Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, à Public Sénat le 26 octobre 2020, sur la lutte contre la l'épidémie de Covid-19, la Fonction publique, le terrorisme et les tensions avec la Turquie.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Et notre invitée politique ce matin c'est Amélie de MONTCHALIN. Bonjour.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être avec nous. Ministre de la Transformation et de la Fonction publique, on est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse quotidienne régionale représentée par Pascal JALABERT, bonjour Pascal.

PASCAL JALABERT
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Du groupe EBRA, les journaux régionaux de l'Est de la France. On commence bien sûr par cette crise sanitaire et ces nouveaux chiffres vertigineux, plus de 52.000 cas recensés hier, cas positifs au Covid, c'est un record. Est-ce que désormais un reconfinement local, ou total, vous semble inéluctable, est-ce que le gouvernement a échoué dans sa stratégie de lutte contre la deuxième vague, Amélie de MONTCHALIN ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, aujourd'hui, partout c'est difficile, partout en Europe, partout, on le voit, malheureusement, en France. On connaît l'importance, chacun d'entre nous, non pas d'attendre, voyez, la solution miracle, ou qui arriverait d'en haut, la solution est en chacun d'entre nous, comment aujourd'hui on évite de réunir chez soi trop de monde, comment on fait ses gestes barrières avec beaucoup de méthode, c'est effectivement très éprouvant, mais il n'y a pas d'autre solution aujourd'hui qu'on soit chacun les acteurs, au fond, de cette lutte contre le virus. Ce virus on ne le connaît pas très bien, ce qu'on voit c'est qu'effectivement, dès qu'il fait froid, il se répand vite, donc la solution, évidemment qu'on va être extrêmement vigilant, que si des mesures peuvent être prises pour que ça puisse… à la fois nous permettre de continuer à vivre, notamment on pense à nos écoles, à notre économie, à tout ce qui fait quand même notre vie collective, mais on a besoin, je crois, aujourd'hui de bien comprendre, il n'y a pas de solution miracle. Nous, gouvernement, on prend des décisions, comme vous le savez, courageuses, on les prend dans le temps, on les prend avec méthode, mais la solution aujourd'hui…

ORIANE MANCINI
Est-ce que ce n'est pas trop lent la prise de décisions, est-ce qu'il ne faut pas, dès maintenant, prendre des mesures plus restrictives ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Quand on a pris la mesure sur le couvre-feu on était les premiers en Europe, quand nous on faisait nos discussions entre ministres, on s'est dit ça va être perçu comme quelque chose de très dur, quelques jours après, vous voyez, les pays autour de nous, parfois, vont beaucoup plus loin. Aujourd'hui on voit bien qu'il faut qu'on apprenne à vivre avec ce virus, le confinement généralisé perpétuel n'est pas une solution, ce virus ne va pas disparaître du jour au lendemain, donc il faut qu'on s'adapte, et je crois que la clé c'est vraiment que chacun d'entre nous on soit extrêmement vigilant, extrêmement responsable, parce qu'il n'y a pas de solution magique qui vienne d'en haut.

PASCAL JALABERT
N'empêche, les épidémiologistes et puis les services de réanimation, 90 % des lits occupés en Rhône-Alpes par exemple, ils appellent à des mesures plus strictes, plus drastiques. Que peut-on fait, quelles mesures peut-on prendre, avant de reconfiner ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On va travailler sur les différentes options, il y a des questions d'horaires, il y a des questions de jours, je ne vais pas vous dire ici… vous savez c'est le fruit de beaucoup beaucoup de concertations, c'est des dialogues collectifs autour du Premier ministre, autour du président de la République, donc je n'ai pas des annonces à vous faire ce matin, ce que je sais, en tant que ministre de la Fonction publique, nous prenons toutes notre part, à la fois sur la continuité du service public, mais aussi à protéger les agents, protéger les usagers, on a pris des mesures très fortes sur le télétravail, pour que dans toutes les zones, notamment où il y a un couvre-feu, 2 à 3 jours par semaine, les agents publics, qui le peuvent, puissent continuer à travailler de chez eux, donc…

