Texte intégral
ORIANE MANCINI
Et notre invité politique ce matin, c'est Julien DENORMANDIE, bonjour.
JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.
ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être avec nous. Ministre de l'Agriculture et de l'alimentation. On est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse quotidienne régionale, représentée par Stéphane VERNAY, qui dirige le bureau parisien de Ouest France. Bonjour Stéphane.
STEPHANE VERNAY
Bonjour Oriane.
ORIANE MANCINI
On commence par ce référendum annoncé avant-hier par le chef de l'Etat lors de sa rencontre avec la Convention citoyenne. Il veut inscrire dans la Constitution la protection de l'environnement, la lutte contre le réchauffement climatique. Est-ce que, finalement, c'est une manière pour le chef de l'Etat de cacher finalement un nombre de renoncements sur cette question de l'écologie ?
JULIEN DENORMANDIE
Ah non, pas du tout, pas du tout, moi, j'ai participé à cette Convention citoyenne sur le climat, qui est toujours en cours d'ailleurs, j'ai participé, parce que j'ai vu à plusieurs reprises les membres de cette Convention, il y a tout un bloc sur l'alimentation et la nutrition. Et puis, j'étais aux côtés du chef de l'Etat, lorsqu'il y a deux jours, nous avons reçu les citoyens. Et je peux vous dire qu'on a fait un bilan, un bilan sans concession, de tout ce qui est fait, de toutes les interrogations, parfois, les chemins. Et je crois qu'il serait absolument malhonnête que d'essayer de faire croire que derrière ce référendum, se cache une volonté de ne pas mettre en avant tout ce qui est fait, c'est tout le contraire, ces citoyens ont bien montré que parfois, des décisions sont compliquées à prendre, parfois, le chemin pour atteindre un objectif n'est pas exactement partagé par tous, mais cette réunion a montré à quel point le gouvernement avançait et avançait avec les propositions qui ont sont faites. Dans le champ de la nutrition et de l'alimentation par exemple, y a énormément de choses proposées par les citoyens, qui sont déjà en cours ou que nous allons mettre en oeuvre, comme discuter avec eux. Donc, non, ce n'est en aucun cas une façon de détourner le débat, comme j'ai vu certaines oppositions aiment à dire cela, bien au contraire, c'est une décision qui est courageuse, c'est un acte politique qui en fait trouve sa source dans le fait que la question qui nous est posée, c'est : est-ce que l'environnement devient une priorité dans nos modes de vie, et à une telle question évidemment, l'implication de chacune et chacun est importante.
ORIANE MANCINI
Mais ça ne l'était pas jusqu'à maintenant pour vous ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien, posons-nous chacun notre question, est-ce que dans notre comportement quotidien, on change suffisamment, vous savez, moi, je suis très frappé dans le monde de l'agriculture, par exemple, à qui on fait des reproches très souvent injustifiés, dans le monde de l'agriculture, on vient de finaliser la nouvelle politique agricole commune, dans cette politique agricole commune, on dit que dans les 5 à 7 prochaines années, les agriculteurs, leur paiement de la PAC, va dépendre à hauteur de 20 à 30% de modifications environnementales. Mais qui dans la vie de tous les jours, dans sa vie de tous les jours, dans les 5 à 7 prochaines années, va modifier 20 à 30 % de son comportement, qui ? Les agriculteurs, eux, le font, alors même qu'ils sont pointés du doigt, on voit là une sorte d'incohérence ou d'injonction contradictoire, moi, je suis là justement pour mettre en avant ces transitions qui sont faites et qui doivent être accompagnées, qu'ils ne doivent jamais être dans l'incantation, mais dans l'action. Tout ça, on le fait. Moi, je crois beaucoup à cette responsabilité collective sur de tels sujets.
STEPHANE VERNAY
La phrase que les membres de la Convention citoyenne veulent faire ajouter à l'article 1er de la Constitution est une phrase puissante, il est question, il s'agirait de dire que la République garantit la protection de l'environnement, non pas favorise, est-ce que ça, ce n'est pas de nature à effrayer un certain nombre de gens, je pense notamment aux sénateurs qui pourraient être tentés de faire barrage à cette rédaction ?
