Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, à France Inter le 21 décembre 2020, sur l'Union européenne face à l'épidémie de Covid-19.

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Q - La France a donc décidé hier de fermer provisoirement ses frontières avec l'Angleterre pour faire face à une nouvelle forme plus contagieuse du coronavirus qui circulerait depuis quelques jours au Royaume-Uni, toutes les liaisons maritimes, aériennes, ferroviaires ont été suspendues depuis cette nuit minuit, toute circulation est interrompue en provenance de l'Angleterre et ce pour l'instant pour 48 heures. Bonjour, Clément Beaune.

R - Bonjour.

Q - Vous êtes le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, merci d'avoir accepté notre invitation. Première question, pourquoi 48 heures, pourquoi seulement 48 heures et que va-t-il se passer après ?

R - Alors, c'est un délai d'urgence et de précaution. Nous avons reçu ce week-end de la part des autorités britanniques elles-mêmes, par le Premier ministre Johnson, des informations qui ont justifié, chez eux, des mesures de restrictions supplémentaires, comme on l'a vu à Londres dans le sud du pays, et qui parlaient de nouvelles variations, de nouvelles souches du virus, que les Britanniques ont d'ailleurs notifié aussi aux autorités internationales, à l'Organisation mondiale de la santé. Donc, nous avons discuté avec nos partenaires européens, dès samedi soir. Dimanche matin, le Président de la République s'est entretenu notamment avec la Chancelière Angela Merkel, et nous avons décidé que, pour rassembler le plus d'informations possibles pour ces 48 heures, nous devions prendre une mesure d'urgence, dure, parce qu'il en va de la protection de la santé. Donc, nous avons suspendu, comme beaucoup de pays européens d'ailleurs, certains comme nous pour des délais réduits, c'est le cas par exemple de la Belgique qui a aussi le plus gros trafic de marchandises et de passagers avec le Royaume-Uni, de suspendre toutes les liaisons.

Q - Donc c'est 48 heures pour s'organiser ?

R - C'est 48 heures pour faire trois choses. Pour clarifier les informations scientifiques et faire la transparence, on le fera. C'est 48 heures pour coordonner encore mieux au niveau européen ; ce matin même nous l'avons demandé il y a une réunion à Bruxelles, pour voir ce que nous faisons justement au-delà de ce délai. Et c'est 48 heures aussi, parce que nous y pensons dès le début, à nos ressortissants, à nos compatriotes, qui sont au Royaume-Uni et qui voudraient, c'est légitime, pouvoir rentrer pour les fêtes, et nous devons chercher des solutions pour eux au-delà de ce blocage de 48 heures très strict.

Q - Pour l'instant pour ces Français qui sont coincés au Royaume-Uni, il n'y a pas encore de choses qui sont organisées ou vous avez déjà une petite idée de ce qui va être décidé ?

R - Nous avons un message très simple : faites des tests PCR.

Q - C'est ce qui sera demandé pour pouvoir rentrer ?

R - Cela sera certainement, le Premier ministre l'a annoncé hier soir, demandé, si au-delà du délai de 48 heures, nous pouvons organiser des trajets, ferroviaires, par ferry, par avion, de retour. C'est notre souhait, nous le préciserons très vite. Mais, d'ores et déjà, puisqu'il faut un petit délai, notamment au Royaume-Uni, il faut faire un test PCR puisque cela sera certainement une des exigences demandées au retour. Donc j'invite tous nos compatriotes à le faire et à se rapprocher si besoin de nos autorités, de l'ambassade et du consulat.

Q - Clément Beaune, plusieurs pays ont pris la même décision que la France, c'est le cas des Pays-Bas, par exemple, de la Belgique, de l'Italie, de l'Allemagne. Est-ce que l'Union européenne s'apprête à demander à tous ses Etats membres de se conformer à cette décision ?

