Texte intégral
Q - Bonjour, Clément Beaune.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes mon invité ce matin sur RMC. Vous êtes le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes. Les Anglais, qui commencent à vacciner maintenant, là, ça y est, aujourd'hui ; et nous, on en est toujours à attendre le feu vert de l'Union européenne. D'abord, le go de l'Agence européenne du médicament, ensuite, il faudra le go de la Commission européenne, puis, le go de la Haute autorité de santé française. Est-ce que l'Europe, c'est un frein, finalement ?
R - Non, alors, je veux rappeler quand même quelques vérités. D'abord, on va voir comment ça se passe au Royaume-Uni. Et puis, je le rappelle, on ne fonde pas une stratégie sur un seul vaccin. Le Premier ministre et le ministre de la santé l'ont présenté la semaine dernière : pour vacciner le maximum de gens et la population progressivement dans son entier - en tout cas, une large partie - il y aura sans doute six vaccins, peut-être même un peu plus. Et l'Europe a d'ailleurs fait des contrats, elle, avec six vaccins, six laboratoires qui produisent ces vaccins. Donc ce n'est pas seulement un sprint, c'est un marathon, et cela s'étale sur plusieurs mois. Donc, il ne faut pas juger les choses sur une seule journée, si je puis dire, un peu de com...
Q - Oui, mais enfin, pardon, pendant ce temps-là, quand même, eux, ils commencent aujourd'hui. Et on nous a tellement dit que le vaccin était la solution, pourquoi est-ce que nous, on attendrait alors que, eux, ça y est, ils y vont ?
R - Alors d'abord, cela n'a absolument aucun rapport avec un frein européen ou avec le Brexit, comme on a pu le dire, en communication, à Londres.
Q - Cela n'a rien à voir ?
R - Aucun rapport.
Q - Ce n'est pas parce qu'ils sont en dehors de l'Union européenne qu'ils peuvent commencer tout de suite ? Eh bien, alors, pourquoi, nous, on ne le fait pas ?
R - Non, je vais vous le dire : parce qu'il y a un cadre juridique qui est le même jusqu'au 31 décembre, ils sont encore juridiquement liés par les règles européennes jusqu'au 31 décembre, le même cadre juridique en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, etc. Nous avons fait un choix en France et dans tous les autres pays de l'Union européenne, sauf le Royaume-Uni donc, d'avoir une procédure européenne. Pourquoi ? Parce que cela nous permet d'avoir accès de manière certaine à tous les vaccins, et ça, c'est très important. Et cela nous permet d'avoir une procédure qui est rapide, je vais y revenir, mais aussi parfaitement sûre. On prend quelques jours de plus...
Q - Cela veut dire que les Anglais, c'est un peu moins sûr ?
R - Ils ont choisi, on aurait pu le faire, ils ont choisi une procédure dite accélérée, une procédure d'urgence qui n'offre pas exactement les mêmes garanties. Je ne suis pas ministre de la santé, mais on sait que c'est une procédure plus courte qui, du coup, a quelques inconvénients, c'est qu'elle n'a pas exactement les mêmes garanties. Et il y a eu un débat au Royaume-Uni. Donc, je pense qu'ils ont voulu montrer qu'ils étaient capables d'aller vite sur un vaccin, et ils commencent cette semaine. On va voir si c'est prêt, on va voir si les gens ont confiance...
Q - Vous avez l'air d'avoir un petit doute quand même...
R - J'ai un petit doute. Je voyais vos reportages aussi ce matin ; il y a un certain nombre de personnes qui sont un peu prises par surprise, ne savent pas si c'est bien organisé, n'ont pas forcément encore confiance. Et on sait dans nos sociétés, dans nos pays, en France, en particulier, il faut créer la confiance dans le vaccin. Donc, je crois que, allier efficacité et rapidité d'une part, et sécurité parfaite d'autre part, c'est important, et c'est le choix qu'on a fait. Et pour être précis, pour ceux qui nous écoutent, l'Union européenne donnera, l'Agence européenne, que vous avez évoquée, donnera son avis pour les tout premiers vaccins dans quelques jours. Donc, on est vraiment sur un écart de quelques jours...
Q - Avant Noël, ils se sont engagés à donner la réponse avant le 29 décembre, cela pourrait même intervenir plus tôt ?
R - Peut-être un peu plus tôt, mais en tout cas, il y a cette limite du 29 décembre pour un premier vaccin, qui est d'ailleurs celui qui commence au Royaume-Uni. Donc, vous voyez qu'on est sur des écarts de quelques jours, et quand on met bout-à-bout l'ensemble des vaccins, l'organisation qu'on doit créer, la confiance que l'on doit susciter, je crois que l'on a bien fait de prendre le temps supplémentaire.
