Déclaration de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur les défis et priorités de l'Union européenne, au Sénat le 15 décembre 2020.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat au Sénat à la suite de la réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

Texte intégral

Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d'être devant vous aujourd'hui pour vous présenter les principaux résultats du dernier Conseil européen, qui s'est tenu les 10 et 11 décembre dernier. Vous le savez, son ordre du jour était particulièrement chargé, à la hauteur des enjeux et des crises auxquels nous sommes confrontés collectivement.

Plusieurs questions nécessitaient des prises de décisions urgentes et importantes. À ce titre, nous pouvons nous réjouir d'un grand nombre d'avancées notables.

Trois points de ce sommet sont particulièrement marquants : les décisions prises au sujet de la Turquie, l'ambition climatique ainsi que le plan de relance et le paquet budgétaire européen, qui nécessitaient un déblocage, ce que nous avons obtenu. J'ajoute un élément important en parallèle à ce Conseil : la conclusion, jeudi après-midi, des discussions entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sur le retrait des contenus terroristes en ligne. Il s'agit d'un sujet d'autant plus important qu'aujourd'hui même la Commission européenne présentera le nouveau texte législatif pour la régulation du monde numérique.

En premier lieu, ce Conseil européen a conclu un accord sur la conditionnalité financière, préalable à l'adoption du cadre financier pour les années 2021 à 2027 et du plan de relance. Ce paquet financier est absolument massif et inédit : plus de 1 800 milliards d'euros sur les sept prochaines années, dont 750 milliards d'euros de relance sur les trois prochaines années, en complément des moyens budgétaires ordinaires.

Le Conseil européen a donc permis, après plusieurs semaines de discussions intensives au cours desquelles la présidence allemande et la France se sont étroitement impliquées, d'obtenir un accord définitif sur ce paquet budgétaire. Permettez-moi d'être précis sur ce point, qui a pu donner lieu à un certain nombre d'interprétations, voire de malentendus.

Les conclusions du Conseil européen ont introduit des éléments de clarification sur ce qu'est et sur ce que n'est pas le mécanisme législatif lié au respect de l'État de droit. Est notamment mentionné le fait qu'un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne est possible, formulation qui ne crée pas de droit mais l'explicite. Sans doute – il appartient à chacun des gouvernements concernés d'en décider –, la Pologne et la Hongrie utiliseront cette possibilité de saisine de la Cour de justice.

La Commission européenne a pris l'engagement politique de ne pas activer complètement le mécanisme de conditionnalité liée à l'État de droit tant qu'une procédure juridique devant la Cour de justice sera en cours. Quel délai cette procédure représente-t-elle ? C'est à elle, et à elle seule, de le déterminer. Nous pouvons toutefois imaginer, compte tenu des précédents, que le délai se situera autour d'un an. Cela n'empêchera pas la Commission européenne de commencer, si cela est avéré et nécessaire, un travail de recueil d'informations et d'investigation sur de possibles manquements à l'État de droit, dans le cadre de ce mécanisme.

Point très important à rappeler devant le Parlement – le Parlement européen le soulignera également – : le texte législatif lié à ce mécanisme relatif à l'État de droit n'est aucunement remis en cause, amoindri ou rediscuté par les conclusions de ce Conseil européen. Ce dispositif couvre certains aspects de possibles manquements à l'État de droit, par exemple en matière de corruption ou d'indépendance de la justice. Il constitue, je crois, une avancée majeure, en ce qu'il fait un lien, pour la première fois, entre la solidarité budgétaire légitime et le respect, absolument indispensable et incontournable, de nos valeurs politiques fondamentales. C'était précisément l'objet du débat et du blocage de ces dernières semaines.

Au total, cet accord permet à ce paquet budgétaire inédit d'être débloqué. Comme je l'avais indiqué dans nos précédents débats, nous n'avons renoncé ni à l'ambition de la relance et à l'ambition budgétaire européenne ni à celle que nous portons collectivement au respect strict de l'État de droit. Le règlement sur le cadre financier pluriannuel, le budget pour l'année 2021 ainsi que le plan de relance spécifiquement peuvent désormais avancer et être adoptés.

Comme vous le savez, il reste une étape démocratique fondamentale, pour chacun des États membres et des parlements concernés, à savoir l'adoption de la décision sur les ressources propres. Elle sera portée devant l'Assemblée nationale et le Sénat sans doute dans les premières semaines de l'année 2021, votre autorisation étant un préalable nécessaire à la ratification de cet acte juridique qui permettra de financer le budget européen et la dette relative au plan de relance.

Je voulais vous rendre compte avant toute chose de cette avancée majeure, puisque nous en avions longuement discuté à l'occasion de précédents échanges ces dernières semaines.

En deuxième lieu, les chefs d'État ou de gouvernement ont pris plusieurs engagements, soutenus par la France, pour renforcer leur coordination face à la crise sanitaire et à la pandémie de la covid-19.

Ils ont tout d'abord marqué leur satisfaction quant à la conclusion de contrats d'achats collectifs de doses de vaccins par la Commission européenne. Six contrats ont été conclus, pour un montant total de plus de 1,5 milliard de doses, financé par le budget européen. Aujourd'hui même a été annoncé, par les autorités européennes, l'avancement du calendrier pour la validation sanitaire, sans doute avant Noël, du premier de ces vaccins. Je crois que cette coordination en matière vaccinale est une avancée européenne concrète, majeure et tangible. Elle a d'ailleurs été saluée et encouragée au cours de ce sommet.