JULIEN DENORMANDIE
Mais c'est la rédaction qui est proposée par les citoyens. C'est une rédaction qui, comme vous l'avez dit d'ailleurs, est ensuite discutée, sera discutée à la fois à l'Assemblée nationale et à la fois…
STEPHANE VERNAY
Oui, il faudra que le texte soit adopté dans les mêmes termes…
JULIEN DENORMANDIE
Exactement, et au Sénat…
STEPHANE VERNAY
Par l'Assemblée, puis, par le Sénat, pour aller jusqu'au référendum ?
JULIEN DENORMANDIE
Pour ensuite pouvoir le passer au référendum. L'Assemblée nationale et le Sénat feront leur travail de chambres parlementaires. Est-ce que tout cela effraie certains parlementaires, peut-être, sûrement, et d'ailleurs, si j'en vois les réactions politiques depuis 48 heures, assurément, maintenant, c'est le travail des parlementaires que de le faire…
STEPHANE VERNAY
Si la formulation est trop contraignante ou très contraignante, est-ce qu'il n'y a pas un risque finalement de geler ou de mettre un frein fort à un certain nombre de grands projets structurants pour le territoire ou un certain nombre d'actions dans le champ de l'agriculture par exemple, est-ce que la réintroduction des néonicotinoïdes pour sauver la filière sucre, les betteraves français, serait possible avec un article 1er de la Constitution, re-rédigé en ces termes ?
JULIEN DENORMANDIE
Mais je crois qu'en fait, quel est le message et quel est le fil de l'action derrière tout ça, c'est de toujours se demander notre action, comment elle a des conséquences sur l'environnement et comment on peut, dès le début, penser notre action pour limiter ses impacts, je vous donne des exemples, quand vous faites aujourd'hui un projet d'installation, quel qu'il soit, et vous avez le choix entre un terrain vierge ou une friche industrielle abandonnée, mais qui coûte plus cher à réhabiliter, quel est le bon sens environnemental, mais, je dirais même, le bon sens d'aménagement du territoire, c'est peut-être d'abord de commencer par la friche industrielle à rénover. Mais, et ça, au final, c'est ça le sens de cette action, c'est de se dire, face aux alternatives, comment, dès le début des projets, dès le début de notre action, on peut penser la chose dans la préservation de l'environnement. Mais moi, j'attire votre attention, et collégiale, sur un point, moi, je fais partie de ceux qui s'opposent à l'écologie de l'incantation et qui croient dans l'écologie de la raison, et je pense que c'est essentiel, aujourd'hui, et c'est très intéressant dans le débat politique, on voit qu'il y a deux types d'écologie qui sont en train de s'affronter, l'une, qui est l'écologie de l'incantation, une écologie qui dit : il faut, il faut, il faut, et puis, à la fin, il faut. Même si on n'a pas la solution, même si on n'a pas l'alternative, même si ça laisse des gens de côté, moi, je crois dans une écologie de la raison, c'est-à-dire, on met la science, on met la faisabilité sur le territoire, on met les acteurs, et on dit une écologie, c'est une transition, et ça doit être solidaire. On a beaucoup parlé de la betterave, pourquoi, moi, j'ai pris ces positions sur la betterave, mais parce que, est-ce que l'écologie de l'incantation qui menait à détruire la filière de la betterave, et au même moment avec un certain cynisme à importer le sucre depuis l'étranger, parce qu'on continuera à manger du sucre sur notre territoire national, est-ce ça l'écologie ? Cette écologie de l'incantation menait en fait à dire : eh bien, nous, on ne fait pas chez nous, mais loin de nos yeux, on importe, on importe une biodiversité dégradée ou quoi que ce soit. L'écologie de la raison, c'est de dire : on fait l'agro-écologie…
ORIANE MANCINI
Mais justement, est-ce que du coup, ça va dans votre sens…
JULIEN DENORMANDIE
On fait l'agro-écologie, et on la fait chez nous. On la fait avec la filière française…
ORIANE MANCINI
Mais justement, est-ce que, Julien DENORMANDIE, du coup, la modification de cet article 1 telle que prévue, elle va dans votre sens, pour reprendre la question de Stéphane, est-ce que vous auriez pu réintroduire les néonicotinoïdes avec un article 1 tel que rédigé comme ça ?
