-elle accueillir de mineurs isolés en provenance de ce camp ? On sait que l'Allemagne va en recevoir 150. La France, ce sera combien ?
R - La France a déjà pris un engagement avant cet épisode...
Q - ...flou...
R - ...Non, non, précis... de 350 mineurs, parce qu'il y avait déjà eu des épisodes difficiles en Grèce, notamment au début de l'année et nous avons pris cet engagement de 350 mineurs. Et nous allons prendre un engagement supplémentaire qui est d'environ 150 mineurs supplémentaires.
Q - Ce qui veut dire que cela fera 500 mineurs de l'île de Lesbos vont arriver en France, vont être pris en charge en France ?
R - À peu près. Exactement. Et, au total, parce que c'est important de donner le contexte, depuis le début de l'année, en solidarité avec la Grèce, la France accueillera à peu près mille personnes, des mineurs à peu près pour moitié, et puis des familles en difficulté.
Q - Deuxième cas pratique : il y a un bateau humanitaire transportant 133 personnes sauvées en mer qui est en route vers Marseille. Marseille a dit "ok, on vous accueille, vous pouvez accoster". Qu'est-ce qui va se passer pour ensuite ? Ces 133 personnes ont-elles vocation à rester en France ?
R - Attendez, il faut être très précis. Ce n'est pas à telle ou telle mairie de faire une polémique politique avec cela et à décider d'ouvrir ou non son port.
Q - Donc, ce bateau n'est pas le bienvenu ?
R - Il faut être très précis. Ce bateau, ce serait une mauvaise idée qu'il débarque en France. Parce que, aujourd'hui, où il est ce bateau ? Il est au large de l'Italie, loin des côtes françaises. Nous défendons un principe qui est un principe de droit mais aussi un principe humanitaire : chaque bateau doit débarquer au plus proche, parce que sinon nous mettons les vies en danger, et sinon nous créons une situation qui est intenable et qui n'est pas protectrice.
Q - Cela veut dire que ce bateau doit aller en Italie.
R - Ce bateau doit aller au plus près en Italie. Je suis, en ce moment-même où je vous parle, en discussion avec les autorités italiennes et avec la Commission européenne. Ce bateau devrait débarquer au plus proche, c'est-à-dire en Italie.
Q - Donc, il n'a pas le droit d'accoster en France aujourd'hui ?
R - Non, ce n'est pas ce que nous souhaitons parce qu'on peut vouloir faire des polémiques ou se donner bonne conscience, cela n'est pas la mesure souhaitable parce que cela n'est pas la mesure la plus protectrice.
Q - Et si l'Italie dit non ?
R - Nous sommes en discussion avec l'Italie parce que les règles du droit international et notre coopération avec l'Italie devraient conduire à cela. C'est ce que nous souhaitons, c'est ce que nous défendons, de manière coopérative, nous en discutons avec l'Italie.
Je veux être précis là-dessus, nous avons toujours eu la même ligne depuis 2018. Il y a eu des cas, vous le savez, de bateaux qui ont été en Méditerranée. Et parfois, on a dit "pourquoi la France n'accueille". Nous avons accueilli. Nous avons accueilli les personnes, pas les bateaux. Parce que faire faire à un bateau quatre, cinq, même deux jours de mer supplémentaires, quand il est en difficulté, quand il y a parfois des personnes en grande détresse, on peut se donner bonne conscience mais cela n'est pas protecteur, il faut dire les choses.
Q - Donc, vous dites "ce bateau doit aller en Italie, c'est la règle et la règle doit s'appliquer". C'est la position de la France.
R - C'est la règle et la règle doit s'appliquer. Nous en discutons avec l'Italie mais nous sommes prêts évidemment, comme nous l'avons fait à chaque fois, toujours la même idée, à prendre notre part et donc à accueillir un certain nombre de personnes sauvées, parce qu'il n'est pas normal non plus que l'Italie, en l'occurrence, ....
Q - Sur 133, vous pourriez en prendre combien ?
R - Je ne sais pas vous dire exactement, mais une part que l'on va discuter avec l'Italie, l'Allemagne...
Q - Vous avez failli dire "importante" mais vous ne l'avez pas dit.
R - Non, parce que "importante", je ne veux pas quantifier, ce n'est pas le sujet. Mais il faut que l'Allemagne, avec qui nous en discutons, en prenne une part parce que c'est un bateau d'ONG allemande.
Q - En tout cas, la mairie de Marseille sort de son rôle en disant "nous, on accueille ce bateau, c'est clair et net" ?
R - Un, elle sort de son rôle d'abord juridique. Et je crois encore une fois que c'est se donner bonne conscience sans protéger les gens. Nous, nous voulons protéger les gens de manière efficace. Il faut des belles paroles mais il faut des actes concrets. Et je crois que les actes concrets, c'est de protéger les gens et de débarquer au plus proche.
Q - J'ai une dernière question, Clément Beaune. Vous êtes le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, on le disait. L'Europe, c'est deux villes symboliques : Bruxelles et Strasbourg. Or l'Europe semble se recroqueviller sur Bruxelles et oublier Strasbourg. Aucune session là-bas du Parlement depuis le mois de février. Est-ce que Strasbourg est en train de perdre de fait son siège du Parlement européen ?
R - Non, mais vous avez raison que certains élus, certains députés européens parfois ont cette tentation. Et donc, nous sommes très clairs et très fermes. Je me suis moi-même rendu à Strasbourg, le Premier ministre a exprimé ce soutien, le président de la République aussi. Le siège du Parlement européen est à Strasbourg.
Il y a eu au plus fort de la crise sanitaire au printemps des difficultés, on n'organisait même pas les sessions. Donc on pouvait comprendre.
Q - Et là vous dites : cela doit reprendre à Strasbourg ?
R - Et, là, je crois que cela doit rependre. On doit vivre avec le virus. Vivre avec le virus, c'est aussi notre vie démocratique qui doit continuer à se dérouler le plus normalement possible. Et nous avons mis en place, je peux le garantir, toutes les mesures, avec l'agence régionale de santé, avec la préfecture, avec la ville de Strasbourg, pour accueillir les prochaines sessions du Parlement européen dans de bonnes conditions malgré les difficultés que nous connaissons partout. La situation sanitaire n'est pas meilleure à Bruxelles qu'à Strasbourg.
Q - Donc, il n'y a aucune raison aujourd'hui que Strasbourg soit sur la touche ?
R - Il n'y a pas de raison. Et je discuterai encore aujourd'hui avec le président du Parlement européen, nous souhaitons, nous demandons un retour rapide, comme il est normal, du Parlement européen à son siège, c'est-à-dire à Strasbourg.
Q - Merci beaucoup Clément Beaune d'être venu ce soir.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2020