Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à Europe 1 le 4 décembre 2020, sur la stratégie vaccinale de l'Union européenne pour faire lutter contre l'épidémie de Covid-19.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Bienvenue et bonjour Clément Beaune

R - Bonjour.

Q - Le gouvernement français a décliné hier sa stratégie vaccinale en insistant sur la coopération européenne. En quoi, dites-nous, c'est un gage d'efficacité surtout pour nous Français ?

R - Ecoutez, c'est un gage d'efficacité parce que nous avons réussi en quelques semaines seulement, à l'initiative de la France, à signer six contrats qui représentent au total pour l'Europe plus de 1,5 milliard de doses, et nous avons aussi des procédures européennes d'autorisation de ces vaccins qui sont communes et qui sont, là aussi, une garantie de sécurité.

Je sais qu'on a parlé ces derniers jours d'un vaccin au Royaume-Uni. On aurait pu faire le choix d'une procédure nationale, c'est autorisé par les règles européennes donc c'est un choix que nous avons fait, mais qui permet justement de concilier la rapidité, l'achat commun - donc l'achat aussi moins cher -, la garantie d'accès à tous les vaccins et une parfaite sécurité puisque nous avons ces procédures qui ne sont pas des procédures accélérées, comme en ont fait le choix les Britanniques, pour garantir cette sécurité, cette confiance.

Q - Mais vous laissez entendre là que les Britanniques n'ont pas pris toutes les précautions nécessaires?

R - Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Ce que je veux dire, c'est qu'ils ont choisi une procédure nationale. Cela n'a rien à voir avec le Brexit parce qu'ils sont jusqu'au 31 décembre dans les mêmes...

Q - Pourtant ils disent que c'est grâce au Brexit qu'ils sont allés plus vite.

R - Oui, c'est peut-être une même stratégie qui est une stratégie de montrer que le pays fonctionne tout seul, qu'il est autonome etc. C'est leur choix, c'est leur discours. Ce n'est pas le nôtre sinon on ferait un choix général de sortie de l'Union européenne. Ce n'est pas du tout notre démarche. Les Britanniques en vérité jusqu'au 31 décembre sont dans le cadre juridique européen. Ils peuvent, comme chaque pays européen, faire un choix de procédure nationale strict et de procédure accélérée. Ils ont fait ce choix, mais je demande que l'on ne juge pas sur un seul vaccin et que l'on regarde à la fin des choses : il y aura six vaccins au moins, six contrats européens et c'est une question de jours. L'Autorité européenne est saisie de ces premiers vaccins et elle a annoncé elle-même qu'elle donnerait ses premiers résultats d'ici la fin de l'année.

Q - Oui, vous avez raison M. Beaune. C'est une question de jours et pourtant le Royaume-Uni crie à la victoire politique, à la célérité britannique. C'est ce qu'on retiendra plus tard.

R - Oui. Ecoutez, "on retiendra", on verra. On retient aujourd'hui un coup sans doute un peu de communication qui a permis de dire que le vaccin était là. D'abord la campagne, à ma connaissance, n'a pas commencé au Royaume-Uni. Un vaccin, c'est utile quand cela arrive jusqu'à la personne qui en bénéficie. Et puis encore une fois, on le sait, on l'a présentée hier, c'est une stratégie qui repose sur plusieurs vaccins, qui s'étalent dans le temps. Donc il faut concilier la rapidité et la sécurité.

Q - Et j'ajouterai la transparence. Faut-il rendre publics les contrats signés entre les laboratoires mondiaux et la Commission européenne ?

R - Alors la transparence, c'est d'abord la qualité de l'information scientifique. Et vous l'avez d'ailleurs rappelé dans votre journal : toutes les informations scientifiques - c'est pour ça qu'on prend le temps des procédures - sont transmises à une autorité indépendante. Si on vous donne l'information scientifique à vous, à moi, honnêtement je crois qu'on sera peu capable de l'évaluer. Donc, il faut que les laboratoires transmettent toute l'information aux autorités scientifiques indépendantes qui évaluent. C'est ce que l'on fait au niveau européen. Ensuite ces contrats eux-mêmes, ils ont des clauses financières, des clauses budgétaires etc...

Q - Mais vous comprenez, pardonnez-moi...

R - Bien sûr.

Q - À ce sujet, on a besoin de comprendre in fine quelle sera la responsabilité juridique et financière ? À qui elle incombe, cette responsabilité, en cas d'effets secondaires.

