Texte intégral
Je suis extrêmement heureux d'être parmi vous aujourd'hui. C'est la première fois en tant que ministre que j'interviens devant vos commissions. Je m'efforcerai de poursuivre, voire d'amplifier, cette tradition qui consiste à échanger avant le Conseil européen et de vous rendre compte après. Le prochain Conseil européen est important ; c'est le deuxième qui se tient ce mois-ci. J'aborderai successivement les points inscrits à l'ordre du jour, qui sont les points que vous avez évoqués dans vos interventions, avec quelques questions en plus, notamment sur les sujets de défense.
Je commencerai par la question sanitaire et la lutte contre l'épidémie de covid-19 au niveau européen. Disons-le franchement, lorsque l'épidémie a frappé l'Europe de manière généralisée, à la fin du mois de février, l'Union européenne et les Etats ont collectivement été défaillants dans leur coordination, ou, en tout cas, n'ont pas agi assez vite et assez fort. Il faut reconnaître que les outils dont disposait l'Union européenne pour agir en matière de santé étaient faibles, puisqu'il ne s'agit pas d'une compétence de l'Union. Cela a constitué un frein à une réponse immédiate et organisée. À l'inverse, lorsqu'une compétence européenne directe existait, la Banque centrale européenne, en matière monétaire, mais aussi, il faut le souligner, la Commission européenne, en ce qui concerne les règles budgétaires, de concurrence ou des aides d'Etat, ont été réactives et, je crois, à la hauteur de la réponse.
Dès le 10 mars dernier, nous avions demandé la tenue d'un sommet européen de crise ; le plan de relance européen, qui n'est pas encore achevé, a aussi été un élément de réponse puissant, tirant les leçons des limites de l'action économique européenne dans les précédentes crises.
En ce qui concerne le volet sanitaire, nous avons encore beaucoup de progrès à faire et nous apprenons en quelque sorte en marchant, puisque nous créons de fait une Europe de la santé. Le Conseil européen abordera la question de la coordination de nos critères sanitaires et, idéalement, de nos mesures sanitaires face à une crise identique. Il ne s'agit pas de déléguer à l'Union européenne le pouvoir de prendre des décisions. Celles-ci doivent pouvoir être adaptées, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau local en fonction des situations épidémiques. En revanche, on a tous constaté la confusion, ou pour le moins l'insuffisance de coordination, dans les mesures qui ont été prises. Chaque pays a agi selon ses propres procédures, son propre calendrier et parfois ses propres critères. Les fameuses zones rouge, orange, jaune, verte, etc., ne répondent pas aux mêmes critères selon les pays. Une même région française n'est ainsi pas considérée comme présentant le même niveau de risque sanitaire d'un pays européen à l'autre, ce qui est un peu absurde et ne facilite pas les déplacements. Or, au-delà du tourisme, secteur économiquement important, sont en jeu aussi des déplacements parfois essentiels : je pense en particulier aux 350 000 travailleurs frontaliers français qui ont besoin d'une garantie de circulation en Europe.
Hier, le Conseil des ministres des affaires européennes a validé une batterie de critères sanitaires communs, qui seront entérinés demain au Conseil européen, avec des seuils identiques pour que les classements soient les mêmes et que l'on puisse rapprocher les mesures qui en découlent. Je pense d'ailleurs que l'on doit aller encore plus loin à cet égard, pour éviter notamment au maximum, même si c'est encore le cas dans certains pays, des mesures de quarantaine et leur préférer des mesures plus proportionnées, de tests systématiques, par exemple.
Surtout, un accord unanime s'est fait jour pour garantir, sans mesures de restriction, la circulation des travailleurs frontaliers et les déplacements professionnels essentiels qui peuvent dépasser le cadre transfrontalier. Cela tranche avec la situation que nous avons connue malheureusement au printemps, y compris parfois avec nos voisins proches et avec l'Allemagne. Je me suis entretenu avec les autorités des trois Länder allemands frontaliers : alors même que la région Grand Est sera automatiquement classée en rouge aujourd'hui, selon les critères allemands et européens, il n'y aura pas de fermeture des frontières ni de restrictions à la circulation de travailleurs frontaliers.
Une autre avancée concrète a eu lieu en ce qui concerne la recherche du vaccin. On peut s'en féliciter parce que la France a aussi été à l'initiative sur ce sujet. Une action européenne commune a été engagée pour signer des contrats avec les différents laboratoires qui recherchent un vaccin ; trois contrats sont déjà finalisés, et trois autres devraient être sans doute signés dans les prochaines semaines. Un financement européen est prévu pour réserver des doses de vaccin afin de couvrir l'intégralité de la population européenne, puisque chaque contrat porte sur 200 à 400 millions de doses. C'est évidemment important par rapport aux autres grandes puissances, qui ne nous feront aucun cadeau, mais aussi pour éviter tout nationalisme sanitaire en Europe : l'image du continent ne sortirait pas grandie si, demain, un vaccin était trouvé en Allemagne ou en Espagne, par exemple, et n'était pas accessible, au même moment, aux citoyens des autres pays. Avec la signature des contrats européens, nous évitons ce risque et garantissons l'accès au vaccin le plus rapidement possible, dans les meilleures conditions sanitaires et financières possible. Il s'agit d'un point important, même s'il n'en sera pas directement question lors du sommet européen.
