Texte intégral
Q - Jean-Yves Le Drian, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Ministre des affaires étrangères, les sujets sont très nombreux, commençons avec le COVID, le confinement n'est, ni levé ni allégé, nous ne pourrons pas, si j'ai bien compris, réveillonner en groupe le 31 ?
R - C'est une épreuve collective que nous traversons. Chacun sent bien dans son for intérieur qu'il faut résister, qu'il faut faire bloc, qu'il y a des risques pour les proches et donc, malgré les difficultés, malgré les contraintes, qu'il faut tenir. Le sujet aujourd'hui, c'est de tenir et de faire en sorte que l'épidémie ne se poursuive pas, que la circulation du virus s'allège. Et il n'y a pas d'autre solution que celle-là.
Q - Et le complotisme rôde ! Nos frontières sont-elles fermées aux étrangers ? Je vous pose la question parce que Ségolène Royal était avec moi dans la semaine, et nous disait que les frontières étaient ouvertes, que tous les étrangers pouvaient entrer en France sans souci.
R - Pour être très clair, toutes les frontières en dehors de l'Europe sont fermées, on ne peut pas venir en France, sauf si on est Français et pour rentrer chez soi. En ce qui concerne l'intra-européen, l'espace européen, il y a des mesures qui ont été prises en bonne coordination entre l'ensemble des Etats membres pour faire en sorte que dans les zones rouges, vous ne pouvez pas circuler si vous ne vous vous faites pas tester, et cela ne concerne que l'intra-européen.
Q - Je suis Italien et j'arrive en France, je suis obligé d'être testé ou pas ?
R - De toute façon, si vous venez en France vous êtes confiné.
Q - Oui.
R - Et donc il faut que vous ayez adresse et vous faites comme tout le monde, vous faites un kilomètre tous les jours ; déjà ça dissuade.
Q - Un kilomètre tous les jours...
R - Et d'autre part, si vous venez d'une zone qui est rouge, vous devez vous faire tester.
Q - Pas plus d'un kilomètre, ça, c'est jusqu'à Noël, on va y avoir droit !
R - Ecoutez, on va voir, on va faire le point le 1er décembre, mais il faut que tous ensemble, nous puissions dépasser cette crise. Et ce n'est pas vrai qu'en France ! Je voyage un peu, quand même, aujourd'hui, je me fais tester régulièrement à l'aller et au retour, je constate qu'ailleurs, c'est la même situation. Il faut donc que l'on fasse bloc en attendant que le virus disparaisse.
Q - Oui, Jean-Yves Le Drian, ces décisions sont prises en Conseil de défense, vous participez à ce Conseil de défense qui est assez mystérieux pour beaucoup de Français. J'ai entendu, encore une fois Ségolène Royal ou Jean-Luc Mélenchon, dire : "Mais les participants n'ont de compte à rendre à personne, il n'y a pas d'élus, c'est secret défense, tout est classifié, voilà que notre vie est conduite par ce conseil de défense si mystérieux ".
R - Je trouve cela stupéfiant et pittoresque.
Q - Pittoresque ?
R - Oui et même un peu irresponsable. La responsabilité d'un Président de la République, d'un gouvernement dans cette période de crise, dans cette période de grandes difficultés, dans cette période d'épreuves, c'est de prendre les bonnes décisions. Et donc, il importe, - sous contrôle du parlement - mais il faut élaborer la décision, et lorsque le Président de la République réunit toutes les semaines un Conseil de défense consacré à la situation sanitaire, il s'entoure des ministres qui sont les plus en lien avec la situation, il s'entoure des compétences nécessaires, et ensuite, il prend des décisions.
Q - Mais il prend des décisions seul !
R - Des décisions qui sont soumises au Conseil des ministres ensuite.
Q - Qui au Conseil des ministres va dire non au Président de la République ? Personne.
