Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, avec LCI le 20 décembre 2020, sur l'Union européenne face à l'épidémie de Covid-19.

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Texte intégral

R - Bonsoir. Tout à fait, il s'est tenu sous l'autorité du Président de la République un conseil de défense cet après-midi qui a été réuni pour examiner la situation du Royaume-Uni en urgence car nous avons des nouvelles préoccupantes. Il a donc été décidé que, pendant 48 heures, le trafic en provenance du Royaume-Uni serait, quels que soient les moyens de transports, suspendu, que ce soit par voie aérienne, maritime, ferroviaire et même routière. Il y a une dérogation pour les marchandises quand elles ne sont pas accompagnées, les conteneurs par exemple, mais globalement, ce sont donc toutes les liaisons depuis le Royaume-Uni vers la France qui sont interrompues pour ces 48 heures. Pourquoi 48 heures ? C'est une mesure d'urgence que l'on prend face à la gravité de la situation et vous l'avez dit, comme nos partenaires européens, et nous utilisons ces 48 heures qui sont devant nous, pour coordonner la suite des mesures éventuellement nécessaires avec nos partenaires européens. Nous avons engagé cette concertation dès aujourd'hui, et nous la poursuivrons demain, pour examiner plus précisément les données sanitaires, et aussi pour trouver des solutions concrètes pour nos ressortissants français qui sont actuellement au Royaume-Uni et qui pourraient vouloir revenir pour les fêtes en particulier. Nous examinons ce que nous pouvons faire pour que leurs déplacements soient possibles, dans les jours qui viennent. Mais nous devions prendre cette mesure d'urgence et de précaution.

Q - Justement Monsieur le Ministre, ce soir, pour les Français qui se trouvent à Londres, dans le Royaume-Uni au sens large, pour eux, de toute façon, il n'y a pas de dérogation, il va falloir attendre au moins cette période de 48 heures ?

R - Oui, absolument, je le disais, cette période de 48 heures est une période de précaution et d'urgence, on doit la prendre, je sais que c'est contraignant et que cela crée des angoisses. Je pense à tous nos compatriotes qui sont soit résidents, soit actuellement pour diverses raisons au Royaume-Uni.

Je me suis entretenu avec leurs élus et avec notre ambassade, nous examinerons toutes les situations. J'ai un message ce soir très concret, c'est qu'il faut effectuer le plus rapidement possible, pour ceux qui souhaiteraient rentrer dans les prochains jours, un test PCR parce que, si nous arrivons et je l'espère, nous y travaillons, à mettre en place un protocole pour qu'ils puissent rentrer après cette période de 48 heures de gel, en quelque sorte, il faudra certainement prendre des mesures de précautions spécifiques et notamment des tests au départ. C'est ce à quoi nous travaillons, nous le préciserons évidemment en temps utile.

Q - Peut-on imaginer, Monsieur le Ministre, une période de quarantaine qui nous ramènerait quelques mois en arrière pour nos ressortissants ?

R - Ecoutez, je ne peux pas l'exclure. Nous regarderons avec le ministre de la santé, avec le ministre des transports, nous examinons les options. Je ne peux ni créer de faux espoirs, ni créer d'inquiétude excessive. Il y a, pendant 48 heures, cette suspension qui est nécessaire ; vraiment, si on peut donner un conseil pratique ce soir, c'est de faire un test PCR pour tous ceux qui envisageraient de rentrer pour les fêtes, et nous préciserons les conditions de retour possible sur le territoire, dans les heures qui viennent, après concertation européenne aussi, parce qu'il est évident que nous sommes dans un espace commun. Il y a des liaisons ferroviaires avec d'autres pays européens, la Belgique, par exemple, des liaisons aériennes avec beaucoup de pays européens. Donc, nous devons coordonner tout cela. Je sais que c'est compliqué, mais le Président de la République l'a dit lui-même, on va chercher des solutions pour nos ressortissants, c'est l'objectif des heures qui viennent.

Q -Clément Beaune, je sais que ce n'est pas votre domaine de compétence, mais le ministre de la santé n'était pas à vos côtés mais il participait à ce Conseil de défense. Concernant ce virus que l'on appelle mutant, l'OMS a mis en garde, en avez-vous discuté, en sait-on un peu plus ce soir ?

