Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, avec France Info le 11 octobre 2020, sur le conflit au Haut-Karabakh, l'épidémie de Covid-19, le plan de relance européen, le Brexit, la lutte contre le terrorisme au Sahel, la question migratoire et les paradis fiscaux.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - L'invité de notre émission, un membre du gouvernement, le secrétaire d'Etat aux affaires européennes. Bonjour Clément Beaune.

R - Bonjour.

Q - On commence par la situation au Haut-Karabakh tout à l'Est de l'Europe, à l'Est de la Turquie, ce conflit territorial entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Il y a dix jours, Emmanuel Macron a appelé à cesser les hostilités ; hier la France saluait l'annonce d'un cessez-le-feu qui n'a pas été respecté bien longtemps, des bombes cette nuit encore dans ce conflit. Quelle est ce matin la position de la France ?

R - Elle est la même, elle est d'appeler à la cessation des hostilités, nous avions eu cette bonne nouvelle d'avoir le cessez-le-feu obtenu hier. Manifestement, les événements de la nuit montrent qu'il n'est, à ce stade, pas respecté. Donc nous ne pouvons qu'appeler les parties en présence à le respecter, à engager sans condition des discussions, des négociations.

Vous le savez, la France est impliquée parce qu'elle préside ce que l'on appelle le Groupe de Minsk avec la Russie et avec les Etats-Unis, et à ce titre, nous sommes engagés directement pour que le dialogue reprenne et surtout, pour que les victimes cessent.

Q - Pour l'instant, c'est la Russie qui joue le principal rôle de médiateur entre les deux belligérants. Quelle est la place de l'Union européenne ? Vous avez rappelé celle de la France, celle de l'Union européenne dans ce dossier ?

R - L'Union européenne a été engagée par la voix de M. Borrell, son Haut représentant pour la politique étrangère depuis le départ. Ce que fait la France aussi, dans le cadre du Groupe de Minsk, nous le coordonnons, évidemment avec l'Union européenne, et la position que nous tenons appelle à la cessation des hostilités, contact avec les deux parties Arménie et Azerbaïdjan, et avec les parties indirectement impliquées comme la Turquie. Nous les menons en coordination avec l'Allemagne et les autres pays européens, nous sommes donc totalement engagés avec l'Union européenne pour essayer de reprendre le dialogue le plus vite possible.

Q - Clément Beaune, évoquons maintenant la crise sanitaire qui préoccupe les Français, mais également tous les Européens. De nouvelles mesures contraignantes sont prises dans différents pays, en Allemagne avec le couvre-feu, en Espagne avec le bouclage de Madrid, on sait qu'il y a de nouvelles mesures qui sont également prises dans les principales métropoles en France. L'Europe se coordonne-t-elle assez ou finalement, c'est chacun pour soi ? On écoute Anne Sénéquier, elle dirige l'observatoire de la santé à l'IRIS, l'Institut des Relations Internationales : "On a autant de protocoles différents que de pays différents et il nous manque ce fil d'Ariane commun qui permettrait d'être cohérent et coordonné. Et on l'a ressenti très fortement cet été lors ne serait-ce que des fermetures ou ouvertures des frontières en Europe où tout le monde avait signé un accord pour que cela soit coordonné, et finalement tout le monde a fait comme il a voulu". On se souvient, et d'ailleurs Emmanuel Macron avait tapé du poing sur la table, sur le fait que chaque pays faisait un peu comme il voulait, notamment par rapport à ses frontières, et finalement, cela n'a servi à rien, chacun pour soi ?

R - Non, ce n'est pas exact. D'abord malheureusement, on s'aperçoit que le virus circule encore partout en Europe, ce n'est pas un sujet seulement français ou de quelques villes françaises, on le voit en Allemagne, en Espagne, en République Tchèque, aux Pays-Bas, le virus reprend.

Q - D'où ma question.

