Entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, avec RTL le 26 octobre 2020, sur l'appel du président turc au boycott des produits français et le commerce extérieur de la France.

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Intervenant(s) : 
  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Il est le ministre délégué en charge du commerce extérieur et de l'attractivité, autrement dit, le ministre du boycott des produits français, Franck Riester est l'invité de l'actualité de RTL-Soir. Bonsoir et bienvenue à vous Franck Riester.

R - Bonsoir.

Q - Le président turc appelle officiellement au boycott des marques et des produits français, on l'a entendu il y a quelques minutes : "n'achetez pas les marques françaises" dit Recep Tayyip Erdogan. Quelle est la réponse de la France, ce soir ?

R - C'est d'abord la condamnation des propos de M. Erdogan à l'encontre du président de la République, comme tous les dirigeants européens, propos qui sont indécents, indignes. La comparaison, aussi, du traitement des musulmans à ce qu'était le traitement, dans un certain nombre de pays d'Europe, des juifs, dans les années 1930, est absolument intolérable.

Ensuite, c'est beaucoup d'explications de ce que fait la France. Bien sûr que ce n'est pas une attaque contre les musulmans, ce n'est pas une attaque contre l'Islam, les musulmans peuvent pratiquer leur culte totalement librement. Ils sont, bien sûr, des citoyens à part entière. Par contre, la France est déterminée, oui, à lutter contre l'islamisme radical, contre le terrorisme. La France est déterminée à défendre ses valeurs, que M. Erdogan soit d'accord ou pas.

Q - Cela, c'est la réponse politique, mais économiquement, envisagez-vous des mesures de rétorsion ?

R - Non, ce n'est pas du tout à l'ordre du jour.

Q - Pas de boycott des produits turcs ?

R - Non, ce n'est pas du tout à l'ordre du jour, nous n'allons pas procéder de la même façon que procèdent, aujourd'hui, les Turcs, sachant d'ailleurs que, pour l'instant, le boycott est très circonscrit, en Turquie, ou d'ailleurs dans les quelques pays où il y a eu effectivement le retrait d'un certain nombre de produits de grande surface, par exemple.

Q - Cela veut dire quoi ? Que l'on est plus dans le symbolique que dans le vrai coup dur économique ?

R - Oui, il y a eu d'un seul coup, notamment sur les réseaux sociaux, un emballement, une tentative par, notamment, un certain nombre de réseaux turcs d'instrumentaliser les propos du président de la République et les actions menées par le gouvernement de lutte contre le terrorisme islamiste, pour essayer de faire un amalgame par rapport à ce que serait la position de la France contre l'Islam.

Mais nous prenons beaucoup de temps pour expliquer, notamment à tous les chefs d'Etat, chefs de gouvernement des pays musulmans, que ce n'est évidemment pas le cas et nous essayons aussi de l'expliquer sur les réseaux sociaux.

Q - Vous savez qu'il y a l'appel d'un pays, le seul pour l'instant, la Turquie a boycotté les produits français, il y a aussi beaucoup d'appels au boycott, dans des pays arabes, qui relèvent d'initiatives privées, au Qatar par exemple, où les deux plus grands distributeurs du pays s'y mettent. Combien ce boycott peut-il nous coûter ? Quel est l'ampleur du risque ?

R - Pour l'instant, il y a peu de boycott, notamment, ce sont des boycotts de produits agro-alimentaires. L'agro-alimentaire, c'est à peu près, dans les pays du Moyen-Orient, un peu plus d'un milliard d'exportations, 4% seulement de toutes les exportations de produits agro-alimentaires dans le monde, donc c'est assez limité. Et encore une fois, dans ce risque limité, il y a très peu, aujourd'hui, concrètement, de boycott. Mais c'est un peu tôt pour l'identifier et le chiffrer de façon précise.

J'ai mis en place une cellule de suivi au ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour faire en sorte d'être en plein contact, en contact permanent avec les différentes entreprises, avec les différentes professions, pour voir exactement comment on peut leur venir en aide, en lien avec tout le réseau diplomatique dans le monde musulman, notamment, aussi, pour voir de quelle manière il est nécessaire ou non de protéger nos ressortissants. On les protège, bien évidemment, mais s'il y a des risques, ou pas, avérés.

Q - Cela veut dire quoi ? Y a-t-il des mesures de sécurité prévues pour protéger les entreprises et les collaborateurs ?

