Texte intégral
J'ai en effet eu un moins d'août assez occupé : explosion de Beyrouth, coup d'Etat au Mali, opération en Méditerranée orientale, crise au Belarus, soit une crise tous les quatre ou cinq jours.
Je souhaite commencer mon intervention par quelques mots sur les suites de l'assassinat de Samuel Paty. J'éprouve naturellement une grande émotion devant ce geste d'une abjecte brutalité qui vise notre République, notre école, nos valeurs humanistes. C'est ce modèle que nos diplomates partagent et expliquent à travers le monde.
De plus, cela fait huit ans que, dans mes différentes fonctions, je me bats contre l'islamisme radical. J'ai été parmi les premiers, en 2013, à pointer le lien intrinsèque entre celui-ci et le terrorisme, dans des écrits qui ont pu perturber, mais que je ne regrette pas. L'islamisme radical, c'est la négation de la liberté de conscience, de la possibilité du dialogue dans la tolérance. Aveuglés par une conception dévoyée et pernicieuse de l'islam, ses promoteurs assassinent au nom de leur foi. Il ne faut rien céder dans ce combat, et les diplomates et agents du Quai d'Orsay continuent à se battre avec détermination.
L'urgence est double. Il faut d'abord renforcer la sécurité de nos agents et emprises à l'étranger. Nous avons demandé aux ambassadrices et ambassadeurs de réunir sans délai les chefs d'établissement de leur pays de résidence pour évoquer cette question. Le paquet de mesures sécuritaires que j'avais initié précédemment a été mis en oeuvre, mais la sécurité de nos 35.000 enseignants et 365.000 élèves à l'étranger est une priorité. Les mesures prises seront mises en oeuvre à la rentrée dans les pays où il y a des congés de la Toussaint, et dans un ou deux jours ailleurs.
Seconde urgence, mettre en place une cartographie en temps réel des réactions internationales. C'est dans les épreuves que l'on reconnaît ses amis. Je dis à ceux qui m'entendent que rien ne sera oublié. Nous avons reçu de très nombreuses marques de sympathie qui nous touchent, mais il y a aussi des silences éloquents.
Après les attentats du 13 novembre 2015, j'avais eu le triste honneur d'être le premier à invoquer la clause d'assistance mutuelle, ce fameux article 42.7, du traité sur l'Union européenne. Elle a permis une plus grande solidarité sur les enjeux de sécurité. Il a également été possible d'accélérer la mise en place du dispositif de partage des données des passagers dans l'espace aérien européen - le Passenger Name Record (PNR) -, qui était alors bloquée.
Nous sommes aujourd'hui dans une autre logique, mais ce doit être aussi le moment d'avancer dans l'adoption du projet de règlement européen TCO, qui permettrait de supprimer tout contenu à caractère terroriste dans un délai d'une heure après sa publication. Les images sordides publiées à la suite de l'attentat ont été effacées par Twitter, mais dans le cadre de l'appel de Christchurch lancé à l'initiative de la France, après l'attaque qui avait endeuillé cette ville. Cela repose sur la seule bonne volonté des signataires de l'appel. Pour aller plus loin, il importe désormais que le projet de règlement TCO soit mis en oeuvre.
Sur le même sujet, il est indispensable d'apporter une réponse à la diffusion des contenus haineux sur les réseaux sociaux. Là aussi, la réponse est européenne. Le Digital Services Act, dont la publication est prévue le 2 décembre, fournira un cadre de régulation, de supervision et de modération des contenus numériques pornographiques, haineux, ou faisant l'apologie de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et d'actes terroristes. Il importe de bien en définir le champ d'application. Voici cinq ans, ces questions ne se posaient pas. Les traiter fait partie des missions qui incombent à l'administration dont j'ai la charge.
J'ai demandé à tous les postes des initiatives pour expliquer le renforcement de la laïcité en France, en coordination avec les instituts français, pour que la dynamique soit relayée auprès des acteurs et que notre stratégie d'influence prenne en charge ces fondamentaux républicains mis à mal par l'attentat.
