Extraits d'un entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, avec France Inter le 21 novembre 2020, sur les vaccins contre le coronavirus, le G20, les relations économiques avec l'Afrique, le boycott des produits français et les tensions commerciales euro-américaines.

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Intervenant(s) : 
  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Média : France Inter

Texte intégral

Q - Bonjour, Franck Riester.

R - Bonjour.

Q - Ministre délégué en charge du Commerce extérieur. (...) Est-ce que vous avez rencontré, en tout cas c'est ce que vous deviez faire hier, des personnes du monde de la santé de chez Pfizer et Moderna ? Vous les avez vus ?

R - Oui, on les a rencontrés dans le cadre de ce qu'on appelle des mini-Choose France, c'est-à-dire des Webinaires où l'on parle avec des investisseurs étrangers qui sont déjà investisseurs en France ou qui seront investisseurs en France, des dispositifs que l'on met en place en France pour améliorer la compétitivité de notre pays et faire en sorte que ce plan de relance permette à des investisseurs de continuer notamment dans l'industrie, notamment dans le secteur de la santé en France pour créer de l'emploi et pour créer de l'activité.

Q - Et là, il s'agit des vaccins ?

R - Alors il s'agit d'un certain nombre d'entreprises qui étaient présentes hier qui produisent des vaccins, et donc on a parlé essentiellement des conditions de leur compétitivité plus que spécifiquement de leur stratégie de vaccin...

Q - Ils sont allés très vite quand même. Ils ont fabriqué... Enfin bon, on ne va pas rentrer dans les détails, mais en laboratoire des choses très vite.

R - Oui. Il y a une mobilisation mondiale très forte pour trouver un vaccin. C'est essentiel. Je pense qu'il y a plusieurs évidemment laboratoires qui ont fait des études très poussées, et la création d'un vaccin. L'enjeu, c'est ensuite de pouvoir mettre à disposition ces vaccins. Et donc, c'est toute la stratégie que prépare Olivier Véran au niveau français. Et la stratégie mondiale qui est en train d'être élaborée avec les chefs d'Etat et de gouvernement, notamment sous l'impulsion du Président de la République, avec l'initiative ACT-A, qui vise à faire en sorte qu'on s'assure que ce vaccin, et plus largement les traitements du Covid pourront être accessibles très largement dans tout le monde entier. Et y compris dans les pays dont leurs moyens financiers ne sont pas forcément à la hauteur de ce qui est en théorie nécessaire pour pouvoir fournir d'une façon rapide et universelle les vaccins. C'est le cas, par exemple, de l'Afrique, en particulier.

Q - Oui, bien sûr. Le marché est juteux commercialement parlant.

R - Il faut que les investissements de ces laboratoires, dans la recherche et l'innovation pour permettre de trouver un vaccin, puissent trouver ensuite une réponse et un retour financier, mais ce qui compte avant tout, c'est que ces vaccins puissent être mis à disposition du monde entier le plus vite possible, de la façon la plus équitable possible. C'est un grand défi. C'est un défi en France et c'est un défi dans le monde entier.

Q - Et comment est-ce que la France s'y prépare ? Il y a un calendrier pour l'arrivée de ces virus (sic). On parle au ministre du commerce extérieur là, des échanges commerciaux.

Q - Pas l'arrivée des virus : l'arrivée des vaccins !

Q - Des vaccins bien sûr ! Vous avez bien fait de me corriger.

R - Ecoutez, oui, oui. C'est des discussions qui sont entre le ministère de la santé et le ministère de l'économie et des finances et notamment du ministère de l'industrie pour voir quelles sont à la fois la capacité à produire les vaccins ou à s'approvisionner en vaccins et puis, deuxièmement, de voir quelle est la campagne de vaccination en fonction d'une hiérarchisation entre celles et ceux qui ont le droit...

Q - Les plus vulnérables...

R - Les plus vulnérables d'abord.

Q - C'est comme pour le vaccin pour la grippe finalement.

