Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (nos 3533).
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Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. En présentant le projet de loi de programmation de la recherche au Parlement, au début de l'automne, j'étais venue, au nom du Gouvernement, proposer à la représentation nationale un projet d'avenir : celui de renouveler la confiance que notre pays a placée dans la science tout au long de son histoire pour se construire, pour accomplir ses promesses d'émancipation et de progrès, pour triompher des épreuves qui se présentaient à lui. C'est ce choix qu'a entériné la commission mixte paritaire réunie lundi dernier au Sénat. Grâce à l'accord auquel elle est parvenue, un nouveau pacte est sur le point d'être scellé entre la France et la science, à travers ce qui, j'en suis convaincue, est un grand texte – un texte majeur pour la recherche comme pour la société, car il rend à l'une un horizon et à l'autre un avenir.
Ce texte doit beaucoup à la concertation et au débat, en particulier aux débats qui se sont tenus à l'Assemblée nationale et au Sénat ces derniers mois. Je remercie tous ceux qui lui ont permis d'évoluer, de progresser et, désormais, d'aboutir : le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Bruno Studer, la rapporteure Danièle Hérin, les rapporteurs thématiques Pierre-Alain Raphan, Valérie Gomez-Bassac et Philippe Berta, et les rapporteurs pour avis, Francis Chouat et Richard Lioger. Votre travail rigoureux et exigeant, constructif et ouvert, a été d'une immense richesse.
Lorsque les discussions se sont ouvertes, en septembre, j'avais émis le souhait que l'esprit rationnel et libre de la recherche scientifique inspire nos échanges ; ce voeu a été exaucé et je tenais à vous en remercier tous. Nous pouvons collectivement en être fiers – fiers de la tenue des débats, dans une période où l'attention du monde entier se porte sur la recherche et les espoirs qu'elle suscite. Fiers aussi du texte qui vous est soumis aujourd'hui : grâce aux travaux de la commission mixte paritaire, nous disposons d'un projet de loi robuste, riche et équilibré qui harmonise les points de vue des deux chambres sans pour autant araser leurs apports respectifs.
La recherche ne se porte jamais aussi bien que lorsqu'elle est soutenue par une vision politique forte, et c'est cette vision que nous avons explicitée, partagée, affinée, consolidée durant près de deux ans de travail collectif, nourri par les rapports des trois groupes de travail constitués en février 2019, par les milliers de contributions de la communauté, par les dizaines de déplacements sur le terrain, les centaines d'heures de débat avec les instances consultatives concernées, enfin par des travaux parlementaires particulièrement constructifs.
Cette vision, j'ai déjà eu l'opportunité de la développer devant vous, aussi je ne m'y étendrai pas, sinon pour rappeler que la recherche est une force d'élucidation, d'invention, d'union dont il est inconcevable de se dispenser, aujourd'hui encore moins qu'hier. Comment avancer dans ce monde incertain sans faire la lumière sur sa complexité et sans démêler l'écheveau de ses énigmes ? Comment bâtir une société et une économie durables et résilientes sans aller chercher sur le front des connaissances des ruptures qui nous permettront de produire, de cultiver, de vivre autrement tout en favorisant la croissance de nos entreprises ? Comment retrouver le chemin d'une nation unie dans ses différences sans retrouver celui du débat éclairé, respectueux des faits établis et de la rationalité, porté par la démarche scientifique ?
Grâce au travail que nous avons accompli ensemble, cet idéal trop longtemps affiché sans avoir été concrétisé trouve enfin un point d'ancrage dans la réalité à travers une programmation ambitieuse et inédite, mais aussi soutenable et sincère. Cette programmation est, d'abord et avant tout, un texte de confiance entre l'État et les chercheurs, la science et la société. Le travail parlementaire a permis de l'approfondir encore davantage en apportant des garanties, des précisions, des enrichissements sur des points clés, au coeur des engagements pris sur le berceau de cette loi.