R - Oui, absolument. D'abord, des mesures sont prises dans tous les pays, elles sont à peu près de même nature. On voit que les mesures de fermeture de bars le soir, le port du masque, etc. sont les mêmes mesures.

Q - Les critères sanitaires sont les mêmes, les données sanitaires sont les mêmes ?

R - Là où vous avez raison, et c'est ce qu'avait souligné le président de la République, ce que j'avais souligné, c'est qu'il n'y a pas de coordination sur les critères, notamment pour circuler d'un pays à l'autre, et c'est cela que la France, depuis cet été, essaie d'améliorer pour qu'on ait les mêmes critères, que l'on prenne nos décisions sur la même base. Mardi prochain, je serai à Luxembourg pour une réunion des ministres des affaires européennes, et je crois, je suis prudent jusque-là, que nous aurons enfin un accord européen pour qu'au moins, nous ayons les mêmes critères.

Ce que l'on appelle parfois les zones rouges, les zones orange, les zones vertes, les quarantaines, pour que tout cela soit harmonisé au niveau européen, pour qu'on n'ajoute pas à la difficulté objective du moment, une forme de confusion européenne de chacun pour soi, comme vous le disiez.

Je crois qu'on va mettre fin à cela par l'harmonisation des critères dans les tout prochains jours.

Q - La Commission européenne soutient la recherche d'un vaccin, elle passe des précommandes, si un vaccin est trouvé, quand il sera trouvé, les Européens pourront-ils en bénéficier ?

R - Oui absolument et c'est extrêmement important parce que l'Europe n'avait pas de compétence en matière de santé, elle a eu de manière très claire un "retard à l'allumage" dans cette crise il faut le dire. Mais sur le vaccin, c'est très important, en quelques semaines seulement, nous avons bâti une alliance européenne. Maintenant, l'Union européenne négocie avec tous les grands laboratoires internationaux, européens ou pas, pour que les Européens soient protégés en premier, et qu'ils ne soient pas dépendants des Américains, des Chinois ou autres dès que le vaccin sera trouvé.

Q - Quand sera-t-il trouvé Clément Beaune ?

R - Le vaccin, cela ne dépend pas de l'Union européenne ou de la France, ce sont les scientifiques qui le découvriront, on espère que ce sera dans les prochains mois. Vous savez, on ne peut pas donner aujourd'hui une date définitive, mais ce que l'on peut dire en revanche, c'est qu'il y a déjà trois contrats qui ont été signés avec les grands laboratoires, il y en aura au moins trois autres qui seront conclus par l'Union européenne.

Q - D'ici la fin de l'année ?

R - Dans les prochaines semaines, et cela veut dire qu'il n'y aura justement pas de chacun pour soi. Il n'y aura pas les Allemands qui seront protégés d'un côté contre les Français ou l'inverse. Il y a deux à trois cent millions de doses, voire quatre cent pour certains cas, dans chaque contrat qui sont signés avec l'Union européenne pour que nous ayons assez de doses pour protéger tous les Européens, et c'est très important.

Q - Une dernière question Clément Beaune sur cette crise sanitaire, vous le disiez, vous espérez, vous le dites ce matin, un accord mardi pour une harmonisation au niveau européen sur, à la fois les critères et les zones, on va dire de danger, pour aller vite. Dites-vous quand même aux Français, alors que nous sommes à quelques jours des vacances, "restez en France, ne circulez pas en Europe" ?

R - Chaque semaine Olivier Véran fait un point, c'est lui qui dira les dernières préconisations, les dernières précautions à prendre. Simplement, nous ne disons pas qu'il faut arrêter de vivre, il y a des déplacements professionnels. En Europe parfois, on a l'impression, quand on entend l'extrême-droite, que c'est un luxe de passer une frontière. Il y a 350.000 travailleurs frontaliers qui, chaque matin, pour gagner leur vie, et ce n'est pas un luxe, passent une frontière de la France vers un pays européen : Luxembourg, Allemagne ou Suisse si on élargit. Est-ce qu'à ces gens-là, on va leur dire de ne pas passer la frontière ? Evidemment pas. On se bat, je me bats tous les jours, je parlais encore avec mon homologue belge vendredi, pour faire en sorte que ces frontières ne soient pas fermées, ce n'est pas un luxe, c'est essentiel.