R - C'est ce qui sera exactement discuté aujourd'hui. Nous avons échangé aussi, hier, avec la Commission européenne pour que les mesures soient les plus proches possibles. Je voulais le souligner puisque cela était souligné sur d'autres aspects, il y a un peu d'Europe-bashing, si je peux le dire ainsi de temps en temps. On n'est pas assez coordonné, on ne va pas assez vite. Regardez ce qui s'est passé. Cela ne se serait pas passé comme cela il y a quelques mois. On a eu une information sanitaire, grave. Nous nous sommes concertés, avec l'essentiel de nos voisins, nos pays les plus proches notamment l'Allemagne, les autorités européennes, et nous avons pris cette mesure d'urgence qui est globalement la même d'un pays à l'autre. Donc, la coordination elle existe, je voulais insister sur ce point. On va la renforcer pour que pour les fêtes, pour les jours qui viennent, on ait exactement les mêmes mesures. C'est très important, cela crée de la confiance aussi parce que chacun regarde ce qui se passe chez le voisin, c'est normal.

Q - Mais que ferez-vous contre les éventuels récalcitrants ? Il y en aura peut-être, ou forcément ?

R - Soyons pragmatiques, l'essentiel du trafic avec le Royaume-Uni, pour les marchandises, passe par la France et par la Belgique un petit peu. Il passe pour le trafic de personnes, de passagers, par la France, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas. Donc, pour ces pays-là, qui sont les plus concernés, on sera concerté et on agira ensemble. Donc, je n'ai pas d'inquiétude sur cet engagement européen commun.

Q - Alors plusieurs pays européens reconfinent ou s'apprêtent à reconfiner. Vous étiez, Clément Beaune, au Conseil de défense sanitaire hier en fin de journée. Est-ce que la France y pense, à un troisième confinement ?

R - Alors, écoutez, je ne veux pas qu'on agite des solutions qui ne sont pas aujourd'hui sur la table. Je veux être très clair là-dessus, parce que beaucoup nous disent aujourd'hui : "c'est bizarre l'Europe prend des mesures plus strictes pour Noël, mais que fait la France ?". Nous avons pris très tôt des mesures très strictes. Les mêmes nous disaient "vous allez beaucoup plus vite que la musique, vous êtes plus durs que les voisins européens", et c'était vrai. Début novembre, quand le Président de la République a annoncé des mesures de confinement, nous étions les seuls à le faire avec cette précocité et parfois cette dureté, c'est vrai. Grâce aux efforts que tout le monde a fait, et on sait que cela a été dur pour nos commerçants, pour chacun d'entre nous, grâce à ces efforts-là, aujourd'hui, et je reste évidemment prudent, car les choses ne sont pas écrites, la situation est relativement mieux maîtrisée en France que chez ses voisins. Parce que nous avons fait cet effort, il n'y a pas de hasard, il n'a pas de mystère. Donc parce que nous avons fait un effort, nous sommes dans une situation qui nous permet un peu plus de flexibilité pour les fêtes et que, en étant responsables, en étant prudents, les Français puissent mieux en profiter.

Q - On a quand même un nombre de personnes contaminées chaque jour en France qui repart sérieusement à la hausse. Est-ce qu'un reconfinement pourrait être envisagé avant le jour de l'An ?

R - Le fait que la situation reste préoccupante, c'est la raison pour laquelle nous avons reporté un certain nombre de mesures, par exemple l'ouverture des lieux culturels. C'est aussi pour cela, nous le préciserons encore cette semaine, que l'on fait appel à l'esprit civique et à la responsabilité de chacun. Soyez prudents pour les fêtes, il y a des recommandations, un nombre d'adultes maximum, six personnes, etc. Cela montre bien que là, c'est entre nos mains, c'est à chacun de faire, c'est douloureux, tous un petit effort pour les fêtes et pour Noël, notamment ensuite pour le réveillon du 31, qui est plus à risque encore. Et si l'on fait ça bien, on pourra rester dans une situation sans doute maîtrisée de l'épidémie, et donc ne pas envisager de mesures plus dures. Mais nous regarderons, le Premier ministre l'a dit, après les fêtes, où l'on en est, et c'est en partie une responsabilité de chacun et de sa famille pour les fêtes aujourd'hui.

