Déclaration de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, sur le boycott des produits français et la politique commerciale de la France et de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 28 Octobre 2020.

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  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Circonstance : Audition devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

S'agissant du boycott, nous avons, dès samedi soir, pris la décision de créer une cellule de suivi au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, notamment pour essayer de centraliser les informations et pour échanger avec les entreprises, afin de voir comment les aider. Comme je l'ai dit hier dans l'hémicycle, le boycott, qui concerne plutôt les secteurs agroalimentaire et cosmétique, est circonscrit à quelques pays. L'impact économique pour les entreprises semble limité pour l'instant. Des produits ont été retirés des rayons dans quatre pays seulement. On ne mesure pas, en revanche, l'effet d'une éventuelle non-consommation de produits français dans les pays où le boycott a été réclamé.

Ce boycott, annoncé par Recep Tayyip Erdogan, vient après son absence de condamnation de l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine, après des appels à la haine lancés contre la France et le Président de la République et relayés sur les réseaux turcs, après son discours contre Emmanuel Macron. C'est essentiellement la Turquie qui est à la manoeuvre et qui met la pression sur les opinions publiques musulmanes contre la France. Nous sommes déterminés à continuer notre action dans la lutte contre le terrorisme islamiste et dans la défense des valeurs françaises. Néanmoins, nous voulons faire oeuvre de pédagogie auprès des différents dirigeants du monde arabe et musulman, pour expliquer ce qu'est la politique de la France et redire que la France n'a évidemment rien contre l'islam, que les musulmans peuvent pratiquer leur culte comme tous les autres croyants et qu'ils sont des citoyens à part entière. Les propos du Président de la République ont été manipulés, notamment quand il a insisté sur notre détermination à défendre la liberté d'expression, qui passe notamment par cette capacité à caricaturer les représentations de Dieu et de Mahomet. Mais il n'y a rien, bien évidemment, contre l'islam ou les musulmans.

Nous agissons également pour protéger nos ressortissants, ainsi que les entreprises françaises et leurs salariés. Pour l'instant, la menace ne semble pas différente de ce qu'elle pouvait être jusqu'à présent, mais nous sommes très vigilants. Chaque poste est à l'affût des moindres signaux, pour prendre toutes les dispositions qui s'imposeraient et garantir la sécurité de nos compatriotes.

Ce rendez-vous avec votre commission est une bonne tradition, afin d'échanger avant le conseil des ministres européens du commerce, où nos discussions ont permis de réaffirmer la position de la France sur la question des surcapacités dans les secteurs de l'acier, par exemple. J'ai de nouveau défendu cette position lors du dernier conseil à Berlin et cette semaine dans le cadre de la réunion ministérielle du forum mondial sur les surcapacités sidérurgiques, pour rappeler qu'il faut agir vite, au niveau multilatéral et en profondeur, afin de résorber les distorsions persistantes du marché.

L'actualité commerciale est très chargée. La présidence allemande a décidé de consacrer la réunion du conseil des ministres du commerce à trois questions : la revue de la stratégie de politique commerciale de l'Union européenne ; les relations avec la Chine ; les relations avec les Etats-Unis. Pour rappel, la Commission européenne a annoncé cet été son intention de doter l'Union européenne d'une nouvelle stratégie d'ici au début de l'année prochaine, en s'appuyant sur une consultation publique ouverte jusqu'au 15 novembre. Après le conseil commerce informel, organisé à Berlin les 20 et 21 septembre, la réunion du 9 novembre nous permettra une seconde discussion sur ce sujet structurant. Je vous avais livré nos premières réflexions lors de notre dernière rencontre, le 16 septembre. Depuis lors, nous avons mis à profit nos discussions avec nos partenaires, notamment allemands, espagnols et néerlandais, pour affiner notre contribution sur laquelle je vous propose de revenir en détail.

Vous connaissez notre objectif : défendre une politique commerciale ouverte au service de la relance, d'un modèle de croissance durable et de nos ambitions en matière environnementale. Il s'agit de construire une autonomie stratégique ouverte - une nécessité qu'ont soulignée les vulnérabilités révélées par la crise de la covid-19. Pour certains biens et services, médicaux notamment, une telle stratégie pourrait conduire l'Union à combiner des instruments de politique commerciale et sectorielle, pour diversifier ses fournisseurs tiers, constituer des stocks stratégiques européens, faciliter le recyclage et assurer une offre minimale au sein de l'Union pour les produits les plus critiques. Elle pourrait également consister à définir pour l'ensemble des secteurs un outil d'alerte sur notre extrême dépendance, en matière d'approvisionnement ou de canaux d'exportation, et à développer des outils d'information à destination des entreprises. En corrigeant les vulnérabilités de nos chaînes de valeur, nous améliorerons les conditions d'une reprise économique pérenne.