ORIANE MANCINI
Il y a combien de pourcentage de fonctionnaires aujourd'hui en télétravail ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, les chiffres qu'on a, hors Education nationale, c'est à peu près 28 % pour l'Etat, de personnes qui travaillent au moins quelques jours par semaine, ensuite ces chiffres, bien sûr on les suit de très près, ça nous demande beaucoup aussi de finesse pour que ce soit quelque chose qui soit statistiquement ensuite… voilà, qui nous dise des choses intéressantes, mais aujourd'hui, voyez…

ORIANE MANCINI
Vous cherchez à l'accroître ce pourcentage dans la fonction publique d'Etat ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On cherche à ce que 2 à 3 jours par semaine tous les agents publics de l'Etat, mais aussi des collectivités, mais aussi…bon, l'hospitalière c'est un peu différent, mais tous ceux qui peuvent télétravailler de chez eux, et donc on augmente, voyez, dans le plan de relance, les outils de travail à distance, les ministères augmentent les équipements, mais on a, dans notre secteur d'activité, évidemment, un principe qui nous guide, qui est, la continuité du service public. Les Français, au coeur de cette relance, au coeur de cette crise, ils ont besoin des services publics, et donc il faut toujours qu'on trouve l'équilibre, mais la clé, pour moi, voyez, en tant qu'employeur…

ORIANE MANCINI
Entre la présence et la numérisation…

AMELIE DE MONTCHALIN
Exactement, et on ne peut pas tout mettre à distance, inversement il y a aussi des procédures qui ne peuvent pas être faites depuis un ordinateur, et il y a beaucoup beaucoup de métiers, je pense notamment aux enseignants, on voit bien que ce n'est quand même pas la même chose d'être face à ses élèves ou pas. Donc je rencontre ce matin les employeurs territoriaux, et nous allons faire le point sur les différentes mesures que nous prenons, en tant qu'employeur public, mais toujours pour tenir cet équilibre, protéger les Français, protéger les agents, protéger les usagers, mais permettre à notre pays de continuer à avancer et notamment…

ORIANE MANCINI
Et vous encouragez, on imagine, la Fonction publique territoriale à avoir recours au télétravail, c'est 28 % pour la Fonction publique territoriale d'Etat, vous avez des chiffres pour la Fonction publique territoriale ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On fera le point avec les employeurs aujourd'hui, ce que je sais c'est que les élus locaux prennent toute leur part également à cette vigilance collective qu'on doit avoir.

ORIANE MANCINI
Dans ce contexte Jean CASTEX rencontre ce matin syndicats et patronat pour faire un point bien sûr sur les conséquences de la crise sanitaire, notamment sur l'emploi. Comment vous, vous allez contribuer, dans votre secteur, dans le secteur de la fonction publique, à relancer l'emploi, notamment chez les jeunes ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est un jeune, une solution, c'est là aussi un effort de la nation, ce n'est pas juste les entreprises ou juste les jeunes, toute la nation doit prendre sa part. Quand on est ministre de la Fonction publique comme moi, je peux vous dire, en 2021, il y a 100.000 jeunes qui peuvent trouver un emploi dans la fonction publique, soit par concours, soit par contrat, soit parce qu'ils vont vouloir être des apprentis, et je pourrai y revenir, vraiment, très intensément, on soutient l'apprentissage, notamment dans la Fonction publique territoriale, soit par un service civique, bref, il y a 100.000 jeunes, 100.000 jeunes qui peuvent, en 2021, trouver leur place, trouver un emploi, trouver une activité dans la fonction publique.

ORIANE MANCINI
Est-ce que ça attire encore, aujourd'hui, les jeunes ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qu'on voit c'est que depuis 20 ans le nombre de jeunes qui se préparent et qui se présentent au concours de la fonction publique a été divisé par deux, et ça, pour moi c'est une alerte, une alerte très grave.

