Extraits d'un entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec RTL - LCI - "Le Figaro" le 22 novembre 2020, sur l'épidémie de Covid-19, la question migratoire, l'élection présidentielle aux Etats-Unis, le terrorisme et les tensions avec la Turquie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - La Chaîne Info - Le Figaro - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour à tous. Bienvenue dans le Grand Studio RTL. Bonjour Jean-Yves Le Drian.

R - Bonjour.

Q - Merci d'être avec nous aujourd'hui. À mes côtés pour vous interroger Amélie Carrouër de TF1-LCI et Marion Mourgue pour Le Figaro. Vous le savez, cette émission est en direct, bien sûr, jusqu'à 13 heures. Vous pouvez interpeller le ministre et lui poser vos questions. Elles seront relayées par Marie-Pierre Haddad, en fin d'émission, dans Questions Net. Alors, Jean-Yves Le Drian, vous êtes certainement aujourd'hui l'un des ministres à la plus grande longévité, presque neuf ans sans discontinuer, à la défense sous François Hollande et donc au Quai d'Orsay depuis 2017. Votre nom a même circulé avec insistance en juin pour Matignon, mais vous avez préféré rester à votre poste, les affaires étrangères donc. Sur ce terrain-là, pour faire simple, vous êtes un peu l'anti-Trump. Vous ne twittez quasiment jamais et vous êtes très rare dans les médias. Vous êtes davantage un adepte de la diplomatie secrète, discrète. Mais aujourd'hui, suffit-elle vraiment alors que la France est la cible de plusieurs pays emmenés par le président turc Erdogan contre notre modèle laïc ? Nous en parlerons, bien sûr, dans la seconde partie de cette émission. Et puis, ce n'est un secret pour personne, Jean-Yves Le Drian, vous avez été socialiste au PS pendant 44 ans sauf qu'aujourd'hui, eh bien, vos collègues ministres issus de la droite pèsent semble-t-il davantage dans la balance. Et pourtant, en février à cette même place, vous étiez alors déjà l'invité du Grand jury, vous souhaitiez, je vous cite, que l'aile gauche fasse entendre sa petite musique. Avez-vous loupé le coche ? N'avez-vous pas été suffisamment entendu ? Nous en parlerons également. Mais tout d'abord, bien sûr, l'actualité, c'est le Covid et un déconfinement qui s'annonce très progressif.

Q - Souhaitez-vous que les commerces rouvrent dès vendredi ou samedi ? Certes le président prend la parole mardi mais vous avez bien un avis.

R - Ecoutez, avant de parler de la Covid je me permets, étant donné mes fonctions antérieures et mes fonctions actuelles, de rappeler ici, en début de Grand jury, la personnalité de Daniel Cordier. On n'en a pas beaucoup parlé mais c'était l'avant-dernier compagnon de la Libération. Il a mené des combats très forts pour la libération de notre pays. C'était un homme d'une grande intégrité. Je pense qu'on doit le respect et puis en même temps peut-être des leçons de courage qu'il a apportées à la France.

Q - Hommage à Daniel Cordier.

R - Je vais revenir à votre question.

Q - À ma question très pragmatique, mais qui concerne beaucoup de Français, l'ouverture des commerces. Avez-vous un avis ?

R - Le sujet principal, c'est d'assurer la santé des Français, d'assurer la bonne mise en marche des mesures que nous prenons pour éradiquer la pandémie. Le sujet principal, c'est la vie. Le sujet principal, c'est d'éviter l'engorgement des hôpitaux ; le sujet principal, c'est d'assurer l'avenir de tous les Français et d'éviter que nous soyons dans les drames des morts, parce qu'on ne joue pas avec cela et que l'enjeu est là. Et donc, en fonction de l'évolution du virus qui est un virus un peu compliqué, qui est un virus itinérant, qui est un virus qui nous surprend régulièrement, il faut prendre les décisions adaptées et les prendre toujours de manière adaptée. C'est-à-dire qu'il faut une réactivité, il faut travailler en temps réel pour prendre la bonne mesure au bon moment et c'est la responsabilité du gouvernement, du Président de la République, et c'est, en permanence, l'adaptation qu'il faut initier et donc pour les commerces ce sera une décision qui sera prise mardi.

Et il est clair que les Français sont fatigués, il est clair que tout cela angoisse, il est clair aussi que certains d'entre nous sont désespérés parce que ça manque de lisibilité, mais ce virus est toujours incertain.

Il est clair aussi qu'il y a eu des efforts importants de faits de la part des commerçants pour essayer d'adapter les jauges sanitaires, pour essayer de prendre des protocoles qui permettent d'assurer la sécurité de la population et des chalands qui viennent les voir. Donc si on peut le faire, on le fera. C'est notre souhait. Mais si on pouvait tout faire, on le ferait. Le problème, c'est que l'impératif de sécurité nous domine.

Q - Vous dites que le sujet c'est la vie. Aujourd'hui les commerçants, justement, réclament de pouvoir travailler parce qu'ils sont dans une situation désespérée. Vous ne craignez pas comme Raymond Soubie, l'ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, une colère des commerçants qui déboucherait sur un mouvement façon Gilets jaunes ?

R - Je fais confiance à la responsabilité des Français. Maintenant chacun a dans son environnement quelqu'un qui a été hospitalisé, quelqu'un qui a été en réanimation, quelqu'un qui est décédé. Et on voit bien que l'enjeu principal est celui-là, cette responsabilité collective face à la vitalité, à la vie de la France ; et donc, dès que l'on peut faire en sorte qu'il y ait des améliorations du confinement, on le fait.

La responsabilité en incombe, in fine, au Président de la République. Le souci des commerçants est largement partagé. Des mesures financières importantes ont été mises en place pour les protéger le mieux possible. Ceci dit, il importe maintenant que l'on puisse progressivement aboutir à une situation meilleure. Mais on vivra toujours avec le virus jusqu'à ce qu'on ait trouvé un vaccin.

Q - Oui. Mais Bruno Le Maire n'a-t-il pas raison de pousser comme il le fait pour cette ouverture dès le week-end prochain dans l'intérêt des commerçants ?

R - Ce n'est pas un match, entre untel ou untel, pour défendre untel ou untel. L'impératif principal n'est pas celui-là. L'impératif principal, c'est notre sécurité collective face au virus. Et ensuite, on fait valoir l'intérêt, l'importance de tel ou tel sujet. Moi, je comprends très bien l'inquiétude, le drame, même, que vivent les commerçants, les cafetiers, les restaurateurs, bref toute cette catégorie professionnelle qui est angoissée par rapport à l'avenir.