Nous avons pris trois initiatives dans la lutte contre l'islamisme radical, en cohérence avec les déclarations du président de la République dans son discours des Mureaux. D'abord, en concertation avec l'Education nationale, nous mettons fin au système des enseignements de langue et de culture d'origine (ELCO) auquel nous allons substituer les enseignements internationaux de langues étrangères (EILE), ouverts à tous les élèves et mieux contrôlés. Nous sommes en train de passer de nouveaux accords avec nos partenaires pour intégrer ces enseignements au sein de l'éducation nationale : nous l'avons fait avec le Maroc, la Turquie et la Tunisie, et nous espérons aboutir avec l'Algérie avant la fin de l'année.
La deuxième initiative porte sur la formation des imams qui exercent en France. Le président de la République a annoncé la fin progressive du dispositif des imams détachés du Maroc, d'Algérie, de Turquie, pour les remplacer par des imams formés en France qui défendront un islam compatible avec les valeurs de la République.
Enfin, nous travaillons à organiser différemment le marché du hajj, dont la dérégulation est un foyer de pratiques frauduleuses et de propagation de l'islamisme radical. Les Français de confession musulmane forment le contingent le plus nombreux du hajj en Europe. J'ai bon espoir que les discussions avec mon homologue saoudien aboutissent dans les prochaines semaines.
Après ces initiatives que je tenais à vous présenter, j'aborde l'actualité internationale. Je me suis déplacé au Liban fin juillet ; le président s'y est rendu le 6 août après l'explosion du port de Beyrouth, puis à nouveau le 1er septembre, pour marquer le centenaire de la création du Grand Liban. L'intervention du 6 août était à caractère humanitaire, et la France, à travers la mobilisation de ses collectivités territoriales, de ses ONG et du ministère de la défense, a été au rendez-vous de son histoire avec le Liban. Nous avons aussi mobilisé des financements internationaux ; au mois de novembre, une conférence fera le point sur l'ensemble des actions humanitaires engagées. La population libanaise est victime des incuries et impérities de ses dirigeants : plus de la moitié vit sous le seuil de pauvreté, sans compter les dégâts du covid-19. Tout cela justifie l'aide humanitaire, sous réserve qu'elle parvienne bien à ses destinataires - et le représentant des Nations unies à Beyrouth y veille.
Mais la crise humanitaire ne doit pas occulter la crise politique. Tout le monde sait ce qu'il faut faire pour sortir ce pays du naufrage. La conférence dite Cèdre initiée par la France en 2018 a permis une mobilisation de la communauté internationale à hauteur de 11 milliards de dollars, à condition que les réformes nécessaires soient engagées. Ces réformes doivent porter sur la Banque du Liban, le système des marchés publics, l'électricité, la lutte contre la corruption notamment. La liste est connue de tous, et le Premier ministre d'alors, Saad Hariri, s'était engagé à les mettre en oeuvre. Or rien n'a été fait depuis. Il y a des déclarations, mais pas d'action.
Le président de la République a voulu rappeler les acteurs à leurs responsabilités : la France ne choisit pas le gouvernement libanais, mais elle demande un gouvernement de mission pour agir sur l'urgence. Moustapha Adib a tenté de constituer un premier gouvernement, mais les vieilles logiques de clan et de confession ont pris le dessus. Nous en sommes là. Il semble que l'ancien Premier ministre Saad Hariri soit prêt à composer à nouveau un gouvernement. Au président Aoun de faire les consultations nécessaires, mais elles ont été retardées ; or plus l'on tarde, plus le bateau coule. Le Liban jouit de ressources humaines, intellectuelles, historiques considérables. Si les réformes ne sont pas menées, le pays risque la dislocation. Chacun le sait, et le temps presse.
En marge de l'Assemblée générale des Nations unies, qui s'est tenue cette année en visioconférence, une réunion spécifique a été consacrée au Liban. La communauté internationale a, à cette occasion, réitéré ses positions. Il faut éviter que le Liban ne vienne s'ajouter aux complications et aux miasmes de la région.