Q - Clément Beaune, la relance de l'économie, un plan de relance à 100 milliards en France, dont 40 milliards venus de l'Union européenne, a-t-on déjà commencé à toucher cet argent ? Quand est-ce que ce sera le cas ?

R - Non, on n'a pas encore, d'abord le plan de relance français lui-même est encore en discussion au Parlement, les 100 milliards d'euros du plan de relance qui seront mis en place à partir du début du mois de janvier très concrètement. Dans ces 100 milliards, vous avez raison de le rappeler, il y a 40 milliards - c'est considérable - qui viennent de l'Union européenne. Ces 40 milliards arriveront aussi dans le courant de l'année 2021. Quel que soit le moment exact où ils arrivent, je ne veux pas entrer dans la technique...

Q - Vous en êtes certain Clément Beaune ? Vous savez que le Parlement européen pourrait ne pas voter, notamment ce plan, vous savez qu'il y a des pays, notamment la Hongrie, qui veulent mettre des bâtons dans les roues de la Commission européenne, êtes-vous sûr que ces 40 milliards, 40% du plan de relance français arriveront bien en France en 2021 et pas un jour ?

R - Non, ils vont arriver. Il y a eu un accord au mois de juillet entre l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement. Vous avez raison, il y a un débat sur ce paquet budgétaire en ce moment avec le Parlement européen. Il faudra d'ailleurs, c'est la démocratie, que chaque parlement national, très vite, ratifie, vote cette décision. Je n'ai pas beaucoup de doute sur le fait que les parlements le feront parce que c'est dans l'intérêt de chaque pays européen, à commencer par la France.

Q - Y compris les pays de l'Est ?

R - Y compris les pays de l'Est, parce qu'ils ont besoin de cet argent fondamentalement. Le débat que nous avons avec les pays de l'Est, d'un mot, c'est sur l'Etat de droit. Nous voulons que la solidarité européenne s'accompagne, c'est normal, du respect des règles de base de l'Union européenne et notamment de la démocratie.

(...)

Q - Et nous parlons maintenant du Brexit. Alors le Conseil européen va se tenir d'ici la fin de la semaine - cela veut dire la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement à Bruxelles, jeudi et vendredi. Au menu, le Brexit. Clément Beaune, en tant que secrétaire d'Etat aux affaires européennes, est-ce que vous pensez qu'on va finalement arriver à un accord avant la fin de l'année ? Je suis sûr que s'il y a des pêcheurs du Pas-de-Calais qui nous écoutent ce matin, des industriels qui commercent avec la Grande-Bretagne, ils vont écouter votre réponse avec beaucoup d'attention.

R - La négociation est en cours, donc on ne peut pas encore en prévoir exactement l'issue. Ce que je peux vous dire, c'est que nous souhaitons un accord. Nous espérons un accord, nous y travaillons. Nous avons un négociateur européen, Michel Barnier, qui a d'ailleurs été ministre de la pêche et de l'agriculture, donc il est très sensible à ces questions, et c'est tant mieux. Je vais y revenir. Et on espère qu'on peut avoir un accord avec les Britanniques, c'est notre intérêt commun. Maintenant, la balle est aussi dans le camp des Britanniques, parce que vous avez vu ces dernières semaines, ils ont fait beaucoup d'agitation, de perturbations, parfois de provocations. On est resté très calme, parce que dans cette négociation, il ne faut pas se laisser intimider, il ne faut pas se laisser détourner de l'objectif. Ça, c'est l'objectif principal.

