Texte intégral
Q - À trois semaines de la sortie du Royaume-Uni, on ne sait toujours pas s'il y aura un accord... La faute à qui ?
R - La faute d'abord au choix initial, un choix démocratique que nous respectons. Mais ceux qui avaient affirmé que la sortie de l'Union européenne serait un chemin de roses comprennent aujourd'hui que c'est plus compliqué. Et c'est normal, après plus de 45 ans d'intégration dans un projet qui n'est pas seulement économique, qui a beaucoup de dimensions politiques. Il s'agit de conclure plus qu'un accord commercial avec notre plus grand partenaire, quand il faut cinq à dix ans avec des partenaires moins importants. Le fait qu'on négocie dur, et qu'on ait besoin de trois ans, n'est donc pas anormal. Il n'y a pas de volonté de ralentissement de l'Union européenne, ni un échec de méthode.
Q - On a senti un moment de tension entre la France et le négociateur Michel Barnier...
R - Il n'y a jamais eu de tension entre Paris et Michel Barnier. Il y a une transparence et une confiance totales depuis le premier jour.
Q - Avez-vous confiance dans la parole des Britanniques ?
R - Je dirais, sans naïveté, que nous voulons avoir confiance. Et si les Britanniques ne tiennent pas leur parole, ils se feront du mal à eux-mêmes pour négocier des accords commerciaux avec d'autres partenaires.
Q - Côté britannique, on dit que c'est la France qui complique la négociation par son intransigeance...
Dans l'Union européenne, on aime bien présenter la France dans le rôle du "bad cop" (le policier brutal)...
Rôle que vous assumez, parfois
R - Si être un "bad cop", c'est défendre fermement nos intérêts politiques et ceux que nous croyons être ceux de l'Union européenne, aucun problème, nous l'assumons. Mais regardez les positions des 27 depuis trois ans, elles sont remarquablement homogènes.
Q - Vous êtes cependant le premier à avoir agité la menace d'un veto ...
R - C'est vrai, mais au-delà du Brexit, nous devons tenir un discours de vérité dans une Union européenne où l'on n'aime pas toujours dire les choses clairement.
Q - En cas de no deal, quelle est votre principale inquiétude ?
R - Un no deal mettra des obstacles au commerce, alors que le Royaume-Uni est notre principal excédent bilatéral dans le monde. Cela veut dire aussi l'impossibilité d'accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques... C'est pourquoi nous n'avons aucun romantisme du no deal. Mais cela ne nous conduira pas à des concessions démesurées.
Q - L'annonce d'un dîner entre Ursula Von der Leyen et Boris Johnson est-elle un signe qu'on va éviter un no deal ?
R - Un accord est bien sûr une meilleure option qu'un non-accord. Nous l'avons dit depuis le début et c'est la raison pour laquelle nous restons ouverts à la discussion. Mais le risque d'un no deal plane toujours.
Q - Les industriels français de l'agroalimentaire alertent sur le risque de poulets au chlore venus du Royaume-Uni...
R - C'est pourquoi nous tenons à garantir une juste concurrence (un level playing field) : si nous donnons aux Britanniques un accès sans droits de douane à notre marché, il est logique que nous exigions d'eux le respect de certaines règles sociales, environnementales, alimentaires, sanitaires, etc.
Q - Les vacances de Noël sont proches, mais la pagaille règne sur les règles à respecter si on se déplace à l'intérieur de l'Union... Comment expliquer cette pagaille ?
R - La santé est un sujet nouveau pour l'Europe ! Qui imaginait l'année dernière qu'il serait crucial de se coordonner sur l'ouverture des stations de ski ? En quelques semaines, nous avons pourtant créé une coordination européenne sur les vaccins. Et sur les déplacements, nous avons su éviter lors du reconfinement les tensions qui avaient affecté les frontaliers avec la Belgique ou l'Allemagne lors du premier confinement. Ce qu'on n'a pas encore harmonisé, ce sont les mesures de quarantaine, la reconnaissance mutuelle des tests antigéniques...
Q - C'est pour quand ?
R - Je l'espère pour le début d'année. Et j'espère qu'on coordonnera aussi les conditions d'ouverture des stations, notamment avec la Suisse. Nous l'avons déjà fait avec l'Italie, l'Allemagne, Andorre, dans une large mesure l'Autriche... Nous procédons pas à pas, il n'y aura pas de grand soir de la coordination parfaite.
Q - La Hongrie et la Pologne bloquent l'adoption du budget et du plan de relance européens. On peut faire sans eux ?
R - Le mieux serait d'avancer à 27, en apportant les clarifications nécessaires. Nous nous donnons pour cela jusqu'à la fin de l'année. Sinon, il faudra envisager un plan de relance à 25 : nous ne céderons ni sur le principe du mécanisme de l'Etat de droit, ni sur la nécessité de la relance.
Q - La session première du Parlement européen n'aura de nouveau pas lieu à Strasbourg la semaine prochaine. La France a-t-elle perdu la bataille du siège ?
R - Non, et je ne lâcherai pas cette bataille. Il y a aujourd'hui un mélange de situations sanitaires objectivement difficiles, qui complique les déplacements, et une offensive de certains qui utilisent cette crise sanitaire pour ne pas aller à Strasbourg. Nous continuons cette bataille, avec tous les élus de la région, sur plusieurs fronts. D'abord, le retour le plus rapidement possible du Parlement à Strasbourg. Ensuite, le renforcement de l'attractivité de Strasbourg comme capitale européenne. Cela passe par un nouveau contrat triennal (2021-2023), qui sera signé en tout début d'année, avec un effort financier de l'Etat au moins maintenu. Cela doit aussi nous conduire à faire de Strasbourg un lieu de débat politique sur l'Europe, avec notamment le lancement de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. La présidence française de l'Union, au premier semestre de 2022, sera l'occasion de la réaffirmation du rôle européen de Strasbourg. J'ajoute que l'hommage au président Valéry Giscard d'Estaing par le Président de la République sera rendu le 2 février devant le Parlement européen de Strasbourg.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 décembre 2020