Le coup d'Etat du 18 août au Mali est le résultat d'une crise de confiance entre le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, et la population. Nous l'en avions pourtant alerté à plusieurs reprises, tout comme ses partenaires mauritanien, nigérien, burkinabè. Les accords d'Alger n'étaient pas mis en oeuvre, malgré les déclarations. Cela a provoqué le mouvement de rue dit M5 et, indirectement liée à celui-ci, l'initiative de quelques colonels.
Nous avons condamné le coup d'Etat, qui n'est pas une méthode démocratique. Cependant, le président IBK a démissionné, les chefs d'Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont envoyé des missions à Bamako pour rencontrer la junte. Un président et un Premier ministre civils ont été désignés. Une charte de transition a été rédigée, et des élections générales sont prévues dans dix-huit mois. Enfin, les membres de la CEDEAO ont décidé de mettre fin aux sanctions décidées à l'encontre du Mali. C'est pourquoi je m'y rendrai demain.
En outre, j'observe que les nouvelles autorités ont renouvelé leurs engagements dans la force conjointe du G5 Sahel, leur soutien à Barkhane, et que l'armée malienne a continué le combat pendant cette période. La charte de transition a été validée par le nouveau gouvernement et le nouveau président. Le Conseil de transition devrait être constitué dans les prochains jours. Cette charte comporte des engagements sur la mise en oeuvre des accords d'Alger et le combat contre le terrorisme. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) poursuit son action, et l'Union européenne a repris ses activités de formation dans le cadre de l'EUTM Mali - European Union Training Mission. La stratégie de Pau est donc validée par l'ensemble des acteurs.
La situation politique de la région est particulière. Au Niger, des élections sont prévues pour la fin décembre. Le président Issoufou renonce à se présenter une troisième fois, ce qui est assez rare dans cette partie du monde pour être souligné. Au Burkina Faso, les élections auront lieu le 22 novembre. Je dois me rendre dimanche 25 octobre au Niger et le jour suivant à Ouagadougou.
L'Union européenne et la France souhaitent que les engagements pris par le président de transition, M. Bah N'Daw, et par son vice-président le colonel Assimi Goïta soient bien respectés. Le président algérien, que j'ai rencontré la semaine dernière, est sur cette même ligne. Il est essentiel d'aller au bout du processus d'Alger, dont le volet DDR - désarmement, démobilisation, réinsertion - n'a pas été engagé, pas plus que la décentralisation et le développement du nord du pays. Mon homologue algérien et moi-même envisageons de nous rendre ensemble à Bamako. Je pourrais participer à une réunion du comité de suivi des accords d'Alger (CSA) présidé par celui-ci. La ministre des armées s'apprête elle aussi à se rendre au Mali.
En Méditerranée orientale, les rivalités entre Grèce et Turquie durent depuis les traités de Sèvres et Lausanne, signés voici un siècle. Mais la zone est désormais le témoin de tensions aggravées par les perspectives d'extraction de gaz. Nous sommes extrêmement vigilants sur le respect du droit maritime international, or la Turquie ne le respecte pas en faisant itinérer des bateaux d'exploration dont l'Oruç Reis dans les eaux maritimes grecques, et dans les zones économiques exclusives (ZEE) grecque et chypriote. Ces tensions ont culminé au mois d'août. Nous soutenons la Grèce et Chypre dans le respect de leurs droits, en essayant de conjuguer nécessaire fermeté et ouverture au dialogue. La chancelière Merkel et le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, y travaillent également. Le président de la République s'est entretenu avec M. Erdogan. Nous avons engagé des pourparlers exploratoires, obtenant le retrait du bateau dans la zone maritime grecque, mais pas dans la zone chypriote. Mais aussitôt après le Conseil européen, les Turcs annonçaient le retour de l'Oruç Reis...
Lors du premier Conseil européen du mois de septembre, l'Union européenne a donc fait savoir aux Turcs que s'ils ne respectaient pas le droit international elle était prête à prendre toutes les options incitatives et dissuasives, y compris les sanctions, pour obtenir une désescalade. La date butoir est le Conseil européen de décembre.