J'en viens à la question évidemment centrale du Brexit. Je partage par avance une frustration, qui ne porte pas seulement sur la longueur de cette négociation ni, parfois, sur le comportement de nos partenaires et néanmoins amis britanniques, mais aussi sur le fait que nous sommes encore dans une phase d'incertitude. Pourtant, le 31 décembre, la phase dite de transition s'achèvera et le Brexit deviendra effectif, sans report possible. Je ne peux pas vous dire à l'heure où je vous parle si nous trouverons un accord. Un accord est possible : nous y avons intérêt, mais nous ne devons pas oublier non plus que les Britanniques y ont un intérêt bien plus grand que nous, car l'impact économique d'un no deal serait bien plus désastreux pour le Royaume-Uni que pour l'Union européenne, compte tenu de l'équilibre de nos marchés et des flux commerciaux. Il est toutefois préférable de parvenir à un accord. Ce qu'il faut éviter, c'est un mauvais accord, qui sacrifierait nos intérêts fondamentaux dans les domaines que vous avez rappelés.
La question de la concurrence équitable, ou level playing field en anglais, a des conséquences très concrètes. J'ai rencontré les fédérations professionnelles lundi. Si les conditions d'une concurrence équitable ne sont pas remplies, et qu'on laisse les produits britanniques accéder à notre marché sans contraintes, sans droits de douane, on risque de se trouver confrontés à un déséquilibre et à un dumping britannique. Je ne crois pas que le Royaume-Uni, et d'ailleurs il s'en défend régulièrement, deviendrait une sorte de Singapour-sur-Tamise, parce que ce n'est pas le sens du vote du Brexit, qui comporte une dimension sociale et protectrice, et parce que ce n'est pas, au fond, le modèle britannique, mais il est tout à fait envisageable - et en tout cas, on doit s'en prémunir - qu'un dumping ciblé apparaisse, avec des écarts de réglementation en matière environnementale, sanitaire, militaire, d'aides d'Etat, par exemple, qui donneraient un avantage concurrentiel aux Britanniques qui ne serait pas supportable par nos entreprises. Comme Michel Barnier, nous serons vigilants, notamment à l'égard des aides d'Etat et de leur contrôle réciproque, pour nous assurer que le Royaume-Uni ne mène pas une politique de concurrence ou d'aides d'Etat nettement plus active et plus agressive que celle que l'on est autorisé à avoir dans l'Union européenne - cela serait certes paradoxal au regard de l'histoire du Royaume-Uni, mais nous ne sommes pas à l'abri.
La question de la pêche est au sommet de nos priorités. Je serai ce soir ou demain à Port-en-Bessin pour un échange avec des pêcheurs. Nous n'avons pas intérêt à ne pas avoir d'accord, mais nous ne voulons pas non plus d'un accord à tout prix. Pour des raisons à la fois politiques et tactiques, nous avons demandé à notre négociateur de refuser de traiter la pêche de manière séparée du reste de la négociation, afin de ne pas donner de levier aux Britanniques. Si ces derniers veulent un accès général à notre marché, dans les conditions que j'ai rappelées, ils doivent aussi accepter un bon accord sur la pêche. Les pêcheurs britanniques ont été un élément politique central de la campagne pour le référendum en faveur du Brexit, mais il est hors de question que nos pêcheurs constituent une variable d'ajustement ou le prix à payer pour la mise en oeuvre du Brexit. Nous avons donc refusé les principes que les Britanniques nous ont proposés, comme l'annualité dans l'accès aux eaux britanniques : cela aurait été une épée de Damoclès au-dessus de notre tête, car nos pêcheurs n'auraient pas su si, d'une année sur l'autre, cet accès leur serait assuré. Nous pouvons discuter de paramètres plus techniques comme les quotas d'accès, mais il est hors de question d'accepter un accès incertain aux eaux britanniques, entièrement entre les mains des Britanniques et qui réduirait significativement l'activité des pêcheurs français ou européens. Au prochain Conseil européen, le Président de la République commencera par rappeler ce point fondamental.
Le Conseil européen de demain n'a pas vocation à finaliser ou acter un accord. Mais le négociateur Michel Barnier fera un rapport aux chefs d'Etat ou de gouvernement, sur la base duquel ces derniers donneront leur évaluation politique : s'il y a un espace pour un accord, ils détermineront le contenu de l'éventuel mandat du négociateur ; sinon ils acteront le no deal et nous nous y préparerons.
Si nous sommes dans un scénario dans lequel il y a un espace pour un accord, il faut y travailler assez rapidement en vue de sa ratification parlementaire. Il faudra expliquer et préparer cet accord, car les choses vont changer au 1er janvier. Nos entreprises doivent bien savoir qu'accord ne signifie pas statu quo. Le Royaume-Uni quitte l'Union européenne : des contrôles douaniers et des contrôles sanitaires et phytosanitaires seront donc mis en place à la frontière et à la sortie du tunnel par lequel transitent 80% des marchandises entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Nous nous y sommes préparés : nous avons notamment recruté 700 douaniers, 200 vétérinaires, 200 effectifs de la police aux frontières qui seront déployés dans les prochains jours et nous avons testé ce système. Le contenu de l'accord - qui, par hypothèse, n'est pas connu - devra aussi être expliqué de manière très précise, secteur par secteur, afin que les entreprises ne soient pas prises au dépourvu le 1er janvier prochain.
En cas de non-accord, nous avons pris une série de mesures dites "de contingence" au niveau européen et au niveau national. Nous les avons repassées en revue lundi dernier, sous l'autorité du Premier ministre, ministère par ministère. Il y aura un certain nombre de difficultés inévitables, et notamment des contrôles, mais aussi des tarifs à nos frontières.
La question des services financiers n'est pas stricto sensu dans l'accord. Avec le Brexit, le Royaume-Uni va perdre automatiquement son "passeport financier", c'est-à-dire la capacité à assurer une prestation de services financiers partout dans l'Union européenne. Ce sujet est, avec la protection des données, l'un des deux sujets sur lesquels l'Union européenne décide de manière unilatérale. En cette matière, l'Union européenne donne une décision dite d'équivalence. C'est un levier que l'Union européenne conservera quoiqu'il arrive. Il ne s'agit donc pas d'intégrer dans un accord bilatéral l'accès à nos services financiers. C'est ainsi que nous procédons avec tous les pays tiers, y compris avec les Etats-Unis par exemple. Il ne s'agit pas seulement de l'activité de la City ; il en va de la stabilité financière de la zone euro, que nous devons non pas déléguer, mais garder entre nos mains.