R - Mais c'est vrai pour toutes les décisions ! Les institutions du pays tiennent ! Ensuite, on va au parlement, ensuite vous avez les questions d'actualité toutes les semaines, ensuite, il y a aussi la loi sur l'urgence sanitaire qui passe au parlement et qui est débattue. Tout cela me paraît surréaliste et peut-être est-ce une forme de déni de la réalité.
Q - L'Europe de la santé, c'est l'achat en commun de vaccins ?
R - L'Europe de la santé, c'est d'abord bien se coordonner ensemble. C'est ce que nous avons commencé à faire sur la définition des protocoles sanitaires pour les différentes régions où le virus circule avec beaucoup de rapidité, j'en ai parlé tout à l'heure. Et puis, l'Europe de la santé, c'est aussi faire ensemble que les vaccins, les traitements, quand ils arriveront, deviennent un bien commun et qu'ils soient partagés. C'est d'ailleurs ce qu'a dit la Présidente de la Commission en préemptant 300 millions de doses de vaccins pour l'avenir, auprès de Pfizer, mais c'est vrai aussi pour d'autres entreprises pour que l'on puisse se partager, être au rendez-vous, lorsque le vaccin arrivera. Cela, c'est quand même une avancée significative. Et j'ajoute que jusqu'à présent, la santé n'est pas une compétence européenne, elle est en train de le devenir, de fait.
Q - Les vaccins, un bien mondial public ?
R - Oui. Ce ne l'est pas encore, mais c'est la volonté de la France.
Q - C'est la volonté de la France ?
R - En plus, c'est la volonté de l'Europe.
Q - Un bien mondial public, c'est-à-dire ? Comment cela fonctionnerait-il ?
R - Cela veut dire qu'il faut mettre en place les moyens financiers pour acheter les vaccins, dans une négociation forte avec ceux qui vont produire les vaccins, et faire en sorte que la diffusion des vaccins soit généralisée. Parce que de toute façon, ce n'est pas uniquement une question de solidarité ; c'est une question de solidarité, mais c'est aussi une question de sécurité et d'efficacité.
Q - Donc, c'est en route ?
R - C'est en route et c'est indispensable.
Q - Même les Chinois adhèrent ?
R - Les Chinois sont favorables au principe. Après, la mise en oeuvre est un peu compliquée mais il faut aboutir à cela, sinon il y aura toujours des poches où l'on peut avoir une résurgence.
Q - Et est-ce que les Américains adhèrent ?
R - C'est la question qui sera posée à la nouvelle administration américaine. Les Américains ont décidé de quitter l'organisation mondiale de la santé, tout nous laisse à penser que la nouvelle administration va revenir....
Q - Vous en avez-vous parlé avec eux ?
R - Pas encore, on ne parle pas avec eux pour l'instant.
Q - Un peu quand même, un peu !
R - Ils parlent, eux. Le Président de la République s'est entretenu avec le président élu Biden il y a quelques jours pour amorcer les discussions du futur. Mais comme vous le savez, aux Etats-Unis, le principe est, un seul président à la fois. Et donc le président Biden ne prendra ces initiatives qu'après le 20 janvier ; mais l'enjeu, je pense, du nouveau multilatéralisme, c'est-à-dire d'établir des règles communes, c'est cela le multilatéralisme, c'est : les Etats de la communauté internationale établissent ensemble des règles communes et s'y contraignent. Le nouveau multilatéralisme par la santé est, je pense, un chemin de travail en commun qui va être très important pour l'avenir, en particulier avec les Etats-Unis.
Q - Eh bien, parlons des Etats-Unis parce que le monde est médusé ! Le monde est médusé par l'attitude de Donald Trump, vous aussi, j'imagine. Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, le secrétaire d'Etat, votre homologue, ministre des affaires étrangères des Etats-Unis, sera à Paris aujourd'hui, il rencontrera le Président de la République lundi, et vous le rencontrerez, lundi. Il arrive avec sa femme, il arrive avec huit journalistes pour vous dire quoi ? Savez-vous ce qu'il va vous dire ?
