Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, à France Inter le 29 septembre 2020, sur la politique économique du gouvernement.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin dans "Le Grand entretien du 7-9" le ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance. Vos questions dans 10 minutes au 01.45.24.7000, sur les réseaux sociaux et l'application mobile de France Inter. Bruno LE MAIRE, bonjour.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas DEMORAND.

NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être au micro d'Inter ce matin. Vous avez présenté hier en conseil des ministres le projet de loi de finances pour 2021, ce budget est construit autour du plan de relance de 100 milliards d'euros, ce budget est évidemment inédit, considérant la crise sanitaire et la crise économique qui en découlent. La presse parle ce matin d'un "budget hors norme", mais vous, Bruno LE MAIRE, comment le qualifiez-vous, c'est un budget de crise, voire un budget de guerre ?

BRUNO LE MAIRE
Non, je n'emploierais pas ce vocabulaire militaire, c'est un budget de protection et un budget de relance. Budget de protection, parce que nous n'en n'avons pas fini avec le virus, et que par conséquent beaucoup d'entrepreneurs, de restaurateurs, de patrons de café, de patrons de salle de sport, sont inquiets pour leur activité, sont obligés de fermer, de réduire la voilure, et donc il faut continuer à soutenir et à protéger les salariés, comme les entreprises. C'est un premier aspect essentiel du budget, nous continuerons à protéger les salariés et les entrepreneurs. Et puis l'autre aspect c'est préparer la sortie de crise, parce que nous sortirons de cette crise, et j'ai même la conviction que la France peut sortir de cette crise économique avec un modèle plus juste, un modèle plus respectueux de l'environnement, et un modèle plus compétitif, mais cela suppose de mettre dès maintenant l'argent nécessaire pour moderniser nos industries, accélérer la transition écologique et avoir un modèle qui soit plus respectueux de l'environnement.

LEA SALAME
Vous avez une vision optimiste, tant mieux…

BRUNO LE MAIRE
C'est mon rôle, volontariste surtout.

LEA SALAME
Que le monde d'après sera meilleur que le monde d'avant, en attendant il y a déjà eu trois budgets rectificatifs, en 2020, depuis le début de l'épidémie du Covid, sur quelles hypothèses sanitaires, sur quels indicateurs sanitaires, vous fondez-vous pour ce nouveau budget ? Par exemple, ce budget, là, que vous avez présenté hier, est-ce qu'il prévoit un cas de reconfinement, même partiel, du pays ?

BRUNO LE MAIRE
L'hypothèse sur laquelle je me fonde, sans être du tout un spécialiste de sécurité sanitaire ou de problèmes médicaux, c'est la persistance de la circulation du virus, et donc la nécessité d'adapter, par moments, les règles, les règles de fermeture des établissements, pour faire face au virus, puisque la sécurité sanitaire c'est évidemment la priorité absolue. Donc, nous avons mis de l'argent de côté pour pouvoir faire face à ce genre de situation…

LEA SALAME
Par exemple ?

BRUNO LE MAIRE
Exemple, le fonds de solidarité.

LEA SALAME
Alors, le 15 février…

BRUNO LE MAIRE
Prenez un exemple très concret, le fonds de solidarité, 1500 euros qui sont donnés à tous ceux dont les établissements sont fermés ou qui ont perdu une grosse partie de leur chiffre d'affaires. Aujourd'hui, à Marseille, à Aix-en-Provence, vous avez des restaurateurs, des bars, qui vont devoir fermer, eh bien ils pourront avoir accès à ce fonds de solidarité, aujourd'hui il est plafonné à 1500 euros, nous allons le déplafonner jusqu'à 10.000 euros, donc ça permettra de prendre en charge la perte de chiffre d'affaires, pour ces restaurateurs, pour ces patrons de bar, que nous allons voir tout à l'heure, avec le Premier ministre, et à qui je vais dire « nous ne vous laisserons pas tomber. » Enfin, je suis le premier concerné, le premier inquiet de voir tant de restaurateurs qui se disent « on a fait des efforts, on a essayé d'adapter des règles sanitaires, on est quand même obligé de fermer, on va perdre du chiffre d'affaires », moi je comprends leur désespoir, je le comprends parfaitement.

LEA SALAME
Et malgré tout vous leur dites il faut appliquer la loi.