Je suis confiant sur l'aboutissement avant la fin de l'année des négociations sur le budget de l'Union européenne, sans le Royaume-Uni désormais. Ce paquet budgétaire comprend tout d'abord le plan de relance, qui est doté d'une gouvernance ad hoc qui n'associe pas formellement le Parlement européen, mais ce dernier l'étudie et utilise d'autres leviers pour donner son avis. Il y a ensuite le budget ordinaire 2021-2027 de l'Union européenne, qui doit être approuvé par le Conseil et le Parlement européen et pour lequel des négociations sont encore en cours, notamment sur Erasmus ou le programme de recherche qui ont été jugés insuffisamment dotés par le Parlement européen. Dernier élément du paquet budgétaire : la décision "ressources propres" qui est le volet recettes du budget européen et qui ouvre la possibilité d'un endettement commun dans le cadre du plan de relance ; ce volet est prêt, puisqu'il a fait l'objet d'un accord au Conseil européen, mais il est en quelque sorte pris en otage par plusieurs pays, dont la Pologne et la Hongrie. Ces pays estiment que tant qu'ils n'ont pas de visibilité sur le mécanisme de conditionnalité relatif à l'Etat de droit, ils n'accepteront pas le lancement de la procédure de ratification nationale. J'espère cependant que nous pourrons arriver à un équilibre dans les prochaines semaines, idéalement avant la fin du mois d'octobre. Vous aurez ensuite à autoriser sa ratification, je l'espère le plus vite possible, probablement en décembre. Votre vote portera aussi de fait sur le plan de relance. Nous mettons toutes nos forces dans l'aboutissement d'un compromis global sur ce paquet budgétaire.
Monsieur Cambon m'a interrogé sur nos outils en matière de défense. Bien évidemment, nous voulons garder une relation bilatérale étroite de sécurité et de défense avec le Royaume-Uni. Mais les choses ne seront pas comme avant : le Brexit a bien évidemment un sens géopolitique. Que signifie exactement le slogan de Global Britain que défend le gouvernement britannique ? Nous devons donc compléter cette relation de défense par une relation de défense européenne et des relations de défense bilatérales dans le club européen plus fortes. C'est pourquoi nous portons avec l'Allemagne des projets d'industrie de défense sur l'avion du futur et sur le char du futur. Cette coopération industrielle, annoncée en 2017, est difficile et il y aura encore des moments de tension et de blocage. Il s'agit d'industries de défense qui n'ont pas toujours eu l'habitude de coopérer. Le contrôle du Bundestag est difficile sur le plan politique, avec des partis de la coalition actuelle qui sont parfois réticents sur ces coopérations et qui peuvent sembler moins engagés que nous : vous connaissez le rapport de l'Allemagne aux questions de défense et il faut l'accepter. Mais il y a un mouvement réel de l'Allemagne pour avancer dans ce travail commun avec nous et ces coopérations sont fondamentales.
Je n'évoquerai pas l'initiative européenne d'intervention, qui avance bien.
Nous avons une forme de déception sur le fonds européen de défense : la Commission européenne avait proposé 13 milliards d'euros, nous avons défendu une position qui était autour de 10 milliards d'euros et finalement 7 milliards d'euros ont été actés dans l'accord financier de cet été. Je reconnais que la France était assez seule pour porter cette initiative du Fonds européen de défense. La proposition de la Commission était un objectif, une sorte de majorant, mais n'oublions pas que nous partions de zéro. C'est certes une étape insuffisante, mais c'est néanmoins une étape unique, car nous n'avions pas d'outils de financement de la défense européenne.
Sur la facilité européenne de paix, la proposition initiale était de 10 milliards d'euros, nous en sommes à 5 milliards, mais c'est quand même une facilité nouvelle qui va nous permettre de financer directement des opérations extérieures.
Nous ne sommes pas encore ni au bon niveau ni au bon rythme en matière de défense européenne, mais si l'on regarde le chemin parcouru en trois ans, on constate que de nombreux verrous politiques ont été levés chez nos partenaires, notamment en Allemagne.
Nous nous trouvons parfois trop seuls, au Sahel par exemple. Mais souvent nos partenaires européens sont présents, soit à nos côtés dans Barkhane soit, plus souvent, dans la mission de l'ONU. C'est ainsi que nous avons un soutien logistique espagnol et néerlandais et que nous avons le soutien de 100 soldats estoniens. Les Européens comprennent que c'est un enjeu de de sécurité commun.
Sur la Turquie et les tensions en Méditerranée orientale, c'est la même chose : nous nous sentons encore parfois un peu seuls sur notre ligne de fermeté. Mais regardez ce qui s'est passé en trois ou six mois. En février, la Turquie a organisé l'arrivée de migrants à la frontière grecque : à la surprise de la Turquie, nous avons réagi de manière ferme, unanime et immédiate en défendant les Grecs, en apportant un soutien européen et en ne cédant pas à cette pression migratoire turque. Quand il y a eu des tensions en Méditerranée orientale dans les eaux chypriotes ou grecques récemment, la France a mené le combat pour la fermeté européenne et nous avons trouvé un consensus européen qui s'est durci. Au dernier Conseil européen, il y a deux semaines à peine, nous avons donné un choix à la Turquie, en donnant une chance au dialogue, car nous avions quelques signaux positifs : soit la volonté de dialogue se confirme, soit ce n'est pas le cas et alors nous sommes prêts à prendre toute une série de mesures dont des sanctions. Cette attitude à l'égard de la Turquie n'aurait pas été possible sans l'action de la France, et elle n'aurait pas été possible il y a quelques mois. Il ne s'agit pas d'une simple tension du moment ; il s'agit d'une stratégie d'ensemble d'influence néfaste de la Turquie dans beaucoup de conflits ou de zones de la région - Syrie, Libye, conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, dans les Balkans et parfois même dans nos pays. C'est à cette stratégie d'ensemble que nous devons répondre. La France a réussi à faire bouger les choses et l'Europe n'est plus dans la même naïveté ni la même dépendance à l'égard de la Turquie qu'il y a quelques mois. Mais le chemin à parcourir est encore long.