ORIANE MANCINI
Vous l'expliquez comment ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Parce que ça fait 20 ans qu'on a du "fnctionnaires-bashing" qu'on nous a expliqué sur tous les plateaux, vous savez, que les fonctionnaires étaient gérés comme des chiffres, pas comme des personnes, qu'on expliquait à tout le monde qu'au fond, s'il y avait un problème dans le pays, c'était de la faute des fonctionnaires, et ça a entraîné quelque chose d'assez mécanique, c'est que les jeunes disent « voyez, je vais travailler ailleurs. » En même temps on voit que les jeunes ils demandent tous du sens, ils demandent des métiers utiles, ils ont envie de s'engager sur l'environnement, ils ont envie de participer à la transition numérique, eh bien tous ces métiers ils sont présents dans la fonction publique, et donc moi mon combat c'est d'arriver à faire connaître nos métiers, arriver à attirer les jeunes, à leur proposer aussi des parcours de carrière qui correspondent à leurs envies, peut-être, si ce n'est pas le concours, on a notamment, je pense dans le numérique, beaucoup de recrutements qui se font par contrat, on a beaucoup de jeunes d'ailleurs qui se présentent, et je lance un appel pour qu'ils y en aient d'autres d'ailleurs qui puissent s'intéresser à ce qu'on fait dans ce domaine-là…

ORIANE MANCINI
Mais vous allez faire quoi, une campagne de communication pour dire aux jeunes "venez travailler dans la fonction publique" ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, on va faire la campagne de communication, mais tout ce qu'on fait sur l'apprentissage, on avait 40.000 jeunes apprentis dans la fonction publique en 2019, ces 40.000 jeunes-là, ils connaissent maintenant les métiers de l'intérieur, on sait que c'est une voie d'excellence, on sait que c'est une voie qui amène à la professionnalisation. En ce moment on est en train d'investir, pour tous les contrats d'apprentissage, entre le 1er juillet 2020 et le 28 février 2021, tous les contrats d'apprentissage dans la Fonction publique territoriale, sont soutenus, pour les employeurs, à hauteur de 3000 euros, et ça s'ajoute au fait que l'organisme de formation, qui s'appelle le CNFPT, finance 50% du coût. Donc aujourd'hui, l'engagement qu'on a, c'est que dans toutes les collectivités le reste à charge, pour les employeurs publics, de prendre un apprenti, il est très très faible, et donc on est aussi en train de mettre des moyens. Mais moi ce que je veux dire, voyez, on va parler de défense de la République, de défense des principes fondamentaux d'un service public, si les jeunes aujourd'hui, pour des mauvaises raisons, parce que les métiers ne sont pas connus, parce que les concours sont vus comme trop sélectifs… vous savez, 50% des recrutements l'année dernière, des jeunes, se sont faits à bac ou en dessous du bac, donc il y a il y a de la place pour tout le monde, quel que soit son niveau de qualification, et c'est un ascenseur social, on peut être promu, on peut repasser des concours en interne, bref c'est une voie de formation, une voie de professionnalisation, une voie d'insertion professionnelle, qu'il faut qu'on valorise beaucoup plus, c'est mon enjeu, et on voit bien que dans notre pays on est autant attaché au service public, mais encore faut-il qu'il y ait des hommes et des femmes qui viennent prendre ces métiers, donc je l'appelle…

PASCAL JALABERT
Cela signifie que les économies dans la fonction publique, les réductions d'effectifs, c'est terminé ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Voyez, on parle toujours des créations de postes. En 2021, dans l'Etat, on stabilise le nombre d'emplois, mais il y a des gens qui partent à la retraite et donc il faut les remplacer.

PASCAL JALABERT
Bien sûr, mais ce n'est que globalement, l'effectif reste…

AMELIE DE MONTCHALIN
Le choix qu'on a fait pour 2021 c'est deux choses, c'est on stabilise l'emploi, mais on se réorganise en interne pour que tous les recrutements de renouvellement ne se fassent pas dans les administrations centrales, se fassent plutôt dans l'Etat territorial, dans les sous-préfectures, dans tous ces services de l'Etat qui sont au plus proche des Français, parce que cet enjeu de proximité c'est aussi l'enjeu de la relance, on n'arrivera pas à déployer nos politiques…