BRUNO LE MAIRE
Donc, on ne va pas les laisser tomber, et donc nous – bien sûr qu'il faut appliquer la loi, bien sûr qu'il faut protéger la sécurité sanitaire de chaque Français, mais nous avions prévu 9 milliards d'euros pour ce fonds de solidarité, nous en avons dépensé 6 très exactement, il en reste 3, eh bien on va les mettre sur la table maintenant pour soutenir les restaurateurs.

LEA SALAME
Est-ce que c'est suffisant ce que vous avez prévu ? Je précise ma question. Par exemple si le 15 février vous décidez, pour raisons sanitaires, de fermer tous les restaurants en France, est-ce que ce budget-là, que vous avez présenté hier, prévoit le chômage partiel, les mesures d'urgence, pour les restaurateurs, pendant deux, trois semaines ou un mois, si jamais ça arrive, en clair, pour reprendre la critique d'Eric WOERTH qui vous dit "ce budget est trop confus, vous auriez dû proposer différents scénarios en fonction de l'évolution de la crise sanitaire", et que, en gros, vous ne prévoyez pas le pire dans ce budget ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense que, au contraire, c'est un budget qui fait preuve de beaucoup de clarté, il a prévu les moyens nécessaires pour protéger, je redonne l'exemple, 9 milliards pour le fonds de solidarité, 6 dépensés, il en reste 3. Sur le chômage partiel, qui est essentiel, vous avez raison, parce que ça permet de prendre en compte les salariés, de ces restaurants, de ces hôtels, qui sont fermés, nous avions prévu de 30 milliards d'euros, nous en avons dépensé 20, il en reste 10. Alors, évidemment, s'il y a un reconfinement généralisé l'année prochaine il faudra passer à autre chose…

LEA SALAME
Il y aura un nouveau budget.

BRUNO LE MAIRE
Mais je ne me place pas dans cette hypothèse-là puisque l'hypothèse constante que j'ai défendue c'est que nous apprenions à vivre avec le virus, continuer à avoir une activité économique, tout en luttant contre le virus.

NICOLAS DEMORAND
Comment va, Bruno LE MAIRE, l'économie à l'instant T, est-ce que vous maintenez l'objectif de croissance de 8% en 2021, et cet objectif n'est-il pas très optimiste ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'on a fait preuve de réalisme depuis le début de la crise. J'ai été le premier à dire, début mars, que cette crise était comparable à la grande récession de 1929, j'ai dit la vérité aux Français. Quand nous avions, fin août- début septembre, souvenez-vous, des économistes, des instituts, qui vous disaient « dans le fond ça redémarre beaucoup plus vite que prévu, on ne va pas faire -11, on va faire -8 de récession en 2020 », je n'ai pas cédé à cet enthousiasme-là et j'ai dit « non, il y a encore des risques sanitaires, il y a des incertitudes internationales avec l'élection américaine, donc nous allons réviser le chiffre de récession de -11 », mais on l'a révisé à -10, on n'a pas dit aux Français « ça y est, on est sorti d'affaire, et finalement tout va redémarrer très vite. » Je leur dis la même chose. Nous allons nous sortir d'affaire, ça prendra du temps, et nous mettrons 2 ans avant de retrouver le niveau de développement économique que nous avions avant la crise. Je ne vais pas expliquer que nous connaissons une récession comparable à celle de 1929 et qu'en 6 mois tout va être effacé, ce n'est pas vrai, ça prendra du temps, mais nous allons y arriver, parce que les fondamentaux de l'économie française, c'est-à-dire d'abord les salariés, le professionnalisme de nos salariés, la qualité de nos entreprises, notre capacité d'innovation, notre capacité à développer de nouvelles technologies, sont considérables, on peut, sur l'hydrogène, être les meilleurs en Europe, on peut sur le calcul quantique, être les meilleurs en Europe, on n'est pas condamné à importer nos batteries électriques de Chine ou d'Asie pour les mettre dans nos véhicules électriques, nous allons les produire en France. Donc, nous allons y arriver, mais ça prendra au moins 2 ans.

LEA SALAME
Avez-vous été surpris, tout de même, du coup d'arrêt de l'économie en cette rentrée-là, parce que c'est vrai qu'il y a eu un mouvement plutôt positif après le déconfinement et que là on a le sentiment, je parle sous contrôle de Dominique SEUX, qu'il y a un plateau peut-être, et autre chose, le ministre de l'Economie que vous êtes est-il inquiet que la confiance ne revienne pas, que les consommateurs ne reconsomment pas, qu'on reste chez nous, au fond, à regarder les courbes d'hospitalisations à la télévision ou à la radio et qu'on ne sorte plus, que la peur revienne en fait, c'est ça qui est en train de se passer ces derniers jours ? Vous pensiez que l'économie allait reprendre le dessus, Bruno LE MAIRE, vous nous l'aviez dit, or en fait c'est le sanitaire qui revient en force cette rentrée.