La question climatique sera au menu du Conseil européen. Nous ne fixerons pas demain nos objectifs révisés pour 2030, car la question du Brexit nous prendra beaucoup de temps. Nous y reviendrons probablement au Conseil européen de décembre, car nous devons déposer en vue de la prochaine Conférence des parties (COP) - cinq ans après l'accord de Paris - de nouveaux objectifs européens pour 2030 avant la fin de l'année. Il faut donc absolument que ce débat se tienne rapidement. Le Parlement européen a demandé que l'on rehausse les objectifs à 60% et la Commission européenne propose une cible de 55%. Cette cible de 55% est très ambitieuse, mais elle est atteignable.
Il est nécessaire que l'Union européenne soit plus ambitieuse pour 2030, comme elle l'a été il y a quelques mois en se fixant un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 à l'initiative, là aussi, de la France et de quelques pays, au printemps 2019. L'Europe se doit d'être exemplaire pour créer une forme d'effet d'entraînement : c'est notre ADN d'être le continent de la défense du climat et les accords de Paris nous engagent juridiquement et politiquement.
Mais il ne serait ni juste ni efficace que nous fassions un effort isolé, tandis que les autres, plus émetteurs que nous - à 27, nous représentons moins de 10% des émissions mondiales ! -, seraient exonérés de cet effort ! Nous avons fait bouger les choses : la Chine s'est engagée sur une neutralité carbone pour 2060 et nous verrons ce que donneront les élections américaines sur la politique climatique des Etats-Unis. Nous devons avoir des mécanismes de protection ou d'ajustements qui ne nous font pas porter un effort démesuré ou injuste. Nous devons donc travailler à rehausser le prix du carbone via le mécanisme d'inclusion carbone - dit également mécanisme carbone aux frontières ou taxe carbone aux frontières européennes -, notamment pour certains secteurs très exposés comme l'acier ou le ciment. La Commission européenne s'est engagée à faire une proposition législative étayée au cours du premier semestre 2021. C'est un changement fondamental soutenu très largement par des pays qui ont longtemps été sceptiques, y compris des pays dits libéraux comme les Pays-Bas ou la Suède. L'Allemagne est également en train de bouger sur ce sujet. Il est très important que nous rehaussions nos ambitions climatiques, mais nous devons le faire d'une manière juste dans la compétition internationale.
Faut-il un Conseil européen du changement climatique ? Je ne suis pas certain qu'il faille créer une nouvelle instance, mais un rendez-vous climatique régulier et organisé au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement ou un débat annuel sur le suivi de nos engagements seraient certainement de bonnes pistes à creuser. Le Parlement recommande la création de l'équivalent d'un Haut Conseil pour le climat au niveau européen : c'est quelque chose que nous pouvons regarder dans le cadre de la loi climat. À titre personnel, je préconise que nous conservions de la flexibilité sur les formats, mais que l'on ait un débat politique régulier au plus haut niveau sur la question climatique.
Strasbourg est le siège du Parlement européen : c'est inscrit dans les traités, et cela devrait être suffisant. Je me suis entretenu à deux reprises avec les élus concernés, toutes sensibilités politiques confondues. Nous partageons l'idée que nous avons trop longtemps eu une posture un peu défensive sur la question du siège du Parlement : il faut dire que le Parlement européen est fier d'avoir son siège à Strasbourg. Siéger à Strasbourg n'est pas une punition infligée aux parlementaires européens. L'Etat et les collectivités territoriales investissent massivement pour faciliter l'accès et la vie du Parlement européen à Strasbourg - 185 millions d'euros sur les trois dernières années - et nous travaillons de manière accélérée sur un nouveau contrat triennal qui prévoira sans doute des sommes comparables. Il faut donc une stratégie plus offensive, plus positive, mais très ferme. Le but partagé, c'est le retour rapide du Parlement européen à Strasbourg.
Strasbourg est non seulement le siège du Parlement européen, mais c'est une des villes en Europe qui accueille le plus d'organisations internationales au sens large : Conseil de l'Europe - Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'homme -, Parlement européen, mais aussi Arte - qui n'est pas une organisation internationale au sens strict. Il y a toute une dimension européenne franco-allemande à Strasbourg que l'on ne valorise pas suffisamment. J'ai proposé aux élus que, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous valorisions davantage Strasbourg par l'accueil d'événements, et notamment, en lançant à Strasbourg la conférence sur l'avenir de l'Europe.
Le Président de la République lui-même a écrit et parlé au président du Parlement européen pour demander un retour rapide, si possible pour la session dite d'octobre 2, c'est-à-dire de la semaine prochaine. La situation sanitaire est certes difficile, mais elle est plus difficile à Bruxelles qu'à Strasbourg. Je suis heureux de pouvoir réaffirmer cette ambition devant la représentation nationale, parce qu'il est important qu'au-delà de nos sensibilités politiques, nous défendions ce même intérêt national.
(Interventions des parlementaires)
M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat. - Monsieur Marie, l'Europe de la santé repose sur trois éléments au moins.