Cette coordination en matière sanitaire, encore imparfaite, disons-le, doit se poursuivre, notamment en ce qui concerne les phases devant s'ouvrir les prochaines semaines – nous l'espérons – pour la levée progressive des restrictions.

Nous devons mieux coordonner nos efforts européens en matière de déplacement et de reconnaissance mutuelle des tests. Je pense, notamment, aux nouvelles formes de tests, les tests rapides, dits antigéniques, sur lesquels il n'y a pas encore de protocole européen agréé. Cela permettrait d'avoir les mêmes démarches, les mêmes méthodes et donc les mêmes critères d'ouverture ou de déplacement à travers l'Union européenne.

À cet égard, le Conseil européen a appelé la Commission à proposer une recommandation – c'est le terme juridiquement consacré – établissant un cadre commun, notamment pour la reconnaissance mutuelle de ces nouveaux tests.

À ce sujet également, je crois que nous avons tiré des premières leçons des difficultés, parfois des échecs, que nous avons connus au niveau européen, faute de compétences et de précédent face à la première phase de la pandémie.

Comme le retracent les conclusions du Conseil européen, voit progressivement le jour une union de la santé à travers le vaccin et des étapes concrètes de coordination, même si elles restent à parfaire. La Commission européenne a d'ailleurs appelé à mettre en place, à l'avenir, une agence de santé commune, qui facilitera et soutiendra les efforts de recherche, tout en nous aidant à mieux nous préparer face aux futurs risques sanitaires. Aujourd'hui même, le Parlement européen a adopté, définitivement, des règlements permettant de créer un programme sanitaire au sein du prochain budget européen.

En troisième lieu, des ambitions fortes, soutenues activement par la France, ont été actées – essentiellement au cours de la nuit du 10 au 11 décembre – pour lutter contre le changement climatique. À la veille du cinquième anniversaire de l'accord de Paris, l'Union européenne devait se montrer exemplaire ; elle l'a été.

Conformément aux attentes de notre pays et à plusieurs échanges que nous avions eus dans cet hémicycle, a été adopté l'objectif d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Cela permettra de procéder au dépôt de la nouvelle contribution collective de l'Union européenne aux Nations unies, en vue de la prochaine COP organisée par l'Italie et le Royaume-Uni.

Plusieurs principes ont été définis dans ce cadre. Les conclusions du Conseil européen indiquent que l'Union européenne respectera les principes de coût-efficacité, d'équité et de solidarité dans la mise en place de cette transition vers une ambition climatique renforcée.

Pour accompagner cette transition, nous devrons mobiliser nos moyens financiers, renforcer le mandat de la Banque européenne d'investissement, comme nous avons commencé de le faire, et mobiliser, bien sûr, à la fois le plan de relance et le nouveau cadre financier pluriannuel. Plus de 30 % du plan de relance européen de 750 milliards d'euros sera consacré – c'est singulièrement le cas du plan de relance français – à la transition climatique et à la lutte contre le changement climatique.

Il a également été prévu, dans les conclusions du Conseil européen, de renforcer le système d'échanges de quotas d'émissions de l'Union européenne, notre outil de marché carbone, le système ETS.

Plus important encore – et certainement plus innovant – a été confirmée l'ambition commune de mettre en place à nos frontières, avant l'année 2023 et via des propositions législatives qui viendront au début de l'année 2021, un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Comme vous le savez, sans celui-ci, la transition écologique ne peut être ni juste ni efficace. Nous avons besoin de ce mécanisme à nos frontières pour faire en sorte que notre exemplarité climatique soit partagée par d'autres acteurs internationaux. La France veillera à ce que cette proposition législative intervienne dans les meilleurs délais.

En quatrième lieu, ce Conseil européen a confirmé l'engagement des États membres à faire usage de tous les moyens disponibles pour renforcer la sécurité de l'Union face à la menace terroriste. Vous le savez, c'est un objectif que le Président de la République a réaffirmé avec plus de force encore après les tragiques attaques que notre pays comme d'autres pays européens tels que l'Autriche ont affronté ces dernières semaines.

Le Conseil européen a fixé des objectifs qui devront être précisés, mais que la France soutient très largement : la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste, sur la base du règlement, désormais agréé, et d'une nouvelle ambition portée par les propositions de la Commission européenne qui seront présentées dans l'après-midi ; la responsabilité des plateformes en ligne, dans le même esprit ; la lutte contre l'influence étrangère exercée sur les organisations civiles et religieuses nationales, au moyen de financements parfois non transparents ; la nécessité de faire avancer nos travaux concernant la conservation des données, essentielle à l'activité de nos services de renseignement en particulier ; la pleine exploitation et l'accélération de la mise en place des nouveaux mécanismes d'information européens déterminants pour le fonctionnement de l'espace Schengen ; le renforcement du contrôle de nos frontières extérieures et, ainsi, du bon fonctionnement de l'espace Schengen.

Sur ce dernier point, la France continuera d'insister sur la nécessité d'une réforme, afin de pouvoir répondre avec plus de réactivité, de force et de cohérence aux défis et à la menace terroriste.

Je l'évoque brièvement, car les négociations se poursuivent – nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir – : ce Conseil européen a été l'occasion pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de faire le point sur les discussions en cours avec le Royaume-Uni, puisque l'échéance du Brexit effectif est imminente : le 1er janvier prochain, soit dans un tout petit peu plus de deux semaines.

