Texte intégral
Q - Bonjour, Clément Beaune.
R - Bonjour.
Q - Hier, le négociateur européen, c'est-à-dire l'homme qui discute de cet accord futur entre le Royaume-Uni et l'Europe, parlait d'un "moment de vérité". "Plus que quelques heures utiles", nous expliquait Michel Barnier. 24 heures plus tard, où en est-on ?
R - Ecoutez, je sais que cette négociation est un peu frustrante parce qu'on a l'impression qu'on est toujours dans une forme de tunnel et, à l'heure où nous parlons, il y a encore des négociations, il y a encore des discussions. C'est sans doute, effectivement une question d'heures pour savoir si nous serons dans un deal, comme on dit, c'est-à-dire un accord, avec le Royaume-Uni, ou un no deal, une absence d'accord. Evidemment, ce n'est pas la même situation, votre reportage l'a bien montré, et Michel Barnier, son équipe, avec les négociateurs britanniques, discutent encore à ce moment-là des sujets les plus difficiles.
Q - Une question d'heures, c'est vrai qu'on est habitué à des dates butoirs qui tiennent ou qui ne tiennent pas, dans ces discussions sur le Brexit. Le Parlement européen dit que s'il n'y a pas d'accord signé dimanche soir à minuit, alors le ratifier à temps pour le 1er janvier sera impossible. Est-ce que ça vous fait peur, Clément Beaune ?
R - Ecoutez, il y a plusieurs choses. D'abord, je crois qu'il ne faut jamais négocier avec une forme de pression du temps, parce que dans ces cas-là vous êtes amené à faire des concessions pour avoir fini quoi qu'il arrive. Et nous, on ne veut pas un accord à tout prix. Je crois que cela serait une erreur parce que je sais que c'est frustrant, que c'est long, mais nous négocions là le plus grand accord, potentiellement, que l'Union européenne n'a jamais conclu. Le plus grand accord commercial, et c'est un accord qui va au-delà du commerce, qui nous engage pour des années, des décennies. Les accords commerciaux que l'Union européenne a conclus avec d'autres grandes puissances, cela a mis parfois vingt ans à être négocié, souvent dix ans. Donc là, il est normal de ne pas dire "écoutez c'est dimanche soir on s'arrête et on sacrifie tout". On ne fera pas cela, car ce qui est en jeu ce sont des secteurs entiers comme la pêche, ce sont les conditions de concurrence pour nos entreprises, dans la durée, on le voyait dans le reportage. Si on ne respecte pas, si les Britanniques ne respectent pas les normes européennes et ont accès à notre marché, on sera dans une situation inacceptable et qui sera dangereuse pour nos entreprises. Je sais que c'est difficile, je sais que parfois c'est compliqué à comprendre, mais je pense que c'est nécessaire de prendre ce temps-là et en tout cas de ne pas sacrifier nos intérêts sous la pression d'un calendrier.
Q - Est-ce qu'il est possible de ne pas avoir d'accord le 31 décembre, d'avoir des règles provisoires, et de continuer à négocier en 2021 ?
R - Je suis prudent, je préfère que l'on ne se fasse pas trop d'illusions, et à un moment donné, il faut être prêt. Donc, nous avons quelques heures devant nous ; peut-être quelques jours, tout au plus.
Q - Donc, c'est fait ce week-end ? Quelques jours ?
R - Peut-être, cela dépend un peu de l'état d'esprit de la négociation. Là, on va essayer d'avancer dans les heures qui viennent. Il y a la question du Parlement européen, de la ratification par nos parlements, de ces accords. Mais il y a aussi la question, on l'évoquait dans vos sujets, de la préparation des entreprises. On ne peut pas dire aux entreprises le 31 décembre à 20 heures "dans quatre heures les choses changent". Il faut anticiper, il faut se préparer.
Q - On est prêt ?
R - Alors il y a, de toute façon, des changements qui interviennent au 1er janvier, quoi qu'il arrive. Ça, je crois que le message ne passera jamais assez, quoi qu'il arrive, accord ou non accord. Les contrôles douaniers, les contrôles qu'on appelle sanitaires et phytosanitaires, c'est-à-dire pour respecter nos normes alimentaires par exemple c'est très important. Ça, cela se fera, car le Royaume-Uni n'est plus un pays européen, de l'Union européenne, au 1er janvier, quoi qu'il arrive.
Q - Est-ce que s'il n'y a pas de deal, vous redoutez le chaos ?