Deuxième objectif : garantir que la politique commerciale contribue bien aux objectifs européens de développement durable. Pour la France, une relance qui ne serait pas en ligne avec ces objectifs n'aurait aucun sens. Elle est une occasion historique de progresser vers une économie décarbonée. C'est pourquoi nous plaidons pour que la politique commerciale serve pleinement nos objectifs ambitieux de lutte contre le changement climatique et de préservation de la biodiversité. C'est l'objet des propositions que nous avons soumises avec les Pays-Bas en mai 2020 et que j'ai présentées conjointement avec mon homologue Sigrid Kaag devant la commission du commerce international du Parlement européen, le 15 octobre dernier.

Nous insisterons notamment sur l'application, dès 2023, d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union, le développement dans la réglementation européenne des mesures dites miroir et l'adoption d'une nouvelle réglementation pour lutter contre la déforestation importée dans l'Union. Nous proposons que l'Union européenne encourage un "level playing field" environnemental, afin de permettre l'élaboration de nouvelles disciplines sur le commerce des plastiques notamment. Nous proposons également plusieurs mesures pour les accords bilatéraux : inscription du respect de l'Accord de Paris comme élément essentiel des accords de l'Union ; instauration de réductions tarifaires graduelles ou d'une conditionnalité tarifaire ciblée en fonction de la durabilité des produits ; soumission des chapitres commerce et développement durable de nos accords à un mécanisme de règlement des différends susceptible de prévoir des sanctions sur le plan commercial. Nous insisterons sur le respect du principe de précaution, tel qu'établi au sein des traités européens, sur le respect des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) et sur la prise en compte des questions de genre pour maximiser les avantages que les femmes retirent du commerce.

Troisième objectif : renforcer et mieux utiliser nos instruments visant à assurer les conditions d'une concurrence équitable avec les pays tiers. Nous pensons que la révision de la stratégie de politique commerciale de l'Union est l'occasion d'adapter sa posture et sa boîte à outils, afin d'assurer à nos entreprises des conditions de concurrence équitables face aux comportements prédateurs et déloyaux ou au non-respect des règles par nos partenaires commerciaux. La création de la fonction de procureur commercial européen, qui reprend une proposition française, formulée par le Président de la République, est une avancée très importante. Nous devons l'accompagner avec une stratégie claire de mise en oeuvre des accords commerciaux, pour renforcer l'activation par l'Union de l'ensemble des instruments unilatéraux, bilatéraux et multilatéraux.

Le chief trade enforcement officer devra également être le point de contact de nos entreprises, pour leur offrir une meilleure lisibilité de la politique commerciale. Il sera également l'interlocuteur de la société civile et pourra se voir saisi de plaintes en matière de développement durable, ce qui est nouveau et répond également à une demande française. Nous plaiderons en parallèle pour le renforcement des instruments européens, afin de parvenir à plus de réciprocité, notamment en matière de marchés publics, pour contrer les effets distorsifs sur le marché intérieur des subventions versées par les Etats tiers, ainsi que les mesures coercitives de pays tiers visant un ou plusieurs Etats membres, et pour répondre plus efficacement aux mesures extraterritoriales d'Etats tiers.

Quatrième objectif : poursuivre la modernisation du cadre commercial multilatéral pour apporter des solutions pérennes aux distorsions du commerce mondial et répondre aux enjeux mondiaux contemporains. Seuls les règles et outils multilatéraux permettront d'apporter des réponses légitimes, stables et pérennes aux dysfonctionnements du commerce mondial, à condition de renforcer leur efficacité. La France encouragera la Commission à présenter de nouvelles initiatives auprès de l'OMC, pour relancer sa réforme et lui permettre d'adopter des règles nouvelles sur les subventions industrielles distorsives ; pour revitaliser sa fonction de négociation, afin d'adopter de nouvelles disciplines en lien avec le développement durable et d'étendre les règles multilatérales aux nouveaux domaines de l'économie internationale, tels que le commerce électronique, dans le respect du modèle européen ; pour rétablir le fonctionnement de l'organe d'appel de l'OMC et adapter les règles permettant d'assurer l'effectivité des obligations de transparence et de notification à l'OMC. Toutes ces initiatives doivent évidemment être prises en compte par la nouvelle directrice générale de l'OMC. Un consensus semble se faire progressivement autour de la candidature de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala.

Dernier objectif : définir un agenda bilatéral cohérent avec nos intérêts stratégiques et notre agenda de développement durable.