Le premier élément, c'est l'harmonisation des données. Il s'agit d'une étape importante, impliquant une forme de coopération européenne inédite. L'accord obtenu hier au Conseil a été soutenu par tous les Etats nonobstant un petit bémol du Luxembourg, pour qui nous n'allons pas assez loin. Ce texte devrait être suivi. Nous devrons nous en assurer et il faudra aller au-delà, en créant un organisme commun à l'échelle européenne pour collecter et harmoniser les données, de manière régulière et impérative, pour fournir une information parfaitement homogène sur l'évolution des épidémies en Europe.
Au printemps dernier, on a cherché à comparer des données toutes simples, comme le nombre de lits de réanimation. Or tous les pays membres n'appliquent pas les mêmes critères, ce qui a parfois biaisé les comparaisons et alimenté de fausses informations. C'est tout de même étonnant : à l'échelle européenne, nous disposons de manuels méthodologiques de plusieurs milliers de pages détaillant le mode de calcul des déficits, pour s'assurer que chacun les détermine de la même manière, et, lors d'une épidémie, nous ne suivons pas les mêmes critères pour établir le nombre de cas ou de victimes. Toutefois, il y a un an, sans doute aucun d'entre nous n'aurait jugé ce travail prioritaire. Nous apprenons aussi de cette crise à l'échelle européenne.
Le deuxième élément, c'est le stockage. Nous devons avoir une capacité européenne de réaction rapide et commune à une épidémie, face au risque de manque, voire de pénurie. Cette question appelle celle de l'autonomie stratégique, sanitaire et industrielle : pour avoir des stocks communs, il faut avoir des capacités de production suffisantes. La crise sanitaire a mis en lumière le fait que 60% à 80% du paracétamol sont produits hors d'Europe. Or, pour relocaliser un certain nombre de ces productions vitales, il faudra agir à l'échelle européenne. De même, face à une future épidémie dont, par définition, l'on ne connaît pas tous les contours, il serait peu raisonnable de constituer des stocks à l'échelle d'un seul pays.
Au sein de la réserve européenne de protection civile, dont la France a eu l'initiative, la Commission a prévu un compartiment sanitaire. En urgence, elle a mobilisé quelques centaines de millions d'euros pour amorcer cette réserve. Elle a prévu plus de 2 milliards d'euros à ce titre dans le futur budget pluriannuel. Plusieurs pays européens - ce sera peut-être aussi le cas de la France - se sont déjà portés candidats pour accueillir une partie des stocks, qu'il s'agisse des masques, des équipements de tests ou de protection.
Le troisième élément, c'est le vaccin et, plus largement, la recherche biomédicale. La présidente de la Commission a proposé une forme de Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) à l'européenne. Cette agence existe déjà sous forme embryonnaire. Face aux grands risques sanitaires, son but est de financer des recherches communes, au-delà de l'initiative ad hoc relative aux vaccins.
Concernant les négociations euro-britanniques, le désormais fameux internal market bill constitue clairement une violation de l'accord de retrait, ratifié par les deux parties. Certains ministres britanniques ont parlé d'une "violation spécifique et limitée", ce qui est un non-sens juridique : soit il y a une violation, soit il n'y en a pas.
Nous avons été clairs en disant que, si ce texte était voté aux Communes, nous engagerions une procédure juridique et, dès le lendemain du vote, la Commission a réagi par une lettre de mise en demeure. Elle a donné trente jours aux Britanniques pour se justifier. Ils ont fait savoir qu'ils répondraient. Ensuite, nous pourrons aller jusqu'à saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Nous pourrons également saisir un comité conjoint - cette instance n'est pas encore constituée - pour examiner ce différend.
Ces procédures juridiques sont essentielles, mais elles ne seront sans doute pas suffisantes. Tous les groupes de la majorité au Parlement européen ont fait savoir qu'ils ne voteraient pas l'accord éventuel sur la relation future si, d'ici au mois de décembre prochain, l'accord de retrait était remis en cause - concrètement si l'internal market bill allait à son terme. Voilà un bel exemple de cette unité et de cette fermeté européennes dont nous avons besoin dans le cadre du Brexit. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Il y a quelques jours, la jurisprudence de la CJUE a encore renforcé l'exigence de protection des données. Il s'agit d'une décision unilatérale de l'Union européenne, qui n'est pas spécialement dirigée contre les Britanniques. Sans équivalence en la matière, évaluée régulièrement côté britannique, le transfert de données ne pourrait pas être autorisé : ce serait contraire au droit européen et la CJUE le sanctionnerait, comme elle a sanctionné le transfert de données européennes vers les Etats-Unis. C'est un mécanisme clair de défense de nos standards.
J'en conviens tout à fait, l'absence d'accord est préférable à un mauvais accord. C'est d'ailleurs ce que disait Theresa May lorsqu'elle était Premier ministre. Le président du Conseil européen, Charles Michel, l'a encore répété récemment. Faute d'accord, diverses mesures de contingence seraient activées aux échelles européenne et nationale. Le Sénat a déjà habilité le Gouvernement à prendre certaines d'entre elles. À mon arrivée au ministère, j'ai demandé un passage en revue de tous ces dispositifs, et, pas plus tard que lundi dernier, le Premier ministre a insisté sur l'importance de ce travail. Les sujets vont du tunnel sous la Manche au transport routier : les activités vitales doivent se poursuivre.
À proprement parler, le plan de relance européen n'est pas assorti de conditionnalités. Mais, de longue date et presque toutes sensibilités confondues, la France demande une meilleure coordination de nos plans de relance et de nos politiques économiques, au moins à l'échelle de la zone euro. Chacun ne va pas élaborer sa stratégie de relance de son côté.
En vertu de l'accord du 21 juillet, chaque pays communiquera son plan de relance à ses partenaires entre le 15 octobre et le mois de janvier prochain. Suivra une discussion commune : chaque Etat aura un droit de regard sur la relance des autres et, en qualité de tiers de confiance, la Commission procèdera à une évaluation. Toutefois, il n'y aura pas de droit de veto : un pays ne pourra pas prendre un autre en otage, pour imposer telle ou telle réforme en la fixant comme condition pour libérer les fonds.