Nous avons promis à nos chercheurs de la visibilité : nous leur présentons une programmation claire, transparente, qui construit palier par palier, sur une décennie, une trajectoire à l'issue de laquelle la recherche disposera d'un budget minimal de 20 milliards d'euros par an, contre 15 aujourd'hui. Derrière cette vision macroscopique, il y a l'assurance, pour des milliers de chercheurs, que les travaux qu'ils lancent aujourd'hui pourront être soutenus jusqu'à leur terme – car dix ans, ce n'est certes pas l'unité de temps politique, comme cela a été suffisamment souligné, mais c'est bien l'unité de temps scientifique. En l'espèce, j'assume parfaitement d'avoir privilégié la seconde.
Nous devions aussi garantir que cette trajectoire reste en prise avec le réel, avec les évolutions de notre société, de notre économie. C'est pourquoi une disposition prévoit une actualisation de la programmation au plus tard tous les trois ans.
Enfin, ce qui fait la force et la crédibilité de cette trajectoire, c'est son articulation avec son environnement budgétaire national et européen, et sa synergie avec les autres ressources de la recherche française. Nous avons donc étendu la visibilité promise aux chercheurs aux autres moyens dont la recherche disposera durant la prochaine décennie, à commencer par le plan de relance. Comme nous avions promis aussi à nos chercheurs des moyens, grâce à l'accord trouvé lundi dernier en CMP, les moyens seront au rendez-vous dès 2021. Les crédits de base des laboratoires vont augmenter de 10 % à la rentrée prochaine et de 25 % à l'horizon 2023.
Parallèlement la montée en puissance du budget de l'ANR sera amorcée avec une hausse de 428 millions d'euros sur deux ans dans le cadre du plan de relance, de 186 millions supplémentaires en 2021 et 142 millions supplémentaires en 2022, pour atteindre un milliard d'euros par an en 2030. Je me réjouis que les travaux de la CMP aient permis d'intégrer cette nouvelle trajectoire au texte, consacrant ainsi l'effort réalisé en début de programmation. Cette évolution doit beaucoup à vos travaux.
Dans le même temps, le taux de succès aux appels à projet de l'ANR sera progressivement porté à 30 % pour rendre ces financements accessibles aux projets exploratoires, aux projets en prise directe avec les défis contemporains, et le préciput atteindra les 40 % pour pouvoir distribuer plus de 450 millions d'euros de crédits de base supplémentaires par an afin d'irriguer toutes les disciplines, bien au-delà des seules équipes lauréates. Ainsi, non seulement la programmation respecte la balance entre financements récurrents et financements sur projet, mais elle introduit de la solidarité dans la compétition et de la diversité dans l'excellence.
Redonner des moyens à notre recherche, ce n'était pas seulement mieux la financer, mais aussi faire émerger une nouvelle génération de scientifiques, prêts à la faire vivre et rayonner, car avant l'argent, le nerf de la recherche, ce sont les talents. La programmation donne aujourd'hui les moyens d'attirer les meilleurs. Le travail parlementaire consacre l'accord historique conclu entre le Gouvernement et les partenaires sociaux pour redonner aux rémunérations et aux carrières scientifiques l'attractivité qu'elles méritent.
M. Pierre Cordier. « Historique » ! Ils n'ont que ce mot à la bouche à la LaREM !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Quand le débat parlementaire avançait, le dialogue syndical se poursuivait et l'un et l'autre ont permis d'aboutir à plus de visibilité, de sécurité, de garanties.
Ainsi, dès l'an prochain, tous les métiers de la recherche seront revalorisés par la convergence des systèmes indemnitaires et tous les parcours bénéficieront de nouvelles dynamiques. Les jeunes chercheurs seront recrutés à au moins deux SMIC. Le démarrage de leurs travaux sera soutenu par une enveloppe de 10 000 euros en moyenne. En amont, les tout premiers pas dans la recherche seront mieux accompagnés grâce à des doctorats davantage financés et des transitions professionnelles plus encadrées. Sur ce point aussi, le travail parlementaire a été particulièrement précieux.
Il a en particulier permis de sécuriser les nouveaux dispositifs contractuels créés par la loi, à commencer par le contrat doctoral de droit privé et le contrat post-doctoral. Il est désormais précisé pour le premier que les activités de recherche confiées au doctorant salarié seront en adéquation avec son sujet de thèse et constitueront bien l'objet principal de son contrat de travail, ce dont les écoles doctorales s'assureront.