Q - Il y a la question aussi qui est celle de Noël. Est-ce que vous vous souhaitez en tant que ministre aller passer vos fêtes en Bretagne ? Est-ce que vous souhaitez que les Français puissent circuler librement en France, à ce moment-là ?

R - Il y a la question du souhait et la question de la réalité. Si d'aventure l'évolution est progressive et positive, tant mieux, et à ce moment-là je pense qu'il y aura des mesures qui seront prises. Il y aura une deuxième série de décisions qui sera prise vers le 20 décembre ; puis, il y aura une troisième série de décisions au début de l'année prochaine en fonction de la circulation du virus, de l'évolution des prises en charge, de la tension qui existe sur les hôpitaux. Il faut prendre en considération tout cela.

Vous savez, moi je suis très frappé d'une chose. C'est que la situation, elle est partout pareille. C'est-à-dire qu'à un moment donné, on pouvait se dire : il y a dans tel ou tel pays, dans tel ou tel endroit une espèce de havre protégé de la Covid-19. En réalité, ce n'est plus le cas. À New York, on vient de refermer les écoles. Je vois qu'à Adélaïde en Australie, qui était pourtant une grande île un peu préservée, on vient de reconfiner. Je vois qu'en République tchèque ou en Suisse, où on disait que c'étaient des pays qui avaient passé convenablement la première vague, ils sont à des niveaux de circulation du virus extrêmement impressionnants, même très dangereux. Bref, c'est partout cette difficulté, et on essaie de la juguler ensemble.

Q - Mais parce que c'est partout, est-ce que vous allez travailler en Europe à renforcer, protéger les frontières européennes pour éviter notamment une troisième vague ? L'harmonisation européenne, elle n'a pas été réussie à tous les coups d'ailleurs ces derniers temps. Mais là, vous allez y travailler ?

R - Mais elles sont fermées. Elles sont fermées depuis le mois de mars dernier, les frontières à l'extérieur de l'Europe. Elles sont toutes fermées. Excusez-moi de vous le rappeler.

Q - Et à l'intérieur de l'Europe... ?

R - On ne peut pas venir aujourd'hui en Europe, sauf si on est résident européen ou résident français.

Q - Et à l'intérieur de l'Europe ?

R - Cette fermeture-là, elle va continuer sauf à de rares exceptions jusqu'à ce que nous soyons guéris mondialement, on va peut-être revenir sur les vaccins. Mais c'est un enjeu de la communauté internationale. À l'intérieur de l'Europe, c'est vrai que la première vague, cela n'a pas été grandiose.

Q - En fait, toujours pas. Il n'y a pas d'harmonisation.

R Pas du tout, ce n'est beaucoup mieux. Parce que les 27 se sont mis d'accord d'abord pour rétablir une cartographie en Europe de la circulation du virus, pour harmoniser les mesures à prendre pour juguler la pandémie, pour informer les uns et les autres de leur positionnement. Les frontières intérieures ne sont pas fermées mais elles sont dans beaucoup de pays contrôlées, pour faire en sorte que l'ensemble de l'espace européen soit protégé.

C'est ce qui se passe aujourd'hui et je pense que c'est ce qui se passera encore pendant un certain temps. L'Europe a réussi à prendre le relais d'une situation qui au début était effectivement un peu anarchique.

Q - On va revenir sur les vaccins, mais d'abord Marion Mourgue.

Q - Jean-Yves Le Drian, vous disiez que tous les pays européens connaissaient un peu la même situation. Quand vous voyez l'Allemagne qui se moque foncièrement de ce que fait la France en parlant d'Absurdistan - c'est un grand quotidien allemand qui utilise ce mot - qu'est-ce que ça vous inspire comme réaction ?

R - Je vous ferais remarquer que le niveau, le taux d'incidence aujourd'hui à Berlin est le même, même plus important qu'à Paris. Donc, il n'y a pas une exception allemande, même si on constate avec plaisir pour les Allemands que la pandémie a moins touché l'Allemagne aujourd'hui que la France. J'espère que cela ne va pas s'aggraver mais aujourd'hui, les Allemands sont aussi dans la grande inquiétude par rapport à leur dispositif.

Alors qu'on traite tel ou tel pays de tel ou tel sobriquet, c'est de la responsabilité de celui qui l'a écrit. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous avons une relation extrêmement étroite avec les autorités allemandes ; c'était un petit peu différent dans l'organisation qu'avec les autorités françaises puisque ce sont les Länder qui ont le rôle le plus important pour assurer les politiques de santé. Mais mon collègue Olivier Véran a des relations quasiment journalières avec son collègue allemand.

Q - Mais, Jean-Yves Le Drian, il y a quand même une discussion, une interrogation de la part des Français qui nous écoutent, notamment sur les chiffres. Emmanuel Macron dans sa dernière allocution disait qu'on aurait neuf mille personnes en réanimation, quoi qu'il arrive. On est bien en dessous de ce chiffre-là. Est-ce que ce n'était pas alarmiste ? Est-ce que cela ne nourrit pas la peur et, du coup, la défiance des Français sur les chiffres officiels ? Ou en tous les cas sur la perception qu'a l'exécutif de cette pandémie ?

R - Il faut travailler en temps réel. Je vous l'ai dit tout à l'heure. Parce que la connaissance de ce virus est encore très incertaine. On pensait qu'il était éradiqué dans tel ou tel pays et il revient ; et donc, tout cela est assez aléatoire et donc si on ne réagit pas en temps réel et si on ne fixe pas, de préférence, une prévision pessimiste pour pouvoir mieux gérer, si l'évolution est plus positive, à ce moment-là on se trompe et ce n'est pas responsable.

Q - Donc, vous assumez ce côté, disons, pessimiste, même excessif ?

R - Je pense qu'il faut le faire ; ce qui permet ensuite d'alléger parce que si on n'avait pas pris les mesures nécessaires, aujourd'hui on n'en serait pas là. Si on n'avait pas pris les mesures sur le couvre-feu puis sur le reconfinement, on ne serait pas devant ce constat - soyons prudents - d'amélioration progressive. Je dis "soyons toujours prudents" parce qu'il peut y avoir des retours, et je crois que c'était juste de procéder ainsi. Mais je comprends que les Français veulent de la lisibilité. On la donne, je pense, le mieux possible, le plus rapidement possible mais en étant tout à fait convaincus qu'il faut toujours s'adapter, il faut toujours travailler en temps réel.

