Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie, avec France 2 le 8 janvier 2021, sur le tourisme confronté à l'épidémie de Covid-19.

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Intervenant(s) : 
  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'Etat au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie

Média : France 2

Texte intégral

Q - Bonjour à vous Jean-Baptiste Lemoyne.

R - Bonjour.

Q - Merci d'être avec nous ce matin. Le secteur du tourisme, l'une des grandes victimes de la crise sanitaire, on va bien sûr en parler, mais d'abord quelques précisions, on le voyait dans le journal, après les annonces de Jean Castex, on a compris que les restaurants, les musées et les bars resteraient fermés au moins tout le mois de janvier. Sur les stations de ski en revanche, c'est un peu plus flou, en pleine saison hivernale on a compris qu'il y aurait une clause de revoyure le 20 janvier. Est-ce qu'on peut imaginer, encore aujourd'hui, que les stations de ski rouvriront non pas leurs portes mais leurs remontées mécaniques pour les vacances de février ?

R - Ecoutez, pour cette réponse, rendez-vous le 20 janvier. Jean Castex l'a dit hier, il est important d'avoir encore quelques jours de recul pour voir l'évolution de l'épidémie après cette période de fêtes, de Nouvel An. Et puis, il y a aussi cette nouveauté, des variants, venant de Grande-Bretagne, venant d'Afrique du Sud. Et on a besoin, vous savez, d'être véritablement sûr pour donner un feu vert, un feu orange ou un feu rouge.

Q - Mais quelle est la tendance aujourd'hui ? Comment l'épidémie, qui est en phase ascendante, il y a le nouveau variant, vous venez de le rappeler, comment peut-on encore imaginer que ce qui est plutôt proscrit aujourd'hui sera possible dans un mois, un mois et demi ?

R - C'est pour ça...

Q - Est-ce qu'il y a de l'optimisme ?

R - Regardons l'évolution, je comprends la grande inquiétude...

Q - La colère, même, des responsables de la montagne aujourd'hui. Ils vous reprochent, justement, de ne pas trancher, d'être, d'avoir un manque de visibilité, d'être dans le flou.

R - Mais vous savez, le virus, il ne vous donne pas rendez-vous, tel jour, telle heure. Et donc, nous avons besoin de regarder comment tout cela évolue pour pouvoir garantir à la fois la sécurité sanitaire des Français, c'est ça aussi le fil rouge de ces derniers mois, et en même temps qu'on puisse concilier du coup un certain nombre d'activités économiques. Donc moi je travaille avec eux au quotidien. Justement, on s'est préparé minutieusement tout au long de ces dernières semaines, et c'est vrai, ils ont fait des protocoles très rigoureux. Je veux leur rendre hommage de ce point de vue-là ; maintenant on doit avoir aussi une vision globale. Vous savez, on doit s'assurer que l'on endigue cette épidémie dans l'ensemble du pays. Et donc, on va continuer, avec eux, à travailler.

Déjà on a mis en place des aides significatives pour les indemniser. On indemnise à hauteur de 70% du chiffre d'affaires des remontées mécaniques. Et puis les moniteurs de ski sont éligibles au Fonds de solidarité, parce qu'effectivement, c'est une activité très saisonnière, et donc on a besoin d'être...

Q - Qui concerne des dizaines de milliers d'emplois.

R - Des familles entières, des vallées entières. Et c'est pourquoi on a besoin de les aider, parce qu'il y a un manque à gagner qui est significatif.

Q - Voilà pour les professionnels. Qu'est-ce que vous dites aux vacanciers, à tous ces Français qui ont réservé et qui déjà commencent à annuler leurs vacances de ski au mois de février, vous leur dites : vous avez raison, puisqu'il y a quand même des chances assez fortes que ça n'ait pas lieu ?

R - Alors, je dis aux Français qui ont réservé, justement : rendez-vous le 20, ne vous précipitez pas pour annuler. J'ai d'ailleurs hier tenu une réunion avec les responsables de l'hôtellerie, l'UMIH, le GNI, avec également les résidences de tourisme. Et ces fédérations ont pris l'engagement que leurs adhérents n'appliquent pas de frais sur des annulations qui seraient plus tardives. Donc c'est là un geste commercial qui est fait...

Q - On pourra annuler jusqu'au dernier moment, en étant remboursé intégralement, c'est ce que vous garantissez ce matin ?

R - C'est l'engagement de l'UMIH, du GNI, du SNRT, soyons précis, des membres de ces professions...

Q - On ira chercher pour les acronymes, le GNI, etc...

R - Les hôteliers et les résidences de tourisme. Voilà. Mais de façon générale, les pressionnels du tourisme font beaucoup d'efforts et s'adaptent, et donc...

Q - Vous dites aux Français : surtout n'annulez pas.

R - Je leur dis : attendez, rendez-vous le 20 janvier. D'ici là maintenez effectivement vos positions, vos réservations, il sera temps d'annuler, parce que vous pourrez le faire sans frais grâce à l'engagement de ces fédérations.

Q - Alors, il y a les sports d'hiver, qui concernent, il faut le rappeler, une minorité de Français. Le tourisme dans son ensemble, comment vit-il cette crise ? Est-ce que d'ores et déjà vous avez les chiffres qui mesurent l'impact de la crise sanitaire, pour l'année 2020, puisqu'on est au début d'une nouvelle année ?

R- C'est vrai que cette année 2020, cela a été un choc : c'est, pour vous donner un ordre d'idée, ce sont 60 milliards d'euros de recettes qui manquent à l'appel pour le tourisme français.

Q - 60 milliards.