Le fait que le Conseil européen n'ait pas discuté de manière approfondie de la question de la relation future avec le Royaume-Uni ni des négociations en cours n'est pas une façon de minimiser l'enjeu. Loin de là, cela témoigne de notre unité et de notre fermeté collective. Aucun État membre n'a rouvert le débat ni remis en question la confiance dans notre mandat et dans notre négociateur, lequel poursuit ses efforts à l'heure où nous parlons pour aboutir à un accord respectant, bien entendu, nos priorités, nos intérêts et nos lignes rouges.

Vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, la priorité que nous accordons à la pêche et à la nécessité absolue de conditions de concurrence équitables pour acter un accord sur la relation future avec le Royaume-Uni.

Au cours du dîner du 10 décembre, comme il est de coutume, puis dans la matinée de vendredi, les chefs d'État et de gouvernement ont abordé différents points de politique étrangère.

Ils ont d'abord évoqué la relation avec la Turquie et la situation spécifique en Méditerranée orientale. À l'égard de la Turquie, la France a agi comme fer de lance et tenu un discours de fermeté, qui porte ses fruits – je veux y insister. En effet, nous avons adopté à l'unanimité de nouvelles sanctions en raison des actions « unilatérales » et « provocatrices » – je reprends les termes des conclusions du Conseil européen – menées et poursuivies par la Turquie en Méditerranée orientale. Nous avions indiqué au mois d'octobre dernier que nous laissions à la Turquie le choix entre retrouver le chemin du dialogue et poursuivre ses actions provocatrices. Elle a manifestement opté pour cette seconde voie. Il était nécessaire que nous réagissions. C'était un test de fermeté, d'unité et de crédibilité pour l'Union européenne.

En outre, une clause de rendez-vous a été fixée en mars prochain, soit dans moins de trois mois, en vue d'examiner le rapport demandé au Haut Représentant de l'Union européenne, M. Josep Borrell, afin d'envisager d'autres mesures – d'autres sanctions, le cas échéant –, au-delà des actions menées en Méditerranée orientale. L'unité a été difficile à construire et à tenir. La fermeté l'a parfois été plus encore. Néanmoins, sous l'action de la France et, je le crois, grâce à un large consensus politique, nous avons réussi à entraîner l'Europe vers cette position de fermeté, indispensable face au comportement de la Turquie.

Le Conseil européen s'est également penché rapidement sur la relation transatlantique. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a évoqué la nécessité d'identifier des thèmes pour une alliance ambitieuse avec les États-Unis. Nous partageons avec cet allié et ami des valeurs fondamentales. Nous souhaitons nouer avec lui encore davantage de partenariats. Nous devrons sans doute réinventer la relation existante avec la nouvelle administration américaine.

L'attention du Conseil européen s'est également portée, en matière de politique extérieure, sur le voisinage sud, répondant en cela à une demande forte de la France. Vingt-cinq ans après le lancement du processus de Barcelone, il est essentiel de relancer ce partenariat stratégique. Un nouveau programme pour la Méditerranée sera élaboré autour de priorités communes, dans des domaines désormais bien identifiés, tels que l'environnement, l'éducation, la culture ou la préservation des ressources naturelles.

Plusieurs autres sujets de relations extérieures ont été évoqués par le Conseil européen : la Libye, la centrale nucléaire biélorusse d'Ostrovets et le régime mondial de sanctions de l'Union européenne en matière de droits de l'homme, qui constitue une nouveauté importante et qui avait été acté par les ministres des affaires étrangères préalablement, en début de semaine dernière.

Enfin, un sommet de la zone euro s'est tenu vendredi matin, en présence de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde. Il était important de préserver l'élan né des réformes importantes agréées par nos ministres des finances voilà quelques semaines à peine : la réforme du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui est un mécanisme supplémentaire d'assistance financière en cas de crise, et une étape vers une véritable union bancaire et une union des marchés de capitaux, avec la mise en place d'un filet de sécurité qui permet de renforcer, via le MES, le soutien à nos banques et, in fine, aux épargnants en cas de difficultés financières au sein de notre zone monétaire commune.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil, la réunion du Conseil européen a été longue, et son ordre du jour chargé. Quelques heures encore avant sa tenue, certains parlaient encore de "test", de "risque de délitement" ou de "désunion". Cependant, en cette période difficile, et au moins sur les trois points que j'ai mis en exergue – le rapport à la Turquie, la question budgétaire et celle de l'État de droit, qui lui est adossée, l'ambition climatique –, l'Europe a montré sa force et son unité. Je crois que le rôle de la France y a été central. Nous devrons continuer à l'exercer dans le cadre des réformes que j'ai évoquées, notamment sur la sécurité ou l'État de droit, lors des prochaines semaines. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

(…)

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Madame la présidente, monsieur le président Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, j'essayerai de donner le maximum de réponses aux différentes questions et remarques qui ont été formulées sur des points importants, en lien direct ou indirect avec le Conseil européen de la semaine dernière.

Monsieur Allizard, les préparatifs français par rapport au Brexit sont très avancés. Il nous sera possible de les affiner jusqu'au dernier jour, jusqu'à la dernière heure. Je le dis sous le contrôle de Jean-François Rapin, j'ai accompagné récemment le Premier ministre et plusieurs membres du Gouvernement dans les Hauts-de-France. Nous avons vérifié, notamment à Boulogne, à Calais, mais je l'avais fait aussi ailleurs précédemment, dans nos gares, dans nos aéroports et dans nos ports, l'état d'avancement des préparatifs.