Enfin, sur le plan des relations bilatérales de l'Union, la priorité française sera d'insister sur le suivi et sur la bonne application du stock d'accords existants, en lien avec l'action du procureur commercial, plutôt que de lancer des négociations tous azimuts. Nous plaiderons également pour faire de nos accords bilatéraux autant de leviers au service du relèvement des ambitions et des standards de développement durable, dans la continuité des positions défendues par la France, depuis l'adoption du plan d'action CETA en octobre 2017.

L'Union devra trouver les voies et moyens d'un rééquilibrage de ses relations commerciales avec les Etats-Unis et la Chine. Nous défendrons la nécessité de renforcer les liens commerciaux avec les pays voisins de l'Union, en particulier méditerranéens, et avec l'Afrique, en accord avec le besoin de diversification géographique.

Nous proposerons également à la Commission d'améliorer la mesure aux échelles régionales et sectorielles de l'impact des accords de commerce, en matière d'environnement et de manière cumulée sur les secteurs sensibles. Nous poursuivons sur la lancée des études réalisées dans le cadre de la ratification du CETA, qui, grâce aux travaux engagés avec l'Assemblée nationale, ont permis de définir de nouveaux standards de qualité.

La relation entre l'Union européenne et la Chine est le deuxième point à l'agenda de ce conseil du commerce. La Commission reviendra tout particulièrement sur les négociations de l'accord global sur les investissements, qui se poursuivent à un rythme soutenu, l'objectif affiché étant de parvenir à une conclusion politique d'ici à la fin de l'année. Ces négociations engagées en 2013 ont quatre objectifs principaux : faciliter l'accès des investissements européens au marché chinois encore largement fermé ; améliorer les conditions de concurrence pour nos entreprises, en traitant l'enjeu des transferts forcés de technologies, en améliorant la transparence des subventions et en encadrant les pratiques déloyales des entreprises d'Etat ; définir pour nos entreprises un cadre juridique clair, prévisible et efficace pour la protection de leurs investissements et le règlement de leurs différends ; prévoir des engagements forts en matière de développement durable, pour que les investissements croisés entre l'Union et la Chine ne se fassent pas au détriment de la protection de l'environnement et des normes sociales.

Malgré les progrès récemment constatés sur l'accès au marché ou les conditions de concurrence, beaucoup reste à faire pour envisager la conclusion de cet accord. Même s'il n'a pas vocation à régir l'ensemble des relations commerciales entre l'Union et la Chine, ni à bouleverser le modèle économique chinois, j'appellerai la Commission européenne à maintenir un niveau élevé d'exigence pour la suite des négociations et j'indiquerai que, en l'état, les conditions ne sont pas réunies pour que la France envisage une conclusion de l'accord à brève échéance. J'insisterai tout particulièrement sur la nécessité de poursuivre nos efforts pour obtenir des dispositions réalistes et crédibles sur le développement durable et sur la protection des investissements. Je rappellerai l'importance de l'accord sur les indications géographiques, signé le 14 septembre dernier et qui doit être ratifié par les deux partis. Cet accord est important pour la France, en ce qu'il permet la reconnaissance et la protection de vingt-six de nos indications géographiques en Chine, essentiellement des vins et spiritueux, sur un marché qui représentait en 2018 le troisième marché mondial d'exportation de la France pour les spiritueux et le quatrième pour les vins. Je rappellerai également l'importance de progresser dans le renforcement des outils autonomes de l'Union afin de lutter contre les pratiques distorsives de la Chine. De tels instruments permettront de garantir nos intérêts, tout en améliorant notre position de négociation.

Le conseil du commerce permettra aussi de dresser un état des lieux de la relation entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Nous devons faire preuve de fermeté : il y va de notre crédibilité. Quelle que soit l'issue de l'élection présidentielle américaine, je rappellerai le 9 novembre l'importance de la relation économique et commerciale transatlantique et celle que la France attache au maintien du dialogue, dans le respect de nos intérêts et de nos préférences collectives. Mais je rappellerai aussi la position de fermeté à avoir face aux mesures restrictives américaines.

Concernant l'affaire entre Airbus et Boeing, l'OMC vient d'autoriser l'Union à surtaxer les importations américaines, pour un montant de 4 milliards de dollars - dernier développement en date dans le contentieux. La France a toujours voulu une solution négociée avec les Etats-Unis, qui ont pourtant imposé des sanctions tarifaires sur nos produits aéronautiques, ainsi que sur certaines productions agroalimentaires, dont les vins tranquilles. Nous considérons ces sanctions injustifiées, dans la mesure où Airbus est en conformité totale avec les règles internationales qui encadrent les subventions depuis le mois de juillet. Malgré nos demandes répétées, les Etats-Unis n'ont pas retiré leurs sanctions et ne nous laissent donc pas d'autre choix que de riposter, comme l'OMC nous y autorise.

