Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec Europe 1 le 27 novembre 2020, sur l'Union européenne et la gestion de la crise sanitaire.

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Média : Europe 1

Texte intégral

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Q - Alors, la crise sanitaire, on y vient. D'abord sur les stations de ski. Clément Beaune, comment se fait-il que l'Europe n'arrive pas à se mettre d'accord sur une doctrine commune ? La France interdit les remontées mécaniques, le Premier ministre l'a rappelé, jusqu'à début janvier au moins, mais pas la Suisse, ni l'Autriche. Quant à l'Espagne, elle devrait rouvrir les stations puisque ce sont les régions qui décident. Cela veut dire qu'on va faire 30 km de plus, si l'on veut skier, et on pourra skier dans un pays étranger, ce qui évidemment a des implications économiques pour l'industrie du ski français.

R - Vous avez raison mais on est parfois un peu paradoxal, parce que si je vous avais dit il y a quelques semaines, "c'est l'Europe qui va décider pour l'ouverture des stations de ski", tout le monde aurait rigolé. Et vous avez cité d'ailleurs cet exemple, mais j'y viens. Dans beaucoup de pays, en Suisse, en Espagne, en Autriche, ce ne sont parfois pas les gouvernements nationaux, eux-mêmes, donc, ce qu'on reproche à l'Europe, d'une certaine façon, on devrait commencer à en faire le reproche aux gouvernements nationaux dans certains pays qui n'ont pas de compétences, c'est comme ça, ils sont organisés comme ça. En Suisse, ce sont les cantons qui décident, par exemple ; en Espagne, ce sont les communautés régionales.

Néanmoins, cela ne suffit pas de faire ce constat. On a lancé pour la première fois une coordination européenne à l'initiative du Président de la République ; au moment où je vous parle, le Premier ministre Jean Castex échange avec le Premier ministre italien. Et d'ores et déjà, si la Chancelière Merkel et le ministre-président de Bavière, en Allemagne, si le Premier ministre en Italie ont annoncé qu'ils étaient plutôt sur une ligne de fermeture et de fermeté, c'est aussi parce qu'on a initié cette coopération européenne, et pour éviter qu'il y ait une concurrence injuste.

Q - Vous pensez qu'on peut arriver à tordre le bras aux Suisses et aux Autrichiens ?

R - Je ne dirais pas "tordre le bras" ; nous avons eu encore aujourd'hui là aussi par le Premier ministre une discussion avec la présidente suisse. J'espère qu'on peut y arriver. Mais parfois, encore une fois, ce ne sont pas toujours les gouvernements nationaux qui décident. Donc, concrètement, qu'est-ce qu'on fait ? On prend nos propres mesures au regard des informations sanitaires ; c'est ce qu'ont commencé à annoncer le Président et le Premier ministre cette semaine. Et puis, on coordonne pour éviter qu'on soit dans une situation ubuesque où effectivement...

Q - C'est une distorsion de concurrence, d'une certaine manière...

R - C'est une distorsion de concurrence, oui, qui jusque-là ne posait pas de problème, puisqu'on n'a jamais été dans cette situation où la crise sanitaire nous imposait ces réflexions.

Et donc, on crée, en marchant, une coordination européenne qui n'existait pas et qui a déjà permis d'aligner nos positions avec l'Allemagne et l'Italie, ce n'est pas si mal. Et nous continuons parce que le Premier ministre a à coeur, évidemment, que les professionnels de ce secteur soient protégés.

Q - Clément Beaune, sur les vaccins. Là encore, pardon de vous poser la question comme cela, mais pourquoi ne pas avoir harmonisé nos stratégies de vaccination avec nos voisins ? Je crois que le défi est absolument colossal. L'Union a précommandé, dites-moi si je me trompe, auprès de six différents laboratoires, jusqu'à quasiment deux milliards de doses, dont 15% sont pour la France. Les chiffres sont bons ?

R - Oui, alors, là aussi, il faut être juste si vous me permettez. Vous parlez de la stratégie vaccinale. Commençons par le commencement : les vaccins eux-mêmes, nous les commandons dans un cadre européen. Cela n'existait pas du tout il y a encore quelques semaines. On a créé une négociation européenne pour avoir des contrats moins chers et surtout pour avoir des contrats qui couvrent toute la population européenne. Imaginez ce que vous me dites pour les stations de ski, si on l'avait vécu pour le vaccin. Il y aurait eu le vaccin en Italie et pas en France, ou l'inverse, ce n'aurait pas été une très bonne image de l'Europe.

Donc, on a le vaccin...

Q - Vous savez que les Français ont une attente forte, là pour le coup, sur l'Union européenne, parce que c'est vrai que c'est la première grande crise sanitaire que traverse l'Union européenne et on s'attendait à ce que l'Union européenne soit peut-être plus unie pour faire face à cette crise sanitaire qu'elle ne l'est aujourd'hui.

R - Il y a des domaines où cela n'a pas bien marché, mal marché, il faut le dire, et puis il y a des domaines où cela a bien marché. Le vaccin est un domaine où cela a bien marché, à l'initiative de la France d'ailleurs. Je veux dire à tous ceux qui nous écoutent, il y a effectivement plus d'1,5 milliard de doses, des vaccins de différents laboratoires qui ont trouvé des candidats vaccins sérieux, tous ceux dont on a parlé, Pfizer, Moderna, bientôt j'espère Sanofi et d'autres. On a réservé tous ces vaccins. On les aura vite, c'est une question de semaines, après homologation par une autorité, là aussi, européenne, parce qu'il faut avoir les vaccins, mais il faut qu'ils soient sûrs et vérifiés. Et c'est financé d'ailleurs, en très large partie, par le budget de l'Union européenne.

Q - Mais c'est chaque pays qui décidera de sa stratégie pour la vaccination ?

R - Non, justement, nous avons initié maintenant une coordination sur la stratégie elle-même et nous sommes, notamment avec l'Allemagne, pour que ces deux grands pays européens les plus proches soient le mieux coordonnés possible. C'est ce que fait Olivier Véran, et c'est ce que je fais avec lui, quasiment tous les jours. Nous sommes coordonnés avec l'Allemagne pour définir les mêmes priorités, les mêmes publics prioritaires. Nous le ferons dans les quelques jours ou semaines qui viennent, nous l'annoncerons. Mais là aussi, effectivement, nous cherchons une coordination européenne. Je veux quand même dire pour être concret : le plus important, c'est néanmoins que l'on ait tous le vaccin.

Q - Et on commencera quand la campagne de vaccination en France - pour terminer ?

R - Ecoutez, dès que c'est possible.

Q - Le Président a dit "fin décembre, début janvier" ?

R - Oui, le Président a donné...

Q - C'est demain !

R - Oui, c'est demain, c'est très rapide en tout cas. On a vu qu'il y avait les premiers vaccins qui sont manifestement prêts. Ils doivent être, encore une fois, validés par les autorités sanitaires pour être sûrs ; et on doit pouvoir être en situation de commencer effectivement dans la période des fêtes ou un peu plus tard, en tout début d'année. Mais c'est une question maintenant de semaines. Donc, c'est imminent.

Q - Merci, Clément Beaune.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2020