En outre, la Commission européenne n'imposera en aucun cas une liste de réformes, portant sur les retraites ou sur d'autres dossiers. On a entendu beaucoup de contre-vérités à ce sujet. Si notre réforme des retraites était liée à la crise de la Covid, cela se saurait : elle a été entreprise avant. Il faut sortir de la mentalité du mauvais élève tancé par l'instituteur bruxellois.
Cela étant, deux conditionnalités sont imposées stricto sensu, et l'on ne peut que s'en réjouir : une conditionnalité climatique - un peu plus de 30% des crédits de chaque plan de relance devront être consacrés au climat - et une conditionnalité numérique, plus informelle, ajoutée récemment par la Commission - au moins 20% des fonds des plans de relance devront être consacrés à la transition numérique.
L'accord du 21 juillet établit un lien entre, d'une part, l'Etat de droit et, de l'autre, le versement des fonds européens ou leur possible suspension : c'est une première. Les discussions sont en cours pour définir, à ce titre, l'instrument le plus ambitieux possible. Certains pays - la Pologne et la Hongrie en particulier - veulent réduire cette ambition. Mais, ces exceptions mises à part, tout le monde s'est accordé sur ce point. Nous espérons pouvoir disposer dans les prochaines semaines, au plus tard dans les prochains mois, d'un mécanisme garantissant le respect de l'Etat de droit via le canal budgétaire. Ensuite, il faudra continuer à enrichir notre boîte à outils. Ce dossier est inscrit très haut sur l'agenda européen. Avec l'Allemagne et beaucoup d'autres pays, notamment au nord de l'Europe, nous l'avons défendu avec énergie, et je suis sûr qu'il va avancer.
L'autonomie stratégique et la gestion des relations extérieures ont été abordées à plusieurs titres, notamment à travers la question turque. Je ne peux que faire mienne l'ambition que le Président de la République manifeste depuis trois ans : il est nécessaire de renforcer notre autonomie stratégique, en particulier dans le domaine de la défense.
Monsieur Cambon, ce chantier ne progresse sans doute pas assez vite ; mais, à l'échelle européenne, notamment à l'égard de la Chine, les mentalités ont connu une transformation radicale depuis quelques années, et la France n'y est pas pour rien. Le Brexit a également joué, de même que l'action des Etats-Unis d'Amérique. Nous sommes plus fermes. Nous avons encore un long chemin à parcourir pour coordonner un certain nombre de sensibilités politiques, mais la trajectoire me paraît désormais la bonne.
MM. Fernique et Cuypers ont évoqué la question du climat. Par son vote historique, le Parlement européen appelle à un rehaussement très ambitieux de nos objectifs pour 2030. Le taux de 60% sera sans doute difficile à obtenir en l'état actuel du consensus européen ; la cible de 55%, fixée par la Commission, est déjà ambitieuse et elle sera, elle aussi, difficile à obtenir, mais nous nous battrons à cette fin.
En la matière, l'exemple européen aura sans doute un effet d'entraînement international. C'est une question d'efficacité et de justice : des outils complémentaires sont indispensables pour qu'un tel effort aboutisse. Si nous sommes les seuls bons élèves, nous ne ferons qu'une partie du chemin, même avec toute la bonne volonté du monde, et la situation sera insoutenable, pour nos agriculteurs ou encore pour nos industriels.
Nous devons donner l'exemple, pousser les autres à s'engager - c'est ce que nous faisons dans nos discussions avec la Chine ou avec l'Inde -, défendre l'accord de Paris et prévoir des outils plus défensifs pour rehausser à notre niveau les ambitions écologiques de ceux qui exportent vers l'Europe : d'où la nécessité d'un mécanisme d'inclusion carbone robuste et rapide. Sur ce sujet, nous souhaitons une proposition de la Commission européenne au premier semestre 2021. C'est aussi la demande du Parlement européen. Comme l'a relevé M. Fernique, une taxe carbone efficace constituerait à la fois une protection climatique et une ressource permettant de financer un certain nombre de politiques.
Pour ce qui concerne le siège du Parlement européen à Strasbourg, je ne peux que vous répéter le soutien de l'Etat. Nous exerçons une forte pression quotidienne sur le président Sassoli, auquel le Président de la République a écrit et à qui j'ai encore parlé hier. La préfète de la région Grand Est a échangé avec les services du Parlement européen ce matin même. La mobilisation est générale. Je ne peux pas vous assurer que les sessions reviendront à Strasbourg dès la semaine prochaine, mais nous y travaillons, notamment sur le plan sanitaire, et nous oeuvrons à un retour rapide. Je vous remercie de conforter ce message.
Madame Mélot, Monsieur Médevielle, pour ce qui concerne la relation entre l'Union européenne et l'Afrique, le sommet prévu fin octobre a dû être décalé. Une importante réunion aura lieu en décembre, et nous la préparerons brièvement dès le Conseil européen de cette semaine. La négociation post-Cotonou, élément essentiel de cette relation, devra être décalée, pour aboutir plutôt au début de l'année 2021.
Nous devons inventer un modèle cohérent avec la montée en puissance de l'Union africaine et avec la mise en place d'une zone de libre-échange africaine, ce qui implique un format tout à fait différent.
M. Cuypers insiste sur la nécessité d'une relation avec l'Afrique fondée sur l'investissement, et non sur les seules questions migratoires. L'investissement, notamment privé, est bel et bien essentiel à une relation durable. Nous devons ainsi développer une nouvelle approche plus respectueuse.