R - Oui, d'une certaine façon. Et ensuite j'insiste beaucoup, parce que le Président de la République y est très attaché, c'est aussi la responsabilité des pays qui vont produire ces vaccins de les mettre à disposition de toute l'humanité. Et ça, c'est un grand enjeu, ça va être forcément en discussion du G20 aujourd'hui, et c'est les discussions qu'il y a eues au sein du Conseil européen cette semaine. Les Européens et le Président de la République en premier lieu sont mobilisés pour que ces vaccins soient accessibles au monde entier le plus vite possible.

Q - Alors, ce G20 à distance, sous la houlette de l'Arabie saoudite, on va y parler de quoi ? De l'allègement de la dette, de la pandémie, du combat pour le climat ?

R - Oui, vous avez bien résumé les sujets de discussion.

Q - Les trois thèmes.

R - Vous savez que le multilatéralisme est en crise avec les Etats-Unis qui sont sortis de l'Accord de Paris, sont très récalcitrants à faire fonctionner normalement l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. On peut avoir un signe d'espoir avec l'engagement de Joe Biden de revenir dans ces instances multilatérales. C'est essentiel parce qu'il y a un certain nombre de sujets qui se traitent au niveau régional si on peut dire, par exemple au niveau européen, et d'autres dont les réponses sont au niveau global, au niveau multilatéral.

Et c'est pour cela que le G20 est important : c'est ces grandes puissances qui décident d'un certain nombre de sujets qui sont importants pour l'humanité tout entière, et notamment la question du climat, et notamment la question des dettes d'un certain nombre de pays, notamment les pays d'Afrique, parce qu'on voit bien qu'avec la crise les difficultés de financement de ces économies ont été amplifiées d'une façon très importante.

Là aussi, la France est à l'initiative, puisqu'au mois de mai à Paris aura lieu une grande conférence sur le financement des économies africaines, parce que nous devons revoir la façon dont sont financées ces économies africaines, sont financés ces Etats africains, parce qu'aujourd'hui, ils sont dans une situation de dette qui est préjudiciable pour leur développement futur.

Q - Et ils sont aussi sous l'influence de plus en plus de pays comme la Russie, la Chine.

R - Tout à fait.

Q - Il s'agit que la France reprenne un peu du marché sur place ?

R - Alors on a une stratégie finalement de renforcement de nos relations économiques avec les pays africains, mais au-delà de ça - et je me suis rendu en Afrique du Sud, je me suis rendu au Maroc, je me rendrai en début d'année prochaine dans un certain nombre de pays africains - parce que pour nous l'Afrique est absolument prioritaire ; c'est un continent qui est aux portes de l'Europe. Il faut savoir que les villes africaines doublent de population tous les dix ans. Il y a un potentiel considérable économique pour l'Europe et pour la France en particulier. Il faut s'en saisir, mais en partant d'un principe qui est de rénover la relation avec l'Afrique, de rénover la relation par l'Afrique, c'est-à-dire que c'est d'être dans une relation gagnant-gagnant ; c'est-à-dire des partenariats de long terme avec des investissements faits par la France en Afrique.

Il y en a déjà depuis longtemps mais de l'accroître pour que se développent aussi en Afrique des industries, des services, et je vous assure que quand vous allez en Afrique du Sud, quand je suis allé au Maroc, comme j'irai vraisemblablement très rapidement au Kenya, en Ethiopie ou au Nigeria, il y a un développement économique potentiel exceptionnel et la France veut y prendre toute sa part.

Pour autant, nous devons regarder aussi la question de la dette parce qu'il faut le faire d'une façon responsable, et c'est pour ça que cette initiative française qui va être évoquée notamment au G20, aujourd'hui, et surtout au sommet de Paris en mai prochain, pour prendre en compte la dette africaine et de voir de quelle manière on peut la rendre plus durable et plus soutenable.

Q - Franck Riester, est-ce que l'attribution de la présidence de ce G20 à l'Arabie saoudite ne pose pas un problème ? Le roi Salmane et les droits humains, ça fait deux. Des voix dissidentes qui sont réprimées, des militants qui sont en prison, des journalistes qui sont assassinés, il y a des disparitions plus ou moins mystérieuses, sans parler de la condition des femmes, dont on peut dire qu'elles sont mises sous tutelle, la peine de mort y compris pour les mineurs ; enfin, la liste est longue comme un bras. Comment est-ce qu'il faut agir, réagir avec des pays... ?