Je rappellerai quelques éléments, qui témoignent de l'ampleur de l'effort qui doit maintenant être traduit opérationnellement. Nous avons recruté plus de 700 douaniers et plus de 300 vétérinaires supplémentaires. C'est un point important, car nous devrons, quoi qu'il arrive, procéder aux contrôles sanitaires et phytosanitaires des productions britanniques qui entreront sur le territoire français et de l'Union européenne.

Nous avons recruté également près de 300 policiers aux frontières supplémentaires. Comme vous le savez, sur ce plan aussi, les choses changeront le 1er janvier puisqu'il faudra désormais vérifier la durée de séjour des ressortissants britanniques qui entreront dans l'espace Schengen par la France ou par les autres pays de l'Union.

C'est un dispositif très lourd en termes de préparation que nous avons engagé avec les collectivités locales et les autorités portuaires ces derniers mois. Je crois pouvoir dire aujourd'hui que nous sommes prêts. Mais, bien sûr, nous le vérifierons ensemble jusqu'à la dernière seconde, avant que nous ne passions à la nouvelle année.

Je tiens à insister devant votre assemblée sur un point : deal ou no deal, accord ou non-accord, des changements interviendront le 1er janvier, notamment en ce qui concerne les contrôles douaniers, les contrôles de passagers ou les contrôles sanitaires et phytosanitaires, lesquels seront effectués même en cas d'accord avec le Royaume-Uni.

Vous avez soulevé plusieurs questions sur l'avenir de la relation franco-britannique ou euro-britannique. C'est un sujet très important. Il est bien évident que dans les prochaines semaines et les prochains mois se poursuivra, dans un cadre que nous devrons adapter, ajuster et sans doute approfondir, une coopération en matière de sécurité militaire bilatérale et européenne avec le Royaume-Uni.

Un sommet bilatéral franco-britannique se tiendra sans doute au début de l'année 2021, en fonction des circonstances et du calendrier du Brexit. Il sera l'occasion de remettre sur les rails cette coopération absolument indispensable que, quoi qu'il arrive, le Brexit ne saurait remettre en cause.

Vous avez souligné, monsieur Allizard, comme plusieurs de vos collègues, que l'accord européen, dans sa partie concernant, la Turquie était parvenue à une forme d'équilibre. Vous avez relevé qu'il marquait des avancées, mais également qu'il comportait un certain nombre de faiblesses ou d'insuffisances. Je suis prêt à partager certaines de vos réserves : nous devrions, sans doute dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois, aller plus loin.

Désormais, la posture et l'action européenne ont changé à l'égard de la Turquie. Au-delà du Président de la République et du Gouvernement, l'action de la France, celle que traduit notre mobilisation collective, a changé. Notre regard sur la Turquie a changé, notre comportement à l'égard de la Turquie a changé. Les sanctions individuelles dans le cadre du régime existant lié à la Méditerranée orientale sont une étape importante. Un point de rendez-vous supplémentaire au mois de mars prochain nous permettra éventuellement, sur la base d'un rapport du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell et en fonction du comportement de la Turquie, d'adopter d'autres mesures, au-delà même du régime de sanctions contre les activités de forage en Méditerranée orientale.

Vous nous avez aussi alertés sur la nécessité de ne pas « copier-coller » le concept stratégique de l'OTAN, qui sera discuté dans les prochains mois. Telle n'est bien sûr pas notre intention. L'Union européenne, en parallèle et de manière autonome, discute d'un concept ou d'une orientation stratégique que l'on appelle, dans le jargon européen, la "boussole stratégique". Ce projet aboutira, nous y travaillons, au moment de la présidence française de l'Union européenne en 2022. Nous aurons des liens avec l'OTAN, mais nous conduirons nos propres travaux et nous mènerons nos propres discussions.

Jean-François Longeot m'a questionné sur l'engagement climatique. Il a souligné que l'Europe était au rendez-vous, que le relèvement de nos ambitions à l'horizon de 2030 était un signal fort et qu'il était important que nos engagements ne soient pas remis en cause par la crise sanitaire. Je ne peux que partager cette reconnaissance de l'effort non seulement français, mais aussi européen.

Cette exemplarité européenne n'est pas une forme de naïveté ou d'isolement puisque nous entraînons, grâce à notre diplomatie climatique commune, un certain nombre d'autres grandes puissances, y compris la Chine, à engager ou à accélérer leur transition écologique.

La Chine, vous l'avez rappelé, a pris un engagement de neutralité carbone pour 2060. Peut-être pourrons-nous aller plus loin dans les prochains mois ? Quoi qu'il en soit, cette avancée est largement liée à l'effort européen que nous avons tenu, malgré les réticences ou les reculs américains des dernières années, dans les négociations climatiques internationales. Le fait que les Américains reviennent dans l'accord de Paris est une bonne nouvelle pour renforcer ce travail commun.

Je ferai, en réponse à Jean-François Husson, un certain nombre de rappels sur le plan de relance. Nous n'avons pas perdu six mois dans l'adoption finale de ce plan, depuis le Conseil de juillet : c'est la vie démocratique européenne et nationale normale !

Il y a eu certes des discussions entre les institutions européennes : ce n'est pas un scoop, car il est évident que la négociation d'un plan de relance n'est pas une mince affaire !