Q - Clément Beaune, parlons du vaccin. L'agence européenne du médicament doit autoriser, ou pas, le premier vaccin Pfizer et BioNtech. Je voudrais que l'on parle du prix des vaccins qui ont fini par fuiter, la faute à la secrétaire d'Etat belge du budget. Alors, le moins cher cela sera Astra-Zeneca autour de deux euros. Le Moderna est affiché à 18 dollars autour de 15 euros. Des prix qui ne devaient surtout pas être révélés normalement, il y avait sur eux une clause de confidentialité. Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant ? Est-ce que les contrats passés peuvent être cassés ?

R - Alors je sais qu'il y a beaucoup de fantasmes. C'est exactement pour cela que la France a demandé, elle-même, la transparence.

Q - Vous vouliez cette transparence-là ?

R - La Commission européenne a autorisé les parlementaires européens, c'est leur rôle, à regarder les contrats avec, effectivement, un certain nombre de clauses de confidentialité, pour que les choses ne circulent pas trop. Pourquoi ? Pas parce qu'il y a de l'opacité et que l'on veut cacher les choses, mais parce qu'il y a des secrets industriels. Un contrat, si vous le mettez sur la table, cela peut justement mettre en danger les producteurs européens, une production industrielle européenne. Maintenant, ces prix ont circulé ; on a demandé aussi, on avait écrit la semaine dernière avec Olivier Véran et Agnès Pannier-Runacher, pour que de toute façon, on le dise dans les prochains jours et qu'il y ait une évaluation. Si on met le contrat sur la table pour vous et moi, très honnêtement, on peut fantasmer, mais on n'est pas capables de savoir ce qu'est un bon prix. Donc, moi, je souhaite, le mieux, c'est qu'il y ait une évaluation indépendante, extérieure, la Cour des comptes ou autre, qui puisse nous dire si c'est un prix juste, raisonnable. Il est normal aussi qu'il y ait des variations puisque vous avez des startups qui ont fait beaucoup plus d'investissements et des grands laboratoires qui ont mieux amorti leurs dépenses. Donc, ne fantasmons pas, regardons les choses à plat, s'il y a des critiques à faire elles seront formulées. Mais ne cassons pas des contrats, c'est notre garantie d'approvisionnement qui protège aujourd'hui les européens.

Q - Alors autre polémique, un journal allemand, le Spiegel, qui révélait que peut-être l'Europe aurait moins de vaccins que prévu ? Est-ce que c'est vrai ? Le Spiegel toujours, la France aurait refusé que l'Union européenne achète plus de vaccins allemands ? Là aussi, il faut dé-fantasmer ?

R - Je le dis avec une grande fermeté, c'est " du grand n'importe quoi ". Jamais la France, ni l'Allemagne, ni aucun autre pays, n'a demandé, et je le déments formellement, à baisser des doses de contrats que l'on aurait signé avec tel ou tel laboratoire. Puisque c'est justement le fantasme, ou le mensonge, qui est dit dans cet article, que pour protéger un laboratoire français, nous aurions demandé qu'il y ait moins d'achats avec un laboratoire allemand, c'est faux. D'ailleurs, le premier laboratoire, c'est un laboratoire allemand et américain, BioNtech, on ne l'a pas retardé évidemment, et il y a beaucoup de contrats pour lesquels il y a plus de doses commandées qu'avec Sanofi. Donc arrêtons d'opposer les uns aux autres, nous avons besoin de tous les vaccins.

Q - Dernière question, comment va le président Macron ?

R - Le président Macron travaille et se porte bien, à ma connaissance. Il y a un bulletin de santé, je ne suis pas son médecin, mais de manière très transparente ; et pour avoir participé hier au Conseil de défense, je peux vous dire qu'il est à la tâche, beaucoup, beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 janvier 2021