Les débats parlementaires ont également permis de préciser et de sécuriser les conditions de prolongation de ces contrats, notamment en cas de congé de maternité ou de maladie. Le même dispositif est prévu pour le contrat post-doctoral. Des garanties complémentaires sont apportées aux doctorants et postdoctorants grâce au décret d'application de l'article.
La programmation conforte par ailleurs l'emploi scientifique en créant plus de 5 200 postes, y compris dans le champ du soutien technique à la recherche, et en ouvrant aux chercheurs des voies supplémentaires de recrutement, les chaires de professeur junior. Là encore, un bel équilibre a pu être trouvé entre la nécessaire protection du parcours académique classique et l'expérimentation de nouveaux dispositifs qui seront un atout indéniable pour notre pays dans la course internationale aux talents.
Cette loi, comme je l'ai dit à maintes reprises, n'est pas une réforme de structure, mais bien davantage une boîte à outils mise à disposition des établissements, qui sont libres de s'en saisir pour bâtir leur stratégie scientifique. Les chaires de professeur junior sont un de ces outils, tout comme les CDI de mission scientifique. La possibilité pour les universités qui y seront autorisées par dérogation et à titre expérimental d'ouvrir certains concours de recrutement de maîtres de conférence sans obligation de qualification est un autre de ces instruments, mais – je tiens à le dire clairement – la qualification demeure la voie de droit commun pour l'entrée dans le corps des enseignants chercheurs et, évidemment, le CNU n'est pas supprimé.
Cette disposition suscite de nombreuses réaction au sein de la communauté universitaire. Si les établissements représentés au sein de la conférence des présidents d'université et de l'Udice – association d'universités de recherche françaises – soutiennent cette démarche, celle-ci génère aussi des interrogations, voire des protestations, principalement au sein des sections du CNU. Mais, et je m'en réjouis car c'est essentiel, la loi prévoit qu'avant tout déploiement, les modalités qui relèvent toutes du réglementaire seront toutes discutés.
Ainsi, pour préparer le décret d'application de l'expérimentation, je souhaite comme de nombreux membres de votre assemblée, que le dialogue soit significativement élargi, qu'il porte sur l'ensemble des sujets réglementaires qui déterminent la manière dont on devient enseignant-chercheur, du doctorat à l'entrée dans le corps, afin que nous puissions déterminer dans les prochaines semaines le point d'équilibre entre la nécessaire organisation des différentes disciplines selon leurs spécificités et le besoin d'autonomie des établissements. Je le ferai, bien sûr, avec l'ensemble des parties prenantes, conférences d'établissements, organisations représentatives des personnels, ainsi que l'ensemble des parlementaires qui souhaiteront s'y associer et, naturellement, le CNU. Je proposerai dans les prochains jours le format de cette concertation et nous prendrons tout le temps nécessaire à cette fin.
Enfin, ce dispositif fera l'objet d'une évaluation en toute indépendance par le HCERS d'ici cinq ans. Je le répète ici, l'importance du CNU n'est en aucun cas remise en cause par cette mesure. Il ne s'agit pas non plus de confier un chèque en blanc aux établissements : ils devront garantir la transparence, l'excellence et la qualité de leurs procédures de recrutement, et s'engager à réduire le localisme.
En février 2019, à l'aube de ce projet de loi, nous avions promis à nos chercheurs du temps, parce que le temps est la matière première de la recherche. Là encore, la promesse a été tenue.
M. Pierre Cordier. Ça aussi, c'est historique ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. En renforçant le nombre d'ingénieurs et de techniciens dans les laboratoires grâce à l'ouverture de postes supplémentaires de titulaires et à la création des CDI de mission scientifique, nous rendrons les chercheurs à la recherche, alors qu'aujourd'hui, ce sont parfois les doctorants qui pallient le manque de personnel technique. En augmentant les CRCT – congés pour recherches ou conversions thématiques –, les capacités d'accueil et les UF, ou unités de formation, en délégation au CNRS – Centre national de la recherche scientifique –, nous permettrons aux enseignants-chercheurs de retrouver un équilibre entre leurs deux missions.
Enfin, lorsque nous nous attachons à réduire la part des taches administratives dans le quotidien de la recherche, comme nous le faisons en rationalisant le paysage foisonnant des appels à projet, nous redonnons de l'air aux laboratoires et rendons aux chercheurs toutes les heures consacrées à remplir des formulaires administratifs.