Ces discussions ont abouti à un accord des vingt-sept chefs d'État et de gouvernement le 21 juillet dernier. Malgré l'importance d'un Conseil européen, des mesures d'une telle ampleur ne peuvent s'y décréter sans discussions préalables. Le 16 novembre, le Parlement européen a adopté des actes législatifs. Nous avons alors travaillé, entre cette date et le 10 novembre, à désamorcer la menace de veto brandie par la Hongrie et la Pologne et nous sommes parvenus en moins d'un mois à lever ce blocage intempestif. Nous nous sommes donc montrés relativement efficaces et je ne crois pas que nous ayons perdu du temps !

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la suite du calendrier. Il faut distinguer entre budget ordinaire et plan de relance. Concrètement, un budget pour 2021 s'inscrira dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui débutera bien le 1er janvier prochain. C'est vrai pour la politique agricole commune, mais c'est vrai aussi pour la politique de cohésion et pour les fonds que nous donnons aux régions européennes. Toutes ces aides sont très importantes et seront au rendez-vous.

À côté de cela, viendra s'ajouter le plan de relance, qui mettra davantage de temps à se déployer pour une indispensable raison d'ordre démocratique : il importe en effet de ratifier au niveau national les ressources propres chargées d'abonder le plan de relance, fondé sur une dette commune.

Votre assemblée aura également à se prononcer. Je ne peux, en l'état, vous communiquer de date exacte, mais j'espère que nous pourrons poursuivre et achever la discussion parlementaire avant le début du mois de février. Le vote par l'Assemblée nationale et le Sénat des fonds dédiés au financement du plan de relance sera sans aucun doute un moment démocratique important.

Par ailleurs, nous préparons en parallèle d'autres actions puisque nous avons déposé à Bruxelles un plan national de relance et de résilience, soit le plan de relance déjà connu de votre assemblée. Ce plan sera déposé entre la fin du mois de janvier et le début du mois de février. Les premiers fonds européens arriveront au cours du printemps. Nous ferons très certainement appel à un dispositif de préfinancement afin de pouvoir disposer dès le printemps prochain d'une partie des quelque 40 milliards d'euros prévus, sans avoir à attendre encore des semaines et des mois.

Comme vous pouvez le constater, nous n'avons donc pas perdu de temps, y compris en ce qui concerne la mise en oeuvre des prochaines étapes du plan de relance !

Vous m'avez interrogé également sur l'impact économique d'un non-accord ou no deal. Le ministre de l'économie l'a encore précisé hier matin, il est estimé à 0,1 point de croissance pour 2021. C'est un impact certes modeste, mais il ne justifie pas une forme une légèreté ou de "romantisme" du non-accord : nous préférerions trouver un accord, non seulement pour notre situation macroéconomique, mais aussi pour certains secteurs particuliers, comme la pêche. Quoi qu'il en soit, nous n'accepterons pas un accord à des conditions dégradées.

Monsieur Rapin, vous avez évoqué la question sanitaire, notamment celle des vaccins. Je ne suis pas ministre de la santé et je ferai donc preuve d'une certaine prudence quant aux techniques sanitaires et vaccinales. Je crois néanmoins pouvoir affirmer que si un certain nombre de start-up sont en avance, c'est qu'elles font appel à des techniques innovantes : tant mieux pour la santé publique mondiale !

C'est cela qui, a priori, leur a permis d'avoir une longueur d'avance. Je rappelle que beaucoup de ces productions sont localisées en Europe, ce qui répond à la préoccupation industrielle évoquée par Pierre Laurent. Non seulement les vaccins mais parfois aussi la recherche – c'est le cas pour le laboratoire allemand BioNTech – ont été financés par le budget européen, notamment la phase de recherche fondamentale. Nous devons donc éprouver une fierté européenne à cet égard.

Vous avez évoqué les outils de protection industrielle. Ils ne seront pas remis en cause, même si des adaptations seront nécessaires en raison du Brexit. Je pense au brevet unitaire. Ces outils sont très importants pour faciliter notre politique d'innovation, notamment dans le domaine sanitaire.

Le mécanisme de conditionnalité relatif à l'État de droit, que vous avez également évoqué, monsieur Rapin, comme beaucoup d'autres intervenants, constitue une avancée majeure. Règle-t-il toutes les questions et couvre-t-il toutes les atteintes possibles à l'État de droit ? La réponse est "non". Pour être précis, la question de la corruption et celle de l'indépendance de la justice sont principalement visées dans les conclusions du Conseil européen et dans le mécanisme voté.

Il s'agit néanmoins d'une étape très importante, d'autant que c'est la première fois que nous établissons un lien entre l'attribution des fonds européens et le respect d'un certain nombre de valeurs fondamentales. C'est un outil complémentaire de l'article 7, qui permet de mettre la pression politique sur un certain nombre d'États membres. Il est activé pour la Pologne et la Hongrie. C'est aussi un outil complémentaire de l'action de la Cour de justice de l'Union européenne, qui sanctionne d'ores et déjà un certain nombre de violations de l'État droit, notamment dans les deux pays précédemment cités.

Oui, c'est un outil supplémentaire ; non, ce n'est pas un outil qui fonctionnera à l'unanimité ! Jacques Fernique l'a rappelé, c'est un outil qui fonctionne à la majorité qualifiée, qu'il s'agisse de l'adoption du règlement ou du déclenchement de la procédure. Nous n'avons donc pas donné un droit de veto à la Hongrie et à la Pologne sur cet outil supplémentaire, à la différence de certains des outils existants, comme la procédure de l'article 7.