Nous avons été très clairs aussi sur le fait que nous ne voulons pas un accord à tout prix. Nous n'allons pas sacrifier les intérêts des Européens, de nos entreprises, de nos pêcheurs, qui nous écoutent. Nos pêcheurs, si nous leur expliquons que nous avons réduit à l'extrême leur accès aux eaux britanniques dans lesquelles ils pêchent, parfois desquelles ils dépendent pour survivre économiquement, ils diraient "c'est indécent !" et ils auraient raison. Donc, ce ne sera pas comme avant, après le Brexit. C'est d'ailleurs la preuve que d'être dans l'Union européenne, ça a un intérêt. Ce ne sera pas comme avant. Mais nous défendons bec et ongles les intérêts de nos pêcheurs, de nos agriculteurs, de nos entreprises et de nos citoyens en général, et nous n'accepterons pas un mauvais accord.

Q - En tout cas, Boris Johnson, le Premier ministre britannique non plus. Il semble prêt à ce que l'on appelle un "no-deal". Il dit "le temps presse". Alors, est-ce qu'il bluffe ? Mais est-ce qu'il n'a pas raison quand il dit "le temps presse" ? C'est-à-dire, c'est quoi la date limite pour arriver à un accord ? C'est le 15 octobre ? C'est d'ici la fin du mois ? C'est quand ?

R - Vous avez raison. Le temps presse, parce que d'abord, pour le rappeler à tout le monde, c'est à la fin de l'année, c'est le 31 décembre que le Brexit réel aura lieu.

Q - Sans rentrer dans les détails, il y a après des tas de procédures, de tas de votes... L'Europe, c'est toujours un peu compliqué.

R - Pour faire simple, il faut avoir un accord dans les prochaines semaines, il n'y a pas une date au jour près.

Q - Les prochaines semaines, cela veut dire quoi ? D'ici la fin du mois ?

R - Cela veut dire vers le début du mois de novembre à peu près. Donc nous avons encore un certain nombre de jours. Je sais que dans une négociation très compliquée, cela paraît très court, et c'est très court. Mais il ne faut pas perdre son calme dans les derniers jours de négociation, parce que c'est là, parfois, que l'on fait de mauvaises concessions, de mauvais compromis. Nous ne ferons pas de mauvaises concessions, de mauvais compromis. Parce que c'est notre relation économique, pour les secteurs comme la pêche c'est vital, que nous défendons. Avec Annick Girardin, la ministre de la mer, tous les jours nous nous battons pour faire en sorte que les intérêts des pêcheurs soient pris en compte.

Maintenant, je le dis : pas d'accord au rabais, pas d'accord à tout prix. Et nous ne céderons pas au bluff ou à l'intimidation dans les prochaines semaines. Voilà, c'est clair pour le cadre.

Maintenant, ceux qui disent, j'entendais M. Bertrand et d'autres expliquer le gouvernement doit venir expliquer ce qui va se passer pour les pêcheurs le 31 décembre, je le dis très honnêtement : ni M. Bertrand, ni personne ne peut dire aujourd'hui exactement ce qui va se passer parce que nous sommes engagés jour et nuit - et ce n'est pas une image - dans cette négociation, croyez-moi, pour défendre les intérêts des pêcheurs notamment.

Q - Clément Beaune, vendredi, Sophie Pétronin, la dernière otage française au Sahel a été libérée, elle a été reçue par Emmanuel Macron sur l'aéroport de Villacoublay. Cette libération suscite des interrogations. On va écouter le député de l'Yonne, député des Républicains Guillaume Larrivé qui était à votre place hier : "La libération de Mme Pétronin est évidemment une bonne nouvelle, pour elle-même et pour ses proches. Mais notre objectif stratégique, c'est d'éradiquer les djihadistes. Je crois qu'il sera important que devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, comme c'est la règle, nous ayons quelques explications sur les conditions dans lesquelles le nouveau pouvoir malien a, ou pas, négocié.". Quelques explications : vous comprenez cette demande de transparence ?