Toutes ces promesses de temps, de visibilité et de moyens participent en réalité d'un engagement plus fort encore envers nos chercheurs : celui de leur rendre la place qui leur revient dans notre vie culturelle et économique. Là encore, le travail parlementaire a été déterminant en désignant deux polarités essentielles des rapports entre science et société : les libertés académiques et l'intégrité scientifique. La recherche, tout comme l'enseignement, est libre : libre de s'aventurer sur tous les territoires de la connaissance sans se soumettre à aucune autre autorité que celle de la science, de la raison et du doute critique. Ni la religion, ni la politique, ni même la société ne peuvent dicter à la recherche sa conduite. C'est la République qui est la garante des libertés académiques et, inversement, ce sont ces libertés qui font le lit de notre République. Il n'y a pas de démocratie robuste sans connaissances de pointe pour éclairer citoyens et décideurs. Le texte réaffirme ce lien indissoluble et nous donne les moyens de mieux le protéger.
L'article qui introduit le délit d'entrave n'est en rien une entaille dans la liberté de manifester des étudiants ou des personnels. Le dispositif introduit dans le texte n'apporte rien qui n'existe déjà dans notre arsenal juridique et pénal. Il ne concerne ni les étudiants ni les personnels des établissements. Puisque des doutes semblent persister quant à la portée de cet article, j'écrirai par voie de circulaire à l'ensemble des établissements pour rappeler que jamais la libre expression et la liberté de mobilisation, qui sont au coeur de la tradition universitaire, ne pourront être remis en cause.
Mais il nous faut collectivement condamner toutes les tentatives de censure ou de pression exercées de l'extérieur sur ce qui est à la fois le ciment et l'oxygène de la communauté scientifique : la liberté d'enseigner, de chercher, de débattre. Le paradoxe de la recherche est que cette liberté est tout autant un droit qu'un devoir. Non seulement la recherche peut, mais elle doit refuser d'être inféodée à tout autre intérêt que celui de la connaissance. Elle doit être constamment alignée avec les valeurs de la science, sans quoi elle se renie elle-même.
Cette intégrité est la base de la confiance que les citoyens accordent à la communauté scientifique. Il était donc essentiel de l'inscrire dans la loi, car tous les dispositifs que nous voulons construire pour favoriser le dialogue entre chercheurs et citoyens reposent sur ce socle. L'intégrité scientifique est aussi la condition de la coopération entre le monde académique et l'ensemble de la société. La dynamique de l'innovation est désormais bien connue : elle ne découle pas de la recherche de façon linéaire, comme un fleuve de sa source. Elle résulte du choc entre une culture académique vouée au progrès des connaissances et une culture entrepreneuriale vouée au développement d'un produit jusqu'au marché.
On se souvient de Jean Perrin rappelant que ce n'est pas en voulant guérir le cancer que Marie Curie a découvert le radium et l'on sait aussi que ce n'est pas en perfectionnant la bougie qu'on a inventé l'ampoule électrique. Ce n'est qu'en restant fidèle à elle-même, en repoussant le front de la connaissance que la recherche peut être une source d'innovation de rupture pour nos entreprises.
C'est pourquoi la programmation n'a pas vocation à soumettre nos laboratoires publics à des visées économiques, mais à favoriser les allers et retours entre les deux mondes en favorisant les mobilités des chercheurs et des doctorants, en renforçant les dispositifs de recherche partenariale qui ont fait leurs preuves, afin que puissent jaillir de ces rencontres, croisements et inspirations mutuelles les étincelles de l'innovation.
Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, le texte qui vous est soumis aujourd'hui n'exprime pas seulement un consensus politique. Il traduit la volonté renouvelée de notre pays d'investir massivement dans sa recherche, de confirmer les grands principes qui la guident tout en offrant des perspectives nouvelles à ceux qui la font. Je tiens à nouveau à remercier la représentation nationale, qui a permis à un tel texte d'aboutir. Cette loi de programmation vous doit énormément et je sais pouvoir compter sur chacun d'entre vous pour veiller à ce que tous les engagements pris soient respectés. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)
source http://www.assemblee-nationae.fr, le 26 novembre 2020