R - Les discussions de ce soir étaient principalement consacrées à cette question, parce qu'il y avait urgence, des liaisons avec le Royaume-Uni, je ne suis pas ministre de la santé et je crois que dans ces moment-là, il faut parler avec sérieux et avec prudence, mais nous avons eu des nouvelles du Royaume-Uni qui justifie ces mesures faisant état d'une rapidité de circulation, et peut-être d'une contagion qui sont élevées. Et donc nous devions prendre ces mesures, vous l'avez vu, nos partenaires européens les ont prises aussi, le président s'est entretenu avec plusieurs chefs d'Etat et de gouvernement dont la Chancelière Mme Merkel et la Présidente de la Commission Mme von der Leyen. Et sur le plan sanitaire, c'est justement pour en savoir plus que nous prenons ce délai de précautions de 48 heures.

Les Britanniques ont notifié un certain nombre d'informations à l'OMS et nous regarderons cela avec les Organisations internationales et avec nos partenaires européens dans les heures qui viennent, pour être précis, parce que les Britanniques ont dit aussi, mais nous vérifions tout cela, qu'il n'y avait pas plus de danger et pas de résistance accrue au vaccin, semble-t-il, avec cette version du virus. Mais je suis prudent pour l'instant, c'est le ministre de la santé qui donnera toutes les précisions nécessaires sur ce volet.

Q - Monsieur le Ministre, moi je ne me renseigne que sur LCI, j'étais tout à l'heure devant cette chaîne où Mme Carine Lacombe, qui est infectiologue et que vous connaissez sûrement, a expliqué que ce serait absurde d'arrêter les voyages depuis le Royaume-Uni, parce que cette nouvelle souche du virus était déjà présente sur le continent européen et qu'il n'y avait pas de preuve d'une infection ou d'une contagion plus rapide. Vous ne pensez visiblement pas comme elle, je voudrais savoir si du coup, au Conseil de défense, vous étiez tous d'accord sur cette position, et sur la position de Mme Lacombe vous paraît absurde ?

R - Moi je ne fais pas de débat scientifique, même avec des professeurs parfaitement respectables, parce que je ne suis pas un scientifique et je ne suis pas ministre de la santé ; je ne fais pas non plus état des débats internes au conseil de défense.

Q - Oui mais vous prenez des décisions !

R - Oui, bien sûr ! Mais les décisions étaient très claires, je l'explique et c'est pour cela que je suis ce soir avec vous. Ce qui est très clair, c'est qu'il n'y a pas de doute sur le fait que l'on doit prendre une mesure de précaution, comme l'on fait nos partenaires européens pour justement examiner la situation exacte. À partir du moment où les Britanniques prennent eux-mêmes des mesures, qu'ils font état et nous signalent eux-mêmes, qu'il y a peut-être un danger supplémentaire, nous devons prendre des mesures conservatoires, dures, et je l'espère temporaires, pour analyser la situation.

Vous le savez, nous n'avons jamais été, tout au long de cette épidémie, ceux qui ont dit que le virus s'arrêtait aux frontières, cela n'a aucun sens, et nous avons même parfois été critiqués pour cela. Donc, nous sommes pragmatiques, nous sommes protecteurs, là nous devions prendre une mesure de précaution et d'urgence comme je le disais, je crois que c'était nécessaire, je veux l'expliquer à nos concitoyens ce soir, et je veux dire aussi à nos ressortissants que l'on essaie de faire en sorte que les choses se résolvent le plus vite possible, pour eux en particulier. Prenons le temps de cet examen scientifique.

Q - Il y a une coïncidence un peu malheureuse de l'agenda, avec les négociations sur le Brexit, on sait qu'il y a ce soir un accord en suspens sur la question de la pêche puisque l'on doit avoir une négociation jusqu'au 31 décembre ? Cela parasite-t-il un peu, ces négociations, de dire que l'on ferme les frontières ? Nous ne sommes pas les seuls mais cela risque-t-il de coincer ou de parasiter ces négociations qui sont déjà extrêmement difficiles ?

R - Non, je ne crois pas, on ne gère pas cette pandémie avec des critères politiques. Ce serait une erreur. On la gère sur des critères sanitaires, avec parfois des mesures de précaution comme on le fait ce soir en étant prudent et en protégeant la santé des Français. Ce n'est pas une mesure punitive ou politique, c'est clair.

Il y a en parallèle vous l'avez dit, et c'est en soi un dossier très lourd dans lequel je m'implique beaucoup, la négociation avec le Royaume-Uni ; ce ne sera pas parasiter par ces discussions, et cela montre une chose, c'est que l'on est dans un même espace, et que ceux qui prônent le repli et l'absence de coopération sont clairement dans un monde qui n'existe pas et qui vend des illusions.

Nous ne faisons pas de politique avec la santé, nous protégeons les Français et les Européens, c'est notre responsabilité, et c'est la France aussi qui a initiée une coordination européenne pour être dans cet esprit dès cet après-midi.