R - On va voir. En tout cas, pour l'instant, Monsieur Bourdin, mon homologue, c'est Mike Pompeo jusqu'au 20 janvier. Faut-il le voir en ce moment oui, parce qu'il y a plein de sujets difficiles à évoquer ensemble, il y a la situation en Irak, il y a la situation en Iran, il y a le terrorisme, il y a toutes les difficultés au Moyen-Orient, il y a la question de la relation avec la Chine ; bref, tout un paquet de situations qui nécessite une discussion que nous avons régulièrement. On se téléphone régulièrement. Il vient à Paris, je le reçois.
Q - Accélérer le départ des troupes américaines d'Afghanistan par exemple ?
R - Ce qu'il ne faudrait pas faire à notre avis. Ce qu'il ne faudrait pas faire non plus en Irak mais on se le dira.
Q - Oui.
R - Il vient à Paris passer le week-end, c'est de sa logique personnelle, qu'il le fasse.
Q - Oui, avec le confinement...
R - S'il voit le Président de la République, c'est aussi en bonne information avec l'équipe de Joe Biden. Je ne sais pas qui sera mon interlocuteur...
Q - Oui. Mais dites-moi, est-ce que Donald Trump prépare un coup d'Etat ?
R - Je pense que la démocratie américaine est une grande démocratie, c'est sans doute l'une des plus anciennes. Elle a été habituée à passer des moments difficiles, il y a eu des contestations dans le passé sur les résultats des élections, même en l'an 2000, cela avait été très compliqué. Là, pour l'instant, les procédures de recours sont en cours, il y a des instances pour cela, dans chacun des Etats, moi je considère qu'il y a des dates majeures qui vont se poser, c'est en mi-décembre que les Etats vont désigner leurs représentants pour aller voter pour le candidat, et ce vote aura lieu au mois de janvier. Je ne vois pas aujourd'hui ce qui empêche le déroulement normal des institutions.
Q - Elle est abîmée la démocratie américaine ? Qu'est-ce qui se passe ?
R - Non, je trouve qu'elle va plutôt bien.
Q - Vous trouvez qu'elle va plutôt bien ?
R - Ecoutez, le fait qu'il y ait eu tant de millions d'Américains à aller aux urnes...
Q - C'est vrai.
R - 70% de participation, c'est une démocratie qui tient. À ce moment-là, il faut qu'elle respecte ses institutions et je pense qu'on y arrivera.
Q - La France respecte les institutions américaines, évidemment, vous ne voulez pas vous immiscer, mais franchement je vous pose la question parce que beaucoup se la pose : êtes-vous inquiet ? L'attitude de Donal Trump vous inquiète-t-elle ?
R - Je fais confiance à la démocratie américaine, à son histoire, à ses institutions et à son opinion publique.
Q - Faites-vous confiance à Donald Trump ?
R - Je fais confiance la démocratie américaine et à son opinion publique.
Q - Et pas à Donald Trump.
R - A la démocratie américaine, et les résultats sont là. Alors, s'il faut recompter, on recompte, mais les résultats sont là.
Q - L'accord de Paris sur le climat est donc confirmé, la confirmation du retour des Etats-Unis, Joe Biden l'a-t-il dit à Emmanuel Macron ?
R - C'est une nouvelle donne qui s'ouvre. Je pense qu'il ne faut pas se faire d'illusions, on ne va pas revenir comme avant, parce que depuis quatre ans, le monde a changé, il est devenu plus brutal, il y a des rapports de force beaucoup plus violents entre les puissances, il y a le développement du terrorisme, il y a eu l'affirmation de la Chine, et surtout, il y a eu le fait que l'Europe a changé, parce que, depuis quatre ans, l'Europe s'est renforcée, elle est sortie un peu de sa naïveté au niveau des relations commerciales, elle s'est dotée d'outils de défense. Donc, on est dans une nouvelle donne. Il nous faut maintenant, avec la nouvelle administration américaine, refonder une relation transatlantique avec des Européens plus solides, plus réactifs. Mais les Etats-Unis ont intérêt à avoir comme allié une Europe plus forte, et c'est ce débat-là qui va s'ouvrir.