Nous n'avons pas non plus laissé les clés de cet outil à ces deux pays. Le Conseil européen a simplement admis qu'ils avaient le droit, aux termes du traité, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour contester le règlement. Celle-ci se prononcera, mais j'ai confiance en la robustesse juridique du règlement négocié et approuvé par le Conseil et par le Parlement européen.

Pendant ce temps, la Commission ne suspend pas l'outil. Elle élaborera un certain nombre de lignes directrices afin de le préciser, mais elle peut tout à fait commencer à recueillir des informations et à mener des investigations si elle constatait des risques de violation de l'État de droit ou si elle en était alertée.

Je ne sais pas s'il faut parler de rétroactivité, mais les atteintes à l'État de droit pourront être sanctionnées sur la gestion de l'intégralité du budget dès le 1er janvier 2021, qu'il s'agisse de la gestion du plan de relance ou du budget européen. De toute façon, la Commission aurait eu besoin d'un peu de temps pour instruire les dossiers. Je ne crois donc pas, madame Harribey, que la procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne nous fasse perdre du temps.

Vous avez également abordé React-EU. Cet instrument du plan de relance européen bénéficiera directement aux régions, comme les fonds de cohésion que nous connaissons aujourd'hui. Pour la France, cela représente 4 milliards d'euros. Ces fonds, liés au plan de relance, ne seront sans doute disponibles qu'à partir du printemps prochain. Ils viendront s'ajouter aux fonds régionaux prévus dans le budget ordinaire pour soutenir l'investissement dans les régions.

Sur la question climatique, madame Harribey, nous devons encore, il est vrai, répartir les objectifs par pays. Nous devons aussi attendre les propositions de la Commission sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, appelé parfois taxe carbone aux frontières. Je le reconnais, ça n'est pas gagné. J'espère que nous mènerons ce combat de la manière la plus large possible, au-delà des sensibilités politiques de chacun, car il est juste et de bon sens.

Il ne serait pas logique de faire un effort climatique, vous l'avez tous souligné, à l'instar de Laurent Duplomb, au travers de notre politique agricole et autres, si nous laissions à nos partenaires et parfois à nos rivaux commerciaux internationaux toute latitude de ne pas consentir les mêmes efforts.

Ce mécanisme, comme son nom l'indique, est un ajustement visant à faire en sorte que tous ceux qui veulent avoir accès au marché européen paient in fine le même prix pour leurs émissions de carbone.

La Commission fera une proposition législative au premier semestre de l'année 2021. Le Parlement a beaucoup poussé en ce sens, et c'est une bonne chose. Notre engagement politique, que nous devrons poursuivre avec vigilance, est de faire en sorte que la discussion législative entre le Conseil et le Parlement européens puisse aboutir à une mise en oeuvre de cette taxe d'ici à la fin de l'année 2022 ou au début de l'année 2023.

Vous avez soulevé le point très sensible, et qui me tient à coeur, du Traité sur la charte de l'énergie. Vous avez raison, les discussions n'avancent pas de manière satisfaisante. Nous devons réviser ce traité, mais l'Union européenne ou les pays européens ne sont pas les seules parties prenantes. Avec plusieurs de mes collègues du Gouvernement, nous signons en ce moment même un courrier à l'attention de la Commission européenne pour mettre la pression et accélérer le processus. Si les discussions devaient s'enliser, il serait utile d'envisager une sortie de ce cadre, car, à l'évidence – plusieurs d'entre vous l'ont souligné dans le passé –, les dispositions actuelles de ce traité ne conviennent plus. Soit nous les modernisons rapidement, soit nous devrons prévoir une sortie conjointe du traité au niveau européen, ce qui soulève des questions juridiques, budgétaires et autres.

Vous avez évoqué la question du vaccin. La France, depuis le printemps dernier, défend son caractère de bien public. La présidente de la Commission européenne a annoncé aujourd'hui que nous nous mettions en état, par des soutiens financiers à diverses initiatives internationales en lien avec l'OMS, de faire des dons de doses aux pays qui en ont le plus besoin.

Au-delà du slogan, ce caractère de bien public mondial du vaccin doit être avéré et acté. Le Président de la République est favorable à ce que, sur chacun des contrats européens signés pour protéger notre propre population, une partie des doses soit réservée aux pays n'ayant pas les moyens d'accéder au vaccin.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la Conférence sur l'avenir de l'Europe. J'espère qu'elle pourra démarrer rapidement. Pour être tout à fait honnête, je ne pense plus que ce soit possible sous la présidence allemande de ce semestre. Elle pourra sans doute débuter au début de l'année, sous la présidence portugaise. Nous devons encore déterminer le nom de la personne qui la présidera. Le mandat est presque prêt. Bien évidemment, les parlements nationaux seront invités à contribuer au travail qui sera réalisé durant plusieurs mois.

Monsieur Laurent, vous avez déploré que le débat n'ait pas lieu au grand jour. Ce serait la première fois – faisons le pari ensemble – qu'une conférence, au-delà de la convention que nous avions connue dans le passé, qui constituait déjà un effort d'ouverture démocratique, serait ouverte à toutes les formations politiques, à toutes les assemblées parlementaires, à toutes les associations, à toutes les institutions et à tous les citoyens – car le Président de la République souhaite, comme il l'a évoqué hier soir, la participation de panels citoyens. Toutes les propositions sur le climat et sur bien d'autres sujets seront ensuite synthétisées et ramassées sous la présidence française de l'Union européenne, en lien avec les assemblées, pour dessiner une feuille de route pour les années à venir.