Les zones de conflictualité liées à la Turquie s'accumulent : Libye, Méditerranée orientale, Irak, Azerbaïdjan (Haut-Karabakh), Syrie, Varosha à Chypre... Cela fait beaucoup. La position de l'Union européenne a été de défendre ses membres en Méditerranée orientale. Le rendez-vous de décembre est majeur.
Vous connaissez le contexte du Haut-Karabakh...
M. Christian Cambon, président. - Nous sommes très sollicités par les deux parties. Il serait bon de rappeler la position du Gouvernement français.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - C'est un lieu de complexité géographique, ethnique et nationale entre deux pays qui faisaient auparavant partie de l'Union soviétique. Il y a le Haut-Karabakh, à dominante arménienne, au milieu de l'Azerbaïdjan, et une zone sous contrôle azéri, le Nakhitchevan, qui ne pose pas problème pour le moment. L'Arménie et la Russie sont liées par un accord de défense. Nous avons des relations étroites et anciennes avec ce pays. Le dernier sommet de la francophonie s'est tenu à Erevan il y a deux ans. Mais nous avons aussi des relations avec l'Azerbaïdjan : les précédents chefs de l'Etat français se sont tous rendus à Bakou.
Nous sommes coprésidents du groupe de Minsk, créé en 1994 à la fin de la première guerre qui avait conduit à l'indépendance des Etats, une coprésidence que nous partageons avec les Russes et les Américains. En réalité, nous aurions dû prendre des initiatives dans ce cadre pour que les Azéris et les Arméniens parviennent à un accord dans ce conflit qui ne s'est jamais éteint ; la solution ne viendra pas par les armes. Je parle très régulièrement avec mes homologues des deux parties, chacun dit qu'il est d'accord pour un cessez-le-feu, pour ouvrir l'accès à l'aide humanitaire, pour l'engagement de négociations, mais demande que ce soit l'autre partie qui fasse le premier pas. Chacun accuse l'autre de ne pas respecter le cessez-le-feu, obtenu, le 10 octobre, par le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov - un cessez-le-feu qui était caduc deux jours plus tard. Le président de la République a repris l'initiative samedi dernier, il a discuté tout l'après-midi avec les deux parties et obtenu un cessez-le-feu et un communiqué commun, qui a tenu...trois jours. Nous savons tous que la solution est le cessez-le-feu immédiat, l'accès de l'aide humanitaire, puis des négociations, nous le répétons aux deux parties. Il y aura prochainement d'autres initiatives, nous essayons d'avancer, pour la paix. Nos efforts suscitent des critiques dans la communauté arménienne en France, où certains nous reprochent notre impartialité, notre effort d'équilibre entre les deux parties, mais, en tant que coresponsables des accords de 1994, nous devons rester impartiaux, ou bien nous serons contestés, et alors qui nous remplacera, sinon la Turquie ?
M. Christian Cambon, président. - Comment modérer certains pays qui alimentent le conflit en vendant des armes très sophistiquées aux belligérants, en particulier des drones particulièrement dangereux et qui font beaucoup de dégâts ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je le dis à mes homologues arméniens et azéris : leur intérêt n'est pas de poursuivre le conflit, de voir des supplétifs syriens venir combattre en étant acheminés via Ankara, ni d'acheter des armes de plus en plus sophistiquées, de plus en plus létales ; des solutions existent, nous ne cessons de le leur dire.
Sur la Libye, je dirai que, pour la première fois depuis longtemps, une évolution positive paraît se dessiner, et ce par la convergence de trois éléments. D'abord, une trêve de fait, sur la zone de Syrte et de Jufra. Il est convenu d'appliquer les décisions du sommet de Berlin de janvier dernier, avec le dispositif militaire "5+5" pour passer de la trêve au cessez-le-feu. Ensuite, un premier accord est intervenu pour lever le blocus pétrolier, ce qui est positif, car les revenus du pétrole vont être gérés de façon transparente plutôt que par les seules milices. Enfin, un forum politique inter-libyen s'est tenu cet été à Montreux, en Suisse, et il va se réunir de nouveau à Tunis dans quelques jours - c'est la raison pour laquelle je m'y rends ce soir - pour préparer des élections et une révision de la Constitution - c'est la seule façon de parvenir à un accord durable. Le risque de dégradation à la syrienne a donc diminué, le contrôle des armes progresse, il faut utiliser cette occasion pour parvenir à un règlement, les pays voisins et de la zone doivent jouer leur rôle maintenant.