PASCAL JALABERT
Pourquoi vous ne laissez pas ça aux collectivités locales, ils font très bien. On a vu pendant la crise les régions…

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais on le fait avec elles, on le fait avec elles, vous avez vu l'accord qui a été encore signé par le Premier ministre…

PASCAL JALABERT
Oui, mais est-ce qu'il ne vaut mieux pas muscler les régions en termes de budget et d'effectifs, que l'Etat en région, par exemple, ou des départements ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, on a décentralisé, là encore, ce week-end, le Premier ministre était à Marseille, a signé un accord avec la région de Monsieur Renaud MUSELIER, on fait ensemble. Mais l'Etat, vous savez, qu'est-ce que c'est que l'Etat au fond ? C'est un mécanisme collectif pour que toutes nos politiques arrivent partout en France, pour qu'il y ait une forme d'égalité de traitement, que personne ne soit oublié, ça c'est la mission de l'Etat. Ensuite des élus, bien sûr qu'on travaille avec eux. Vous savez, toutes les semaines j'installe un comité départemental de suivi de la relance, autour de la table il y a les élus, les entreprises, on fait ensemble. Mais, voyez, pour la fonction publique notre enjeu c'est bien sûr d'attirer des talents, mais c'est aussi de nous réorganiser pour remettre l'action publique au plus près du terrain, au plus près des territoires, c'est pour ça qu'on a fait les sous-préfets à la relance, etc.

ORIANE MANCINI
On va en parler, mais juste un mot sur le nombre de fonctionnaires pour rebondir sur la question de Pascal. C'est vrai qu'Emmanuel MACRON dans sa campagne avait promis la suppression de 120.000 fonctionnaires, 50.000 fonctionnaires d'Etat, 70.000 fonctionnaires territoriaux, est-ce qu'aujourd'hui vous dites cette promesse c'était une erreur ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le sujet ce n'est pas une erreur ou pas. D'abord, on s'adapte à une crise sans précédent, et vous voyez bien que si je vous tenais ce discours on serait totalement décalé par rapport aux nouveaux qu'on a dans l'Education, qu'on a chez Pôle emploi, qu'on a dans les secteurs économiques, qu'on a sur les enjeux de sécurité. Donc aujourd'hui, ce qu'on en train de faire depuis le début du quinquennat, et j'étais députée à ce moment-là, c'est qu'on se met effectivement avec un enjeu de stabilité, un peu moins la stabilité au début du quinquennat, mais surtout on se réorganise, on réalloue nos forces. Toutes les organisations, toutes les entreprises font ça, quand il y a un nouveau projet, quand il y a un nouveau besoin, on ne part pas du principe qu'on va faire en plus, on se réorganise, et donc dans le budget 2021 vous voyez ça. Il y a des secteurs où on embauche, la sécurité, l'éducation, la justice, et puis y a des secteurs où on continue de faire des réformes, et notamment…

ORIANE MANCINI
Et au final très peu de baisse du nombre de fonctionnaires, je crois que c'est moins de 200 dans le budget 2021.

AMELIE DE MONTCHALIN
L'année 2021, je vous le dis, je suis la ministre qui effectivement porte ça, c'est la stabilité, avec beaucoup de réorganisation, et avec un objectif, que le Premier ministre a affiché dès son premier discours de politique générale, on ne recrute pas à Paris, en revanche on renforce, et on renforce nos capacités de décision, de suivi, sur le terrain.

ORIANE MANCINI
Et justement on va parler de ces sous-préfets à la relance, le plan de relance qui est d'ailleurs soumis ce soir au vote des députés. Mercredi a été présenté en Conseil des ministres la territorialisation de ce plan de relance, mi- octobre vous avez lancé l'appel à candidatures pour les fameux sous-préfets à la relance dont vous avez parlé, on en est où de cet appel à candidatures ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, on en est. Déjà on a acté que dans chaque département il y aura un sous-préfet, ou un fonctionnaire d'Etat, qui sera ce guichet unique, pour les élus, pour les entreprises, qui sera l'animateur de ce plan de relance au niveau départemental, que ce soit quelqu'un de terrain. Il y a effectivement des préfets qui nous ont fait part de besoin de renforts, parce qu'ils voient bien qu'ils ont déjà beaucoup à faire, que le plan de relance ça arrive en plus, et donc on a fait cet appel à candidatures, de 30 sous-préfets à la relance en plus, qui seront dans les équipes pour renforcer le travail, on l'a lancé avec Gérald DARMANIN, c'est ouvert à beaucoup de hauts fonctionnaires qui ont envie d'être, pendant 2 ans, au coeur de notre priorité, qui est de soutenir le pays. On reçoit les candidatures, à partir dans, probablement deux, trois semaines maximum, on devrait pouvoir avoir des premiers envois…