BRUNO LE MAIRE
D'abord, non, je ne suis pas surpris, parce que, après un mouvement où la consommation a très bien redémarré, aux mois de juin, juillet, août, nous savions que la croissance marquerait le pas à la rentrée, ce n'est une surprise pour personne, comme je vous dis qu'il faudra 2 ans pour récupérer l'intégralité de nos forces économiques, ça prendra du temps, donc ce n'est pas une surprise. La deuxième chose, les mesures que nous avons prises ont marché, prenez simplement l'industrie automobile, on a mis des primes très généreuses, nous sommes le pays qui a le plus vendu de voitures, en juin et juillet, par rapport à tous les autres pays européens, on a vendu 25% de voitures de plus aux mois de juin et juillet, que ce que nous avions fait en 2019, donc c'est possible de soutenir la consommation et de relancer. Ensuite…

LEA SALAME
Ça n'empêche pas les plans sociaux dans les voitures !

BRUNO LE MAIRE
Ensuite, c'est la responsabilité de chacun d'apprendre, une fois encore, à vivre avec le virus et de poursuivre notre activité économique en respectant les gestes barrières et en garantissant la sécurité sanitaire de tous.

NICOLAS DEMORAND
Bruno LE MAIRE, le déficit public devrait être de 6.7% du PIB l'an prochain, il est de 10,2 cette année, c'est vertigineux, assumez-vous toujours que les comptes publics ne sont pas la priorité aujourd'hui et que nous sommes donc toujours bien dans le « quoi qu'il en coûte » d'Emmanuel MACRON ?

BRUNO LE MAIRE
La priorité c'est l'emploi, c'est le redémarrage de l'économie, c'est des usines qui ouvrent, c'est des entreprises qui investissent et c'est des Français qui consomment, c'est ça la priorité, et quand on est dans une situation de crise grave…

NICOLAS DEMORAND
Quoi qu'il en coûte donc !

BRUNO LE MAIRE
Il faut avoir une seule priorité, pas deux, une seule, ma priorité c'est l'emploi, que les Français puissent retrouver un travail, que des usines puissent investir, que des investisseurs puissent venir en France ouvrir de nouvelles entreprises, que les consommateurs reprennent le chemin de la consommation, que nous ayons une économie qui redémarre, et qui redémarre sur des bases qui soient saines, c'est-à-dire une économie décarbonée et une économie compétitive. Donc, tout l'argent que nous mettons aujourd'hui sur la table, pour financer le projet d'hydrogène, pour financer le chômage partiel et éviter des licenciements par centaines de milliers, pour soutenir telle entreprise qui veut ouvrir une nouvelle ligne de production et qui a besoin de 10, 15 ou 20 millions d'euros de soutien public, c'est de l'investissement. Toute la dette liée à cette crise économique, c'est de l'investissement. Il faudra la rembourser, je l'ai toujours dit, mais ce remboursement viendra quand nous aurons retrouvé la croissance…

NICOLAS DEMORAND
Il faudra la rembourser ?

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr qu'il faudra la rembourser.

NICOLAS DEMORAND
Certains économistes disent non.

BRUNO LE MAIRE
Mais ils sont irresponsables.

NICOLAS DEMORAND
Pourquoi ?

BRUNO LE MAIRE
Ils sont irresponsables, parce que comment voulez-vous que le ministre des Finances aille demander à des investisseurs d'acheter de la dette française, si je leur dis dit « venez prendre de la dette française, mais je ne vous la rembourserai jamais » ? Enfin, je ne vais grand monde pour investir sur la dette française si je leur dis " tout ce que vous achetez comme obligations du Trésor français ne vous sera jamais remboursé." Ma responsabilité de ministre des Finances c'est de dire aujourd'hui on investit, demain nous rembourserons cette dette, et nous la rembourserons de manière très claire, un, par de la croissance, deux, par un principe de responsabilité sur les finances publiques, ce n'est pas open bar, il faut remettre le principe de responsabilité au coeur des finances publiques, et trois, par des réformes de structure que je continue à estimer indispensables, la première d'entre elles étant la réforme des retraites.

LEA SALAME
Qui aura lieu quand ?