R - Bien sûr. Sur cette transparence d'abord, je souhaite, la France souhaite, que l'on puisse avoir une fois que les contrats seront finalisés, que les autorisations seront données, toute la transparence. Les députés européens s'en préoccupent, ils ont raison, et la Commission européenne, je le crois, leur donnera l'accès pour contrôler de manière démocratique ces contrats et les vérifier.

Q - C'est important ce que vous nous dites ce matin. Parce que des eurodéputés comme Pascal Canfin et d'autres demandent justement à voir ces contrats négociés, je le rappelle, au nom des pays de l'Union, donc au nom de la France. Vous nous dites que la Commission devrait leur donner l'accessibilité à ces contrats.

R - Absolument, je crois que c'est nécessaire. Alors il faut le faire dans un cadre précis parce qu'il faut comprendre aussi - et ça protège parfois d'ailleurs des entreprises européennes - que l'on ne peut pas toujours tout livrer et être les seuls, nous Européens, à livrer des informations industrielles ou de marché qui nous protègent aussi. Mais que les élus européens vérifient ces contrats, je pense que c'est sain, nous le soutenons et je pense que ce sera le cas dans les prochaines semaines.

Q - Vous le soutenez en tant que secrétaire d'Etat aux affaires européennes ?

R - Absolument.

Q - Alors Clément Beaune, le vaccin il est gratuit, il n'est pas obligatoire mais sera-t-il indispensable pour voyager en Europe et au-delà ?

R - Ecoutez pour l'instant, c'est un point qui n'a pas été décidé par les Européens.

Q - Il faut peut-être l'anticiper. Ça vient vite.

R - Oui, bien sûr. On y réfléchit mais je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne idée parce que, on l'a dit hier, il y a différentes phases. Et les phases, elles répondent à des impératifs de santé publique. D'abord les personnels soignants, puis des personnes plus vulnérables ou âgées et puis, disons, le grand public, et cela sera vers le printemps pour l'immense majorité des personnes. En attendant, vous avez des gens qui ont besoin de circuler et de voyager. Ce n'est pas simplement les vacances ou le plaisir. Les travailleurs frontaliers qui ont besoin d'aller en Allemagne, au Luxembourg tous les matins pour gagner leur vie, est-ce qu'on va leur interdire de voyager en attendant qu'il y ait un vaccin...

Q - Vous, vous dites non. Vous ne le souhaitez pas ?

R - Je ne pense pas que ce soit une bonne idée à ce stade en tout cas, tant qu'on n'a pas une vaccination généralisée et d'ampleur.

Q - Très bien. Mais si les compagnies aériennes l'exigent, il devient de fait obligatoire pour une partie de la population. Est-ce que vous pouvez vous opposer et dire que ce n'est pas de leur fait et de décider d'un passeport sanitaire ?

R - Oui. Je pense que... Ce n'est pas le Far West, il y a des règles pour tous les secteurs et si...

Q - Parfois, on a l'impression que ça l'est.

R - Justement, on essaie de mettre de la coordination européenne. Parfois c'est difficile. Mais sur le vaccin, vous le voyez, cela marche et nous avons en Europe dans les premiers au monde ces vaccins disponibles et tous les vaccins seront disponibles, j'insiste encore. Et donc ces règles pour le voyage, nous les encadrerons aussi au niveau européen par les règles publiques et communes. Mais je ne crois pas que l'idée d'un passeport sanitaire soit aujourd'hui la meilleure option.

Q - Bon, c'est important de l'entendre évidemment de votre bouche. Clément Beaune, au moment où l'on parle de cette coopération européenne, on arrive dans la dernière ligne droite des négociations sur un éventuel accord post-Brexit. Le risque de ne pas aboutir à un deal est plus que jamais réel ?

R - Ce risque existe, il ne faut pas le cacher parce qu'ensuite ce sont des entreprises, nos pêcheurs, des citoyens qui voyagent qui doivent le savoir. Et donc, il faut se préparer à un risque de no deal, c'est-à-dire qu'au 31 décembre, nous n'ayons plus une libre circulation, un libre accès au marché britannique et réciproquement. Mais ce n'est pas ce que l'on souhaite et la négociation à l'heure où nous parlons se poursuit avec Michel Barnier qui est à Londres en ce moment, et j'espère encore que l'on peut avoir un accord. Mais je veux dire aussi à nos pêcheurs, à nos producteurs, aux citoyens qui nous écoutent que nous n'accepterons pas un accord à de mauvaises conditions.