Je veux dire à M. Masson…

Mme Laurence Harribey. Il n'est plus là !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. … que je défends avec ardeur la solidarité européenne, y compris quand elle est difficile à expliquer. Nous parlons aujourd'hui de budget : dans le budget européen, la France contribue à la solidarité européenne à hauteur de plusieurs milliards d'euros par an – ne le cachons pas – afin d'aider d'autres pays, comme la Pologne, la Hongrie, etc. Il y va in fine de notre bénéfice commun. J'assume cette solidarité européenne, qui bénéficie à nos entreprises dans le cadre d'un marché unique européen : c'est notre force dans la mondialisation.

Je suis étonné que l'on soit prêt, quand on est attaché à la souveraineté, aux intérêts et – je l'espère – aux valeurs de notre pays, à transférer de l'argent sans aucune contrepartie et sans vérifier que des valeurs politiques fondamentales comme l'État de droit – il ne s'agit pas de broutilles ! – ne sont pas bafouées en toute impunité. Je n'ai pas cette conception de la souveraineté nationale et des intérêts de la France. Je regrette donc cette position.

Je crois avoir répondu à un certain nombre des préoccupations que vous avez exprimées, madame Mélot. Vous avez évoqué, comme Claude Kern, avec une pudeur qui vous honore, le maintien du siège du Parlement européen à Strasbourg. Au-delà du simple chauvinisme, c'est une question importante. Le Gouvernement défend nos intérêts. J'étais hier à Strasbourg où nous avons remporté une première bataille symbolique grâce à la présence du président du Parlement européen dans l'hémicycle, marquant ainsi que le Parlement siégeait bien à Strasbourg.

La France continue avec beaucoup d'élus, dont vous-mêmes, à défendre un retour rapide des sessions et la consolidation du statut de Strasbourg comme capitale européenne. Nous signerons à cet effet, entre l'État et les collectivités concernées, un nouveau contrat triennal dans les toutes premières semaines de l'année 2021.

Monsieur Fernique, j'ai rebondi, il me semble, sur votre remarque concernant l'État de droit. En ce qui concerne les ratifications nationales, je vous remercie de votre aide et je salue la mobilisation de votre famille politique écologiste. Il y aura, je l'ai dit, une ratification française. Elle est nécessaire, comme celle de tous les États membres. Sans donner de date définitive, je pense que nous pourrons acter tout cela au cours du premier trimestre de 2021.

Il est très peu probable que les pays qui exprimaient des réticences sur le plan de relance, y compris les « frugaux » et ceux dont les configurations parlementaires sont compliquées pour soutenir ces avancées européennes, s'opposent à cette ratification maintenant que l'accord est obtenu. Des vérifications ont été faites et parfois des mandats ont été donnés aux gouvernements en vue de la négociation.

Je pense avoir répondu aux aimables remarques formulées par le sénateur Gattolin. J'espère également que nous aurons rapidement un certain nombre de noms pour le Magnitsky Act à l'européenne.

En réponse à Mme Guillotin sur les vaccins, j'indique que l'Agence européenne des médicaments a annoncé aujourd'hui même qu'elle avançait au 21 décembre prochain la date à laquelle elle pourrait donner ses premières autorisations de mise sur le marché pour le vaccin Pfizer-BioNTech. Il s'agit de répondre aux préoccupations légitimes qui se sont exprimées sur les délais européens et d'aller plus vite, sous réserve, bien sûr, que l'Agence valide cette autorisation, car il s'agit d'une autorité indépendante et scientifique.

Les certificats de vaccination sont évoqués dans les conclusions du Conseil européen comme une piste à explorer. Mon avis personnel est qu'il faut faire très attention. Je partage donc votre préoccupation, notamment sur les travailleurs transfrontaliers. Tant qu'une immense partie de la population ne sera pas vaccinée, exiger une forme de passeport de cette nature reviendrait à créer, de fait, des barrières illégitimes, parfois très problématiques pour certaines activités du quotidien. Je rappelle que le travail transfrontalier concerne 350 000 de nos concitoyens en termes d'emplois directs, sans compter les emplois indirects et les familles.

Monsieur Laurent, je ne suis pas chargé du dossier Hercule, mais le temps du débat parlementaire sur ce projet viendra. Les fantasmes de négociations cachées ou en coulisses me paraissent tout à fait infondés.

S'agissant de la question de l'État de droit, je l'ai souligné, nous avons franchi une étape : saluons-la ensemble !

Faut-il continuer le combat sur l'État de droit, élargir les mécanismes à d'autres violations potentielles, renforcer le droit à l'avortement en Europe et les droits LGBT ? La réponse est "oui", comme je l'ai publiquement dit à de nombreuses reprises. Je continuerai ce combat et j'espère à cette occasion vous trouver aux côtés du Gouvernement. Quoi qu'il en soit, saluons aujourd'hui cette avancée, d'autant que le mécanisme adopté n'est pas bloqué par une exigence d'unanimité.

Faisons de la Conférence sur l'avenir de l'Europe un exercice démocratique ouvert : c'est possible et ça ne dépend que de nous.