Q - Ils veulent de la visibilité, de la visibilité sur les vaccins, Amélie Carrouër.

Q - Oui. Qui dit défiance dit beaucoup vaccins ces derniers temps D'ailleurs allez-vous vous faire vacciner, Jean-Yves Le Drian, à l'arrivée d'un vaccin ?

R - Oui, bien sûr.

Q - Il faut rendre d'ailleurs la vaccination obligatoire pour tous ?

R - Sur le vaccin...

Q - Oui, vous vous ferez vacciner, vous avez dit.

R - Oui, bien sûr. Mais c'est une question que je ne me pose même pas, d'abord parce que j'ai plus de 70 ans, et donc je suis susceptible d'être une personne à risque, et ensuite parce que je considère que c'est mon devoir, tout simplement. Mais, on n'a pas encore tout réglé sur les vaccins. La nouveauté, puisque vous me parliez de l'Europe, c'est quand même que sur cette question des vaccins il y a une vraie mutualisation européenne.

Q - Oui, on va y revenir, mais juste la question d'Amélie Carrouër.

Q - Sur l'obligation vaccinale ?

R - Il faut poser les problèmes les uns après les autres. Pour l'instant on n'a pas le vaccin. Il va y en avoir cinq, six, sept peut-être plus. Il faut les tester, il faut les vérifier, il faut avoir les autorisations de mise en marché, il faut ensuite que la Haute autorité de la santé valide tout cela en France, et puis, il faut faire vacciner les Français, progressivement, parce que les vaccins ne sont pas tous les mêmes, et qu'il faudra gérer le bouquet de vaccins que nous allons mettre en oeuvre, et faire en sorte que progressivement on identifie les catégories prioritaires.

Q - Vous ne répondez pas sur la question de l'obligation.

R - Ce n'est pas la question aujourd'hui.

Q - D'ailleurs, pour répondre à la question si ça ne passe pas par Jean-Yves Le Drian, est-ce que ça doit passer par un débat démocratique du gouvernement ?

R - Je pense que la question se posera à un moment donné au courant du premier semestre. Mais la question principale, à mon avis, je ne suis pas ministre de la santé, mais à mon avis c'est de savoir qui on identifie au départ comme les personnes qui doivent d'abord se faire vacciner. Est-ce que ce sont les personnes à risque ? Est-ce que ce sont les personnels de santé ? Est-ce que ce sont les enseignants ? Est-ce que c'est un cocktail de tout cela ? C'est la première démarche, mais il y a aujourd'hui, vous le savez, une " Task force vaccin " autour du Président de la République et du Premier ministre pour élaborer les synergies. On est plutôt en bonne posture sur les vaccins. On a des signes positifs, des signes intéressants. L'Union européenne a fait ce qu'il fallait pour préempter, pour acheter par anticipation dans différentes entreprises qui sont productrices de vaccins. Maintenant, il faut vérifier, s'assurer de la faisabilité, s'assurer de l'innocuité des vaccins pour ensuite nous rassurer. Rien ne serait pire qu'il y ait des vaccins qui ne soient pas homologables.

Q - Est-ce que la France sera prête ? On voit que justement d'autres pays, au sein de l'Union européenne, comme l'Allemagne ou l'Espagne se préparent déjà, achètent les vaccins, organisent une campagne de vaccination. Est-ce que nous on est à ce niveau-là ? Est-ce qu'on sera prêt ?

R - Il y a une Task Force qui a été mise en place, qui travaille. J'ai vu deux déclaratifs hier. L'un allemand, l'autre espagnol, pour dire : on va le faire. Nous aussi, on va le faire, bien évidemment. Et on travaille...

Q - Ils annoncent un plan.

R - Ils annoncent qu'ils vont annoncer des plans.

Q - Non. L'Allemagne dit qu'elle a déjà acheté...

R - L'Allemagne a annoncé pour Berlin, j'ai vu des hangars majeurs.

Q - Six centres stratégiques.

R - Nous, on a une expérience qui a plutôt été discutée. Vous vous souvenez du H1N1 en 2009. Ce n'était pas terrible, parce qu'on avait fait une logique un peu centralisée. Donc, il faut essayer de trouver une posture plus adaptée avec la participation des professions de santé. C'est ce sur quoi travaillent la Task force et Olivier Véran.

Q - Oui, mais il y a quand même, vous savez, parce que les Français sont échaudés par les masques, par les tests et là ils s'inquiètent des vaccins et c'est vrai. On voit en Allemagne, en Espagne, ils sont en train de se préparer, et regardez, Moderna, qui est quand même ce laboratoire avant-gardiste, start-up qui dit : avec la France, on a eu du mal à négocier sur les vaccins ; cela a pris beaucoup de temps ; du coup il n'y a que 80 millions de vaccins qui sont pour l'instant vendus à l'Europe alors que cela a été très rapide avec le Canada de négocier, très rapide avec les Etats-Unis. Donc, il y a une forme d'inquiétude.

R - Chacun se place, vous le savez bien. Les grandes entreprises qui fabriquent des vaccins se placent et éventuellement utilisent un certain nombre de déclaratifs pour essayer de mieux se positionner.

Je vous ai dit tout à l'heure que l'Union européenne avait préempté plus d'un milliard et demi de doses de vaccins qui vont être redistribuées au prorata entre les différents pays européens qui vont acheter ces vaccins et qui vont ensuite les diffuser, le mieux possible, avec des techniques propres à chaque pays, évidemment. Et c'est là-dessus que travaille aujourd'hui cette Task force. Moi, je n'ai vu pour l'instant sur l'Allemagne puisqu'on en parle, sur l'Espagne, puisque vous en parlez, que deux déclaratifs. Le déclaratif n'est pas un plan.

Q - Mais en tous les cas, vous nous dites que si on a les vaccins ils seront administrés et d'ici la fin de l'année c'est possible pour la France.

R - Je n'ai pas dit cela.

Q - On attend de savoir, Jean-Yves Le Drian.

R - Ce n'est pas moi, ministre des affaires étrangères, qui vais vous dire que le vaccin marche.

Q - Non. Est-ce que nous aurons la capacité de l'administrer ?

R - Ah, l'administrer, oui, je pense.

Q - D'ici la fin de l'année, très bien.

R - Dès que le vaccin sera opérationnel, validé par l'Agence européenne du médicament et par la Haute autorité de santé. Il faut être sûr.