(...)

Les traités de libre-échange ne sont que des outils : tout dépend de la manière dont ils ont été construits - en particulier des conditions prévues.

Nous vous rejoignons quant au fait qu'il doit y avoir une gestion multilatérale du commerce international. Au-delà des traités bilatéraux, voire multilatéraux, il faut une réflexion globale sur le cadre des échanges. C'est la raison pour laquelle nous sommes très mobilisés en ce qui concerne la réforme de l'OMC et la nomination de sa nouvelle directrice générale. Depuis le début du quinquennat, toutes les interventions de mon prédécesseur, de Jean-Yves Le Drian et du Président la République en matière de commerce international ont rappelé l'importance de ne pas se résigner au fonctionnement actuel des institutions multilatérales. Nous pensons pouvoir réussir en agrégeant de plus en plus de pays à cette idée. Objectivement, les choses évoluent dans le bon sens, même si les positions des Etats-Unis et de la Chine restent très unilatérales. La Chine dit certes qu'elle souhaite un règlement multilatéral - mais orienté vers son seul profit.

Nous sommes absolument convaincus qu'il faut des traités de libre-échange : ce sont de bons outils pour augmenter les échanges. Ce sont des éléments importants pour la croissance économique, notamment celle de notre pays, mais ils ne doivent pas être conclus à n'importe quel prix. Le développement durable doit être considéré comme un enjeu essentiel des politiques commerciales.

La déforestation importée désigne en réalité l'impact sur les forêts du développement de l'agriculture lié à l'augmentation des échanges de produits agricoles. La France et un certain nombre d'autres pays européens sont déterminés à ne pas signer l'accord avec le Mercosur dès lors qu'aucune garantie ne nous est fournie quant à la limitation de la déforestation en Amazonie.

Du reste, ce ne sera pas le seul outil à notre disposition pour agir contre la déforestation importée : une proposition législative de la Commission est attendue en 2021. Nous espérons qu'elle sera présentée aussi vite que possible. Son objectif est de limiter la mise sur le marché de produits issus de la déforestation, et pas uniquement le bois : les produits agroalimentaires seront également concernés. Cela permettra de lutter de façon beaucoup plus efficace contre la déforestation.

Plus largement, s'agissant du développement durable, ce ne sont pas exactement des sanctions qui sont prévues : lorsque nos partenaires ne respectent pas leurs engagements, nous entamons un dialogue politique. C'est ce qui se passe avec la Corée du Sud, qui n'a pas ratifié un certain nombre de conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT). Nous mettons la pression, et les choses sont en train de bouger.

Nous souhaitons qu'à l'avenir les accords commerciaux permettent de prendre en compte les enjeux de développement durable en prévoyant des sanctions. Les lignes bougent : la Commission s'est approprié l'idée de faire de l'accord de Paris une clause essentielle des accords de libre-échange. Autrement dit, si l'accord de Paris n'est pas mis en oeuvre à la hauteur des engagements pris, l'Union européenne pourra prendre des dispositions en conséquence. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est lui aussi devenu une proposition de la Commission dans le cadre du Green Deal.

Comme je le disais, le non-papier produit par la France et les Pays-Bas a fait date. Il a permis à la fois de conforter certaines propositions de la Commission et de contribuer au débat au sein de l'Union. Nous sommes suivis par un nombre croissant de pays qui estiment que nos propositions vont dans le bon sens. Nous allons continuer, en pleine concertation avec vous.

Concernant le Mercosur, la France, suivie par un certain nombre d'autres pays européens, a clairement dit qu'elle ne signerait pas l'accord en l'état. Il ne faut pas signer des accords de libre-échange simplement pour le faire : ils doivent avoir des conséquences positives. Nous avons besoin de garanties quant au respect de l'accord de Paris par les pays du Mercosur. Il faut aussi faire en sorte que l'accord n'ait pas d'impact négatif sur la déforestation. Les exigences de l'Union européenne en matière sanitaire et phytosanitaire (SPS) doivent être respectées en droit et en fait. Notre position est claire : nous devons travailler avec la Commission et les autres pays membres de l'Union pour trouver les voies et moyens de garantir ces éléments, tout en sachant que la France ne peut à elle seule dicter de A à Z tous les points d'un accord comme celui-là : c'est le résultat d'une négociation entre les vingt-sept membres de l'Union, plus la Commission, et les pays du Mercosur.