Q - Alors, je vous entends, vous, vous dites : l'Union européenne, cela nous garantit plus de sécurité, on fait les choses mieux. Mais enfin, c'est vrai que du côté anglais, c'est presque de la propagande, on le sent bien, l'idée de pouvoir dire : dès aujourd'hui, nous, on est les premiers, on y va, on vaccine. Ils plaident aussi pour leur paroisse, c'est-à-dire qu'ils disent : eh bien regardez, le Brexit, cela nous a permis aussi d'être les premiers. Côté Brexit, on peut le dire quand même, globalement, c'est une catastrophe, en tout cas, du point de vue de l'Union européenne, qui considère que l'accord n'y est pas - vous allez nous le confirmer ce matin -. Mais en tout cas, du côté de Londres, ils disent hier soir : toutes les chances pour que les négociations post-Brexit échouent sont réunies.
R - Oui, même si eux-mêmes, alors, là aussi, vous l'avez dit, je ne sais pas si le bon mot, c'est propagande, mais il y a de la tactique, il y a de la communication, un peu sur le vaccin certainement, probablement aussi sur les messages autour des négociations. La vérité des faits, c'est qu'il y a encore une négociation en cours. Hier, Mme von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, et M. Johnson, le Premier ministre britannique, se sont parlé à nouveau. Et donc aujourd'hui, là, ce matin, vont reprendre les discussions entre l'équipe britannique et l'équipe européenne.
Concrètement, c'est compliqué, et nous-mêmes, on ne veut pas céder à une forme de pression que mettraient sur nous les Britanniques, parce qu'il y a au moins deux enjeux qui sont très concrets pour les Français, pour les Européens, pour nos entreprises : la pêche, ce sont plus de six mille emplois directs et indirects dans quelques régions françaises notamment, les Hauts-de-France, la Normandie, la Bretagne. C'est majeur, cela fait vivre ces territoires, il n'y a aucune raison que, parce que c'est important pour les Britanniques, nous, on cède tout. Et puis, qu'on leur dise : écoutez, tant pis, vous nous bloquez l'accès à vos eaux, et puis, on fera autrement. Cela n'est pas possible. Donc, faire des efforts, oui, des compromis, oui, tout le monde le sait, nous l'avons dit de manière honnête aux pêcheurs français. Mais sacrifier notre pêche et nos pêcheurs, c'est non. Et les Britanniques le savent.
Q - Donc il y a la pêche, et il y a...
R - Il y a la pêche et il y a ce qu'on appelle de manière un peu barbare les conditions de concurrence équitables. Concrètement, cela veut dire qu'on veut que si les Britanniques ont accès à notre marché, c'est ça qu'ils demandent, continuer à pouvoir exporter chez nous, et nous, chez eux...
Q - Après, c'est donnant-donnant quand même...
R - C'est donnant-donnant, certes, mais quand on exporte sur un marché comme celui des Européens, qui est huit fois plus gros que le marché britannique, on doit respecter des règles. Moi, je ne peux pas dire aux consommateurs français "on n'a pas vérifié que les Britanniques respectaient nos règles sanitaires, nos règles environnementales, les produits chimiques, les pesticides et autres". On ne peut pas faire cela, sinon, c'est injuste, et cela ne rassure pas, là aussi, les consommateurs...
Q - Mais, Clément Beaune, vous n'en avez pas marre des réunions de la dernière chance ?
R - Si, je vous avoue qu'on en a un peu marre, mais on ne va pas dire : on claque la porte parce qu'on est fatigué. Surtout que c'est plutôt Michel Barnier qui négocie pour nous...
Q - Mais si vous-même... Parce que vous l'avez dit, notamment sur les pêcheurs, si je sens les pêcheurs français vraiment menacés, je n'hésiterai pas à mettre mon veto. Mais qu'est-ce qu'ils en ont à faire de votre veto, j'ai envie de dire, les Anglais? Cela changera quoi ?
R - Eh bien, cela changera, pour être précis, on m'a posé la question de savoir si, quand l'accord serait sur la table, on allait le regarder : évidemment, et on allait faire l'analyse de savoir si ça défend bien ou pas nos intérêts, notamment ceux des pêcheurs. Si c'est un accord dont on pense qu'il est moins bon que le fait de ne pas avoir d'accord, eh bien, nous n'hésiterons pas, comme tous les pays d'ailleurs, qui feront cette évaluation, à faire cela.
Q - Donc, quand même, quand eux disent, les Anglais, que les négociations globalement vont échouer, vous, vous dites : non, ce n'est pas encore complètement foutu ?
R - Non, moi, je ne veux pas acter un échec. Je crois qu'on a encore un temps de négociations, quelques jours, et après, il faut dire clairement, parce que c'est important aussi pour les entreprises, pour nos pêcheurs "oui ou non, accord ou pas accord".
Q - Je voudrais qu'on parle frontières, Clément Beaune, parce que, effectivement, aujourd'hui, on n'arrive plus à comprendre. On n'est pas censé se déplacer à plus de vingt kilomètres ; normalement, mardi prochain, on est censé lever les interdictions de circulation ; on sent bien que c'est quand même assez compromis.