Q - Et cela, ça prend toujours du temps, Jean-Yves Le Drian ! Pourquoi cela prend toujours plus de temps en France ?!

R - Pas du tout, cela va être validé par l'Agence européenne ; ce n'est pas qu'en France, l'Agence européenne, c'est sur l'ensemble de l'Europe et c'est absolument indispensable que cela se fasse, c'est le préalable. Je ne vois pas pourquoi il faudrait en permanence nous battre la coulpe parce qu'ici, le Premier ministre espagnol a dit quelque chose et parce que là, tel ou tel responsable allemand a dit autre chose. Nous, nous avançons. Le Président de la République parle...

Q - Parce que les Français ont été échaudés par les tests et les masques, vous le reconnaissez Jean-Yves Le Drian !

R - Mais il y a eu des difficultés aussi partout, partout ! Vous parliez de l'Espagne... on peut parler de l'Italie, on peut parler aujourd'hui de la Suisse... c'est très difficile pour tout le monde ; nous traversons tous une période difficile. Donc il faut se tenir les coudes pour passer l'obstacle, je pense qu'on réussira.

Q - Pour toutes ces questions, pour tous ces débats, est-ce que vous estimez que le travail avec le parlement en France est suffisant ? Est-ce que vous estimez que c'est suffisant de prendre certaines décisions en conseil de défense ? Puisqu'on a entendu de nombreuses critiques sur le sujet : François Hollande a mis en garde contre l'exercice solitaire du pouvoir qui comporte plus de risques que de chances.

R - Moi j'ai entendu ses propos sur le conseil de défense concernant le sanitaire et ça m'épate parce qu'en fait, il est quand même logique que face à une telle situation de gravité pour l'ensemble du pays, pour l'ensemble de la population, régulièrement, le Président de la République s'entoure des compétences qui sont près de lui pour se forger un avis et prendre des décisions majeures. C'est quand même le bon sens que de faire cela !!

Q - Mais est-ce que ce n'est pas le rôle du Conseil des ministres ?

R - Mais le conseil des ministres a lieu juste après.

Q - Mais tout le monde n'est pas associé...

R - Oui mais les conclusions du conseil de défense sont données au conseil des ministres juste après. Alors, je ne vois pas où est le problème...

Q - Oui, les conclusions, pas la discussion, c'est-à-dire qu'on décide et ensuite on fait part de la décision.

R - La discussion, elle est faite généralement, comme tous les sujets majeurs, par les gens qui ont la responsabilité et la compétence sur ce sujet, ce qui est normal, personne ne le conteste. Et ensuite, le parlement est saisi, et ensuite, le Premier ministre consulte les groupes politiques ; et ensuite, le Premier ministre consulte les partenaires sociaux ; c'est ce qui va se passer encore lundi !... Cette campagne-là, je la trouve pittoresque de la part de gens qui, par ailleurs, veulent que ça marche. Eh bien, pour que ça marche, il faut bien à un moment donné qu'il y ait l'ensemble des décideurs qui se réunissent en disant : à mon avis, vu la situation, voilà ce qu'il faut faire ; le Conseil des ministres le valide et ensuite, les consultations avec les parlementaires se déroulent normalement. Je crois que c'est de la responsabilité de l'Etat.

Q - C'est de la politique politicienne pour vous ?

R - Oui, c'est mal venu ; ça veut dire qu'ils n'ont pas d'autres choses à dire.

Q - Quand le président du Sénat s'alarme du nombre d'ordonnances qui ont été prises depuis le début du quinquennat et notamment dans cette crise, est-ce que pour vous, le Parlement est quand même suffisamment associé ?

R - Je vais souvent au parlement. Le gouvernement est interrogé tous les mardis par les députés, tous les mercredis par les sénateurs ; généralement, tout le temps sur ces questions. En plus, le parlement est saisi par des lois d'urgence sanitaire, en plus il y a les consultations par le Premier ministre. Bon, on peut peut-être faire mieux, on peut toujours faire mieux ; on peut envisager peut-être un comité parlementaire de suivi, pourquoi pas, j'ai vu cela quelque part, mais la volonté de la plus grande transparence est au rendez-vous.

Q - Oui, mais vous voyez, par exemple, un autre débat, c'est celui de l'isolement contraint des personnes contaminées. Gabriel Attal, ce matin, dans "Le Journal du Dimanche", dit : moi j'y suis à titre personnel favorable, pour permettre aux autres de continuer à vivre. Est-ce que cela ne devrait pas faire l'objet d'un débat parlementaire ?

R - Oui, si cette question-là se pose, sûrement ; mais comme la prolongation de l'état d'urgence sanitaire a fait l'objet d'un débat au Parlement ; dans ces cas-là, oui, quand il y a des interrogations sur la liberté individuelle, cela passe toujours au parlement depuis le début de la crise.

(...)

Q - Alors, il y a un autre sujet aussi sur lequel on vous attend, Jean-Yves Le Drian, c'est celui de l'immigration ; il y a tout un débat, notamment, ici soulevé par Gérard Larcher la semaine dernière qui veut limiter le regroupement familial. Et Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'Intégration, qui est un homme issu de la gauche, dit cette semaine dans "L'Obs", qu'il n'y a jamais eu autant d'immigrés en France et il pose clairement la question du regroupement familial. Qu'est-ce que vous en pensez, vous, Jean-Yves Le Drian ? Faut-il un moratoire sur l'immigration ou faut-il remettre en question le regroupement familial ?

R - Il ne faut pas prendre cette question uniquement par un bout. Il y a besoin de repenser ensemble, au niveau européen, la relation migration-asile. Ça, cela me paraît indispensable. Et on a vu ce que ça avait donné en 2015 ; on a vu l'impact des migrations irrégulières, et j'ai en plus une conviction d'homme de gauche, c'est que le non-respect des procédures sur le droit d'asile, ou l'acceptation des immigrations irrégulières sans contrôles, cela tue le droit d'asile. Cela le remet en cause parce qu'il n'a plus sa validité et il y a parfois des détournements du droit d'asile.

Mais je reviens sur le paquet " migration asile " qui va être maintenant discuté au niveau européen, et cela risque de nous incomber puisque le dossier est sur la table de l'Union européenne et puis que la France aura la présidence de l'Union européenne au début de 2022, et sans doute que la procédure va nous amener jusque-là...

Q - Mais sur le regroupement familial en particulier ?