Nous, Européens, sommes souvent les premiers partenaires sans être les premiers acteurs stratégiques : nous payons beaucoup, mais nous ne développons pas une relation complète. C'est également le cas dans les Balkans, où, comme en Afrique, la tentation chinoise est permanente. En Afrique, l'Europe est le premier bailleur, le premier investisseur et le premier partenaire de sécurité, notamment à travers les opérations extérieures onusiennes. À l'échelle européenne, il faut exercer davantage de pression collective, qu'il s'agisse de la délivrance de visas ou de la mise en oeuvre des aides. La coopération à sens unique n'est pas possible.
Face à la question climatique, Colette Mélot souligne qu'il ne faut pas laisser la Pologne de côté. À cet égard, ce pays bénéficie précisément d'une solidarité financière massive. À travers le plan de relance, elle est la première bénéficiaire du fonds pour une transition juste : au total, elle recevra 8 milliards d'euros à ce titre pour la période qui vient. Cette somme est conditionnée, au moins pour moitié, à un engagement de neutralité carbone pour 2050. La Pologne a très largement subi les choix énergétiques du fait desquels son économie est aujourd'hui très carbonée, mais elle ne peut pas refuser de s'engager davantage vers la neutralité carbone si elle veut bénéficier de notre appui légitime.
Au sujet de la coordination sanitaire, M. Médevielle a salué l'accord du Conseil Affaires générales et je l'en remercie. Plutôt que de créer une nouvelle structure de toutes pièces, partons de l'existant : l'ECDC, agence européenne qui collecte précisément les données, pourrait être l'embryon de cette compétence sanitaire renforcée à l'échelle européenne.
Monsieur Gattolin, la question des sanctions est un vaste débat. Il est clair qu'une politique étrangère ne saurait être résumée à une politique de sanctions.
De plus, il faut bien distinguer les sanctions individuelles, que nous avons prises dans le cadre de la crise biélorusse ou encore, il y a quelques mois, à l'encontre de certains responsables turcs, face aux forages chypriotes, et les sanctions sectorielles et économiques prises à l'égard de la Russie. Néanmoins, pour ces deux types de sanctions, nous sommes passés à une nouvelle phase. L'Europe se montrait très timide dans sa politique extérieure et de sécurité : elle commence à s'affirmer, même si c'est parfois difficile, en mobilisant des outils plus durs.
Revenir sur les sanctions russes existantes - la France n'a jamais soutenu cette solution - ou renoncer aux sanctions individuelles serait envoyer un mauvais signal : ces mesures étaient indispensables dans le cas de la Biélorussie. Pour la Turquie, on n'exclut pas une action similaire à l'avenir. En parallèle, le Président de la République a souhaité une présence militaire renforcée de la France et de trois de ses partenaires européens en Méditerranée orientale. Nous devrons également inventer d'autres actions : les Américains ont recours à des mesures extraterritoriales, d'ailleurs parfois contraires au droit international. Sans les imiter nécessairement, il faut réfléchir à ce type d'instruments.
Vous avez évoqué un Magnitsky Act, comme l'a proposé la présidente de la Commission européenne. Le sujet mériterait une discussion en soi, mais un tel dispositif constituerait un cadre harmonisé, peut-être plus efficace pour notre politique de sanctions.
Je ne peux que partager votre impatience, monsieur Gattolin, quant à la durée de la négociation du Brexit. Nous réfléchissons bien sûr, au niveau national et européen, à un dispositif de dédommagement des pêcheurs en cas de no deal, mais il n'est pas souhaitable d'aborder des négociations dans l'optique que l'on aura à indemniser des situations difficiles : mieux vaut chercher plutôt, à ce stade, et avec fermeté, à limiter les difficultés liées au Brexit.
Madame Guillotin a évoqué la coordination sanitaire et la situation à la frontière franco-luxembourgeoise. La Commission a elle-même recommandé, dans le texte que nous avons adopté hier au niveau des Etats membres, de ne pas fermer les frontières. Je me suis aussi entretenu avec le ministre des affaires étrangères et européennes luxembourgeois, M. Asselborn. Il n'est dans l'intérêt de personne de fermer les frontières : le Luxembourg est d'ailleurs très reconnaissant à la France d'avoir été l'un de ses rares voisins à ne pas avoir mis en place de restrictions aux déplacements transfrontaliers au printemps dernier, y compris dans les moments où la pression politique aurait pu entraîner de mauvaises décisions, contrairement à deux grands voisins du Luxembourg, qui sont aussi nos amis.
Vous avez évoqué la question de la transparence des contrats de fourniture des vaccins. Le Parlement européen y est très sensible et nous sommes aussi vigilants. Un degré de confidentialité est nécessaire, en raison de la concurrence internationale, y compris à l'égard des Etats membres dans la mesure où la Commission a reçu un mandat des Etats pour négocier ces contrats, mais il faut que nous ayons plus de visibilité sur les grandes clauses de ces contrats et nous demanderons, avec le Parlement européen, à en savoir davantage pour éviter tout risque de polémique sur leur contenu.
En ce qui concerne la situation au Haut-Karabakh, la France, en tant que co-présidente du groupe de Minsk, s'efforce d'obtenir une cessation rapide des hostilités. Un cessez-le-feu avait été décidé, mais il n'est pas totalement respecté. Nous continuons à être engagés dans un dialogue, même s'il est difficile, avec la Russie, pour qu'elle favorise par ses efforts diplomatiques propres la cessation des hostilités et la reprise du dialogue entre les belligérants. On sait aussi le rôle néfaste qu'a joué la Turquie.
En ce qui concerne les objectifs climatiques, ils seront d'abord définis au niveau européen, puis déclinés par pays. Ils pourront être différenciés, comme le sont déjà les objectifs pour 2030, mais cette question se posera dans un second temps, car il faut d'abord que nous nous engagions solidairement, comme nous l'avons fait pour la neutralité carbone en 2050, pour fixer une nouvelle cible pour 2030 : en tout état de cause, l'objectif intermédiaire de réduction des émissions de l'Union européenne pour 2030 devrait être lui aussi rehaussé au-delà des 40% actuels.