ORIANE MANCINI
Donc opérationnels en novembre ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, opérationnels dès novembre, et au plus tard en janvier, mais dès qu'on arrive à faire, voyez, des pairs, où on trouve un candidat et puis un territoire pour l'accueillir, ils partent en mission, et je pense, voyez, c'est aussi un enjeu extrêmement important pour les Français de nos territoires. Tout ne se décide pas à Paris, quand il y a des besoins spécifiques, quand il y a un défi spécifique, l'Etat il se met au plus près du terrain, et c'est là qu'il est efficace.

PASCAL JALABERT
L'Etat, en ce moment, augmente ses moyens dans la sécurité, tout ce que vous avez énoncé, mais il compense aussi les défaillances économiques, on le voit, les transports vos mal, AIRBUS va mal, l'automobile ce n'est pas brillant, le tourisme encore moins, jusqu'à quand va-t-on pouvoir financer tout cela ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est pour ça que le plan on va le financer quoi qu'il en coûte, comme l'a dit le président, mais ce plan de relance il demande… il est là pour nous aider à faire plus de croissance demain, avoir plus de prospérité, le plan de relance ce n'est pas pour faire comme avant, c'est pour repartir en étant plus fort, plus fort sur l'écologie, plus fort sur la création d'emplois, plus fort sur les compétences. On a toujours dit que cette relance on la financerait par la croissance de demain, par notre capacité à avoir moins de chômage demain, c'est pour ça qu'on investit, pour nous transformer, pour que chacun dans notre pays retrouve une formation qui corresponde à un emploi d'avenir, un emploi qui dure, on n'est pas là, voyez, pour faire un feu de paille, pour faire, au fond, de la création d'emplois d'illusion, on est là pour que, eh bien… on voit bien qu'on doit reconstruire notre pays, mais qu'on le reconstruise plus fort, et que cette force, qu'on aura reconstruite, nous permette de financer le coût, effectivement très grand, de cette crise, partout dans le monde, et donc on est, voyez, à la bataille, pour que ça réussisse.

ORIANE MANCINI
On va parler de la lutte contre le terrorisme. « On n'a rien, aujourd'hui, sur les menaces en ligne dans le cadre de la protection des agents chargés d'une mission de service public », c'est ce que vous avez déclaré hier le Journal du Dimanche. Comment vous allez faire pour y remédier ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le Premier ministre, la semaine dernière, vendredi, a annoncé que nous allions prendre des mesures fortes pour protéger les fonctionnaires. La première mesure que je prends en tant que ministre, et qui est d'application immédiate, pas besoin de loi, c'est de mettre à jour le texte de 1983 sur la protection des agents. Dans ce texte de 1983, par définition, on ne tenait pas compte des menaces sur les réseaux sociaux, des menaces en ligne. Aujourd'hui, il y a deux choses à faire. D'abord, s'assurer que, tout comme les autres menaces, celles-ci sont considérées, mais surtout, pour toutes les menaces, il faut que l'Administration soit beaucoup plus en soutien, partout, pour tous les agents, des agents qui viendraient à être menacés parce qu'ils sont les agents de la République, parce qu'ils sont les premiers représentants de nos principes fondamentaux républicains, et parce que parfois ils sont fragilisés, attaqués, quand on attaque un agent public, on attaque la République. Et donc, ce qu'on va faire, c'est que non seulement la hiérarchie… on va rappeler son obligation, très forte, d'accompagner les agents, de porter plainte avec eux, de signaler au procureur, avec les procédures qu'on appelle article 40, de signaler au procureur les plaintes, de signaler à Pharos, la plateforme des signalements des messages en ligne, de, ensuite, le cas échéant, prévenir les forces de l'ordre, et d'inclure donc, et ça c'est nouveau, les menaces en ligne. Parce que, aujourd'hui les agents, et vraiment c'est un appel aussi que je leur lance, signalez les faits. Votre hiérarchie ne pourra plus, si tel était le cas, minimiser, faire comme si…