R - Vous savez, il y a un grand nombre de pays où il y a ce type de problèmes.

Q - Bien sûr.

R - Le choix que fait la France, c'est à la fois de travailler avec ces pays-là, et en même temps, d'avoir le courage et la force de dire un certain nombre de choses et de ne pas mettre sous le tapis ces problématiques-là et la France...

Q - "Ne pas mettre sous le tapis", la France dira un mot sur ces sujets pendant deux jours ?

R - Alors, la France a régulièrement l'occasion de s'exprimer spécifiquement sur ces questions-là, directement auprès des différents interlocuteurs qui sont les siens dans les différents pays qui sont concernés par ce type de problématique, mais aussi de le faire dans des instances plus multilatérales. Là, je ne sais pas si ça sera à l'ordre du jour d'un G20. Vous savez un G20, ça se passe, - en plus digital - c'est chaque chef d'Etat qui prend la parole l'un après l'autre sur des sujets qui sont, comme vous l'avez rappelé, d'importance unique : le développement durable, la gestion du Covid-19, les dettes africaines...

Q - Mais on peut faire passer des messages malgré tout, dans un discours.

R - On peut faire passer des messages. Je ne suis pas certain que ce soit lors de la tribune du G20 que ce soit la meilleure façon de faire passer le message.

Q - Un mot sur le boycott depuis près de trois semaines. La Turquie, une partie du Moyen-Orient, les Emirats aussi ont appelé au boycott des produits français par ceux qui estiment qu'Emmanuel Macron se moque du prophète. Est-ce que d'abord ça a été économiquement très préjudiciable à la France ?

R - Il y a eu des conséquences au boycott qui sont relativement circonscrites, mais on ne peut pas le nier. Aujourd'hui, les appels au boycott se calment. Il y a encore quelques pays où le boycott est présent. Il y en a environ cinq, six ou sept, surtout cinq... Et donc, il faut absolument trouver des solutions pour que le boycott cesse.

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je me rends en Jordanie, demain soir, pour un déplacement d'une journée, ensuite aux Emirats arabes unis, parce qu'il est important avec un pays ami comme la Jordanie de veiller à ce qu'il n'y ait aucun malentendu sur ce qu'est la position de la France concernant l'islam. Et puis, deuxièmement, de retrouver avec la communauté économique sur place les voies et moyens pour faire stopper ce boycott.

Clairement, c'est dans la lignée à la fois de l'interview du Président de la République à Al-Jazeera, du déplacement de Jean-Yves Le Drian, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dans le monde arabe. Nous avons besoin d'expliquer ce qu'est la position de la France. Nous ne sommes évidemment pas un pays qui attaque l'islam ou toute religion, c'est tout l'inverse. Nous sommes un pays qui permet à chaque Française ou à chaque Français ou à chaque personne sur son territoire de pouvoir pratiquer sa religion librement, à commencer par l'islam. Les musulmans sont des citoyens à part entière, bien évidemment ; par contre nous sommes attachés : 1) à lutter contre le terrorisme islamiste et 2) à protéger nos valeurs, à commencer par la liberté d'expression qui passe par, notamment, la liberté de caricaturer. Et ce message-là, il faut l'expliquer.

Q - On connaît la position de la France ici. Mais c'est la Turquie et son leader Erdogan qui soufflent sur les braises. On n'a plus de rapports du tout ni économiques ni politiques avec lui ?

Q - Et il y a des Arméniens qui ont dit : est-ce que vous attendez qu'ils soient aux portes de Vienne pour avoir peur ?

R - C'est vrai que la Turquie joue un rôle condamnable en matière d'instrumentalisation du discours du Président de la République ou des positions de la France, afin de nuire à la France et nuire aux valeurs que porte la France. Il faut le dire et je le dis.

Q - Est-ce qu'on a encore des contacts économiques avec eux ?