R - Oui, même si, vous le savez, dans ce genre de circonstance, il faut garder aussi une forme, c'est l'intérêt je crois de chacun, de confidentialité. Mais ce sont les autorités maliennes qui se sont occupées de cette libération. Nous nous réjouissons -je crois qu'il faut quand même le redire, et tout le monde devrait être d'accord là-dessus - de la libération de la dernière otage française. On sait le drame que cela a été pour sa famille. Mais la communauté nationale est toujours très sensible à ces questions d'otage, parce que c'est l'honneur de la France, on défend chacun de nos ressortissants à l'étranger. Donc moi j'appelle à l'union nationale. Et je vais vous dire - je ne parle pas forcément de M. Larrivé, mais quand j'entends notamment l'extrême droite, M. Bardella, Mme Le Pen expliquer que nous ne préoccupons pas de la sécurité de nos soldats au Sahel...

Q - Cinq mille soldats français dans la région, au Sahel.

R - Plus de cinq mille, il y a eu depuis le début des opérations à peu près cinquante morts. Le président de la République, la ministre de la défense, le ministre des affaires étrangères savent ce que c'est que d'accueillir parfois les cadavres de nos soldats. Donc nous n'avons aucune leçon à recevoir de ceux qui font des polémiques indécentes, alors que nous devrions nous réjouir de la libération de la dernière otage française, et bien évidemment, le président de la République, les autorités françaises sont engagées pour la sécurité de nos soldats au Sahel.

Q - Bien sûr, Clément Beaune, vous dites effectivement "polémiques indécentes", notamment de la part des dirigeants du Rassemblement national. Mais néanmoins, avec cette libération le week-end dernier, on n'a pas exactement les chiffres, mais de 150 à plus de 200 djihadistes, certains peut-être de ceux qu'on appelle les petits poissons, mais d'autres qui pourraient effectivement avoir une responsabilité importante dans les mouvements djihadistes. Est-ce que vous n'êtes pas inquiets, tout de même, pour nos soldats ?

R - Bien sûr, nous le regardons de très près avec les autorités maliennes. Jean-Yves Le Drian sera en contact avec ses homologues dans les prochains jours. Parce que nous avons à coeur, c'est pour cela que je le disais avec force, évidemment, la sécurité de nos soldats et le combat contre le terrorisme. Et le combat contre le djihadisme. Le président a renforcé les effectifs que nous avions en début d'année. Nous nous préoccupons à chaque instant de la sécurité. Donc nous regarderons cela de très près avec les autorités maliennes.

Je comprends qu'il y ait une volonté de suivi ou d'explication, c'est bien légitime mais d'abord, union nationale sur cette libération, évidemment préoccupation partagée sur la sécurité de nos soldats, l'efficacité de notre combat contre le djihadisme, et, je le rappelle, ce sont les autorités maliennes qui ont conduit cette opération. Donc c'est avec elles que nous irons...

Q - Et un dernier mot lié à cette affaire, à la libération effectivement de Sophie Pétronin. La France est quand même toujours très seule au Sahel. Elle mène une lutte anti-terroriste. Et finalement l'Allemagne est effectivement un peu présente à nos côtés, mais l'Europe toujours pas, notamment sous forme financière. Vous le regrettez ?

R - On pourrait être un peu plus soutenu, c'est vrai. Mais je ne veux pas laisser dire que nous sommes seuls. Ce n'est pas vrai. Il y a effectivement au Mali près de mille soldats allemands dans le cadre de l'ONU, mais c'est très utile...

Q - Ils ne sont pas en première ligne.

R - Non, c'est vrai. Mais par exemple, prenez un pays comme l'Estonie : 100 soldats qui sont en première ligne et avec nos troupes dans Barkhane aujourd'hui nous soutiennent. Nous avons un soutien logistique par les forces...

Q - Mais toujours pas de défense européenne. Toujours pas de force européenne...