Notre position est claire sur la Biélorussie : le conflit est interne à ce pays, ce n'est pas un conflit géopolitique. La protestation tient au sentiment d'une partie de l'opinion publique biélorusse de s'être fait voler les élections du 9 août dernier ; nous ne reconnaissons pas l'élection d'Alexandre Loukachenko, qui s'est auto-investi pour un sixième mandat, nous soutenons le mouvement démocratique et demandons un dialogue politique dans le cadre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dont c'est le rôle. L'Union européenne a sanctionné au 1er octobre dernier quelque quarante responsables politiques biélorusses - ils ne peuvent plus se déplacer en Europe, leurs biens situés en Europe sont gelés et il est interdit aux Européens de travailler avec eux, où que ce soit. Nous avons demandé à notre ambassadeur de ne pas rejoindre Minsk pour le moment.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Les trois coprésidents du groupe de Minsk sont garants du statu quo de 1994, ils travaillent ensemble pour avancer. Le problème, c'est que nous avons été trop passifs face à cette situation bloquée depuis le départ, il ne s'est quasiment rien passé depuis le début - il faut reprendre l'initiative, parvenir à un cessez-le-feu et mettre en place un outil de vérification du cessez-le-feu. Une troisième discussion est imminente à Washington, on va essayer d'avancer.
Je suis tout à fait disposé à ce que des formations relevant de la JDC puissent être dispensées par des outils numériques ; j'ai créé il y a un an le collège des hautes études de l'Institut diplomatique (CHEID), c'est un outil à utiliser également, en plus de l'IHEDN.
Monsieur Vaugrenard, je ne partage pas vos préventions contre l'imam Mahmoud Dicko, il n'est pas dans le gouvernement malien, il a pris ses distances avec la politique depuis la chute d'IBK, il est moins acteur qu'il ne l'a été dans la protestation contre IBK. Je m'interroge plutôt sur le fait de savoir si le dispositif actuel, avec un gouvernement large, va tenir dans les mois qui viennent. C'est ce que je veux voir en m'y rendant demain et après-demain.
Nous avons suspendu le traité d'extradition avec Hong Kong et nous avons bien fait. Pour le moment, il n'est pas à l'ordre du jour de suspendre le traité d'extradition avec la Chine. Comme je l'ai dit lors des questions d'actualité, je crois qu'avec la Chine nous devons tenir trois axes. Une coopération sur les questions d'intérêt commun, et il y en a de très importantes, comme le climat, où nous pouvons faire avancer des dossiers essentiels ; une concurrence dans un grand nombre de domaines, en particulier sur la définition et la régulation des normes qui régissent le commerce, les investissements, la production elle-même, les échanges - et dans cette concurrence, où nous demandons plus de transparence, plus de réciprocité, chacun marque des points, alternativement, c'est ce qui arrive avec Huawei, où nous acceptons qu'il n'y ait pas de discrimination contre cette entreprise, mais exigeons qu'elle ne compromette en rien notre sécurité nationale ; enfin, une rivalité idéologique majeure entre deux systèmes idéologiques, dans laquelle nous ne devons plus avoir aucune naïveté. Le sommet UE-Chine a été reporté, mais il y a eu une réunion en visio-conférence, où les échanges ont été très fermes. Nous souhaitons une rencontre à 27+1, je le dis à mes homologues, l'hypothèse antérieure à 17+1 n'est pas la bonne solution, il faut que l'Union s'exprime à 27. On doit se battre sur les normes et sur la transparence. Quant au combat idéologique, il est majeur, la Chine vise le premier plan mondial en 2047. Quel que soit le résultat de l'élection américaine, la radicalisation de l'affrontement entre les Etats-Unis et la Chine va continuer dans les années à venir.