ORIANE MANCINI
Mais c'était le cas, il y avait un peu un « pas de vague » ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le « pas de vague » c'est terminé. On voit bien qu'aujourd'hui, dans toutes les administrations, pas seulement à l'école, pas seulement dans les forces de l'ordre, dans toutes les administrations, nous devons absolument empêcher que les agents se sentent seuls, qu'ils se sentent démunis, ça passe donc par beaucoup plus de soutien de la hiérarchie, et si les encadrants ne font pas ce travail d'accompagnement, ne signalent pas les plaintes, ne font pas remonter à Pharos, il faudra qu'on prenne des mesures, des sanctions…

ORIANE MANCINI
Des sanctions de quel type ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Des sanctions qui sont celles qu'on applique dans l'Administration, quand un certain nombre de principes posés, voyez, par, en l'occurrence, le garde des Sceaux, le ministre de l'Intérieur, Marlène SCHIAPPA et moi-même, qu'on va rappeler un certain nombre de faits, si ces faits ne sont pas appliqués, on a des sanctions. Mais derrière ça la solitude des agents aussi c'est, parfois, ne pas se sentir écouté si on signale, ça je veux y mettre fin, et vraiment j'appelle les agents publics, faites savoir quand vous êtes menacés, et nous on va mettre les moyens pour que vous soyez écoutés. Il y a un enjeu de formation aussi. Beaucoup d'agents publics nous disent « moi je suis tout à fait prêt à faire ce métier un peu différent des autres, qui est celui d'être le premier représentant, le premier rempart à la République, mais il me manque les éléments, il me manque le cadre, j'aimerais être mieux formé, savoir comment réagir », donc oui l'obligation de formation doit aller beaucoup plus loin, y compris dans la territoriale, y compris dans l'hospitalière, tous les agents publics.

PASCAL JALABERT
Qu'est-ce que ça représente la menace aujourd'hui, que ce soit sur les réseaux sociaux ou en face-à-face, est-ce qu'on a une idée du nombre d'agents et de la force de la menace ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On a des chiffres, mais qui sont des chiffres dans un contexte où notamment, je vous dis…

PASCAL JALABERT
Ça ne remonte pas ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Les menaces en ligne n'étaient pas considérées, dans nos textes, comme des choses à suivre en particulier. On a des chiffres qui disent globalement, une année donnée, c'était des chiffres de 2016-2017, il y a 6000 dépositaires de l'autorité publique, donc des forces de l'ordre ou des magistrats qui sont menacés, et on a 6000 agents publics, qui ne sont pas dépositaires de l'autorité publique, donc ça peut des enseignants, ça peut être des fonctionnaires à un guichet, qui eux aussi, à un moment donné, portent plainte parce qu'ils se sentent menacés.