R - Mais nous progressons beaucoup, nous avons par exemple mis en place des forces spéciales qui réunissent aujourd'hui près de dix pays européens. Cela n'était pas fait, c'est aussi parce qu'on s'est battu pour que cette Europe de la défense qui progresse certes trop lentement, mais qui a fait plus de progrès ces trois dernières années que ces soixante dernières années. Donc il faut voir aussi ce qui progresse et nous nous battons pour qu'au Sahel, la France soit soutenue par ses partenaires européens. C'est de plus en plus le cas.

Q - Clément Beaune, on poursuit la discussion juste après le fil info.

(...)

Q - Vous parliez de Marine Le Pen, la Commission européenne a lancé un pacte sur la migration et l'asile, c'était le 24 septembre dernier. Vendredi, Marine Le Pen, la dirigeante du Rassemblement national, a annoncé une campagne en France mais également dans tous les pays européens contre ce pacte. On l'écoute.

Q - Antidémocratique : cette immigration généralisera l'immigration subie, les flux migratoires seront décidés dans le dos et contre l'avis des peuples. Irréversible : l'immigration concernée par le pacte est une immigration de peuplement qui ne repartira pas. Destructeur : l'ampleur des flux migratoires va compromettre l'équilibre économique, social et culturel de nos pays.

Q - Marine Le Pen insiste : elle dit que ce pacte finalement, c'est l'élargissement du regroupement familial, ce sont ses termes, la décriminalisation des ONG complices des passeurs, je la cite, et enfin, la dissuasion des expulsions. C'est exact ?

R - Totalement faux. C'est aussi abject que mensonger, ce que dit Marine Le Pen. Elle a déjà fait le coup avec ce qu'elle avait appelé le pacte de Marrakech de l'ONU il y a quelques mois, où soit disant, des dizaines de millions - elle n'était pas allée avec le dos de la cuillère - de personnes allaient arriver en Europe le lendemain de l'adoption de cette déclaration politique des Nations unies. Rien ne s'est passé, vous le voyez bien.

Si Marine Le Pen pense que la situation est bonne, qu'elle le dise : statu quo, on ne fait rien. Il faut une réponse européenne d'évidence à la crise migratoire. Ce pacte, ce sont des textes européens que propose la Commission européenne. Qui proposent d'abord la protection de nos frontières. Marine Le Pen ne devrait pas être choquée. Qui proposent aussi, c'est vrai, et ça, nous en sommes fiers, nous l'assumons, plus de solidarité européenne dans l'accueil non pas de tous les migrants, mais des réfugiés, de ceux qui ont droit à l'asile. Mme Le Pen qui est si attachée à notre Cinquième République devrait savoir que dans notre constitution, nous protégeons l'asile. Et c'est notre fierté, c'est notre honneur. D'ailleurs, cette solidarité européenne, elle bénéficiera à la France, parce que la France l'an dernier a été le premier pays de demande d'asile.

Q - Mais est-ce que cela va bénéficier, Clément Beaune, à la Grèce ?

R - Bien sûr !

Q - On a vu que, finalement, le fait que l'Europe n'ait pas manifesté cette solidarité avec l'Italie, en pleine crise des migrants, eh bien a plongé l'Italie dans le populisme. C'était la réponse des Italiens. Aujourd'hui, on l'a vu avec ce qui se passe à Lesbos, qui est un véritable drame, effectivement, une nouvelle crise des migrants. Est-ce qu'il ne va pas de nouveau y avoir un pays européen qui, parce qu'il est en première ligne, va plonger en quelque sorte dans une nouvelle crise politique et sociale ?