BRUNO LE MAIRE
Ça c'est au président de la République et au Premier ministre de définir le calendrier, mais je vous dis que pour rembourser la dette, et je fais preuve du même sens de la vérité vis-à-vis des Français, ça passe par de la croissance, ça passe par un principe de responsabilité sur les finances publiques, ce n'est pas open bar, il faut que l'argent public aille là où c'est nécessaire, et nous avons besoin de réformes de structures qui sont indispensables…

LEA SALAME
Donc il faut faire la réforme des retraites avant la fin du quinquennat ?

BRUNO LE MAIRE
Il faut faire cette réforme des retraites au moment où le président de la République et le Premier ministre le jugeront utile, mais elle est nécessaire pour rétablir l'équilibre des comptes sociaux, elle est nécessaire pour garantir aux jeunes générations qui rentrent sur le marché du travail, que eux aussi auront une retraite, et elle est nécessaire pour avoir un système de retraite qui soit plus simple, plus juste et plus lisible.

LEA SALAME
Vous ne citez pas le retour aux 35 heures, dans les trois conditions.

BRUNO LE MAIRE
Non, parce que ça ne fait pas partie des conditions à mes yeux, moi ce qui me paraît tout à fait essentiel, dans ces réformes de structures dont je vous parle, c'est d'avoir des dispositifs sociaux qui nous protègent tous, qui nous permettent de vivre mieux, mais qui soient financés et qui n'accroissent pas les déficits français.

LEA SALAME
Bruno LE MAIRE, ce budget assume clairement d'aider fortement les entreprises, qui ont été très impactées par la crise, en faisant le pari d'une baisse de la fiscalité, vous dites ma priorité c'est l'emploi, eh bien est-ce que c'est vraiment l'emploi ? Ça n'empêche pas les entreprises que vous aidez, on en a beaucoup parlé ici, vous étiez à ce micro, l'automobile, l'aérien, de préparer des plans sociaux. Philippe MARTINEZ, de la CGT, demande que ces aides soient conditionnées au maintien de l'emploi, Laurent BERGER, de la CFDT, veut qu'elles soient soumises à un avis conforme du comité social économique de chaque entreprise. Ces demandes ne sont-elles pas légitimes, est-ce que vous ne craignez pas, pour poser la question un peu de manière franche, de faire trop confiance aux entreprises, de leur donner beaucoup d'argent, beaucoup de baisses d'impôts, et qu'à la fin elles licencient quand même ?

BRUNO LE MAIRE
Moi ce que je crains, Léa SALAME, c'est le chômage, ce que je crains c'est les faillites d'entreprises, ce que je crains, quand je soutiens AIRBUS, ou les sous-traitants d'AIRBUS, et qu'on met plusieurs milliards d'euros pour soutenir le secteur aéronautique, c'est qu'il y ait des grandes entreprises aéronautiques françaises, à Toulouse ou ailleurs, qui s'effondrent, donc c'est pour ça que je le fais. Quand vous avez 30, 40, 80 % du trafic aérien qui n'est plus là, il faut bien que ces compagnies puissent vivre, puissent fabriquer des avions et continuer à en vendre…

LEA SALAME
Pourquoi il n'y a pas plus de contreparties sur l'emploi, Bruno LE MAIRE, dans ce plan de relance ?

BRUNO LE MAIRE
Mais il y a des contreparties sur l'emploi. Quand, par exemple, vous donnez une prime à une entreprise pour qu'elle embauche un jeune, eh bien la contrepartie de la prime, qui se chiffre à plusieurs milliards d'euros, c'est l'embauche du jeune. Quand on fait une prime pour un apprenti, la contrepartie de la prime pour l'apprenti, c'est l'embauche de l'apprenti. Quand je verse une prime de 7000 euros pour l'achat d'un véhicule électrique à un ménage français, la contrepartie c'est qu'il achète un véhicule électrique. Donc il y a déjà des contreparties qui sont fixées. Quand je soutiens AIR FRANCE, 7 milliards d'euros, je demande des contreparties, en termes de fermetures de lignes quand il y a une alternative par le train à moins de 2 heures 30, ou de réduction des émissions de CO2. Quand nous versons un prêt garanti par l'Etat, la contrepartie essentielle c'est de dire à l'entreprise « vous avez un prêt qui est garanti par l'Etat, vous ne versez aucun dividende, et vous n'avez pas le droit d'avoir une filiale ou un siège dans un paradis fiscal », donc il y a déjà des contreparties.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 octobre 2020