R - Cela, ce n'est pas à moi de le dire. Jérôme Salomon, le directeur de la santé, s'est exprimé hier, il a dit que c'était trop tôt, parce qu'on avait fixé une référence, qui était de cinq mille contaminations par jour. Nous n'y sommes pas, et donc on ne peut pas dire, là, aujourd'hui, au moment où on se parle...
Q - Mais si on n'y est pas, on ne rouvrira pas ?
R - Ce n'est pas moi qui le décide. Ou peut-être que si on est proche, on peut le faire, mais il y aura une décision fondée sur les critères scientifiques prise par le Président de la République.
Q - Petite marge, peut-être, mais avec cette question notamment des vacances qui arrivent. Est-ce que les Français vont pouvoir bouger un peu ? Il y avait cette question du ski pour ceux qui peuvent partir au ski. Il y a quand même les frontières qui sont officiellement donc peut-être rouvertes, mais nos stations à nous qui seront ouvertes, mais sans remontées mécaniques, on en a suffisamment parlé. Sauf que de l'autre côté, côté Pyrénées espagnoles, les premières ouvertures de remontées mécaniques pourraient avoir lieu dès la fin de cette semaine, côté Autriche, pareil ; donc, il n'y aura pas d'accord global. Si les Français ont envie de traverser les Pyrénées, ils pourront y aller ?
R - Alors, non, je veux le dire, les Espagnols interdisent l'accès aux stations de ski pour ceux qui ne sont pas résidents de la région...
Q - C'est sûr ?
R - Oui, c'est sûr, et c'est parce que nous avons mené, justement, et c'était difficile, parce qu'on n'avait jamais fait ça avant, une coordination européenne. Je veux dire l'état des choses aujourd'hui : l'Italie a annoncé qu'elle ne rouvrirait pas non plus ses stations, parce qu'on a fait cette coordination, l'Allemagne, notamment la Bavière, non plus. Andorre, tout près de la France, et des Pyrénées justement, non plus.
Q - Mais vous allez faire comment pour vérifier ?
R - Et pardon, c'est important, l'Autriche, vous l'avez dit, a ouvert les stations parce qu'il y a aussi des gens qui vivent, comme chez nous, dans les stations ; mais les hôtels sont fermés, les bars sont fermés, les restaurants sont fermés. Donc, un touriste français, concrètement, en vrai, il ne peut pas y aller. Et en Espagne, c'est pareil, les stations sont ouvertes, mais que pour les résidents de la région ; vous êtes catalan, vous pouvez y aller, vous n'êtes pas catalan, vous n'êtes pas résident en Catalogne, non.
Q - Et pour la Suisse ?
R - Et pour la Suisse, c'est encore en cours de discussion, c'est le dernier sujet où il n'y a pas encore une bonne coordination. Mais nous parlons aux autorités suisses pour éviter qu'il y ait une forme de concurrence déloyale.
Q - Vous espérez que la Suisse dise : les Français n'ont pas le droit de venir ?
R - Nous espérons que la Suisse ait des mesures, effectivement, de restriction. Pourquoi ? Pour deux raisons : c'est plus juste, parce qu'on ne peut pas dire à nos professionnels...
Q - Oui, mais ça, ça a un côté, il faut toujours punir ceux qui peuvent...
R - Non, ce n'est pas ça ! Mais attendez, il y a des gens, des milliers d'emplois aussi...
Q - Non, mais parce que c'est vis-à-vis des professionnels du ski français que vous leur dites...
R - Bien sûr, mais c'est important, bien sûr, mais c'est aussi pour des raisons sanitaires. Si on fait cela, ce n'est pas pour s'amuser. Et c'est d'ailleurs aussi dans l'intérêt des professionnels, c'est que la crise sanitaire est encore là.
Q - Donc vous allez envoyer des douaniers volants qui vont...
R - Non, il ne s'agit pas de cela. D'abord, il y a eu un signal, on a voulu dire aux gens : soyez responsables et soyez justes ; il y a des difficultés pour les stations françaises, n'allez pas de l'autre côté, ce ne serait pas très civique. Et si on est obligé de le faire, on fera un certain nombre de contrôles ciblés. Le but n'est pas d'embêter ni les Français, ni les professionnels ; c'est simplement, dans une période qui est encore difficile, de prendre des mesures qui sont justes et qui sont protectrices. Parce que si on rouvrait trop tôt pour gagner, si je puis dire, cette saison des fêtes, on prend le risque aussi d'avoir une épidémie qui repart plus vite, trop vite, et qui empêche la haute saison de se dérouler...
Q - Vous appelez donc au civisme, et puis, on l'a bien compris entre les lignes, avec vous, mais avec tous ceux du gouvernement, et encore avec Jérôme Salomon, hier, de toute façon, tout cela sera tributaire aussi des chiffres de l'épidémie qui, pour l'instant, ne sont pas très, très encourageants...
R - Qui se sont beaucoup améliorés. Mais on a encore du chemin à faire.
Q - Mais pas tout à fait encore. Merci beaucoup, Clément Beaune.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 décembre 2020