S'agissant du développement durable, on peut également espérer que l'accord contribue à faire évoluer les pays du Mercosur beaucoup plus vite que ce serait le cas si l'on décidait de tout arrêter, de jeter le projet à la poubelle et de repartir à zéro pour dix nouvelles années de négociation.

En ce qui concerne les vols de produits dans les aéroports, j'avoue ne pas avoir de réponse à vous fournir, mais je vais étudier la chose avec attention : c'est effectivement un point important.

La question de la logistique est essentielle pour le commerce extérieur. Mon premier déplacement dans mes nouvelles fonctions avait ainsi pour objet de visiter le port de Dunkerque, dont le rôle est particulièrement important pour l'exportation de produits agroalimentaires, en particulier de céréales - je m'y suis rendu au mois de juillet, en pleine coupe du blé. J'irai prochainement au Havre, à l'invitation du maire, pour faire le point sur la question de l'exportation. Nous allons réfléchir à la manière dont nous pouvons améliorer la compétitivité des grands ports, qui sont la porte de sortie de nos produits.

Le Partenariat oriental doit rester le cadre privilégié du dialogue entre l'Union et nos six partenaires de l'Est - Ukraine, Géorgie, Moldavie, Arménie, Azerbaïdjan et Biélorussie. Un sommet aura lieu en février ou en mars, dont le lieu et les modalités restent à préciser.

Je souscris totalement à ce que vous avez dit : il faut préserver le caractère inclusif, mais aussi non confrontationnel du Partenariat oriental, à un moment où les choses sont compliquées dans la région de ce point de vue. La France entend poursuivre les efforts entrepris dans ce sens depuis plus de dix ans.

Le commerce de l'Union avec ces pays a doublé en dix ans : nous sommes devenus leurs premiers partenaires commerciaux. Pour consolider ces progrès, la France a fait des propositions, dans le cadre de la préparation du sommet de 2021, qui visent à orienter les aides apportées par l'Union à nos partenaires de l'Est pour les dix prochaines années. Il y a plusieurs axes : la mise en oeuvre de réformes vertueuses en matière de transition énergétique, la connectivité durable, la transition numérique, l'amélioration du climat des affaires - ce qui rejoint ce que vous disiez concernant la lutte contre la corruption - et l'appui à la recherche et à l'innovation dans le cadre du programme Horizon Europe.

Certaines des filières emblématiques de notre pays à l'exportation - notamment l'aéronautique - ont effectivement été particulièrement touchées par la crise du covid-19. Il en va de même pour le tourisme. Alors que nous avions réussi à réduire notre déficit commercial entre 2018 et 2019, passant de 63 milliards à 57 milliards, les résultats de l'année 2020 seront évidemment plus mauvais. Pour l'instant, nous prévoyons un déficit de 80 milliards.

Cela dit, nous avions connu, ces dernières années, une évolution sensible qui devrait être une force pour rebondir : un plus grand nombre de PME exportent. C'est le fruit, notamment, de ce que nous avons mis en place depuis 2018 avec la Team France Export, qui fédère les énergies de tous les acteurs dédiés à l'exportation et au déploiement à l'international de nos entreprises : Business France, Bpifrance, les chambres de commerce et d'industrie, sous la houlette des régions - car nous voulions absolument travailler avec les collectivités territoriales -, mais aussi les réseaux diplomatiques - sur place, ce sont les ambassadeurs qui pilotent la Team France Export -, les conseillers du commerce extérieur de la France, le MEDEF International, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) et les chambres de commerce et d'industrie à l'international. Ce réseau a permis à de nombreuses entreprises de s'engager davantage dans une démarche internationale.

Il ressort de mes discussions avec les ambassadeurs, les entreprises et les fédérations professionnelles que, malgré la baisse du volume global des échanges, des possibilités existent sur un certain nombre de marchés pour les entreprises françaises, car celles-ci sont habiles, réactives, audacieuses et savent mieux s'adapter que d'autres.

Nous incitons donc les entreprises à exporter, à s'engager à l'international. Pour les aider, nous continuons à améliorer la compétitivité de notre pays : d'où la baisse des impôts de production prévue dans le plan de relance - 10 milliards en 2021 et 10 milliards en 2022. Cette mesure fait suite à la baisse de la fiscalité sur le capital et à celle de l'impôt sur les sociétés - à cet égard, nous tiendrons l'engagement d'arriver à 25 % en 2022. Nous avons également assoupli le marché du travail. Par ailleurs, à travers le crédit d'impôt recherche, nous misons sur l'innovation et la recherche, car c'est comme cela que nous créerons la valeur de demain.