M. Cuypers a évoqué la question migratoire. La proposition de la Commission est une proposition sérieuse, complète et qui permet de parvenir plus facilement à un accord que les propositions antérieures. En matière d'asile et d'immigration, la solution ne peut être qu'européenne. Je suis un peu affligé quand j'entends certains expliquer qu'il faut mener une campagne contre ce qui serait un nouveau pacte de Marrakech : le Rassemblement national, pour ne pas le nommer, siège au Parlement européen et aura donc l'occasion de s'exprimer - autant qu'il le fasse dans les enceintes démocratiques ! En outre, il n'y a aucun rapport entre ces deux sujets. Cette proposition constitue un paquet législatif opérationnel, qui vise à renforcer la protection de nos frontières et la rapidité des procédures d'asile à la frontière : l'Etat d'arrivée aurait douze semaines, délai proposé par la Commission, ce qui est assez rapide, pour examiner les situations individuelles et dire si le demandeur peut avoir droit à l'asile et reconduire ceux qui n'ont pas droit à la protection européenne. Celle-ci est inscrite dans notre Constitution et dans les textes européens. Ceux qui y ont droit doivent évidemment être accueillis en Europe - il n'y a pas d'ambiguïté à cet égard - et de manière solidaire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - la France prend une grande part à l'effort, contrairement à d'autres Etats européens et c'est cette situation que tente de débloquer la Commission avec ce projet. Celui-ci est assez compliqué, car il distingue différentes situations et différentes mesures pour parvenir à une matrice complexe - "usine à gaz", avez-vous dit -, mais c'est sans doute le prix à payer pour trouver une réponse aussi équilibrée que possible à chaque situation. La négociation sur ce pacte devrait débuter durant la présidence allemande et j'espère qu'elle aura abouti avant la présidence française en 2022, sinon nous reprendrons le sujet. Après la crise migratoire que nous avons connue en 2015 et 2016, nos concitoyens ne comprendraient pas que nous ne soyons pas capables de trouver une réponse au niveau européen : la pression migratoire ne disparaîtra pas, mais il faut trouver une réponse à la fois humaine et ferme pour garantir la protection des frontières au niveau européen. C'est vital pour donner du sens au projet européen.
Mme Goulet et M. Bonnecarrère ont évoqué la Turquie. Je n'ai pas la même expérience de terrain que vous, n'étant pas élu, mais je me déplace beaucoup : je constate que l'on me parle souvent spontanément de la situation en Méditerranée et de la Turquie. Chacun a l'idée que, dans cette crise, se joue quelque chose mettant en cause notre capacité à nous affirmer et à défendre nos valeurs. Nous devons donc être fermes.
La France a toujours dit publiquement - il ne s'agit donc pas d'une défiance à l'égard de l'Allemagne - ses réserves à l'égard de Nord Stream 2, mais il n'y a pas de lien avec l'affaire Navalny. Nous avions déjà agi l'an dernier, sous l'autorité du Président de la République, pour obtenir un cadre juridique permettant à la Commission européenne d'encadrer le projet, de garantir la transparence et la liberté d'accès à l'infrastructure énergétique. Il n'en demeure pas moins que ce projet risque d'accroître notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, ce qui n'est pas très cohérent avec notre objectif d'autonomisation de l'Europe.
La liaison transmanche est aussi un sujet de souveraineté. Nous ferons les efforts nécessaires pour pérenniser cette liaison et sauver les entreprises. Le Gouvernement a prévu une enveloppe de soutien exceptionnel de 30 millions d'euros, qui sera complétée à due concurrence par les collectivités territoriales.
En ce qui concerne les transports et les aéroports, l'accord sur la coordination des critères sanitaires constitue une première étape, mais il ne règle pas tout. Il prévoit un formulaire commun, qui se substituerait aux formulaires nationaux que chaque passager qui prend l'avion doit remplir. Il devrait être adopté par tous les pays européens au cours des prochaines semaines. Les protocoles sanitaires varient selon entre les pays : certains prévoient des tests obligatoires, d'autres non, avec parfois une quarantaine imposée, etc. L'accord recommande de privilégier les tests et de limiter au maximum les quarantaines. Je ne peux pas vous garantir que les protocoles aéroportuaires seront immédiatement harmonisés, mais l'harmonisation est bien l'étape suivante de cette dynamique de coordination que nous avons enclenchée. Le ministre délégué aux transports, M. Djebbari, s'efforce d'y parvenir, au moins entre les grands aéroports européens. Il s'est ainsi, par exemple, rendu en Espagne récemment.
Je note votre préoccupation sur la prise en compte des agences de voyages dans le plan de soutien et la relaierai auprès du Gouvernement, car le sujet ne dépend pas directement de mes compétences. La France était réticente à l'égard du dispositif européen relatif aux droits des passagers que la Commission a confirmé, qui consiste à toujours laisser ouvert un droit à remboursement, même si les compagnies peuvent proposer des avoirs. Le droit au remboursement est donc garanti, mais je vérifierai les derniers développements pour répondre à votre question précisément.
Monsieur Cadic, nous serons très vigilants sur le respect des droits des citoyens garantis dans l'accord de retrait du Royaume-Uni. Nos autorités diplomatiques et consulaires à Londres sont mobilisées. Je vérifierai précisément ce point et l'existence d'une éventuelle discrimination entre settled status et pre-settled status, qui ne devrait pas s'appliquer, car ceux qui résidaient déjà au Royaume-Uni doivent conserver leurs droits, de même que nous avons ouvert cette semaine la procédure permettant aux Britanniques qui séjournaient en France avant le Brexit d'obtenir un titre de séjour permanent. Nous veillerons à ce que la réciprocité soit assurée.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2020