Nous ne reconnaissons pas Taïwan, chacun le sait, mais nous sommes soucieux du dialogue et du partenariat économique avec l'île, nous soutenons la participation de Taïwan à des instances internationales, par exemple à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) - c'est dans l'intérêt sanitaire général.
Dans la lutte contre le terrorisme, notre politique étrangère et de défense comprend cinq aspects : l'aspect militaire - voyez notre présence au Mali, en Irak - où il nous faut tenir nos coalitions et nous avons des alliés, bien plus qu'au début des opérations ; l'aspect renseignement, où la coopération internationale est significative et où nous disposons d'un outil de qualité, nous l'avons démontré en prévenant des attentats en France et à l'étranger ; l'aspect financement du terrorisme : nous avons progressé sur les sanctions contre toute source de financement, avec l'initiative No money For Terror, avec des rencontres régulières entre experts; l'aspect numérique, je vous en ai parlé ; enfin, le développement des pays d'où proviennent les terroristes. Les cinq aspects vont de pair, il faut qu'ils progressent ensemble pour réussir contre le terrorisme. Les choses prennent du temps, parce que l'enjeu Sud est apparu bien plus tard que celui de l'Est, le dispositif oriental est donc bien plus développé, mais les choses sont appelées à s'équilibrer.
Dans le cadre d'un rapprochement opéré depuis 2013, des discussions ont été ouvertes entre le Saint-Siège et Pékin. Le Vatican espère, semble-t-il, faire respecter la communauté chrétienne chinoise. Il y a de nombreux témoignages attestant de la répression des chrétiens en Chine, en particulier de violences contre les prêtres et les évêques. Nous suivons les événements de très près. Une mission parlementaire est en cours sur la diplomatie du Saint-Siège, qui intègrera cette dimension particulière.
Sur le Venezuela, les conditions de l'élection prévue le 6 décembre prochain sont tout à fait discutables, nous avons diligenté sur place Josep Borrell. Il y a des divergences de vue dans l'opposition elle-même sur la tenue des élections à l'Assemblée nationale, alors qu'elle est la seule entité légale. Le groupe de contact que nous avons créé il y a deux ans s'est réuni le 17 septembre, il a constaté que les garanties de transparence n'étaient pas réunies pour cette élection : c'est la position de la France et celle de l'Union européenne, elle est parfaitement claire.
M. Christian Cambon, président. - Faut-il s'attendre à un no deal pour le Brexit ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je souhaite dire aux Britanniques, s'ils m'entendent : vous êtes de très bons tacticiens, mais l'heure n'est plus à ces manoeuvres, et nous préférons, dans l'intérêt de tous, une absence d'accord à un mauvais accord. Nous considérons la dernière déclaration en date des Britanniques, le 16 octobre, comme une nouvelle manoeuvre tactique. Les trois sujets de contentieux, pêche, conditions de concurrence et gouvernance, demeurent sur la table. Nous n'avons pas avancé.
M. Pascal Allizard. - No deal égale nouveau délai...
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Les Britanniques ont les mêmes contraintes économiques que nous. Prennent-ils la mesure des conséquences ? De notre côté, nous sommes prêts. Les ministres européens concernés se réunissent régulièrement pour gérer l'éventualité d'un no deal. Cela signifie s'organiser pour une relation commerciale proche du cadre de l'OMC, sans compter les questions douanières. C'est colossal, mais nous sommes prêts à l'affronter ; je ne suis pas sûr que le Royaume-Uni le soit. Nous souhaitons un accord. Les Britanniques veulent traiter à part la question de la pêche, ce qui n'est pas étonnant, car ils y sont en position de force. Mais il faut l'éviter, car un accord nécessite de discuter de tous les sujets ensemble. Ce n'est pas le chemin que nous prenons.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 novembre 2020