R - Ecoutez, non, parce qu'on s'est préparé. On s'est préparé notamment du côté français, du côté européen. On a recruté beaucoup de douaniers, plus de 700 douaniers en France, notamment dans les Hauts-de-France, en Bretagne, en Normandie. On a recruté des policiers aux frontières, dans nos gares, dans nos ports, dans nos aéroports, et on a recruté, c'est important aussi, plus de 300 vétérinaires pour effectuer ces contrôles de sécurité alimentaire. Ce dispositif, il est prêt, dans tous nos ports, on a investi des dizaines de millions d'euros pour avoir ce qu'on appelle des files vertes pour ceux qui viennent de l'Union européenne, des files oranges, etc. Il y a des choses très concrètes qui sont prêtes, qui sont de toute façon nécessaires, accord ou non accord. Après, il faut être honnête, il y aura sans doute des ajustements, peut-être des moments de difficulté. On surveillera cela comme le lait sur le feu dans les premiers jours de janvier. Puis un dernier point, ce que l'on ne sait pas exactement, pour être tout à fait honnête, et il faut qu'une entreprise s'y prépare, c'est ce qu'ont fait comme préparatifs les Britanniques.
Q - On l'a entendu dans la correspondance de Maxence Pennier, ils n'ont pas l'air tout à fait prêts, les Britanniques ?
R - Je crains aussi que les préparatifs ne soient pas là du côté britannique. Donc, pour ceux qui exportent, notamment les petites entreprises qui exportent vers le Royaume-Uni, parfois c'est une part importante on l'a entendu de leur chiffre d'affaire, il faut être vigilant dans les premiers jours de janvier. On les accompagnera, et nous ferons d'ailleurs une campagne de communication dans les tout derniers jours de décembre et les premiers jours de janvier pour expliquer ; nous avons un site internet, www.brexit.gouv.fr, qui explique tout cela. Et je renvoie chacun à ses préparatifs parce que c'est très important.
Q - Sur le fond des négociations, vous en avez parlé, on dit que cela bute encore sur la pêche mais qu'il y aurait eu des avancées, par exemple sur les normes. Est-ce que le Royaume-Uni est prêt à s'engager, est-ce que cela fait partie des dernières avancées, à ne pas diverger trop des normes européennes ?
R - Oui, ça c'est très important pour nous. Il y a deux points pour résumer qui sont très sensibles. La pêche, car les Britanniques, juridiquement, reprennent le contrôle de leurs eaux de pêche. Mais nous, nous leur disons : vous voulez avoir accès à notre marché, il n'y a aucune raison que vous nous priviez totalement d'un accès à vos eaux, cela serait injuste, inéquitable.
Q - Et là, cela bloque encore ?
R - Cela bloque encore parce que c'est sensible, économiquement, politiquement, et donc, on se bat pour cela car c'est l'intérêt, dans la durée, de nos pêcheurs et de toute une filière. C'est très important. Et puis il y a ce que l'on appelle les conditions de concurrence équitable, c'est ce à quoi vous faisiez référence. C'est un nom un peu barbare ; qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que justement si les Britanniques veulent avoir accès à notre marché, au marché européen, nous sommes prêts à leur donner, ce qui est déjà un geste important, personne n'a accès à 100% au marché européen, aucune puissance au monde. Nous sommes prêts à donner aux Britanniques, mais, à une condition sine qua non, c'est qu'ils respectent nos normes.
Q - Est-ce qu'ils y sont prêts. Est-ce qu'il y a une avancée là-dessus ?
R - De toute façon, il n'y aura pas d'accord s'ils ne sont pas prêts à respecter nos règles.
Q - Là vous ne voulez pas me dire si, pour l'instant, ils sont engagés ou pas ?
R - Je pense qu'ils ont compris que c'était la condition. Nous avons un certain nombre d'avancées techniques sur ce point. Mais il y a encore des discussions et c'est un des points qui est, à l'heure où nous parlons, encore en discussion.
Q - S'il y a deal, s'ils ont accès au marché unique, est-ce qu'ils vont payer une contribution ?
R - Il y a deux choses. D'abord ils nous doivent de l'argent. Ils nous doivent autour d'une quarantaine de milliards d'euros ; au titre du passé, parce que nous avons pris des engagements ensemble, on a lancé des investissements, on a payé des fonctionnaires européens, etc. Tout cela ils vont le payer, c'est déjà prévu dans un accord précédent, ce qu'on appelle l'accord de retrait, et ils vont le payer progressivement dans le temps. Donc, il n'y a pas de cadeau, c'est une facture qu'ils vont régler. Et puis, si les Britanniques veulent participer à des programmes qu'on fait en Europe, un programme de recherche, le programme Erasmus etc., bien sûr, il y a une facture à payer. Il y a un principe qu'on a posé, c'est qu'ils ne pourront pas avoir une situation budgétaire meilleure, après, qu'avant. Donc, ils paieront plus qu'avant s'ils veulent participer à vos programmes.
Q - On parle du dossier des vaccins à présent avec vous, la pandémie. On voit que l'Italie re-confine, l'Autriche bientôt. Les vaccins arrivent. On est à huit jours de la campagne européenne de vaccination. La France a commandé 200 millions de doses mais, Clément Beaune, certaines voix s'inquiètent déjà de pénuries. Pouvez-vous nous dire combien on aura reçu de doses, d'ici juin ?