Et puis il y a des portes d'entrées dans cette nouvelle relation, j'ai parlé de la santé, cela en est une, le vaccin comme bien public mondial, il y a aussi le climat, avec l'échéance prochaine de ce que l'on appelle la COP26, c'est-à-dire la réunion des Etats à Glasgow à la fin de l'année prochaine, le fait que les Etats-Unis reviennent dans le jeu, - ils l'ont annoncé -, ce sera une bonne opportunité d'ouvrir un nouveau chemin de la relation transatlantique.
Q - Jean-Yves Le Drian, les Etats-Unis nous soutiennent-ils toujours militairement au Sahel dans notre lutte contre le Al-Qaïda ou Daech ?
R - Oui. Je suis allé au Sahel, il y a quelques jours, et j'ai pu constater que oui, parce que le terrorisme est un ennemi global, donc au niveau de la communauté internationale, et il est particulièrement actif au Sahel et il faut le combattre ensemble.
Q - D'ailleurs, au Mali, neutralisation d'un chef militaire d'Al-Qaïda...
R - ... d'un adjoint d'Ag Ghali, par les forces françaises, et c'est une très bonne opération. Cela montre que finalement, la détermination finit par payer.
Q - Plusieurs opérations, d'ailleurs, ces dernières semaines.
R - Oui.
Q - Plusieurs djihadistes tués, vous avez des bilans ?
R - Nous nous sommes réorganisés au Mali, en bonne intelligence et en bonne relation avec ce que l'on appelle la force conjointe, c'est-à-dire les forces des cinq pays du Sahel. Nous avons mené des opérations avec les Européens, puisque les Européens nous renforcent, en particulier au niveau des forces spéciales, et cela donne des résultats très significatifs aujourd'hui, oui.
Q - Le rêve des djihadistes, c'est quoi ? C'est de créer un grand califat de Tripoli à Abidjan ?
R - C'était le rêve ancien.
Q - C'était le rêve ancien ?
R - C'était le rêve de 2012. Mais aujourd'hui, grâce à l'intervention française, cela n'a pas eu lieu.
Q - Regardez la situation au Nigeria. Regardons la situation dans de très nombreux pays d'Afrique...
R - Ce n'est pas Al-Qaïda au Nigeria.
Q - Non, c'est Boko Haram.
R - C'est Daech.
Q - C'est Daech, oui.
R - Daech, par ses réseaux.
Q - Oui.
R - Mais il faut combattre le terrorisme partout où il est, y compris au Sahel.
Q - Oui, mais est-ce que la situation en Côte d'Ivoire ne vous inquiète pas, parce qu'il y a des troubles, plus que des troubles, des affrontements interethniques ?
R - Je sépare bien les sujets. Il y a le combat à poursuivre contre Al-Qaïda au Sahel et c'est un combat essentiel. J'entends de temps en temps certains qui s'interrogent sur la pertinence de ce combat. Et je fais remarquer que ce combat-là, nous le menons aussi pour notre propre sécurité contre le terrorisme, parce qu'Al-Qaïda se déclare ennemi de la France et ennemi de l'Europe, et ennemi de nos valeurs. Donc il faut poursuivre ce combat en bonne intelligence avec les Européens et avec les pays du Sahel.
Sur la Côte d'Ivoire, c'est un autre sujet puisqu'il devait y avoir des élections...
Q - Les groupes djihadistes rôdent...
R - Les groupes djihadistes rôdent dans le Nord.
Q - Dans le Nord, oui.
R - Et cela fait partie de la nécessité de poursuivre les opérations que nous menons, avec l'ensemble des acteurs africains. Mais sur la situation en Côte d'Ivoire, il y a eu un décès du candidat du parti du président Ouattara. Il a considéré que, vu ce décès à proximité des élections présidentielles, il devait se représenter.
Q - Viol de la Constitution ?
R - Les interprétations sont variées. Pour l'instant nous considérons...
Q - C'est la réalité.