ORIANE MANCINI
Quels sont les fonctionnaires les plus menacés ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, ce qu'on voit, c'est qu'il y a tous les métiers de guichet, quand vous recevez du public, là on a vraiment besoin de mettre ces agents-là en sécurité, en protection, en clarté aussi, sur ce qu'ils représentent, sur ce que ça veut dire être agent public, agent de la République. Ils sont tous très volontaires, je n'ai aucun doute sur le sujet, mais il faut qu'on puisse… voyez, les armer, qu'ils se sentent protégés et soutenus. C'est aussi tous les métiers, notamment à l'hôpital, il y a un certain nombre de faits aussi à suivre, l'enseignement, Jean-Michel BLANQUER a beaucoup avancé. Son idée, par exemple, de ces brigades sur les valeurs de la République, c'est quelque chose que j'aimerais peut-être déployer dans d'autres administrations, cette idée de proximité, non seulement je vous forme, non seulement votre hiérarchie vous soutient, mais je viens là où vous êtes, je suis à vos côtés physiquement, en présence, avec vous, là où c'est difficile. Ça c'est des choses qu'on va essayer d'élargir au maximum, parce que je crois que tous nos agents publics, et je fais le lien les jeunes, aujourd'hui si on n'est pas capable, nous République, d'être extrêmement fermes, clairs, nets, précis, en soutien, d'abord il y en a qui vont se décourager, et c'est la République qui se décourage, ça veut dire que c'est la République qui cède, et ça nous ne pouvons pas céder à ces attaques, et puis par ailleurs l'attractivité aussi, est réduite, parce qu'on se dit « oh là, c'est un métier dangereux, c'est un métier où on n'est pas protégé », et ça je veux absolument le combattre.

ORIANE MANCINI
Et ces mesures elles rentrent en vigueur quand ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le texte que je vous propose là, ou en tout cas que je vous annonce, c'est quelque chose dans les tout prochains jours, et c'est d'application immédiate. On a un régime de protection, enfin on peut le mettre à jour, il n'y a pas besoin… les menaces sur les réseaux sociaux ça n'existait pas en 83, tout le monde comprendrait bien qu'on rappelle les règles, et aujourd'hui, ce qu'il faut surtout, c'est que les hiérarchies, plus que jamais s'engagent, c'est notre responsabilité d'employeur, et je reverrai les employeurs publics territoriaux à nouveau ce matin, ce sera bien sûr au menu de nos échanges, ça concerne tous les agents publics.

ORIANE MANCINI
Alors, on parle des fonctionnaires victimes d'agressions, mais est-ce qu'il y a aussi des fonctionnaires radicalisés, est-ce que vous avez connaissance d'un chiffre concernant des fonctionnaires radicalisés ou en voie de radicalisation ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ça c'est un autre enjeu, évidemment nous devons prendre toute notre part à cette société de vigilance, qu'appelait le président de la République, nous avons des procédures, là aussi j'appelle les administrations à les saisir, nous avons des procédures, ou bien de radiation, ou bien de suivi aussi, avec les services de renseignement, mais voyez, tout ça, ça part du même principe.

ORIANE MANCINI
Qui marchent ou qu'il faut renforcer, ces procédures ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il faut, à mon avis, qu'on les regarde en détail, pour peut-être les renforcer, parce qu'elles ne sont pas, aujourd'hui, aussi mobilisées que je pense qu'elles pourraient l'être, et donc il faut qu'on fasse un diagnostic précis, sur est-ce que c'est la procédure qui est difficile ou bien est-ce que c'est, et c'est le même sujet, le signalement. On n'est pas dans une société de délation, mais on doit être dans une société vigilance, que ce soit parce que la laïcité est remise en question par un usager, qui menace un agent, ou que ce soit au sein de l'Administration, un travail qu'il faut qu'on fasse sur nous-mêmes, et donc, que oui, on ait ces référents laïcité, qu'on ait ces brigades, qu'on puisse avoir ce regard en disant la République c'est notre bien le plus précieux, chacun d'entre nous avons la responsabilité de protéger la laïcité, la neutralité, nos principes de liberté, d'égalité de traitement, et de fraternité, de cohésion sociale. Ces principes-là il faut qu'on puisse les faire vivre et que, s'il y a une atteinte, on puisse, dans toute circonstance que ce soit, le signaler, et là aussi les employeurs ont une grande responsabilité. Moi je suis prête, voyez, très précisément, sans faire d'esbroufe ou de déclarations à l'emporte-pièce, regarder ce qu'il y a aujourd'hui, le renforcer, et le renforcer rapidement, pour que notre République soit plus forte.

ORIANE MANCINI
Rapidement, ça veut dire dans la loi de lutte contre les séparatismes ?