Deuxièmement, nous mettons à la disposition des entreprises des outils leur permettant d'effectuer concrètement et de manière opérationnelle leurs démarches à l'international. C'est l'objet du volet du plan de relance consacré à l'exportation, doté de 247 millions, autour des cinq axes retenus. Il s'agit de s'appuyer sur les propositions de la Team France Export, c'est-à-dire sur les acteurs du terrain. Les entreprises doivent avoir davantage d'informations en temps réel et personnalisées s'agissant de l'évolution des marchés, secteur par secteur et pays par pays. Il faut faciliter la prospection, donner des moyens complémentaires aux entreprises pour faire baisser le coût du déploiement à l'international : d'où le chèque relance export et l'assurance prospection.

Troisièmement, nous développons l'assurance crédit. Quand une entreprise va à l'international, elle a besoin de sécuriser ses créances. C'est le rôle des assureurs crédit, mais comme le risque est plus important à l'international, les organismes privés hésitent à couvrir les entreprises. Il faut donc que les organismes publics, à commencer par Bpifrance, soient mobilisés. Des financements sont prévus à cet effet.

Quatrièmement, nous misons beaucoup sur la jeunesse dans le plan de relance : 6,5 milliards sont inscrits, notamment pour encourager le volontariat international en entreprise (VIE). Chaque PME prenant un jeune en VIE recevra 5 000 euros. Nous voulons atteindre le chiffre de 3 000 la première année.

Cinquièmement, nous entendons développer la communication. Je dispose d'un budget pour faire connaître les différents savoir-faire de la France, les marques France.

Cette ambition s'inscrit dans une ambition européenne en matière d'innovation. La France participe ainsi aux projets d'intérêt européen commun (PIEC) concernant les technologies d'avenir, parmi lesquelles l'hydrogène, la microélectronique et les batteries électriques.

S'agissant de nos relations avec les Etats-Unis, il faut effectivement nous doter d'outils plus efficaces pour lutter contre l'extraterritorialité du droit américain : on l'a vu avec l'Iran et avec la loi Helms-Burton pour Cuba et on le voit aujourd'hui avec Nord Stream 2. Nous avons déjà le dispositif de blocage, mais il faut aller plus loin et doter l'Union de moyens supplémentaires. C'est l'un des points essentiels sur lesquels nous travaillons.

Comment imposer la réciprocité à la Chine ? D'abord, il faut être unis à vingt-sept, et pas seulement à dix-sept, dans nos discussions avec elle Je rappelle que le Président de la République a envoyé un signal très fort à la Chine, lors de la visite d'Etat du président Xi Jinping en France en mars 2019, puisqu'il a invité la chancelière Angela Merkel et le président de la Commission de l'époque à prendre part aux discussions. Il faut faire comprendre à la Chine qu'elle doit discuter avec l'Europe, et pas avec tel ou tel Etat. Je reconnais que ce n'est pas acquis, car la Chine est un marché essentiel pour nombre de pays européens et il peut être tentant d'avoir avec elle des relations bilatérales privilégiées, en dehors des relations qui la lient à l'Union européenne.

Deuxièmement, il faut renforcer nos outils européens, en imposant le principe de la réciprocité dans l'accès aux marchés publics. Un texte est actuellement en discussion au Parlement européen sur ce sujet. Il faut que nous nous dotions d'outils susceptibles d'améliorer notre défense commerciale pour contrer, par exemple, les aides d'Etat sur l'acier, qui donnent à la Chine une surcapacité de production. Il faut, enfin, utiliser la force du marché intérieur. Nous avons réussi à conclure un accord sur les indications géographiques protégées et nous travaillons à un accord sur l'investissement, sans nous précipiter, mais avec détermination.

S'agissant du Brexit, les choses avancent un peu plus qu'au cours des dernières semaines et nous sommes maintenant entrés dans un tunnel de négociations. Nous prêtons toujours une grande attention à l'instauration d'une concurrence loyale, le fameux "level playing field". On veut bien zéro tarif, on veut bien zéro quota, mais on veut aussi zéro dumping. D'autre part, nous sommes très attentifs à la question des règles d'origine, car nous ne voulons pas que la Grande-Bretagne devienne une sorte de plateforme de réexportation de produits fabriqués à bas coût ailleurs. Il convient également de bien encadrer la gouvernance du futur accord, puisque les Britanniques ont déjà renié leur signature de l'accord de retrait. Il faut absolument que nous ayons des leviers pour réagir à l'éventuel non-respect des engagements qui auront été pris dans cet accord de partenariat. Il faut, enfin, nous assurer que nos pêcheurs continueront d'avoir accès aux eaux britanniques. C'est évidemment un point essentiel, qui ne doit pas être traité à part, mais qui fait partie d'un tout. Le Premier ministre s'est lui-même rendu à Bruxelles la semaine dernière : il a rencontré la présidente de la Commission et Michel Barnier, en présence de Bruno Le Maire et de Clément Beaune, et il a réaffirmé les exigences de la France au sujet de la pêche.