R - Non, il n'y a pas de pénurie. Mais on l'a dit, et on l'a sécurisé par des contrats européens, c'est très important, 1,5 milliard de doses, environ 200 millions de doses pour la France, ça, cela tient, cela arrivera, progressivement à partir de la fin de l'année jusqu'au printemps et la fin du printemps, et il n'y a pas d'inquiétude à avoir sur des pénuries. Mais tout n'arrivera pas, évidemment, le 31 décembre ou le 1er janvier.
Q - C'est toute la question, apparemment certains croient savoir que tout ne sera pas là aussi rapidement qu'on l'espérerait ?
R - Non, on a toujours dit, quand le Premier ministre a présenté la stratégie vaccinale, que les choses s'étalaient dans le temps. Pourquoi ? Parce qu'il y a un ou deux vaccins qui vont être autorisés dans les prochains jours. Sans doute un le 21 décembre, un autre tout début janvier, le 6 janvier probablement. C'est quelques centaines de milliers de doses, quelques millions de doses, qui vont arriver pour l'Europe à ce moment-là. Puis, cela va monter en puissance progressivement car la production va monter en puissance et parce que d'autres vaccins vont être accrédités. C'est une stratégie, je voudrais insister là-dessus, qui ne repose pas sur un ou deux vaccins mais qui repose sur au moins six vaccins. Quand on dit 1,5 milliard de doses, ça c'est sécurisé, cela arrivera, mais cela arrivera entre maintenant et la fin du printemps, cela n'arrivera pas, tout d'un coup, après Noël, ça, c'est sûr.
Q - On n'a jamais été aussi vite dans ces procédures de validation. S'il y a des effets secondaires graves, on ne sait pas qui est responsable, entre les laboratoires et les Etats. Un eurodéputé de la majorité, Pascal Canfin, réclame plus de transparence sur les contrats, la responsabilité, qui paiera. Et vous, cela vous inquiète ?
R - Non, je vais vous dire, on a même, - pour être très précis sur cette question de la transparence -, travaillé avec la Commission européenne, pour que les contrats soient connus des parlementaires européens. Chacun doit comprendre qu'un contrat, si je le mettais sur votre table et qu'on l'avait sous les yeux, sans doute on ne comprendrait pas très bien, c'est très compliqué, ce sont des milliers de pages. Donc, c'est normal que nos parlementaires, - parce qu'ils peuvent regarder, comprendre, explorer -, aient accès. C'est ça que l'on a sécurisé. Les parlementaires européens auront accès à ces données.
Q - Il peut aller lire le contrat dans une salle spéciale, apparemment ?
R - Oui exactement. On respecte un certain nombre d'éléments industriels de confidentialité. C'est normal parce que sinon on met les Européens et nos industriels en difficulté par rapport aux autres. Mais il y aura ce contrôle démocratique. Avec Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, et avec Olivier Véran, nous avons écrit cette semaine à la Commission européenne, pour demander aussi plus de transparence, une évaluation de chaque contrat. Ça, cela sera fait, nous le demandons aussi, et Pascal Canfin a raison. Sur les règles de responsabilité, il n'y a pas de fantasme à avoir, elles sont encadrées par une directive, les laboratoires sont responsables. Ça, c'est clair, il n'y a pas eu de dérogations qui ont été données dans ces contrats-là. Puis il y a un dispositif qui existe déjà, qui est que si des éléments que l'on ne connaît pas, puisqu'on ne connaît pas tout, au moment où le vaccin est développé, il peut y avoir une responsabilité publique pour que, dans tous les cas, la personne qui serait en difficulté, - un malade potentiel -, soit prise en charge et indemnisée. Il y a un dispositif de responsabilité des laboratoires et des Etats conjoints, avec des cas différents, qui fait en sorte que tout le monde est protégé en cas de difficulté. Donc, on n'a pas, et je crois que c'est le meilleur moyen d'éviter les fantasmes, c'est précisément la transparence, et chacun pourra vérifier dans les contrats par ces parlementaires, par des évaluations indépendantes, que nous avons bien fait les choses.
Q - Dernière question, puisque vous avez discuté du Brexit avec le malade Emmanuel Macron, qui est toujours à l'isolement, est-ce que le chef de l'Etat va bien ?
R - Ecoutez, vous l'avez vu en vidéo, il fait la transparence aussi sur cette situation, il semble effectivement un peu affecté et fatigué parce qu'on le sait ce virus est dur et il touche tout le monde, le Président de la République comme chacun, potentiellement. Le Président respecte les règles et s'est mis à l'isolement et il continue à travailler, notamment sur le dossier du Brexit que l'on a évoqué ensemble.
Q - Vous l'avez eu il y a quelques heures ?
R - Oui, régulièrement car c'est un dossier qu'il suit de très près, qui est très important pour la France. Il travaille, mais en se mettant à l'isolement, avec sans doute un peu de fatigue, bien sûr.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 janvier 2021