R - Oui, on a des rapports économiques avec eux et des rapports politiques avec eux et c'est important parce qu'on souhaite que la Turquie change. On souhaite que ce comportement change. Ce comportement d'expansionnisme en Méditerranée orientale avec ces forages qui portent atteinte à la souveraineté chypriote et grecque ; que cessent les comportements, notamment en Afrique du Nord, avec un certain nombre de trafics d'armes ; qu'elle cesse d'instrumentaliser la question migratoire par rapport à l'Europe ; on sait bien qu'ils jouent sur cette corde-là et ce n'est plus possible.

Et donc nous avons un discours très clair avec la Turquie qui est un grand peuple, qui est un grand pays avec lequel on a envie d'avoir des relations diplomatiques et économiques, mais avec lequel on doit avoir un discours de vérité parce qu'on ne peut pas continuer comme ça. C'est un discours que porte l'Europe, et pas simplement la France, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle une nouvelle fois, au prochain Conseil européen, cette question turque sera abordée pour voir de quelle manière contraindre peut-être un peu plus, voire beaucoup plus, la Turquie parce que son comportement, notamment dans la crise du Haut-Karabagh, est inadmissible.

Q - Franck Riester, il nous reste un peu plus d'une minute. Je voudrais vous parler de la guerre commerciale avec les Etats-Unis. Les Européens ont été autorisés à leur tour par l'OMC d'appliquer ou de surtaxer les importations américaines. Que trouve-t-on d'ailleurs dans la liste des produits américains que les Européens vont payer plus cher ?

R - Des avions déjà.

Q - Boeing, oui.

R - Boeing et puis un certain nombre d'autres...

Q - La liste est déterminée, définie ? Ça a été négocié ?

R - Oui, oui, ça y est. Ça a été défini, négocié. Ça a été défini par la Commission après négociation avec les Etats membres. Il y a des produits agroalimentaires, il y a des produits d'équipement, il y a des tracteurs, il y a du ketchup, il y a du jus d'orange, etc... Et donc, l'idée, c'est quoi ? C'est de dire : on a besoin d'être dans une relation renouvelée avec les Etats-Unis, on doit être d'égal à égal. Donc, l'Europe doit assumer sa puissance commerciale et économique.

Et donc, à partir du moment où malgré toutes nos démarches, les Etats-Unis n'ont pas retiré leur taxe sur Airbus, eh bien on a dit qu'à partir du moment où l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, nous a permis de le faire, on a nous aussi appliqué des surtaxes aux produits américains. L'ambition, c'est qu'ils comprennent qu'on est une puissance, qu'on doit être respecté, qu'on joue d'égal à égal et que, donc, on rentre dans une négociation apaisée pour qu'ensemble il y ait une désescalade des taxes parce que ce n'est l'intérêt de personne, ce n'est pas l'intérêt des entreprises françaises et européennes, ce n'est pas l'intérêt des entreprises américaines.

À un moment où on est en crise économique liée à la crise Covid, nous devons trouver les voies et moyens pour que les échanges commerciaux reprennent plus fortement. Et ce n'est pas en mettant des surtaxes qu'on le fera. Pour autant, l'Europe doit être respectée et on se fait respecter à travers ce type de taxe.

Q - Et avez-vous déjà quelques signaux pour penser qu'avec Joe Biden, ça va changer de ton ?

R - Alors, ça va changer de ton. Ça va changer sur la partie de développement durable puisqu'il a annoncé qu'il allait revenir sur l'Accord de Paris.

Q - Enfin, qui n'est pas un accord contraignant, donc c'est plus facile de s'engager.

R - On va le retrouver dans les institutions multilatérales. Pour autant sur les questions commerciales, ça continuera d'être dur et pour qu'on puisse être entendu, il faut aussi que nous soyons forts. Les Européens ont montré qu'ils étaient unis en la matière et forts. Je vois d'ailleurs, dans les premières discussions que nous avons avec l'administration américaine, que l'état d'esprit change ; ils ont compris qu'on ne céderait pas et qu'on continuerait de protéger nos entreprises.

Q - Merci Franck Riester qui sera donc demain en Jordanie pour expliquer la politique de la France, et notamment sa politique des droits de l'homme et sa politique commerciale. Merci d'être venu le dire ce matin sur France Inter.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2020