Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec "RTL-soir" le 31 octobre 2020, sur le terrorisme islamiste et les relations avec la Turquie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - L'invité d'RTL soir, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Bonsoir.

R - Bonsoir.

Q - Merci d'être avec nous sur RTL dans un contexte difficile, on le sait, après les attentats de Conflans, de Nice, avec des manifestations anti-françaises qui sont apparues dans le monde musulman pour dénoncer le soutien apporté par Emmanuel Macron à la liberté de caricaturer, avec ces tensions avec la Turquie marquées par le rappel de notre ambassadeur. On le disait dans le journal, Emmanuel Macron vient de s'exprimer sur Al-Jazeera. Ça veut dire, Jean-Yves Le Drian, que la parole de la France avait été mal comprise ?

R - Le président de la République a souhaité, dans son interview à cette chaîne arabe Al-Jazeera, marquer deux lignes fortes. La première, c'est que nous sommes confrontés à une menace terroriste grave sur notre sol, qui nous touche dans notre chair, singulièrement ce qui vient de se passer à Nice après l'attentat de Conflans où les symboles forts de la Nation sont attaqués frontalement. Cette menace terroriste grave est alimentée par de la haine en ligne et par l'extrémisme religieux. Sur ce point, il a rappelé notre fermeté, et que la République sera intraitable sur le respect de ses lois et de la liberté de conscience, d'expression et aussi la liberté de culte des croyants, quelle que soit leur religion, et aussi la liberté de ne pas croire. Ça, c'est le premier message très fort qui a été indiqué par le président de la République et en même temps, il a voulu dire que l'islam avait été, est détourné par des manipulateurs sordides, par des marchands de haine. Nous considérons que nous n'avons pas, nous, de problèmes avec l'islam, mais nous combattons l'extrémisme religieux et le terrorisme, qui tuent souvent d'ailleurs des musulmans, par leur radicalisme et par une vision complètement détournée de cette religion.

Ces deux messages-là sont des messages concordants qu'il faut tenir en même temps et avec la même fermeté, et refuser en particulier ceux qui veulent, à partir de ces actions-là, diviser la nation et rendre compliquées nos relations avec les pays du monde, et avec les différents pays musulmans avec lesquels nous sommes en relation.

Q - Avec la Turquie, Jean-Yves Le Drian, avec le président Erdogan notamment, les relations sont un peu apaisées ?

R - Avec la Turquie, je vous rappelle les faits, ils sont simples. Au lendemain de l'assassinat terroriste de Samuel Paty, alors que notre pays était une nouvelle fois touché par le terrorisme religieux et que nos libertés fondamentales étaient ciblées, la Turquie a fait le choix délibéré d'instrumentaliser cet attentat et de lancer une campagne de propagande haineuse et calomnieuse contre nous. Cette attitude a été portée au plus haut niveau de l'Etat turc avec pour objectif d'attiser la haine contre nous et en notre sein.

C'est la raison pour laquelle le président de la République a souhaité rappeler notre ambassadeur à Ankara pour consultations ici à Paris. Le président de la République l'a reçu, je l'ai moi-même reçu et nous lui avons précisé ses instructions et sa mission de défense ferme de nos positions, de nos valeurs et de nos intérêts. J'observe que la réaction des autorités turques, le jour de l'attentat de Nice, a été différente, claire et sans ambiguïté, mais cela n'empêche qu'il faudra des clarifications, parce qu'il ne suffit pas d'un acte pour revenir sur tout ce qu'il s'est passé antérieurement.

Nous avons demandé à notre ambassadeur de retourner à Ankara demain et de poursuivre avec les autorités turques cette demande de clarification et d'explication, parce qu'elle n'est pas uniquement sur ces déclarations outrancières récentes, elle est aussi sur le bilan d'une action déstabilisatrice d'Ankara depuis maintenant plusieurs mois, à la fois en Libye, à la fois en Méditerranée orientale, à la fois dans la région du Haut-Karabakh. Tout cela nécessite des clarifications fortes que l'Union européenne elle-même a demandées.

Q - On retient donc que l'ambassadeur de France, et vous l'annoncez ce soir sur RTL, retourne à Ankara et que cela ne signifie pas que l'incident est clos, que la page est tournée. Vous êtes toujours favorable à des sanctions européennes contre la Turquie ?

R - Cela signifie qu'il faut procéder à des clarifications. Elles sont indispensables. On ne peut pas rester dans les malentendus, mais aussi dans les déclarations outrancières et la tentation islamo-nationaliste que développe le président Erdogan, d'autant plus que normalement il est réputé être notre allié. Un allié qui se comporte ainsi nécessite au moins une explication très forte, et puis des prises de position qui seront vérifiées par l'Union européenne lors de son sommet de la mi-décembre. En tout cas, il importe de poursuivre avec beaucoup d'exigences cette nécessaire clarification des positions turques.

Q - Merci d'avoir été sur RTL ce soir, Jean-Yves Le Drian, ministre des affaires étrangères, merci beaucoup.

R – Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 novembre 2020