JULIEN DENORMANDIE
Vous comprenez la difficulté de votre question, ça dépend de qu'est-ce qui est adopté, le texte, et puis, c'est ce n'est pas à moi en tant que ministre, en l'occurrence, c'est le Conseil constitutionnel, dont je prends acte des décisions, et de sa dernière décision qui a validé la loi qu'on mentionne sur les betteraves. Mais à la fin, je pense que ce qui est très important, c'est cette écologie, c'est une approche, c'est une méthode, ça doit être une vision politique, la vision politique, aujourd'hui, elle doit être partagée par tous. Et moi, je pense surtout que cette vision politique, elle doit être attachée au réel, attachée au terrain, parce que sinon, on en vient à des oppositions, moi, je vois, quand aujourd'hui, on ne cesse de me dire : oui, mais vous, vous êtes ministre de l'Agriculture, ça veut dire que vous ne croyez pas en l'écologie parce que l'agriculture est opposée à l'écologie, mais on marche sur la tête, mais c'est quelque chose d'absolument insensé, je veux dire, quand vous travaillez dans le monde agricole, vous travaillez avec l'environnement, avec la terre, avec le temps. Et la terre, l'environnement, c'est ce que vous chérissez quand vous êtes dans le monde de l'agriculture, les agriculteurs, ils étaient écologistes avant que les écologistes deviennent écolos, c'est ça, la réalité, mais dans le sens le plus noble du terme, avec ce bon sens, avec cette réalité, et c'est ça qu'il nous faut faire, maintenant, dans toutes ces décisions, il y a des décisions qui sont compliquées, mais vraiment compliquées, on l'a vu par exemple sur le logement, sur les transports dans cette Convention citoyenne. Et je crois que d'ailleurs, même les oppositions le reconnaissent, que jamais un gouvernement n'a autant fait dans l'écologie, jamais, c'est ça, la réalité, la question, c'est : est-ce qu'il faut aller encore plus loin, pour nous, mais surtout, pour nos enfants, et la réponse à cette question est : oui, il faut aller encore plus loin.
ORIANE MANCINI
On va parler d'un sujet qui préoccupe votre ministère, c'est la grippe aviaire, l'influenza aviaire, grippe aviaire, c'est son nom commun. Combien il y a de foyers aujourd'hui de grippe aviaire ?
JULIEN DENORMANDIE
C'est compliqué parce qu'on est en train de faire beaucoup, beaucoup, beaucoup de tests en ce moment, avec un système d'épidémiosurveillance qui est très développé, aujourd'hui, on a eu des premiers cas qui étaient sur des animaleries, notamment en Corse et dans les Yvelines, et on a depuis lors plusieurs foyers qui se sont déclarés dans les Landes, qui touchaient cette fois-ci…
ORIANE MANCINI
Plusieurs, c'est quoi, on était à trois…
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien, exactement, on était à trois élevages…
ORIANE MANCINI
On est toujours à trois ?
JULIEN DENORMANDIE
Exactement, mais qui sont, là, des élevages, là où la première fois, ce sont des animaleries. Evidemment, quand c'est sur des élevages, ça veut dire que ça touche en plus toute la filière. Donc on prend des mesures de biosécurité et d'épidémiosurveillance très strictes, là, où c'est difficile, c'est que vous savez, cette influenza aviaire, elle est transmise quand vous avez un lieu, vous pouvez avoir une contamination par ce lieu, probablement, ce qui s'est passé dans les Landes, parce que vous voyez que vous avez des zones où plusieurs élevages sont touchés. Mais surtout, c'est un virus qui est transmis beaucoup par les animaux sauvages, et on voit les routes migratoires de ces animaux sauvages, on voit que cette influenza aviaire est au nord de l'Europe, on voit très bien tout le déplacement qu'elle a fait sur le continent européen, et c'est vrai qu'ils passent au-dessus de la France à un moment donné, ces oiseaux migrateurs. Et donc on est dans une vigilance totale, tout le pays est en vigilance élevée, en risque élevé, ça veut dire beaucoup de mesures de biosécurité…
ORIANE MANCINI
Mais pour le moment, il n'y a que les Landes à l'heure où on se parle, il n'y a que les Landes qui sont touchées ou il y a d'autres départements ?
JULIEN DENORMANDIE
Il y a d'autres départements où nous avons des suspicions, mais je communiquerai précisément de suite dès lors que…
ORIANE MANCINI
Mais pas de cas avéré dans d'autres départements que les Landes ce matin ?
JULIEN DENORMANDIE
Il y a des suspicions, et il y aura probablement d'autres cas qui seront à nouveau annoncés.
ORIANE MANCINI
Dans le Calvados notamment ?