R - Je vais y revenir parce que le regroupement familial, cela nécessite aussi l'interrogation globale sur ce sujet. Sur cette question d'immigration, il y a, à mon avis, quatre orientations qu'il faut tenir en même temps : d'abord il faut renforcer Frontex ; il faut renforcer la sécurisation de nos frontières extérieures de l'Europe. C'est vrai pour les questions de migration ; c'est vrai aussi, parallèlement, pour les questions de sécurité ou de terrorisme, même si je ne mélange pas les deux sujets. Les deux sujets ont un point commun, c'est la sécurité des frontières.

Deuxièmement, il faut faire en sorte qu'entre les Etats membres de l'Union européenne, c'est ce qui a péché aujourd'hui, il y ait une bonne articulation entre la solidarité et la responsabilité. La responsabilité, c'est de faire en sorte que lorsqu'il y a des migrations irrégulières - je pense en particulier aux pays qu'on appelle les pays de premier accueil - ces pays assurent le fait qu'il y ait identification de ceux qui peuvent bénéficier du droit d'asile et de ceux qui ne peuvent pas en bénéficier, qui doivent rentrer, qu'il faut renvoyer. Mais ces pays disent : nous ne pouvons pas faire ça tout seuls. Ils ont raison. Il faut qu'il y ait une solidarité européenne, que ce soit par des moyens partagés ou que ce soit par des financements caractérisés pour permettre à ces pays d'assumer leurs responsabilités.

Et puis, le quatrième point, c'est une collaboration avec les pays de départ et avec les pays de transit ; collaboration indispensable et qui est encore aujourd'hui à ses balbutiements. Ce paquet-là, c'est central parce qu'il fait en sorte que le droit d'asile est respecté, il fait en sorte que les migrations régulières soient respectées et il fait en sorte aussi qu'il y ait une solidarité européenne sur l'ensemble. On n'y est pas encore.

Q - Et est-ce qu'il faut réformer Schengen ? Le Président a dit cela ; il a agité une réforme qui semble improbable, de l'espace Schengen ?

R - Ce sont les éléments que propose le Président de la République pour la réforme de Schengen, entre autres sur l'immigration, ce sont ces quatre points-là, y compris avec un élément supplémentaire qu'il a proposé, que je partage tout à fait, qu'il y ait un lieu de gouvernance de Frontex ou de l'espace Schengen si vous voulez, qui soit pertinent et qui aujourd'hui n'existe pas vraiment.

Q - D'un mot, Jean-Yves Le Drian, est-ce que vous nous dites qu'on n'est pas laxiste en France sur l'immigration ?

R - Non, on n'est pas laxiste, non, pas du tout.

Q - La droite ne cesse de le dire...

R - La droite n'a pas de leçons à nous donner sur ce sujet, parce que dans le passé, elle n'a pas pris automatiquement les mesures qu'il convenait de prendre.

(...)

Q - Jean-Yves Le Drian, on en vient à la situation aux Etats-Unis et l'élection de Joe Biden. Quinze jours après l'élection, Donald Trump n'a toujours pas reconnu sa défaite et le processus de transition n'est pas engagé. Dans d'autres pays, on parlerait de coup d'Etat. Est-ce que c'est ce que vous dites aujourd'hui ?

R - Non, ce n'est pas le cas. Il y a d'abord eu une élection d'une grande mobilisation démocratique. Jamais, il n'y a eu autant d'Américains à aller voter, c'est le signe d'une santé démocratique néanmoins.

Et ensuite, il y a les recours qui sont engagés par l'équipe de Donald Trump pour vérifier, s'assurer dans des Etats où le score était un peu juste s'il n'y avait pas eu mauvais comptage. Ces recours sont en cours ; cela a déjà eu lieu dans d'autres élections : rappelez-vous l'élection de 2000 où il a fallu attendre très longtemps pour avoir le décompte de la Floride. Jusque-là, c'était cela et les procédures prévues par les institutions américaines se déroulaient normalement jusqu'à ce qu'il y ait cette déclaration du patron, monsieur Krebs, de patron de l'Agence informatique des élections qui a déclaré publiquement, vous avez vu : "Jamais des élections n'ont été aussi claires, aussi transparentes - c'était mardi dernier - dans l'histoire des Etats-Unis"...

Q - Donc, Donald Trump viole la loi quelque part... ?

R - Pas pour l'instant. Et du coup, il l'a démis de ses fonctions. M. Krebs a été démis de ses fonctions.

Q - Quelles conclusions vous en tirez ?

R - Nous sommes toujours dans la première phase. Là où cela va devenir plus compliqué, c'est autour du 8 décembre, au moment où les Etats vont désigner les grands électeurs qui devront s'exprimer le 14 décembre, avant que cela soit validé au mois de janvier par le Congrès. Là, on apprend qu'il y aurait des pressions qui seraient effectuées auprès des autorités de différents Etats pour ne pas reconnaître le résultat tel qu'il avait été acté.

Dans l'état actuel des choses, cela ne marche pas, mais nous sommes en face de ce que Joe Biden dit être d'une incroyable irresponsabilité et je partage ce propos de Joe Biden. Je ne me suis jamais exprimé de cette manière mais on arrive à un point...

Q - Vous nous dites que Donald Trump est irresponsable aujourd'hui...

R - Je constate que la déclaration de Joe Biden correspond à la réalité et je le dis très clairement.

Q - Est-ce qu'il y a un problème démocratique, et pas seulement aux Etats-Unis, grave, au niveau aussi international, parce que pendant ce temps-là, il est là Donald Trump, il est sur le dossier afghan, pas seulement, le dossier iranien, peut-être avec une tentation de stratégie de la terre brûlée ?

R - Je remarque que les pressions qui ont été effectuées sur les uns et sur les autres pour agir ainsi n'ont pas donné de résultat. Et donc, il y a une solidité, j'en suis tout à fait convaincu, de la démocratie américaine qui sera au rendez-vous des échéances institutionnelles qui sont prévues par la loi américaine. Ce qui serait difficile, c'est de constater dans les deux mois qui viennent que des postures de politique internationale, de politique étrangère, soient prises par les Etats-Unis, qui remettraient en cause des engagements collectifs.

Q - Vous pensez à quoi par exemple ? Est-ce que vous craignez le déclenchement d'une guerre en Iran puisqu'on dit que Donald Trump a émis des menaces de frapper l'Iran et que son entourage l'en a dissuadé ?

