Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec RTL le 11 décembre 2020, sur le Brexit, le plan de relance européen et les tensions avec la Turquie.

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Q - Est-ce que l'on va tout droit vers un échec, entre Londres et l'Europe, concernant la future relation commerciale entre les deux camps ? Ces négociations post-Brexit qui coincent depuis des jours, des semaines, des mois ; la dead-line, c'est dimanche soir, honnêtement, on va vers un no-deal, selon vous ?

R - Ecoutez, honnêtement, on se donne encore une chance d'avoir un accord, mais c'est très difficile. Je veux dire deux choses. D'abord on n'acceptera pas, nous l'avons dit et redit, un accord à de mauvaises conditions, pour la pêche ou les pêcheurs, pour les entreprises européennes ou françaises, pour qu'il n'y ait pas de conditions de concurrence qui ne soient pas équitables entre le Royaume-Uni et l'Europe. Cela, on ne l'acceptera pas.

Q - Cela veut dire que ce soir, ça négocie encore ?

R - Ça négocie encore, ça négociera sans doute encore ce week-end. Et donc on se donne encore une chance, parce que c'est mieux d'avoir un bon accord.

Q - La présidente de la Commission européenne a parlé ce midi d'un faible espoir d'accord, idem pour Boris Johnson. En mots diplomatiques, cela veut dire à 95% que cela capote, non ?

R - Non, je ne veux pas donner de pourcentage, puisque tant qu'il y a un espoir on continue. On continue depuis des années, parce que c'est notre intérêt collectif d'avoir un bon accord. Mais encore une fois nos intérêts, nos priorités, sont clairs, et nous ne les sacrifierons pas, ni la pêche ni des conditions de concurrence justes entre le Royaume-Uni et nous.

Q - Si c'était un échec, Clément Beaune, le grand perdant, ce serait quoi, l'Europe ou l'outre-Manche ?

R - D'abord, ce serait le Royaume-Uni, beaucoup plus que nous. Pour donner un ordre de grandeur, le marché britannique, c'est huit fois moins que le marché européen. Donc, nous sommes forts. Maintenant, s'il n'y a pas d'accord, c'est difficile. Et donc, nous nous préparons à tous les scénarios. Nous avons des préparatifs pour les contrôles douaniers, pour aider les secteurs qui seraient en difficulté à cause du Brexit. Je veux dire aussi que, quoi qu'il arrive, accord ou pas accord, il y a des changements qui se passent au 1er janvier, notamment un certain nombre de contrôles de marchandises, donc, pour les entreprises, par exemple, il faut se préparer, dans tous les cas.

Q - Affaire à suivre donc. Le concret, c'est d'abord le plan de relance économique. Ça s'est passé hier, jeudi, plan de relance sauvé, malgré les réticences notamment de la Hongrie et de la Pologne : 750 milliards d'euros. L'unité de l'Union est sauvée, là ?

R - Oui, je crois que c'était un bon exemple de fermeté et d'ambition européenne. Ce plan de relance, en deux mots, on l'a construit en six mois. C'est un plan de relance inédit, 750 milliards d'euros ; 400 milliards d'euros de subventions directes, dont un peu plus de 10%, 45 milliards d'euros, iront à la France, troisième bénéficiaire de ce plan de relance. Donc, c'est majeur. On l'avait acté cet été, il y a eu des négociations ensuite avec le Parlement européen, c'est la vie démocratique. Et puis là, il y a eu un blocage, et on a été très clair. On a dit : ce blocage ne doit pas empêcher l'Europe d'avancer. On ne sacrifie pas la relance, mais on ne sacrifie pas non plus la raison pour laquelle la Pologne et la Hongrie avaient bloqué, c'est-à-dire l'Etat de droit, le respect de nos règles politiques fondamentales, par exemple l'indépendance de la justice... Cela, on ne peut pas sacrifier.

Q - L'Union européenne n'a pas cédé sur le dossier des droits de l'Homme face à la Hongrie et la Pologne ?

R - Non, je veux le dire très clairement. Non, c'était une ambition française, un engagement français très clair. Nous avons tenu bon là-dessus, il y a un texte législatif qui garantit le respect de l'Etat de droit. Et si vous ne le respectez pas, vous pouvez avoir des sanctions financières. Ça, c'est préservé. Nous avons simplement fait une déclaration politique qui rassure la Pologne et la Hongrie et leur donne en quelque sorte une chance, si elles étaient mises en cause, de se défendre.

Q - Ça, c'est acté, c'est clair. Ces milliards, les premiers versements de ce plan de relance sont fixés à quelle échéance ?

R - Au printemps. C'est ça l'objectif. Maintenant il y a une toute dernière étape, qui est un vote, parce que c'est normal aussi, au Parlement français. Comme dans tous les Etats-membres, on va essayer de faire cela vite, sans doute en tout début d'année en France. Et puis ensuite, il y a un décaissement, des fonds qui arrivent, sonnants et trébuchants, dans les territoires en France au printemps - à partir du printemps.

Q - Et en France, cela pourrait financer quoi ?