R - Si c'est nécessaire oui, bien évidemment.

Q - En Turquie, est-ce déjà le cas ou pas ?

R - En Turquie, bien sûr que toutes les dispositions sont prises comme dans les autres pays, c'est pour cela que nous avons cette cellule de suivi et les ambassades suivent de très près cette question de la sécurité de nos ressortissants dans tous ces pays-là. Pour l'instant, il n'y a pas de menace toute particulière pour la sécurité de nos ressortissants. Mais nous sommes évidemment très vigilants et nous sommes, évidemment, mobilisés pour les protéger.

Q - C'est donc plus un sujet politique qu'économique pour l'instant, au moment où l'on se parle ?

R - Oui, au moment où l'on se parle oui, mais nous sommes très vigilants et, encore une fois, c'est beaucoup de pédagogie, finalement, beaucoup de temps passé à expliquer la position de la France pour lutter contre la désinformation, l'instrumentalisation qui en est faite par le président turc Erdogan, mais aussi par un certain nombre de réseaux radicalisés.

Q - On a entendu les insultes proférées par le président turc envers Emmanuel Macron mettant en cause sa santé mentale, Erdogan reste-t-il un interlocuteur de la France aujourd'hui ?

R - Oui bien sûr, c'est le président turc, donc, c'est un interlocuteur de la France. Mais nous avons très clairement manifesté notre désapprobation et notre condamnation de ses propos, en rappelant notre ambassadeur à Ankara pour consultation. Ce comportement est inadmissible et d'ailleurs tous les pays européens l'ont dit et ils l'ont dit très clairement, à commencer par bien sûr, les Allemands, les Italiens. Tous les pays européens ont manifesté leur désapprobation. Cette unité européenne, comme on peut voir d'ailleurs cette unité française, je rappelle...

Q - Pas complètement. Ce matin, chez nos confrères de France Inter, Jean-Luc Mélenchon a refusé d'apporter son soutien à Emmanuel Macron. On l'écoute : "Le mieux que je puisse faire, c'est de me taire. Quand nous avons été bombardés en Syrie, quand nous avons été menacés en Libye, on lui a dit sur tous les tons qu'il était temps de poser le problème de savoir pourquoi nous sommes alliés dans l'OTAN avec quelqu'un qui nous bombarde ou qui nous menace. Il n'a rien fait. Le président de la République ferait bien de réfléchir à quelle va être sa stratégie. La France est abaissée, humiliée et ridiculisée. Qu'est-ce qu'il compte faire, à part des tweets ?".

R - Oui, alors, j'allais dire : unis à part la France Insoumise et M. Mélenchon, parce que, par exemple, le président du CFCM, M. Moussaoui, a dit très clairement que...

Q - ...qu'il fallait soutenir la France et la position française.

R - Bien sûr, et qu'il fallait absolument s'opposer au boycott. Après, Jean-Luc Mélenchon, on voit bien qu'il est en perte de vitesse, on voit qu'il est déstabilisé en interne par un certain nombre de ses soi-disant soutiens. Et donc, il manie le chaud et le froid, il perd totalement crédibilité.

Q - Après, il y a la forme et le fond, quand même. Sur le fond, il dit "la France a été faible avec la Turquie".

R - Qui peut imaginer que la France a été faible avec la Turquie ? Le président de la République, justement, est la cible du président Erdogan parce qu'il a été fort avec la Turquie pour faire respecter la souveraineté européenne, notamment quand il s'est agi d'envoyer un message très clair à la Turquie qu'elle ne pouvait pas faire d'explorations pétrolières dans les eaux territoriales grecques ou quand elle a très clairement dit qu'on ne pouvait pas tolérer qu'il continue d'y avoir des trafics d'armes vers la Libye.

Bref, la France est ferme pour assurer sa souveraineté, la souveraineté de l'Europe, mais, en même temps, elle est très clairement déterminée à ne pas se laisser entraîner dans une surenchère avec le président Erdogan.

Q - Il y a Erdogan, mais encore une fois il n'y a pas que le Turquie. Il y a le Maroc, le ministre des affaires étrangères a indiqué que le Royaume condamnait vigoureusement la poursuite de la publication des caricatures outrageuses à l'Islam et au prophète. La liberté des uns s'arrête là où commencent la liberté et les croyances des autres. Est-ce que vous redoutez un boycott du Maroc ?