Q - C'est-à-dire ? Dites-moi. Si vous ne l'acceptez pas, est-ce qu'il y a un risque de veto de la France ? On l'a lu hier notamment sur Bloomberg, il y a une menace de veto de la France sur un éventuel accord qui ne serait pas gagnant du tout pour la France.

R - Je vais vous dire, je n'aime pas raisonner comme cela parce que l'on défend nos intérêts en commun au niveau européen. La France est attachée à l'intérêt des pêcheurs, est attachée à des conditions de commerce qui sont équitables, et je pense que c'est aussi le cas de nos partenaires. Si, - si - il y avait un accord qui n'était pas bon, qui selon notre évaluation ne correspondait pas à ses intérêts, eh bien nous nous y opposerions. Nous l'avons toujours dit.

Q - Avec un veto ?

R - Oui. Chaque pays a un droit de veto. Donc, c'est possible.

Q - Donc, la France se donne les moyens de l'utiliser ?

R - La France comme tous ses partenaires a un moyen de veto, et nous ferons notre propre évaluation bien sûr de ce projet d'accord s'il existe. C'est normal. Nous le devons aux Français, nous le devons à nos pêcheurs et à d'autres secteurs économiques. Mais je veux croire qu'on peut avoir un accord et un bon accord. Mais pour avoir un accord, vous savez, le mieux c'est d'être franc et de dire qu'on a des intérêts.

Q - Qui ne l'est pas ?

R - Eh bien nous, nous avons toujours été transparents, parfois les Britanniques un peu moins, sur nos intérêts. Hier encore avec le Premier ministre et plusieurs membres du gouvernement, nous avons rappelé à Boulogne, à Calais, à nos pêcheurs que nous défendions leurs intérêts.

Q - Au moment où on parle, justement, de coopération européenne, la France, Clément Beaune, ferme les remontées mécaniques en laissant accessibles les stations de ski. L'Autriche ouvre les stations et ferme les hôtels. L'Allemagne ferme ses stations. L'Espagne prévoit de les ouvrir. Je continue? Elle est belle la coopération européenne !

R - Vous pourriez continuer, mais justement...

Q - La liste est tellement longue.

R - Oui. Mais d'abord dans ces pays, parfois il y a des différences entre régions. Donc vous voyez que ce n'est pas seulement un problème européen. Mais nous avons dit que nous voulions mener une coordination européenne et elle commence à fonctionner. J'insiste parce que...

Q - Sincèrement, en quoi?

R - Si, si, si, si. Attendez.

Q - Donnez-moi un exemple.

R - Je vous donne deux exemples tout de suite : l'Allemagne a annoncé, à la suite de nos discussions, qu'elle fermerait aussi ses stations pour qu'il n'y ait pas d'iniquité. L'Italie a annoncé la même chose. L'Espagne, vous l'avez dit, ce sont les régions qui décident.

Q - Je vais vous donner les autres exemples, alors.

R - Attendez. L'Espagne, c'est très clair, il y a des restrictions d'accès.

Q - L'Autriche, non.

R - L'Autriche, elle a fermé les hôtels, les bars et les restaurants.

Q - Oui, mais les stations restent ouvertes. L'Espagne prévoit de les ouvrir.

R - Madame Mabrouk, les stations c'est comme en France. Il y a des stations et des lieux où les gens vivent aussi.

Q - Oui, mais je crois que les stations mécaniques, on ne va pas rentrer dans tous les détails, marchent de leur côté. Vous voyez où on en arrive !

R - Non, mais soyons clairs pour les Français. En Espagne, ils ne peuvent accéder aux stations puisque seulement les résidents des régions peuvent y aller. En Autriche, si vous voulez de France aller en Autriche il n'y a pas d'hôtels, il n'y a pas de bars, il n'y a pas de restaurants. Donc autant dire qu'il n'y a pas d'accès.

Q - Mais c'est une guerre contre le virus ou contre la liberté?

R - Mais c'est une guerre contre le virus...

Q - Vraiment ?