Q - Monsieur le Ministre, la question que je voulais vous poser est celle-ci : quelles sont les perspectives d'un accord européen pour prendre, en quelque sorte, une position unique vis-à-vis de la Grande-Bretagne en matière de santé ? Au bout de 48 heures, l'ensemble des pays européens vont-ils se mettre d'accord ?

R - D'abord, vous l'avez vu, même s'il y avait une forme d'urgence et de rapidité de décisions à prendre nous avons coordonné au maximum les choses. L'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la France, et ce soir encore d'autres pays européens, l'Italie et l'Espagne, notamment ; et il y a eu une réunion au niveau des conseillers de chaque chef d'Etat et de gouvernement de tous les pays européens, nous faisons en sorte que nos mesures soient les plus proches possible, et elles le sont, notamment avec nos pays frontaliers. Et dès demain matin, il y aura une nouvelle réunion à Bruxelles pour essayer justement, au-delà des 24 ou 48 heures que beaucoup de pays ont décidé de prendre par précaution pour avoir les mêmes mesures. Donc, même quand c'est urgent, même quand c'est difficile on essaie de se coordonner, ce n'est pas simplement pour le principe, c'est parce qu'on est plus efficace comme cela. On a un espace commun de vie et de circulation, de vie économique entre la Belgique, la France, l'Allemagne, le Luxembourg, etc., ce serait inefficace, sur le plan économique et sur le plan sanitaire de ne pas avoir les mêmes mesures. Il y a donc ce délai, et nous affinerons les choses, dès demain, avec les Européens. Je crois que c'est très important de garder cette coordination.

Q - Une dernière question Monsieur le Ministre, vous parlez d'Europe, on passe pour des cas un peu à part en Europe. L'Allemagne reconfine, l'Italie, vous le savez, d'autres pays dont on ne fera pas la liste, le Royaume-Uni, bien sûr. Et la France autorise les Français à se déplacer pour ces fêtes de fin d'année. Beaucoup s'interrogent, y aurait-il justement une concertation à l'échelle européenne sur un éventuel reconfinement, une éventuelle troisième vague, une politique plus européenne en ce qui concerne la lutte contre ce virus ?

R - Nous regardons tous les jours ce que font nos voisins européens qui s'adaptent aussi à la situation sanitaire de chaque pays. Je veux dire, notamment à tous ceux qui disaient que nous étions trop durs, que l'on prenait des mesures trop difficiles dans tel ou tel secteur. Vous le voyez, on a pris, par rapport à nos voisins européens, la plupart du temps, dès la fin octobre et le début novembre, des mesures plus dures, plus tôt. Je crois que l'on voit, il faut rester évidemment très prudent, que cela a eu un effet. Cela ne résout pas tout, d'évidence, l'épidémie est encore là, mais cela a eu un effet de baisse très forte de l'incidence de l'épidémie dans notre pays, et c'est parce qu'il y a ces efforts que nous sommes aujourd'hui dans une situation qui n'est pas si mauvaise. Je suis évidemment prudent parce que l'on voit bien que le virus circule, et avec l'épisode dont on parle avec le Royaume-Uni, il peut toujours y avoir des problèmes, mais je crois que c'était aussi la preuve que ces mesures précoces, responsables, parfois difficiles et contestées, étaient justifiées. Tous ceux qui expliquaient que l'on surréagissait, on les entend moins ces derniers jours. Restons prudents, restons vigilants, mais c'est parce que les Français ont fait des efforts, parce qu'on leur a demandé des efforts, qu'ils ont été responsables, tôt, il y a déjà plusieurs semaines, qu'aujourd'hui, et je croise les doigts, nous sommes dans une situation qui est parfois mieux maîtrisée qu'ailleurs.

Q - Merci d'avoir été avec nous, Monsieur le Ministre, juste peut-être une petite précision en info pratique, si je dois me rendre au Royaume-Uni, là au moins le sort est scellé, mais si je suis un ressortissant français, si j'ai de la famille, des enfants par exemple, si j'ai des questions, je m'adresse à qui ce soir ?

R - Je veux préciser une chose que je n'ai peut-être pas dite, c'est qu'aller de France au Royaume-Uni c'est possible, simplement et en tout cas dans les 48 heures qui viennent, il n'y aura pas de retour organisable dans cette période, et peut-être au-delà en fonction de la situation. Et s'il y a des questions pratiques, nous actualisons en ce moment-même les informations sur le site du Quai d'Orsay : www.diplomatie.gouv.fr et pour nos ressortissants qui seront de l'autre côté de la Manche, l'ambassade et le service du consulat sont à disposition dès ce soir.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 janvier 2021