R - Le paradoxe, c'est que c'est ce que Marine Le Pen attend, puisque ce sont ses amis qui profitent, qui font leur fonds de commerce sur ce manque de solidarité européenne, comme on l'a vu en Italie. Donc précisément, nous visons avec ces propositions de la Commission, à discuter de règles qui auront plus de solidarité, qui vont permettre à la Grèce, par exemple, de ne pas être seule dans l'accueil comme elle le fait aujourd'hui à Lesbos, à l'Italie d'être moins seule face à des difficultés, aussi à la France, parce que nous sommes un pays de ce que l'on appelle des mouvements secondaires, c'est-à-dire les personnes qui sont arrivées par une autre frontière en Europe, qui viennent en France ensuite. Donc cette solidarité européenne qui, aujourd'hui, ne la met pas en place ? La Pologne, la Hongrie, d'autres pays, souvent avec des partis politiques amis de Mme Le Pen.

Donc tout cela est un vaste mensonge de l'extrême-droite. Nous avons évidemment besoin de règles européennes, nous avons évidemment besoin de solidarité européenne. C'est bon pour la Grèce, c'est bon pour l'Italie, c'est légitime. C'est bon pour la France aussi. Et j'ai entendu que ce pacte serait discuté "à bas bruit". Enfin, Mme Le Pen et son parti, M. Bardella et d'autres, ils ont sollicité les suffrages des Français pour aller au Parlement européen. Ils ont d'ailleurs une vaste délégation au Parlement européen. Tant mieux pour eux - je pense que c'est dommage. Mais ils vont le négocier, ce texte ! Ils vont en parler ! Ce sera public ! C'est la démocratie. Donc s'il y a des critiques à faire, ne mentons pas, ne disons pas n'importe quoi. Et je crois que cela est vraiment honteux de faire croire aux Français, d'ailleurs devant un panneau où tout est écrit en anglais, donc la défense de la culture nationale ne semble pas être importante pour le rassemblement du même nom, qui raconte absolument n'importe quoi pour vivre de ce problème migratoire, quand nous essayons de le résoudre.

Q - Clément Beaune, nous avons appris quelque chose cette semaine, les Iles Caïman ne sont plus un paradis fiscal, du moins aux yeux de l'Union européenne. Les ministres des finances des 27 ont décidé de retirer les Iles Caïman de la liste qui définit quel pays est un paradis fiscal. Est-ce qu'à vos yeux, aujourd'hui - on le rappelle, plus de 100.000 entreprises, c'est plus que le nombre d'habitants - est-ce qu'à vos yeux, les Iles Caïman ne sont plus un paradis fiscal ?

R - Ce n'est pas tout à fait exact : il y a une liste qui classe en différentes catégories - sans entrer dans trop de détails, mais c'est important - des paradis fiscaux pour faire court, ou des pays qui ne respectent pas des règles de transparence. C'est l'Europe qui a défini ces règles, avec d'autres organisations internationales...

Q - Les Iles Caïman les ont légèrement améliorées.

R - Oui, elles les ont améliorées sous cette pression, parce que quand on est sur cette liste, cela induit un certain nombre de mesures, de sanctions, de restrictions, et donc les pays, pas seulement les Iles Caïman, font des progrès. Est-ce que c'est parfait ? Loin de là évidemment, mais il y a eu un progrès sous cette pression. Maintenons cette pression pour que les progrès, aux Iles Caïman ou ailleurs...

Q - Donc cette liste est un outil ?

R - Cette liste est évidemment un outil, transparent, qui n'est pas parfait mais transparent, pour permettre de mettre la pression, de sanctionner le cas échéant et donc d'améliorer la situation.

Q - Pas besoin de durcir les critères ?

R - Si, c'est un débat que la France porte régulièrement, on peut regarder si l'on peut durcir les critères, mais en tout cas, je crois que c'est une bonne chose d'avoir une liste européenne, de stigmatiser les pays qui ne respectent pas les règles et on voit que cela marche dans un certain nombre de pays qui avait une réputation internationale à juste titre très mauvaise...

Q - Qui ne l'ont pas vraiment perdue...

R - ...qui ne l'ont pas perdue, vous avez raison, d'où votre question. Mais ils l'améliorent, sous la pression européenne.

(...)

Q - Merci beaucoup Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 octobre 2020