R - Cela va financer notre plan de relance de 100 milliards d'euros. 40% va être financé par l'Europe, ce qui veut dire que si vous avez des rénovations thermiques chez vous, si vous avez... le plan vélo, des infrastructures vertes, le plan d'aide aux jeunes... tout cela va être cofinancé, financé en partie, en partie importante, par l'Europe. Donc tout notre effort de relance est aidé par l'Union européenne.

Q - Les 27 qui, au passage, ont planché toute la nuit dernière d'ailleurs pour relever leurs ambitions climatiques, c'est un message fort à la veille du cinquième anniversaire de l'Accord de Paris. L'objectif, c'est la neutralité carbone en 2050, une réduction de gaz à effet de serre dans les dix ans. C'est jouable, cela, dans les dix ans ?

R - Oui, exactement. On a pris cet engagement commun, tous ensemble cette nuit. Je crois que c'était très important à la veille du cinquième anniversaire de l'Accord de Paris pour augmenter notre cible "baisse des émissions" en 2030, moins 55% pour être précis, et l'objectif ultime, c'est d'être neutre en carbone, c'est-à-dire pas d'émission nette en 2050, et c'est un objectif que tout le monde a agréé, tout le monde est d'accord. Maintenant, on va se donner les moyens financiers : c'est le plan de relance notamment. Presque 40% seront consacrés à l'écologie. Et puis, ce sont des règles qu'on met dans différents secteurs : les émissions de voitures, etc... qui vont continuer dans les mois qui viennent.

Q - Et vous nous dites que tout le monde est d'accord, même la Pologne est d'accord. Parce qu'elle est très dépendante du charbon...

R - Exactement. Il faut reconnaître que c'est plus dur pour la Pologne de faire cette transition vers l'énergie propre. Et donc, on l'aide avec des soutiens financiers dans le budget européen qu'on a débloqués d'ailleurs, mais elle a pris l'engagement, comme les autres, que l'on participe tous à l'effort pour 2030 et pour 2050.

Q - L'Europe est plus ambitieuse sur le plan climatique, on l'entend, avec cet accord-là, mais l'Europe, ce n'est pas le monde. Il va falloir incorporer tout le monde et convaincre tout le monde : les Etats-Unis, la Chine... ?

R - On avance, parce que je crois l'Europe a justement été forte et exemplaire. La Chine a annoncé "neutralité carbone" pour 2060. Donc, c'est assez proche de nous. Les Etats-Unis vont revenir dans l'Accord de Paris et j'espère qu'ils vont se donner des ambitions climatiques très importantes. Et puis je veux dire aussi : on ne fait pas l'effort de manière naïve. Et donc, il y a quelque chose qu'on a acté hier, qui est très important, c'est d'avoir une forme de protection du prix du carbone à nos frontières. Quand vous avez un exportateur, américain ou chinois, qui veut vendre en Europe, il devra respecter les mêmes exigences climatiques. Sinon, c'est injuste, et en plus, on fait des efforts qui sont annulés par les autres. Donc, on ne peut pas imposer cela à nos entreprises et à nos consommateurs. Et donc, on va aussi travailler sur cette espèce de taxe à nos frontières pour créer de l'égalité, de l'équité, entre les producteurs européens et les autres.

Q - Il y a un autre sujet qui a bien animé ce Conseil européen, c'est la Turquie. L'Europe a été très ferme face à la Turquie. Les Vingt-sept ont adopté des sanctions pour les activités d'Ankara en Méditerranée orientale. Emmanuel Macron voulait une unité, il l'a eue. D'ailleurs, il est très content, j'imagine ?

R - Ecoutez, on est content, parce que sur ces trois sujets, ce sont des avancées importantes pour l'Europe, qui étaient attendues, nécessaires dans la crise qu'on connaît. Sur la Turquie, nous avons mené ce combat européen pour la fermeté. Ce n'est pas fini, mais on a eu des sanctions, à l'unanimité, je crois que c'est une étape nécessaire pour que l'Union européenne se montre ferme et crédible, et on a dit aussi que, en quelque sorte le ministre des affaires étrangères européennes, qui s'appelle M. Borrell, va faire un rapport dans les prochaines semaines pour, éventuellement, élargir ces sanctions s'il continuait à y avoir des difficultés.

Q - La France se sent moins seule dans ce dossier, dans ce combat, en tout cas ?

R - Oui, c'est un combat que l'on a mené un peu seul au début, il y a quelques mois, on nous disait : la France est isolée. Et puis on a rallié un consensus européen pour tenir bon. Parce que si l'Union européenne est ferme, souveraine, il faut que cela veuille dire quelque chose, et que quand il y a des provocations, on réagisse. C'est ce que l'on fait.

Q - Cela ressemble à une petite victoire personnelle d'Emmanuel Macron, quand même ? Parce qu'il n'est pas très copain-copain avec Erdogan, le leader turc. Non ?

R - Ce n'est pas le sujet de M. Erdogan. Avant même qu'il y ait des insultes, si c'est à cela que vous faites référence, encore hier, il y avait des provocations en Méditerranée contre la Grèce, contre Chypre. Donc, c'est un vrai test pour l'Europe. Et ce qu'a porté le Président de la République, c'est une fermeté, une unité européenne dans cette réponse. Je crois qu'on le devait, sinon l'Europe n'a pas de sens, et on l'a fait.

Q - Merci d'avoir répondu à toutes nos questions, en direct, ce soir.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2020