AMELIE DE MONTCHALIN
S'il y a des dispositions législatives, et bien il faut les prendre, si c'est réglementaire, il faut le faire, et voyez, il y a des textes d'application immédiate, en quelques jours ces mesures, par exemple, peuvent être déjà déployées.

PASCAL JALABERT
L'actualité, samedi et dimanche, a été aussi marquée par ces insultes, on peut les qualifier ainsi, du président turc Recep ERDOGAN envers Emmanuel MACRON, donc un peu envers tous les Français, vous avez été précédemment en charge des Affaires européennes, comment l'Union européenne peut durcir le ton et faire cesser ces insultes venues de Turquie, un pays à qui en plus on verse pas mal de subsides ?

AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord en faisant bloc, et ce que je vois depuis cet horrible attentat et cette la mort de Samuel PATY, c'est que toute l'Europe est avec la France, toute l'Europe comprend bien que la liberté d'expression c'est un principe qui, en France, existe depuis 1881, mais que la liberté d'expression ce n'est pas le déconfinement de la haine, ce n'est pas l'appel à la violence, ce n'est pas les instrumentalisations qui viennent de l'étranger, ce n'est pas le chantage au boycott, ce n'est pas ça notre fonctionnement. Et donc aujourd'hui ont fait bloc, on est très clair sur les enjeux géopolitiques qui sont derrière, on est très clair aussi sur les sanctions potentielles qui peuvent être prises, on est ensemble, et ce premier message ça nous permet de tenir sur nos principes. Etre européen c'est croire à la liberté d'expression, c'est croire à l'égalité entre les hommes et les femmes, c'est croire surtout qu'on ne cède pas…

PASCAL JALABERT
Ça n'empêche pas de nous insulter quand même !

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, mais on peut décider de devoir céder…

PASCAL JALABERT
Voire de nous boycotter.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ou pas.

ORIANE MANCINI
Mais on a quand même entendu beaucoup de voix, évidemment européennes, s'élever contre l'assassinat de Samuel PATY, on a entendu peu de voix ce week-end s'élever contre les propos du président turc ERDOGAN qui a mis en cause la santé mentale d'Emmanuel MACRON, très clairement. Est-ce que vous dites il y a une faiblesse de l'Union européenne vis-à-vis de la Turquie ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je crois, sur ces enjeux avec la Turquie, on a, avec la Grèce, avec Chypre, au cours des tout derniers conseils européens, clarifié les choses, il y a eu un certain nombre de demandes qui ont été faites à la Turquie, dans une période de 2 mois, et il est bien clair pour tout montre que si ces demandes ne sont pas satisfaites, je pense notamment à ce qui peut se passer au Karabakh, en Libye, dans la Méditerranée, il y a un certain nombre de sujets où les Européens ne sont pas du tout dans une posture naïve, ils sont dans une posture d'exigence. Ils ont fait des demandes, soit ces demandes seront remplies, et donc ça veut dire qu'on aura retrouvé, j'allais dire la voie d'une coopération, certes musclée, mais coopérative, soit elles ne sont pas remplies, et dans ce cas-là les Européens ont un menu d'actions, qui est très clair, qui est posé sur la table. Vous savez, aujourd'hui, défendre nos valeurs, françaises, républicaines, mais aussi européennes, je crois que tous les gouvernants, tous les gouvernements, tous les acteurs européens, comprennent et sont en soutien avec ce que nous vivons, parce qu'ils voient bien que c'est aussi notre identité-même qui se joue, et on voit bien que c'est une minorité radicale qui mène la même bataille, de l'extérieur, de l'intérieur, sur les réseaux sociaux, c'est la même qu'on combat, c'est celle qui veut affaiblir notre République et c'est celle sur laquelle le président l'a encore très bien dit, je crois, avec des mots très forts ce week-end, nous sommes unis, nous faisons bloc, et c'est notre République, voyez, qui depuis des siècles, tient maintenant sur ces principes.

ORIANE MANCINI
Et on va terminer là-dessus, merci beaucoup.

AMELIE DE MONTCHALIN
Merci.

ORIANE MANCINI
Merci Amélie de MONTCHALIN d'avoir été avec nous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 octobre 2020