R - En essayant de trouver à chaque instant le bon équilibre. J'entends la difficulté, mais pourquoi nous avons mené cette coordination européenne et pourquoi il y a des mesures de restrictions, voire de fermeture ? Parce que nous pensons que nous sommes encore dans une phase où c'est nécessaire, et si on était laxiste aujourd'hui, y compris pour ces stations et pour ces secteurs économiques, on le paierait demain parce que l'épidémie reprendrait au moment de la haute saison de ski notamment.

Q - Mais Monsieur Beaune, il ne s'agit pas de parler du pourcentage de Français qui part skier à l'étranger, mais de se dire que les professionnels de la montagne payent votre échec d'une non-coopération européenne.

R - Non, pardon, non, on ne peut pas dire cela. D'abord, justement, on prend une mesure nationale et ensuite on essaye de créer de la justice européenne. Et c'est parce que nous avons agi que l'Italie a pris des mesures de fermeture cordonnées, que l'Allemagne a pris des mesures de restrictions aussi, que l'Espagne, qui pensait tout ouvrir, aujourd'hui restreint, et que l'Autriche, qui pensait tout ouvrir, aujourd'hui restreint.

Q - Oui, mais la Suisse, vous n'allez pas les obliger de fermer leurs stations.

R - Andorre, pardon, Andorre, qui avait dit qu'elle ouvrait, décide depuis hier de fermer...

Q - La Suisse, vous ne pouvez pas les obliger de fermer leurs stations.

R - Et la Suisse, on ne peut pas l'obliger parce que c'est chaque canton qui décide, mais il y a une réunion aujourd'hui, et donc nous continuons à discuter avec les Suisses. Mais on a amélioré la situation, objectivement.

Q - Vous allez vraiment, Clément Beaune, maintenir cette idée loufoque de contrôles aléatoires aux frontières pour les Français skiant à l'étranger ? Et est-ce que vous pouvez nous dire techniquement comment vous allez identifier les skieurs français sur les pistes suisses ou espagnoles afin de les mettre en quarantaine à leur retour, comment on fait ?

R - Alors, d'abord, c'est pour cela que l'on veut coordonner, pour qu'on n'ait pas ce genre de mesure à prendre. Plus vous avez de coordination, plus vous avez de stratégie commune, c'est ce qu'on est en train de construire, mieux c'est parce que vous évitez ce genre d'effet. S'il y avait vraiment des différences considérables, c'est une question de justice, et c'est une question de santé, si vous avez des gens qui peuvent se réunir dans des stations, à beaucoup, en Suisse et pas en France, c'est injuste pour nos stations, et cela ne prend pas en compte la situation sanitaire chez nous. Cela ne protège pas, on pourrait importer le virus. Donc, il pourrait y avoir des contrôles aléatoires ciblés, c'est possible, c'est possible, mais...

Q - Vous entendez ce que dit l'opposition, Marine Le Pen, "on ne peut pas contrôler nos frontières pour éviter la venue des terroristes, mais on contrôle les skieurs" ?

R - Non, mais je veux dire d'abord, puisqu'on parle de liberté, de responsabilité, je veux dire d'abord on appelle à la responsabilité de chacun. Faisons un effort de solidarité aussi pour nos stations, si elles ne peuvent pas ouvrir, il ne faut pas aller - c'est une question de sens civique aussi je crois - ailleurs chercher un plaisir que l'on peut avoir chez nous dans quelques semaines.

Q - Je ne sais pas si cet égalitarisme peut marcher, mais vous lancez cet appel, oui.

R - Je suis content de savoir que le principal combat pour la liberté de Mme Le Pen, c'est précisément de voter au Parlement européen contre toutes les résolutions contre le terrorisme, parce que cela ne l'intéresse pas, et de défendre la liberté d'aller à Gstaad pour skier aux vacances de Noël. Moi, si c'est ça la liberté de Mme Le Pen, je m'interroge sur ses priorités honnêtement.

Q - On va conclure avec Valéry Giscard d'Estaing évidemment, militant inlassable d'une Europe unie, d'une Europe audacieuse, on entend bien que c'est un combat permanent.

R - Oui, mais il n'est pas nouveau et on lui doit beaucoup de ce qu'on fait aujourd'hui, il a créé les débuts de l'euro finalement, il a créé le Conseil européen, le duo franco-allemand, et on voit aujourd'hui que dans cette réponse à la crise, c'est encore notre meilleure protection.

Q - Merci, Clément Beaune, d'avoir répondu à nos questions, ce matin.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 décembre 2020