R - Il y a eu une nouvelle Constitution, ce qui, a priori, pouvait l'autoriser à se représenter et dans la situation de deuil national qui avait lieu à ce moment-là, il a pensé utile et nécessaire pour son peuple de se représenter, dont acte. Maintenant, il importe, pour éviter des dérives et des violences, que le président Ouattara prenne les initiatives nécessaires pour que la sérénité revienne, et que l'union nationale soit au rendez-vous. Je sais qu'il en a l'intention, je souhaite qu'il le fasse vite.
Q - Bien. La lutte contre le terrorisme, c'est essentiel. Emmanuel Macron promet une réforme en profondeur de Schengen. Quelle réforme ? Quelle réforme possible ?
R - Dans la lutte contre le terrorisme, par rapport à 2015, puisque nous marquons le cinquième anniversaire des meurtres du Bataclan ...
Q - 131 morts, 350 blessés.
R - J'étais présent, c'est un moment d'émotion, et là, aujourd'hui, je pense beaucoup aux familles. J'ai ce souvenir des noms qui étaient égrenés dans la cérémonie présidée par François Hollande aux Invalides, dans une atmosphère glaciale, d'une grande douleur, une grande tristesse. Et c'est ce qui me revient, là, en ce moment, en vous parlant. En plus, beaucoup ont été blessés, le deuil des familles n'est pas achevé, et il y a encore des blessés qui sont suivis par des équipes médicales. Donc, on voit que le terrorisme, à l'époque, comme toujours, comme encore aujourd'hui, est une menace majeure pour notre pays, pour nos valeurs.
Et ce que je voudrais vous dire, c'est qu'il y a des liens dans les symboles. Parce que, à ce moment-là, ce qui était attaqué, c'était le sport, la réjouissance ensemble, la musique, au Bataclan, et récemment, ce qui est attaqué, c'est un autre symbole de la République : l'école. Ce qui est attaqué, c'est un autre symbole de notre liberté d'être ensemble : la liberté religieuse, avec l'attaque de Nice. Tout cela, ce sont nos valeurs, que nous devons protéger, et c'est ce qui exige de notre part une très grande fermeté à l'égard du terrorisme.
Q - Alors, Emmanuel Macron promet une réforme en profondeur de Schengen, quelle réforme ?
R - La réforme de Schengen, elle est très simple à mener, à décider, à afficher. C'est que Schengen, à l'intérieur de l'espace Schengen, la circulation est libre, mais cela impose qu'à l'extérieur, les contraintes d'entrée soient fermes. Et cela veut dire...
Q - Plus fermes qu'elles ne le sont aujourd'hui ?
R - Plus fermes qu'elles ne le sont aujourd'hui, parce que ce qui se passe, c'est que, lorsqu'il y a des migrations irrégulières - les migrations régulières, il faut les encourager : quand des étudiants viennent étudier en France ou en Europe, c'est mieux que s'ils allaient étudier ailleurs, pour nous, il faut poursuivre cela - ; mais par contre, lorsqu'il y a des migrations irrégulières, si on ne fait pas un criblage des entrées, alors on peut avoir du détournement des procédures...
Q - C'est-à-dire un criblage des entrées aux portes de Schengen, de l'espace Schengen ?
R - Est-ce que vous êtes, vous, une personne qui a besoin d'une protection ? Est-ce que vous pouvez vous-même bénéficier du droit d'asile ou pas ? Si vous pouvez bénéficier du droit d'asile...
Q - Ce n'est plus chaque Etat... ?
R- Il faut aboutir à la solidarité des acteurs, et aux mêmes règles pour tout le monde. Et ce n'est plus chaque Etat, mais l'Union européenne qui décide des critères.
Q - Mêmes règles pour tout le monde, dans l'espace Schengen ?
R - C'est le sujet qui est sur la table, c'est ce qui a été discuté avec le chancelier autrichien, avec la chancelière allemande et avec la présidente de la Commission il y a quelques jours à Paris, et c'est ce qu'il faut maintenant mettre en oeuvre.