R - J'ai constaté, quand j'ai eu l'occasion de rencontrer Mike Pompeo, mon collègue américain, la semaine dernière à Paris, nous avons eu une longue discussion d'une heure, le Président de la République l'a reçu aussi pendant un moment, je n'ai pas constaté de volonté de politique de la terre brûlée. Il n'empêche que, sur quelques sujets, il faut faire preuve d'une grande précaution. Je pense à un exemple particulier qui est celui de l'Irak où vous le savez, Daech est toujours présent, de manière souterraine, de manière clandestine, mais toujours là, où il y a, en plus, des mouvements désordonnés qui provoquent toujours une insécurité globale et où nous avons des missions communes dans le cadre de la coalition contre Daech - nous sommes nombreux dans cette coalition, de nombreux pays, cette coalition a été enclenchée dès 2014 - où nous mettons des forces pour former les forces irakiennes, pour contribuer à assurer la sécurité et j'entends que les Etats-Unis pourraient retirer une partie de leurs forces d'Irak ; ce qui paraît surprenant, d'abord parce que nous sommes dans une coalition...

Q - Surprenant et dangereux.

R - Surprenant d'abord, dangereux ensuite. Surprenant parce que nous sommes dans une coalition et normalement, dans une coalition, chacun se parle et d'autant plus que Mike Pompeo, la semaine dernière, ne me l'a pas dit. D'autre part, c'est dangereux parce que Daech est toujours présent et, curieusement, ce serait, d'une certaine manière, donner raison à l'Iran, puisque ceux qui risquent de déstabiliser aujourd'hui l'Irak, ce sont souvent des milices liées à l'Iran, en plus de Daech. Et là, je pense que je ne serai pas le seul à ne pas comprendre ; en souhaitant que le bon sens, là aussi, l'emporte sur ces tentations.

Q - Mais Jean-Yves Le Drian, est-ce que ça veut dire que vous appelez aujourd'hui Donald Trump à reconnaître sa défaite, c'est cela que vous lui dites aujourd'hui ?

R - Je n'ai pas à m'insérer dans la politique américaine. Les Américains sont suffisamment majeurs pour prendre leurs responsabilités à cet égard, et je constate que Joe Biden l'a fait.

Q - Est-ce que vous avez commencé justement à travailler avec Joe Biden et avec ses proches pour certains dossiers, notamment la Turquie ou d'autres ?

R - Pour l'instant, pour être très clair, non, parce que l'équipe de Joe Biden et Joe Biden lui-même sont extrêmement stricts sur le respect de la fin de la présidence. Le thème qui est juste, c'est une présidence à la fois. Et donc, nous serons amenés à travailler avec eux dès l'installation de Joe Biden à la Maison Blanche.

Mais il y a des sujets sur lesquels on va devoir travailler assez vite. J'en vois immédiatement trois : d'abord, les enjeux climatiques qu'il va nous falloir prendre à bras le corps, je vais y revenir ; les enjeux sanitaires - on en a parlé pendant la première partie de l'émission - et puis la question iranienne. Il y a déjà trois sujets sur la table qui concernent la France évidemment au premier chef, comme membre permanent du Conseil de sécurité, mais aussi la communauté internationale. Sur le climat, les ouvertures ont été faites.

Q - Joe Biden va retrouver le chemin de l'accord de Paris.

R - Et donc, cela va nous permettre, je pense, de préparer de manière pertinente le rendez-vous de Glasgow, la COP 26, qui n'a pas pu se tenir dans de bonnes conditions au cours de l'année 2020, pour faire en sorte que l'on accentue notre action collective contre le réchauffement climatique avec les Etats-Unis. Jusqu'à présent, pendant toute cette période, l'Europe était un peu toute seule avec la Chine, à faire en sorte que les objectifs soient atteints.

Q - Jean-Yves Le Drian, pour revenir à ce que disait Marion Mourgue parce que c'est vraiment l'actualité du moment, c'est la Turquie qui fait peur à l'Europe et à la France. Et on s'interroge sur le Haut Karabagh et ce conflit à venir en fond de toile la Turquie. D'ailleurs la France a-t-elle soutenu suffisamment l'Arménie ? On avait cru comprendre qu'on enverrait un avion d'aide humanitaire, est-ce que c'est le cas ?

R - J'abandonne donc les Etats-Unis là...

Q - Non mais parce qu'on se demande si les Etats-Unis vont vous soutenir dans cette démarche vis-à-vis de la Turquie, et Joe Biden.

R - Je n'ai pas parlé de l'Iran mais ça sera un sujet sur lequel il faudra se mobiliser de manière très forte et puis je pense que les Etats-Unis reviendront dans l'Organisation mondiale de la santé pour faire en sorte que la lutte... que le vaccin soit largement partagé et diffusé dans le monde, parce qu'il ne suffit pas de l'avoir en France, il faut l'avoir dans l'ensemble de la planète, que les efforts soient accompagnés et soient cohérents pour lutter définitivement contre ce virus.

Sur la Turquie, avant de parler du Haut-Karabagh, c'est deux sujets liés mais pas complètement, nous avons évoqué ce sujet avec Mike Pompeo et nous étions d'accord sur l'analyse de la situation. Moi, j'ai déjà évoqué à de nombreuses reprises les désaccords très importants que nous avons avec la Turquie sur cette volonté expansionniste d'un côté, cette politique du fait accompli parallèlement, que ce soit en Libye où ils envoient des mercenaires syriens pour combattre d'un côté, que ce soit en Irak où ils occupent la partie nord de l'Irak au nord du Kurdistan irakien, que ce soit en Méditerranée orientale où ils agressent de fait deux pays membres de l'Union européenne que sont Chypre et la Grèce, que ce soit au Haut-Karabagh où ils envoient aussi des mercenaires syriens, que ce soit aussi en Syrie.

Nous avons beaucoup de désaccords. Il faut les traiter les uns après les autres. Mais il faut encore avoir une disponibilité de la Turquie pour les traiter. Or, qu'est-ce que nous avons constaté depuis quelques temps ? C'est qu'il y avait de la part du président Erdogan, singulièrement au moment de la phase terroriste en France, mais aussi en Europe, des propos calomnieux qui ne prêtent pas à la discussion et au dialogue. Et donc la question est posée aujourd'hui à l'Union européenne. L'Union européenne a annoncé, au mois d'octobre, qu'elle vérifierait la posture de la Turquie sur ces différents sujets au moment du Conseil européen du mois de décembre, c'est-à-dire dans quelques jours. Et c'est à ce moment-là qu'on va vérifier les engagements.