R - 60 milliards. À peu près 30 milliards pour les recettes internationales, on a chuté de 50%, et 30 milliards pour les recettes domestiques ; mais, petite lueur d'espoir, c'est que la France a été plus résistante, plus résiliente que les autres destinations mondiales. Le moteur du tourisme européen a bien fonctionné l'été dernier, on a eu beaucoup de tourisme de proximité, les Belges, les Allemands, les Néerlandais, etc... et surtout la clientèle française, elle a fait un été bleu blanc rouge, un automne bleu blanc rouge ; et donc, d'ailleurs, on espère qu'elle pourra faire un hiver bleu blanc rouge, si les conditions sanitaires le permettent.

Q - C'est mal parti pour l'instant...

R - C'est pour ça que je mets des clauses.

Q - On parlait des sports d'hiver : 80% de recettes en moins à Noël, pour ces stations. L'hiver bleu blanc rouge, il a plutôt du plomb dans l'aile pour l'instant.

R - Encore une fois, rendez-vous le 20 janvier, mais ce qui est sûr, c'est que si l'on est en mesure à ce moment-là, on verra, si on est en mesure d'offrir des activités, je crois qu'il faudra privilégier la France, privilégier nos montagnes. Et d'ailleurs, nos montagnes offrent aussi une variété d'activités considérable. On l'a vu : la moyenne montagne, les Vosges, le Jura, ont rencontré un succès assez significatif à Noël. Et je crois que l'on doit avoir cette solidarité, justement, envers la montagne française.

Q - Jean-Baptiste Lemoyne, comment le secteur touristique va-t-il sortir de cette crise, vous avez dit, 60 milliards de pertes en 2020, si doit se prolonger cette crise encore pendant de longues semaines, combien d'hôtels, de restaurants, d'espaces culturels et de loisirs, vont fermer leurs portes cette année, en 2021, si rien ne bouge ?

R - Alors, avec Bruno Le Maire, on a mis le paquet sur le soutien, l'indemnisation en quelque sorte. Je peux vous dire que c'est déjà 16 milliards d'euros qui ont été décaissés, d'argent frais qui a été en soutien des professionnels. Et on va continuer, on va maintenir les dispositifs autant que nécessaire. C'est un peu comme les petites roues du vélo, on ne va pas les enlever tant que l'on n'a pas trouvé l'équilibre.

Q -Mais les fermetures, les faillites, elles sont inévitables.

R - Eh bien justement, en 2020, pour l'instant, elles n'ont pas été supérieures aux années précédentes, parce qu'il y a eu ces aides. C'est pour ça qu'il est important de les continuer, je pense à l'activité partielle, je pense au Fonds de solidarité, je pense à tous ces dispositifs. Et même, on va réfléchir peut-être à en ajuster certaines modalités, pour prendre en compte encore un plus grand nombre de situations, des petits groupes familiaux, etc... pour lesquels il y avait un plafond : on va sûrement adapter à la hausse ces plafonds.

Q - La France était encore en 2019 la première destination touristique mondiale. À l'exception d'une partie des Européens, la clientèle étrangère, par la force des choses, a quasiment disparu des sites de tourisme français. Comment les faire revenir ? Est-ce qu'il faut entrouvrir les frontières, alors qu'aujourd'hui, on le sait, si on ne vient pas de l'espace Schengen, on ne peut pas rentrer en France, compte tenu du contexte sanitaire ?

R - Alors aujourd'hui, les frontières pour les pays hors UE, hors espace européen, effectivement demeurent fermées, sauf pour une petite dizaine de pays. Encore une fois, la sécurité sanitaire doit primer. Il y a seulement des autorisations spéciales pour un certain nombre de catégories restreintes, professionnelles, certains couples qui se retrouvent. Et donc, naturellement, le redémarrage, de ce point de vue-là, se fera dans plusieurs mois.

Q - Mais rien n'est prévu à court terme ? La France n'entrouvrira pas ses frontières dans les jours et les semaines qui viennent ?

R - Pour l'instant on maintient cette fermeture, c'est aussi un travail qu'on fait entre Européens. Mais moi, je suis quand même confiant pour l'avenir, parce que les fondamentaux sont là : la France reste la France, Paris reste Paris. Derrière vous, je vois la Tour Eiffel : on a ces paysages, on a cet art de vivre, cette gastronomie, qui demeurent réputés partout, et qui font que, dès que ce sera possible, je sens une très grande envie de France de la part des clientèles étrangères. Et on fera tout, on mettra le paquet, d'un point de vue de la promotion, avec Atout France, pour faire redémarrer la destination.

Q - Votre portefeuille dépend du ministère des affaires étrangères. Comment la diplomatie française regarde-t-elle la situation à Washington, 24 heures après les scènes de chaos que l'on a connues ? Est-ce que vous avez hâte que Donald Trump quitte la Maison Blanche ?

R - Ecoutez, ce qui est sûr, c'est que, moi, je me suis longtemps occupé du commerce, pendant trois ans. Et je peux vous dire que le président Trump a mis à rude épreuve la coopération internationale, le multilatéralisme, comme on l'appelle ; c'est-à-dire qu'il a privilégié les taxes, il a privilégié les mesures unilatérales, plutôt que le dialogue. On l'a vu, regardez les vins français qui ont été taxés, etc... alors que les Européens ont toujours tendu la main. Et donc, j'espère qu'avec l'administration qui arrive, l'administration Biden, on pourra renouer des liens peut-être plus constructifs de ce point de vue-là.

Q - Merci beaucoup, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat chargé entre autres du tourisme.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 janvier 2021