R - Non, non, je ne le redoute pas. Je me suis moi-même rendu très récemment au Maroc pour rencontrer le ministre du commerce et de l'industrie, M. Elalamy, pour parler des différents partenariats, ils sont nombreux, entre le Maroc et la France. Et, bien évidemment, à partir du moment où les choses seront bien clarifiées entre la France et le Maroc sur ce qu'est la position de la France par rapport à l'Islam, je n'ai aucun doute que nos partenariats continueront de s'amplifier dans l'avenir.

Q - Au-delà de cette situation particulière, Franck Riester, quelles sont les perspectives pour le commerce extérieur français en 2020, compte tenu de cette situation, compte tenu surtout du coronavirus ?

R - Ils seront forcément nettement moins bons que les résultats ou en tout cas encore plus mauvais sur la partie "commerce extérieur" que l'année dernière...

Q - C'était un déficit de 17 milliards, n'est-ce pas, en 2019 ?

R - ...même si en 2019, il y avait une amélioration par rapport à 2018, parce que le déficit commercial baissait. Il va augmenter relativement fortement en 2020, du fait de la crise, tout le monde peut bien le comprendre, et notamment parce que la France a, à l'export, des filières emblématiques qui sont très fortes à l'export et qui souffrent particulièrement dans la crise, à commencer par la filière aéronautique, le tourisme. Et donc, nous sommes touchés tout particulièrement, en France, par cette crise en termes de commerce extérieur.

Pour autant, ce que l'on constate, c'est qu'il y a quand même une volonté toujours très forte de nos entreprises de se déployer à l'export, notamment par rapport au soutien apporté par le gouvernement dans cette crise pour protéger l'outil économique, pour protéger les équipes de ces entreprises, pour protéger les emplois, et pour, à travers ce plan de relance, accompagner les entreprises dans le redéploiement à l'international. Il y a de plus en plus de PME aussi et d'ETI qui sont à l'export. On a organisé depuis 2018 ce que l'on appelle la Team France Export qui fait un travail remarquable d'accompagnement de nos entreprises à l'export. Il faut que nos entreprises gardent l'esprit de conquête, elles l'ont gardé, et on est à leurs côtés, il y a notamment dans le plan de relance toute une partie sur l'export, avec des aides à l'accompagnement aux entreprises à l'international, y compris dans leurs versions numériques.

Q - On est d'accord que c'est un traitement de crise. Le déficit était de 17 milliards en 2019. Il sera de combien, quelles sont les perspectives pour 2020 ? Un ordre de grandeur...

R - Non. Il était de 57 milliards en 2019, il sera plutôt autour de 80 milliards en 2020.

Q - Autour de 80 milliards de déficit pour la balance commerciale. Chiffre à peu près stabilisé ou avec une forte incertitude ?

R - Non, encore une forte incertitude, mais tout dépend aussi des résultats dans les mois qui viennent. On s'aperçoit, malgré tout, que nos entreprises qui sont très dynamiques, qui ont de l'audace, qui innovent, sont en train de prendre des parts de marché partout dans le monde. J'en ai rencontré quelques-unes qui me disaient que même si leur chiffre d'affaires baissait, leur part de marché augmentait parce qu'ils étaient très déterminés à aller saisir les opportunités, parce que, même lorsqu'il y a une crise, il y a des opportunités, notamment pour des entreprises qui sont très innovantes comme nous en avons en France.

Q - Dernier point, il y a un match, après-demain, entre le PSG, à capitaux qataris, et une équipe d'Istanbul qui est l'équipe préférée du président Erdogan. Est-ce que cette crise peut dégrader les relations économiques aussi dans le domaine sportif ?

R - Ecoutez, je ne le pense pas, je ne l'espère pas...

Q - Le Qatar, c'est un partenaire important pour la France ?

R - Bien sûr.

Q - Et le Qatar est fâché ?

R - Il y a un certain nombre de mobilisations d'un certain nombre de personnes au Qatar, mais ne généralisons pas, cela reste encore une fois, ce que je disais tout à l'heure, très restreint et circonscrit. Pour le reste, ne mélangeons pas tous les combats et ne mélangeons pas tous les sujets, c'est ce qu'essaie de faire le président Erdogan, on va essayer de ne justement pas rentrer dans ce jeu-là.

Q - Merci beaucoup, Franck Riester.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 2020