Je ne peux pas mesurer l'impact d'un boycott qui ne s'applique encore que partiellement. Pour l'instant, il est circonscrit et seuls quelques magasins ont retiré les produits français de leurs rayons, essentiellement des produits agroalimentaires ou de grande consommation. Ce qu'on ne mesure pas encore, c'est si les magasins qui ont laissé des produits français en rayon en vendent moins. Il est trop tôt pour le dire.

Pour l'avenir, il importe de maintenir le rapport de force avec la Turquie, car ce pays ne comprend rien d'autre. Les réactions de nos partenaires européens aux déclarations du président Erdogan ont été quasi unanimes et il importe que l'Europe continue d'être unie. Lors du Conseil européen de décembre, nous discuterons spécifiquement de la manière dont l'Europe peut entretenir le rapport de force avec la Turquie pour faire respecter, non seulement ses intérêts, mais aussi ses valeurs.

(...)

Nous nous concentrons sur la politique de l'Union européenne, quel que soit le choix des Américains à l'élection présidentielle. Compte tenu des difficultés de déplacement provoquées par la crise du covid-19, j'ai tenu à me rendre virtuellement aux Etats-Unis en enchaînant pendant une journée des visioconférences avec la Team France Export, les chefs d'entreprise de l'US Chamber et des chefs d'entreprise souhaitant investir en France. Les Etats-Unis restent le premier investisseur étranger en France, et l'envie de travailler ensemble est grande. Les investisseurs étrangers en France sont particulièrement intéressés par la transition écologique, la santé, la biotech. Ils savent que la France est un pays d'innovation, un pays qui investit dans les filières d'avenir que sont la transition écologique et la révolution numérique. Nous avons travaillé dans un bon climat, réaffirmant notre volonté de désescalade dans les tarifs douaniers. Toutefois, nous voulons faire respecter nos droits : nous imposerons des droits de douane aux Etats-Unis - la liste des produits concernés est en cours de discussion avec la Commission - tant qu'ils n'auront pas retiré les leurs. Tel est l'état d'esprit dans l'Union européenne et en France.

Nous n'avons pas la possibilité d'imposer des sanctions en cas de non-respect des engagements en matière de développement durable. Le dialogue politique peut être efficace - nous l'avons vu avec la Corée concernant la ratification des conventions de l'Organisation internationale du travail - mais nous souhaitons à l'avenir pouvoir appliquer des sanctions commerciales en pareille hypothèse. Nous n'y sommes pas encore : nous faisons un travail de conviction auprès de la Commission et de nos partenaires. L'état d'esprit évolue, comme le démontre le non-papier de la France et des Pays-Bas sur le commerce, ses conséquences en matière socio-économique et de développement durable, qui a reçu un écho très favorable. Des avancées ont été obtenues : la Commission s'est approprié la question de l'accord de Paris comme clause essentielle des traités de libre-échange ; un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières devrait être prochainement instauré, espérons-le - nous attendons les contributions de la Commission, qui négocie actuellement avec un certain nombre d'Etats membres en ce sens. Il reste du travail à accomplir mais les choses avancent bien.

La question des paradis fiscaux, qui ne relève pas directement de ma compétence, est importante. L'OCDE procède à une évaluation des pratiques fiscales des Etats pour vérifier qu'elles ne sont pas dommageables. L'Union européenne met très régulièrement à jour la liste noire des juridictions fiscales non coopératives. Cet outil est objectivement très efficace pour faire évoluer les pratiques de nos partenaires : ainsi, l'Arménie et le Vietnam ont été retirés de la liste en février 2020.

Les règles relatives aux aides d'Etat ont été assouplies en raison de la crise. Elles n'ont toutefois pas été abolies car cela aurait causé des distorsions de concurrence préjudiciables aux entreprises. Nous avons mobilisé des moyens sans précédent dans le plan de relance et dans le plan de soutien aux entreprises exportatrices, avec l'accord de la Commission. La solidarité européenne s'est exprimée avec le plan de relance européen, fruit de l'initiative franco-allemande du mois de mai. Il permettra un financement partiel des plans de relance par l'Europe ainsi qu'une coordination de nos efforts en matière de transition numérique et de transition verte.