Q - Vous êtes en train d'effectuer une tournée d'apaisement avec le monde arabe. Après la republication des caricatures, après l'assassinat de l'enseignant Samuel Paty, Jean-Yves Le Drian. Question : je sais que ça ne s'est pas toujours bien passé, notamment en Egypte, je ne parle pas "avec le président égyptien", mais je parle "avec le Grand imam de la mosquée Al-Azhar", qui vous pose la question, et au Maroc, on vous pose aussi la question. Alors je vous la pose, Jean-Yves Le Drian : est-ce que la liberté d'expression justifie la provocation injurieuse de la religion musulmane ?
R - J'ai expliqué à mes interlocuteurs qui m'ont tous très bien reçus, que ce soit en Egypte, au Maroc, ou ailleurs, mais avec lesquels j'ai eu des conversations extrêmement franches, sereines, j'ai expliqué à mes interlocuteurs que la France n'était pas contre l'islam. Parce qu'il y a eu une énorme manipulation qui a été menée, par un certain nombre d'acteurs, que ce soit les Pakistanais, que ce soit les Turcs, que ce soit d'autres, que ce soit des organisations religieuses, pour dire "la France est l'ennemie de l'islam". Non ! La France respecte l'islam. Parce que l'islam d'abord fait partie de son histoire, de sa culture, parce que d'abord il y a beaucoup de musulmans en France, parce qu'ensuite c'est la deuxième religion de notre pays. Nous respectons l'islam. Et nous avons aussi la liberté d'expression.
Q - Est-ce qu'il y a une islamophobie qui s'étend en France ?
R - Moi, je ne le pense pas, et je ne le souhaite pas. Et tous nos efforts doivent être portés pour que l'Islam soit respecté et c'est la laïcité en France qui permet à l'islam d'exister et aux musulmans de prier...
Q - Mais Jean-Luc Mélenchon dit : la laïcité nourrit l'islamophobie.
R - La laïcité, c'est aussi une laïcité qui permet. Et la laïcité, elle permet aux musulmans de France d'exercer leur culte librement. C'est ce que j'ai dit à mes interlocuteurs. Et qu'il y a eu des manipulations qui ont été provoquées, répétées, par les réseaux sociaux en particulier, qui ont abouti à ce qu'il y ait des inquiétudes que j'ai essayé de dissiper, parce qu'il y a eu des malentendus.
Q - Alors je vous repose la question : est-ce que la liberté d'expression justifie la provocation injurieuse de la religion musulmane ?
R - La liberté d'expression est fondamentale pour notre pays, c'est ce que j'ai essayé de dire à mes interlocuteurs, qui n'ont pas tous compris, mais il importe de répéter cette histoire, notre propre histoire, qui n'est pas sans doute l'histoire d'autres pays que j'ai pu rencontrer.
Q - Alors, Jean-Yves Le Drian, puisque la liberté d'expression est fondamentale, je vais vous poser une question. A l'occasion de la célébration des cinquante ans de la mort de Charles de Gaulle, la Ligue de défense noire-africaine,- vous connaissez ?-, a tweeté, je cite "anti-anniversaire mémoriel du général de Gaulle, le criminel raciste et responsable de la mort de milliers d'Africains, le LDNA ira cracher sur sa tombe prochainement, au nom des martyrs africains qui méritent qu'on cache cet odieux personnage génocidaire". Est-ce que vous demandez la dissolution de cette ligue ?
R - Cela, je vais regarder. Mais, simplement, ma réaction à cet égard, elle est très claire. J'étais à peu près au même moment à Brazzaville, où l'on marquait le quatre-vingtième anniversaire du discours du général de Gaulle à Brazzaville, le début de la France Libre. La France Libre, elle est née à Brazzaville. Et donc, il y avait là, non seulement des chefs d'Etat, mais beaucoup de représentants de la société civile africaine qui rendaient hommage à la France et qui rendaient hommage au général de Gaulle, c'est le meilleur souvenir que j'ai d'un déplacement en Afrique.
(...)
Q - Merci, Jean-Yves le Drian, d'être venu nous voir ce matin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2020