Il ne suffit pas, je le dis très clairement, y compris à nos interlocuteurs turcs par votre antenne, il ne suffit pas que depuis deux ou trois jours, l'on constate des déclarations apaisantes de la part du président Erdogan. Il faut des actes. Et donc, moi, pour ma part, et c'est la position du Président de la République bien évidemment, on jugera sur les actes.

Q - C'est quoi les actes que vous attendez ?

R - Ce sont les Turcs qui doivent les identifier. Il y en a qui sont simples à faire en Méditerranée orientale ; il y en a qui sont aussi simples à faire en Libye et il y en a aussi qui sont simples à faire au Haut-Karabagh. Ce qui m'amène indirectement au Haut-Karabagh. Donc voilà quel est le calendrier...

Q - Sur le Haut-Karabagh, vous parliez de mercenaires syriens ; Emmanuel Macron a été plus loin en parlant de combattants djihadistes ; est-ce que ce n'est pas le rôle de la France de s'engager en Arménie, quand il y a des combattants djihadistes, - c'est le combat qu'on mène par exemple au Mali justement pour protéger aussi la France quand il y a des combattants djihadistes - est-ce qu'aujourd'hui, la France s'est suffisamment engagée pour le Haut-Karabagh et pour l'Arménie ?

R - Je ne sais pas si l'ensemble de nos auditeurs connaissent bien la situation arménienne et de l'Azerbaïdjan, mais simplement pour dire qu'il y a eu pendant six semaines une guerre entre ces deux pays, et que le sujet central est celui du statut d'une partie de l'Azerbaïdjan qui est peuplée d'Arméniens et que l'on appelle le Haut-Karabagh - je le redis parce qu'autrement, on risque de s'y perdre - et qu'il y a eu une guerre très douloureuse, très difficile, très sauvage qui a été engagée et qui a donné lieu à un cessez-le-feu.

La France, la Russie et les Etats-Unis ont sur ce sujet une responsabilité particulière. Ils ont été mandatés par les nations unies pour assurer le respect des uns et des autres des engagements pris par les uns et par les autres. Et on nous appelle les coprésidents [du groupe de Minsk] sur la situation du Haut-Karabagh. Nous avons beaucoup bougé pour essayer d'aboutir à un cessez-le-feu. À trois reprises, à la fois à notre initiative, à l'initiative de mon collègue Lavrov, à l'initiative de Mike Pompeo, des désengagements ont été pris par les uns et par les autres pour arrêter les combats, à trois reprises, en six semaines. Mais inévitablement, l'un ou l'autre, après, on ne sait plus qui... provoquait...

Q - Est-ce que ce n'est pas le rôle de la France d'aider davantage l'Arménie actuellement ?

R - L'Arménie est un peuple ami de la France - je vais y revenir - mais nous avions la responsabilité que la communauté internationale nous avait donnée, mais que les Arméniens eux-mêmes voulaient que l'on garde, ce qui nous obligeait à une posture d'équilibre, parce que les autorités arméniennes au plus haut niveau, que ce soit le Premier ministre Pachinian ou mon collègue arménien, il a changé, il a démissionné, c'est un autre collègue depuis quelques jours, je l'ai encore eu au téléphone hier et nous sommes sur la même ligne, il faut que nous préservions notre rôle. Cela n'empêche pas que nous puissions aider l'Arménie et en ce moment même, il y a un avion qui arrive à Erevan pour aider l'Arménie. Et il y en aura un autre la semaine prochaine.

Nous avons pris des engagements humanitaires très forts. Mais, pour aller jusqu'au bout sur le Haut-Karabagh, il y a néanmoins dans le cessez-le-feu qui a été mise en oeuvre, des incertitudes que nous posons et nous voulons des éclaircissements à la fois sur les déplacés, parce qu'aujourd'hui, au Haut-Karabagh, il n'y a plus beaucoup d'Arméniens ; et la mission première, c'est de faire en sorte que les Arméniens qui ont été chassés, doivent retourner dans leur territoire.

Deuxièmement, le statut des mercenaires... il faut qu'ils partent, et cela, c'est une position des trois coprésidents. Il faut qu'ils partent ! Et ensuite, la question du patrimoine religieux et culturel sur lequel le Président de la République a pris des initiatives avec l'UNESCO et que j'ai pu partager hier et avec mon collègue arménien et avec mon collègue azerbaïdjanais pour préserver tout cela. Ensuite, on parlera du statut mais on ne peut pas parler du statut quand on est dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, et c'est aussi l'avis des autorités arméniennes.

Q - Alors, au-delà de l'Arménie, la Turquie qui joue un rôle important actuellement, tous les regards sont braqués devant le président Erdogan qui inspire visiblement d'autres dirigeants ; on a une ministre pakistanaise aux droits de l'Homme qui a comparé le sort réservé aux enfants musulmans en France à celui des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale par les nazis. Autant dire qu'elle compare le Président Macron à un nazi. Le mal est profond. Est-ce que vous allez rappeler l'ambassadeur de France que nous avons dans ce pays et est-ce que vous avez des inquiétudes pour la sécurité de nos ressortissants français dans ces pays musulmans qui ont ce genre de propos ?

R - Cette déclaration est insupportable et inacceptable ; nous allons prendre les mesures nécessaires à cet égard, y compris, nous avons déjà pris des mesures de demandes de retrait de ces propos des réseaux sociaux, mais il semble bien que ce soit un peu plus compliqué que ce que je pensais avant d'arriver ici puisque manifestement, il y a des médias qui ont été instrumentalisés et qui ont eux-mêmes démenti l'information qui a provoqué votre réaction sur cette situation. Donc, comme toujours en diplomatie, on regarde de près avant d'agir pour éviter de faire des bêtises, surtout dans un moment où il y a beaucoup de fake news. Il n'empêche que les manifestations qui ont eu lieu contre la France ne sont pas acceptables et que nous avons pris les mesures nécessaires pour sécuriser l'ensemble de nos postes à l'étranger, y compris au Pakistan, y compris avec l'accord des autorités pakistanaises, je m'en suis occupé personnellement.

Q - Quel est le niveau de menace concrètement qui pèse sur les Français ici et dans le monde, partout dans le monde vous l'aviez dit... ?