JULIEN DENORMANDIE
On est en train de tout vérifier, donc j'attends de savoir exactement de quoi on parle, quelle souche, avant de préciser la chose…
ORIANE MANCINI
Avec des volailles abattues dans ces cas-là…
JULIEN DENORMANDIE
A chaque fois…
ORIANE MANCINI
Combien il y a de volailles qui ont été abattues depuis le début de cette grippe aviaire… ?
JULIEN DENORMANDIE
Plusieurs milliers, parce que ce sont des élevages où…, le premier élevage par exemple, c'est plus de 6.000 canards qui étaient concernés, le deuxième est encore plus important en termes de nombre d'animaux, donc, à chaque fois, c'est des milliers d'animaux qui sont abattus. J'insiste sur un point, cette influenza aviaire n'est d'aucune manière transmissible à l'homme, notamment par voie alimentaire, donc mangez du poulet, mangez du Canard, mangez du foie gras, mangez des oeufs, il n'y a absolument aucun risque.
ORIANE MANCINI
Vous êtes inquiet sur les conséquences pour l'exportation notamment de la filière en cette période de fêtes ?
JULIEN DENORMANDIE
C'est là le sujet, c'est-à-dire qu'il y a plusieurs pays qui dans ce cas-là ferment leurs barrières, pardon, ferment leurs frontières, leurs frontières d'importation de ces produits. Et on le voit, ce sont des pays qui traditionnellement, dès qu'il y a ce type d'influenza aviaire, ferment l'importation des produits venant des zones concernées…
ORIANE MANCINI
Notamment les pays asiatiques.
JULIEN DENORMANDIE
Notamment les pays asiatiques, mais on fait un très gros travail, j'aurai d'ailleurs demain mon homologue chinois pour évoquer ce sujet-là, et pour évoquer également d'autres épidémies animales, je pense à ce qui sévit en Allemagne, qui ne sévit pas en France, comme la peste porcine africaine, mais que nous suivons de très, très près, pour s'assurer qu'il n'y ait pas de conséquences en France.
ORIANE MANCINI
On va parler de la crise sanitaire, Stéphane.
STEPHANE VERNAY
La crise sanitaire, la pandémie a de grosses conséquences sur les productions agricoles, et je pense notamment à la fermeture prolongée des restaurants qui fait qu'il y a beaucoup moins de débouchés pour un certain nombre de produits, et puis, l'approche des fêtes, où il y a un certain nombre de productions très liées aux fêtes de fin d'année, à Noël, et notamment au jour de l'An, qui vont être impactées fortement par les restrictions cette année, est-ce que vous pouvez nous faire un point sur la situation des agriculteurs, et ce que vous mettez en place pour les soutenir dans cette crise-là ?
JULIEN DENORMANDIE
On met en place tout un dispositif en fait, on a mis en place des dispositifs, des règles générales pour tous, mais on a mis en place des règles encore plus spécifiques pour celles et ceux qui étaient fermés administrativement, comme les restaurants. Il s'avère qu'entre les deux, vous avez les agriculteurs, c'est-à-dire, vous avez ceux qui fournissent ceux qui sont fermés administrativement, pour autant, ils ne le sont pas eux-mêmes, les agriculteurs évidemment ne sont pas fermés administrativement…
STEPHANE VERNAY
Mais vous les épaulez, vous les aidez à tenir ?
JULIEN DENORMANDIE
Et donc, on a créé une catégorie, qui est la catégorie de ces secteurs qui dépendent de secteurs fermés administrativement, et à qui il faut donc donner un coup de pouce. Et c'est dans, celles et ceux qui suivent cela connaissent bien, c'est ce qu'on appelle la liste S1bis, pardon de cet acronyme, mais ça montre – pour tout le secteur économique, ça devient maintenant des acronymes qui sont incroyablement connus malheureusement – et qui montre tout le soutien dont ils ont besoin. Et ça, ça donne lieu à quoi, on a des exonérations de charges, on a la possibilité d'avoir le fonds de solidarité, c'est-à-dire jusqu'à 10.000 euros par mois en fonction de votre chiffre d'affaires, et tout ça, j'ai tenu à ce que ceux qu'on appelle les secteurs notamment festifs, c'est-à-dire, toutes celles et ceux qui dépendent des fêtes de fin d'année, puissent évidemment, également, bénéficient de toutes ces aides. Donc aujourd'hui, quand vous êtes dans ces secteurs qui pâtissent particulièrement de la situation, vous aurez le droit, vous avez le droit d'ores et déjà à toutes ces aides qu'on donne aux entreprises qui sont particulièrement impactées. Et en plus de ça, mon ministère fait un travail dans la dentelle avec tous les secteurs pour déterminer qui de la conchyliculture, qui de la volaille, qui du cidre, qui, etc, etc, a besoin – qui des vins – a besoin d'une aide particulière. Et à chaque fois, on détermine dans la dentelle les aides devant être apportées…
STEPHANE VERNAY
Et vous arrivez à une couverture suffisante ou satisfaisante, là, la profession vous en ait gré ou il y a des trous dans la raquette, personne n'est oublié ?