Enfin, vous m'avez demandé avec ironie à quoi servait l'argent de la Banque centrale européenne. J'ai le souvenir de débats où votre famille politique, parfois à juste titre, reprochait à la Banque centrale européenne de ne pas soutenir l'emploi et la croissance, et d'être trop allemande ou trop "orthodoxe". Aujourd'hui, elle investit massivement pour consolider la croissance en période de crise : soutenons cette action, car, sans elle, les taux d'intérêt de nos entreprises et de l'État ne seraient pas aussi faibles. Or c'est la faiblesse des taux qui nous permet de répondre à la crise, dans cette période d'urgence.

Monsieur Kern, j'ai répondu à la question strasbourgeoise. Vous avez aussi évoqué les aspects liés au Brexit. D'un mot, oui nous défendons l'accès de nos pêcheurs à la bande des 6 à 12 milles. Il s'agit évidemment d'un point très important, encore à cette heure, dans les discussions entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Quant à la présence de la Royal Navy dans les eaux de la Manche, c'est une provocation aberrante. Je ne veux pas croire que cela aille au-delà d'une manoeuvre tactique, car je n'ose penser que nous soyons dans cette relation avec le Royaume-Uni. Réagissons donc avec calme.

Madame de Cidrac, vous avez abordé la question du calendrier sur les ressources propres. J'y ai répondu. Vous avez également évoqué les moyens mobilisés pour soutenir la transition écologique. Le fonds pour une transition juste est précisément inclus dans le cadre budgétaire pluriannuel. Il existe également d'autres instruments, comme le fonds de modernisation. C'est un des paramètres dont nous discuterons dans la suite des négociations pour la mise en oeuvre de l'objectif de moins 55 % agréé au niveau européen.

J'ai répondu, de fait, monsieur Louault, à vos questions sur la Turquie. Je précise néanmoins qu'il existe également une convergence euro-américaine en vue de davantage de fermeté à l'égard de la Turquie, notamment en raison de l'achat de matériels de défense russes. Au moment du Conseil européen, les Américains ont décidé des sanctions pour ce motif.

Monsieur Longuet, vous avez raison en ce qui concerne le marché unique de l'électricité. Nous défendons le choix stratégique de souveraineté que représente le nucléaire pour la France. Il est certes parfois de plus en plus attaqué au niveau européen, mais il s'agit, dans le jargon européen, d'un principe de neutralité énergétique : chaque État membre doit avoir une marge de manoeuvre, une fois les objectifs fixés, pour définir son mix énergétique.

Des pays ont renoncé au nucléaire, c'est leur choix et leur droit. Pour autant, ils ne doivent pas nous imposer un choix symétrique alors que nous avons opté avec justesse il y a quarante ans en faveur du nucléaire pour assurer notre souveraineté énergétique en même temps qu'un bouquet énergétique faiblement carboné.

Cet avantage est précieux, nous le défendons, y compris dans les négociations au sujet d'EDF et de nos mécanismes de fixation du prix de l'électricité. L'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'Arenh, fait précisément partie de nos discussions avec la Commission européenne. Il importe que les coûts ne soient pas excessifs ni trop strictement définis dans le soutien que nous apportons à nos grands opérateurs énergétiques, comme le Président de la République a eu l'occasion de le rappeler au cours du Conseil européen et lors de son déplacement au Creusot.

Monsieur Duplomb, un dernier mot sur les questions agricoles, que vous avez soulevées. C'est un vaste débat qui dépasse ma compétence, mais, je vous le confirme, nous avons la préoccupation réelle d'éviter toute forme d'iniquité dans les efforts que nous faisons en Europe pour défendre notre ambition climatique. Les éco-régimes ou les eco-schemes, comme l'on dit parfois, que vous avez évoqués, représentent une avancée importante qu'a négociée Julien Denormandie dans la prochaine politique agricole commune. Ils sont rendus obligatoires, ce qui limitera les distorsions de concurrence.

Vous avez parlé d'un certain nombre de trous dans la raquette ou de possibilités de dérogations. Cela fait l'objet de discussions en ce moment entre le Parlement européen et le Conseil, et nous serons vigilants à la fois pour que le niveau des éco-régimes soit ambitieux et pour que leur caractère véritablement obligatoire ne soit pas remis en cause. J'en ai conscience, cela ne fait pas tout le chemin pour construire cette équité dans les pratiques agricoles et dans les obligations climatiques qui y sont liées, mais c'est aussi important.

De même, les objectifs écologiques fixés dans les plans de relance et les budgets nationaux irriguent la politique agricole de chaque pays, parce que, pour atteindre 30% de dépenses pro-climat au niveau européen, il faut nécessairement mobiliser la PAC. D'ailleurs, je dois dire que la politique agricole commune est la première politique européenne intégrée, commune, qui contribue à la transition écologique. Il faut simplement qu'on l'organise de manière équitable en matière de concurrence interne.

Vous ne l'avez pas évoqué, mais je crois que c'est un point très important qui nous anime dans notre recherche d'équité : nous devons aussi faire en sorte que les accords commerciaux, qui sont parfois encore négociés ou discutés par l'Union européenne, ne ruinent pas les efforts de nos propres agriculteurs, de nos propres producteurs. C'est la raison pour laquelle nous avons cette position de fermeté, que vous connaissez, sur le rejet, en l'état du texte, du projet d'accord commercial que la Commission européenne avait négocié avec le Mercosur.

Voilà, à défaut d'avoir été synthétique, j'espère au moins avoir été complet dans mes réponses.


Source http://www.senat.fr, le 4 janvier 2021