La Commission européenne a lancé deux stratégies, l'une en faveur de la biodiversité, l'autre en faveur d'une alimentation respectueuse de l'environnement, baptisée "de la ferme à la table" ou encore "de la fourche à la fourchette". Elles ont pour objectif de mieux prendre en compte le développement durable dans la production agricole. De même, la lutte contre la déforestation est au coeur du débat sur la ratification du traité de libre-échange avec le Mercosur.

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières vise à appliquer aux produits importés les mêmes standards de production et de protection de l'environnement que dans l'Union, notamment les normes phytosanitaires. Dans ce but, il convient d'instaurer des mesures miroir à chaque fois que cela est nécessaire, dans le respect de nos engagements internationaux.

Concernant les pesticides, notre objectif est de renoncer à la tolérance à l'importation. La France défendra ce message dans les discussions sur la stratégie "de la fourche à la fourchette". Ces mesures miroir sont soutenues dès qu'elles sont justifiées scientifiquement, comme l'interdiction de l'utilisation d'antibiotiques comme activateurs de croissance, dans le cadre de la lutte contre l'antibiorésistance.

S'agissant du Brexit, il est important de souligner que, avec ou sans deal, il y aura des changements pour les entreprises, avec plus de démarches, de formalités et de contrôle - nous le regrettons mais c'est ainsi. L'absence d'un deal aurait beaucoup plus de conséquences économiques pour la Grande-Bretagne que pour l'Europe. Nous voulons absolument un accord, mais pas à n'importe quel prix.

Il faut préparer nos entreprises en les accompagnant dans l'ensemble des champs de l'économie. J'ai mobilisé la Team France Export pour délivrer les informations en temps réel, répondre aux interrogations réglementaires concernant les exportations et couvrir les exportations contre les risques accrus, notamment de change - Bpifrance a développé une action spécifique pour sécuriser davantage nos exportateurs contre le risque de change. Voilà quelques exemples concrets de ce que nous faisons pour préparer nos entreprises au Brexit.

Les chèques relance export sont utilisables par toutes les entreprises : les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) peuvent en bénéficier, tout comme les entreprises sous-traitantes travaillant à l'exportation. Le chèque relance export permet de prendre en charge le coût de la participation d'une entreprise à une place de marché numérique ; son utilisation n'est absolument pas circonscrite aux services de Business France. Quant au chèque relance export "agro", je vais regarder ce qu'il en est ; je vous remercie de m'avoir signalé ce problème.

Ce dispositif, cumulable avec les aides des régions, pourra être adapté aux besoins des entreprises. Les 247 millions consacrés au commerce extérieur dans le plan de relance doivent être accessibles aux entreprises, principalement les primo exportatrices, qui en ont davantage besoin que celles ayant déjà trouvé un marché à l'étranger. Le site de Business France fournit des informations économiques secteur par secteur, pays par pays, d'autant plus utiles en cette période de perturbation des marchés. Nous devons inciter bien plus d'entreprises à tenter leur chance à l'export : beaucoup pourraient le faire mais n'osent pas, craignant que les coûts soient importants et l'aventure trop complexe. Le rôle de tous les partenaires est donc essentiel : c'est là qu'il faut mettre le maximum d'argent pour inciter les entreprises à tenter l'expérience, à franchir le premier pas. C'est ainsi que fonctionne le mécanisme de l'assurance prospection : une partie du coût du déploiement à l'international est prise en charge et l'entreprise ne commence à rembourser que si elle obtient des résultats : c'est un cercle vertueux.

Les entreprises qui ont joué le jeu pendant le confinement ont fait preuve de leur engagement citoyen en mobilisant leurs équipes et en transformant leur outil de production au service de la production des biens nécessaires pour soigner nos compatriotes. Ces entreprises doivent être au coeur de la réflexion sur l'autonomie stratégique au niveau européen et sur la relocalisation des chaînes de valeur.

Divers outils peuvent être utilisés, comme la politique commerciale et les marchés publics. La réglementation des marchés publics est importante parce qu'elle contribue à lutter contre la corruption, mais elle pose un certain nombre de limites, notamment en ce qui concerne les circuits courts et la proximité géographique des entreprises. Les seuils de marchés publics ont été relevés pour desserrer la contrainte sur les collectivités territoriales et leur permettre de conclure plus rapidement avec les entreprises avec lesquelles elles ont l'habitude de travailler.

Nous devons assurer notre indépendance concernant les produits stratégiques en garantissant notre sécurité d'approvisionnement, en diversifiant nos fournisseurs, en créant des stocks stratégiques et en relocalisant un certain nombre de productions. La mobilisation des entreprises qui fournissent ces produits stratégiques doit être confortée car c'est un levier important pour la relocalisation des chaînes de valeur.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2020