JULIEN DENORMANDIE
Je ne dirais pas que… en tout cas, nous, on fait le mieux qu'on peut pour s'assurer qu'il n'y a pas de trou dans la raquette, ça ne veut pas dire, et je le dis avec toute humilité, que, ici ou là, il ne faut pas encore accélérer, mais mon sentiment, c'est qu'on a bien repéré tous les secteurs, mais qu'en revanche, tout cela est mouvant, c'est-à-dire que, ce qui était vrai, il y a trois semaines, un mois en termes d'aides à apporter n'est pas forcément encore d'actualité, en termes de puissance de soutien aujourd'hui et peut-être dans 15 jours. Donc on est surtout dans une relation dynamique pour à chaque fois se dire : comment on adapte, comment on améliore, et qu'est-ce qu'il faut faire.
STEPHANE VERNAY
Vous faites aussi appel aux Français, aux consommateurs, avec tout un discours sur le patriotisme alimentaire, manger français pour les fêtes, est-ce que ça, ça marche, c'est quelque chose qui est entendu, est-ce que c'est un levier qui peut apporter vraiment quelque chose aux agriculteurs en difficulté, cette fameuse filière festive ?
JULIEN DENORMANDIE
Moi, je crois, oui, je crois au patriotisme de consommation, je pense que c'est très important, parce que dans tout acte de consommation, il y a un acte citoyen, et je le dis souvent, mais c'est pour moi, essentiel, vous savez quand vous avez des légumes, des fruits, de la viande, sur nos étals, c'est un peu comme une évidence, mais en fait, il n'y a rien d'évident derrière tout ça, vous avez des femmes, des hommes qui travaillent, qui selon se sont levés très tôt et qui nous permettent d'avoir cette chaîne alimentaire, qui est d'ailleurs une chaîne alimentaire qui a tenu et qui tient pendant toutes ces difficultés du moment. Et moi, j'en appelle à ce patriotisme de consommation en disant : dès que vous le pouvez, dès que vous le pouvez, il faut consommer local…
STEPHANE VERNAY
Il faut avoir les moyens aussi…
JULIEN DENORMANDIE
Consommer des produits frais. Et ce qu'on fait, et d'ailleurs, je vous l'annonce, on va le signer dans une heure ce matin, on a beaucoup travaillé d'abord avec la grande consommation, et aujourd'hui, avec les commerces de proximité, pour mettre en valeur nos produits frais, nos produits locaux et mettre en valeur nos savoir-faire…
STEPHANE VERNAY
Dans les grandes surfaces…
JULIEN DENORMANDIE
Alors on l'a fait avec les grandes surfaces, il y a un mois, avec l'ensemble, les 7 réseaux de grandes surfaces ont signé des engagements qui s'appellent « Plus près de chez vous, plus près de nos goûts », qui permettent de mettre en valeur les produits frais et les produits locaux…
STEPHANE VERNAY
Sous forme de pub dans les magasins…
JULIEN DENORMANDIE
Sous de bannière, sous forme d'événement en commun, sous forme de valorisation des produits. Et ça, on l'a signé, il y a un mois, avec la grande distribution, et ce matin même, on va signer avec les magasins de proximité, c'est-à-dire avec la Confédération générale des commerces en détail…
STEPHANE VERNAY
Les boucheries, les supérettes…
JULIEN DENORMANDIE
Boucheries, boulangeries, etc, on va signer cette même mise en valeur à la fois des produits frais et des produits. Locaux, et en plus, en plus du savoir-faire, vous savez, on parle d'artisans bouchers, d'artisans boulangers parce qu'il y a ce savoir-faire qui sublime nos produits, voilà, et ça, on le signe ce matin avec mon collègue, Alain GRISET, et toutes ces fédérations des commerces de proximité. Et je crois que c'est quelque chose d'important. Donc ce patriotisme de consommation, il est nécessaire, il ne doit pas faire oublier tout ce qu'on s'est dit avant, c'est-à-dire le soutien apporté aux filières, mais il est nécessaire, moi, je crois beaucoup dans les produits frais et dans les produits locaux, beaucoup, c'est ce qu'il y a de mieux pour nos agriculteurs, mais c'est ce qu'il y a de mieux au final pour votre santé. Et comme disait Hippocrate, le premier des médicaments, c'est l'alimentation.