R - C'est un niveau de menace, pas uniquement sur les Français. C'est un niveau de menace sur les Européens, on l'a vu, mais c'est un niveau de menace aussi sur les Etats musulmans. Sur le terrorisme, même si nous avons été victimes en première ligne dans des drames épouvantables, les jours derniers, il n'empêche qu'il y a eu les attentats de Vienne - c'est donc l'Europe qui est en cause - et profondément, la volonté des groupes terroristes et des groupes djihadistes, c'est de déstructurer les Etats, de créer du séparatisme partout ; remarquez bien, le nombre de victimes des attentats, il y a beaucoup plus de victimes d'attentats dans le monde qui sont des musulmans....

Q - Pardonnez-moi d'être un peu franco-française....

R - Je vous en prie, mais je reviens là-dessus pour montrer l'ensemble de la dimension...

Q - Vous aviez alerté sur le danger qui pèse sur les Français dans le monde ; c'est quoi le niveau de menace aujourd'hui ?

R - Le niveau de menace est grand, mais il a toujours été grand. Daech, cela date de 2014 ; depuis les attentats à Paris, c'est 2015, mais Daech date d'avant. Et depuis cette date, nous sommes soumis au risque de terrorisme ; je l'ai connu comme ministre de la défense, je le connais comme ministre des affaires étrangères. Ça suppose de notre part dans l'ensemble des postes - et pas uniquement des postes... au siège de l'ambassade, mais des lycées, des établissements et des Français -, une grande vigilance que, je crois, nos ambassadeurs mènent avec la plus grande attention. Mais il faut être très, très vigilant.

Q - C'est l'heure de la question en plus (M. Aymeric Elluin, expert armes à Amnesty international) - Monsieur le Ministre, je m'appelle Aymeric Elluin, je suis expert Armes à Amnesty International. Le 18 novembre, la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale a rendu public un rapport sur le contrôle des ventes d'armes de la France. Il fait le constat d'un manque de transparence du gouvernement, d'une interprétation trop extensive du secret-défense et appelle à la mise en place d'un contrôle parlementaire. Allez-vous enfin agir en faveur de moins d'opacité et encourager la mise en place d'un contrôle parlementaire en facilitant l'accès à certaines données ?

Q - Jean-Yves Le Drian, un contrôle parlementaire sur la vente d'armes, comme c'est le cas en Angleterre notamment ?

R - C'est une question juste, mais c'est une question à laquelle c'est toujours délicat de répondre. Mais je vais essayer de le faire le plus clairement possible. Quand j'étais ministre de la défense, je le dis à notre interlocuteur, j'ai fait en sorte qu'il y ait annuellement sur le bureau de la Commission des affaires étrangères et la commission de la défense de l'Assemblée nationale et du Sénat, un rapport exhaustif sur les ventes d'armes de l'année précédente. Ça, cela existe. Je l'ai institué. Et non seulement cela existe mais cela fait l'objet d'un débat, c'est-à-dire que la ministre de la défense vient devant les commissions ad-hoc et explique le document et répond aux questions. Est-ce que c'est suffisant aujourd'hui ? Sans doute pas. J'ai lu le rapport de M. Jacques Maire et de Mme Tabarot dont mon interlocuteur parle, il y a des propositions - il vient de sortir - des propositions intéressantes qui sont suggérées et je pense que le gouvernement sera appelé à s'en saisir en gardant, néanmoins, les responsabilités de chacun : la responsabilité de l'Etat et la responsabilité du parlement et en gardant évidemment la partie de secret-défense qui est tout à fait essentielle pour assurer la sécurité de la France.

Q - Questions Net (Mme Marie-Pierre Haddad) - Bonjour à tous, bonjour, Jean-Yves Le Drian. Alors un internaute a attentivement écouté vos propos concernant le vaccin et il s'étonne, il vous demande : "Mais pourquoi cette obsession du vaccin" et il vous demande "Est-ce qu'il ne faudrait pas justement mettre tout cet argent dans la recherche pour trouver un traitement plutôt qu'un vaccin ?"

R - L'un n'empêche pas l'autre ; c'est les deux. Le problème, c'est qu'à ma connaissance - mais je n'ai pas la compétence du ministre de la santé - parfois, j'ai eu l'impression ce matin d'être un peu ministre de la santé, je voudrais dire à Olivier Véran qu'il ne s'inquiète pas-....

Sur les vaccins, il y a une dimension internationale, mais sur les traitements aussi. Et je dis à notre interlocuteur que c'est la raison pour laquelle, à l'initiative du président Macron, il a été mis en place un dispositif qui s'appelle ACT-A - pour Accélérateur... je n'ai plus toutes les consonances qui vont après - mais accélérateur pour les vaccins et les traitements, qui est largement financé et par l'Union européenne et aussi par beaucoup des participations publiques et privées pour accélérer et la mise en eouvre des vaccins et la mise en oeuvre des traitements. C'est vrai qu'il faut faire les deux.

Q - Vous avez jugé les critiques contre le Conseil de défense comme pittoresques et Lise trouve qu'au contraire, cela ressemble à un huis clos qui nuit à la démocratie et elle vous fait une proposition : pourquoi ne pas accueillir à votre table le numéro 2 de l'Etat, Gérard Larcher, qui était justement à votre place au "Grand Jury" la semaine dernière ?

R - Le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale sont informés régulièrement de l'état d'avancement de nos décisions et de nos propositions et je crois que c'est bien ainsi. Il ne faut pas confondre les rôles : il y a le parlement et il y a le gouvernement, et si on confond les rôles, alors à ce moment-là, on va dans une forme de déresponsabilisation, et de l'un et de l'autre. Donc, il importe que le parlement soit ensuite informé, à commencer par les deux présidents des assemblées.

Q - Cette semaine, Ségolène Royal a déclaré comprendre que certains se sentent insultés - je la cite - par les caricatures de Mahomet. Donc, ces propos ont étonné et lui ont valu d'être critiquée par des députés de La République en marche ; est-ce que vous, vous comprenez ce qu'a voulu dire Ségolène Royal ?

R - Je comprends que certains... qu'une partie de la population des pays musulmans ait pu être choquée par les caricatures, mais cela ne m'amène pas à dire qu'il ne faut pas de caricature. Moi, je ne suis pas toujours d'accord avec toutes les caricatures, avec tous les dessinateurs, mais la liberté d'expression est à ce prix. Et donc, il faut qu'on accepte, en France, de ne pas être d'accord avec telle ou telle caricature. Et il est possible - et je crois que c'est sûr - que dans certains pays musulmans, les caricatures aient pu choquer. Oui, mais cela fait partie de nos libertés.

(...)

Q - Merci beaucoup, Jean-Yves Le Drian.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2020