ORIANE MANCINI
Est-ce qu'il ne faut pas aussi une régulation des prix, comme le disait Stéphane, est-ce qu'aujourd'hui, manger français, ça va devenir un privilège, un luxe ?
JULIEN DENORMANDIE
Alors, vous savez, contrairement à certaines idées reçues, mais il faut faire très attention à cela, contrairement à certaines idées conçues, le manger frais, le manger local n'est pas forcément plus cher que de consommer un plat sur-transposé, importé, ce n'est pas forcément plus cher. En revanche, ça nécessite de cuisiner, et pourquoi je vous dis il faut faire très attention, parce que je ne voudrais... enfin, il faut toujours avoir en tête que pour certains, disposer du temps nécessaire pour pouvoir faire cette cuisine n'est pas quelque chose de facile, n'est pas quelque chose d'aisé. Et donc je ne suis personne pour donner quelconque leçon de morale ou quelconque conseil de vie, je dis juste que contrairement à certaines idées qui sont véhiculées, le manger frais, le manger local, c'est ce qu'il y a de mieux pour votre santé, c'est-ce qu'il y a de mieux évidemment pour l'environnement, mais parfois, c'est aussi ce qu'il peut y avoir de mieux pour votre portefeuille.
ORIANE MANCINI
Un mot sur cette détresse des agriculteurs, malheureusement, il y a un agriculteur qui se suicide chaque jour, il y a un rapport qui vous a été remis il y a quelques jours par un député La République En Marche, le Sénat vient d'ouvrir une plateforme en ligne pour dire aux agriculteurs : signalez-vous, aux agriculteurs, aux proches ; est-ce que vous soutenez cette démarche du Sénat ?
JULIEN DENORMANDIE
Oui, et d'ailleurs, j'ai vu les sénateurs qui sont à l'origine de cela, notamment le sénateur CABANEL, de quoi on parle, on parle de situations compliquées difficiles qui, moi, d'abord, m'obligent, en tant que ministre, à avancer très fort notamment sur la question de la rémunération des agriculteurs. On n'est pas encore arrivé au bout de la chose.
ORIANE MANCINI
Donc il y aura d'autres mesures pour améliorer la rémunération des agriculteurs ?
JULIEN DENORMANDIE
Il y aura d'autres mesures, exactement, et pour moi…
ORIANE MANCINI
A quelle échéance ?
JULIEN DENORMANDIE
On y travaille ardemment, et on a notamment missionné une personne qui s'appelle Serge PAPIN, qui est l'ancien directeur de SYSTEME U, et Serge PAPIN doit nous remettre ses recommandations avant la fin du premier trimestre de l'année prochaine. L'idée, c'est quoi, c'est de dire : on arrête la guerre des prix, vous savez, cette guerre des prix qui est mortifère pour toutes les filières, et on passe à la transparence des marges, des marges de chacun, pour mieux redistribuer la valeur. Ça, c'est un premier point…
ORIANE MANCINI
C'est quoi, c'est la suite de la loi Egalim ou c'est une nouvelle loi ?
JULIEN DENORMANDIE
Non, c'est exactement ça, c'est la suite de la loi Egalim, Serge PAPIN d'ailleurs, était celui – c'est pour ça que je lui ai demandé – qui animait les ateliers liés aux prix dans les états généraux de l'Alimentation, c'est pour ça que je lui ai demandé de continuer le travail, considérant que nous ne sommes pas allés encore assez loin sur le sujet, ou plus exactement, que cette loi, elle a apporté beaucoup, mais que le prix payé dans les cours de fermes, il n'est pas encore assez élevé. Et après, il y a la question de l'accompagnement de nos agriculteurs, moi, je salue le travail fait par le député DAMAISIN, une initiative du Sénat. Et en un mot, moi, ma vision, c'est, vous savez, tout le système qu'on a organisé, il y a déjà beaucoup de choses, il y a des dispositifs comme à Agri'Ecoute, il y a des dispositifs où quand vous avez une difficulté, vous avez la possibilité d'appeler un numéro ou d'aller chercher un support, mais la réalité, c'est que quand vous êtes en détresse, si on vous dit : vous êtes en détresse, mais vous devez aller appeler un numéro de téléphone, généralement, vous ne le faites pas. La politique de soutien, c'est le « aller vers », c'est accompagner, c'est-à-dire identifier et aller vers… C'est à nous de faire le premier geste, ça veut dire qu'il faut identifier, et une fois qu'on a identifié une personne en difficulté, aller vers, ça, c'est un axe qui pour moi est essentiel. Et il faut remettre de l'humain dans tout ça, il n'y a pas assez d'humain dans nos politiques publiques de manière générale ; l'humain, c'est-ce qu'il y a de plus important, notamment quand vous avez des personnes en difficulté, et c'est ça le «aller vers, et plus d'humanisation dans toute l'action et l'accompagnement qu'on fait aux agriculteurs, c'est les deux axes de mise en oeuvre des différents travaux en cours.
ORIANE MANCINI
Une dernière question sur le Brexit, Stéphane.
STEPHANE VERNAY
Oui, alors je sais que la pêche, ce n'est pas votre ministère, vous, c'est tout ce qui est en « u », alors pisciculture, ostréiculture, conchyliculture, mais quand même, la Grande-Bretagne a un partenaire majeur des échanges commerciaux, notamment sur les exportations, importations de produits alimentaires pour la viande, pour le lait avec la France, qu'est-ce que le Brexit, avec ou sans accord, va changer, et est-ce qu'on est prêt en fait à faire face à une baisse des échanges avec les Britanniques ?
ORIANE MANCINI
On parle de 5 milliards, ce n'est pas rien…
JULIEN DENORMANDIE
Oui, les Britanniques, d'un point de vue agricole, sont notre troisième partenaire commercial, ce qui est sûr, c'est qu'il va y avoir des conséquences, le Brexit, c'est un divorce, et il y a rarement un divorce heureux, donc il y aura des conséquences, qu'il y ait un deal ou un no-deal…
STEPHANE VERNAY
On est prêt à tous les cas de figure ?
JULIEN DENORMANDIE
Et on est prêt à tous les cas de figure, alors, de quoi parle-t-on, d'abord, moi, ma priorité, en tant que ministre de l'Agriculture et de l'alimentation, c'est de s'assurer qu'à partir du moment où on va mettre une frontière à partir du 1er janvier entre la Grande-Bretagne et l'Europe, que l'ensemble des aliments qui rentrent sur le continent européen…
STEPHANE VERNAY
Seront bien contrôlés…
JULIEN DENORMANDIE
Seront bien contrôles, parce qu'en aucun cas, je ne veux que, par la Grande-Bretagne, puissent rentrer des aliments, des nutriments qui ne respectent pas les normes environnementales, et inversement, qu'on puisse fluidifier l'exportation depuis l'Europe vers la Grande-Bretagne, et ça, ça paraît simple à dire, c'est plus de 300 personnes qu'on a recrutées, c'est des postes de contrôle qu'on a mis en place, bref, c'est toute cette frontière sanitaire et phytosanitaire qu'il nous a fallu créer avec le Brexit, et que nous mettons en place. Et puis, le deuxième élément, c'est d'accompagner les filières face aux difficultés, parce que le marché sera moins facilement accessible demain qu'il ne l'était aujourd'hui, qu'il y ait un deal ou un no-deal. Et donc là, il faut accompagner, et parfois même essayer aussi de trouver d'autres débouchés pour compenser les difficultés…
STEPHANE VERNAY
Réorienter les exportations…
JULIEN DENORMANDIE
Ou en tout cas, trouver aussi d'autres débouchés. Donc c'est ça cette préparation qu'on fait à la fois d'un point de sanitaire et d'un point de vue de marché.
ORIANE MANCINI
Merci beaucoup.
JULIEN DENORMANDIE
Merci à vous.
ORIANE MANCINI
Merci Julien DENORMANDIE d'avoir été avec nous
source : Service d'information du Gouvernement, le 17 décembre 2020