Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, à Europe 1 le 8 janvier 2021, sur la commande et la production des vaccins contre le coronavirus.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bienvenue et bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Sonia MABROUK.

SONIA MABROUK
Ministre effectivement en charge de l'Industrie, mais aussi au coeur de la négociation, je le disais, et du suivi des contrats autour des vaccins. A ce jour, Madame la ministre, pouvez-vous nous dire combien de doses de vaccin ont été effectivement livrées en France ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
A peu près 1,1 million doses ont été livrées en France.

SONIA MABROUK
Donc au moment où l'on parle il y a ce chiffre-là de doses livrées, non pas commandées ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Livrées, et donc une partie est utilisée progressivement chaque jour avec une montée, très forte, des vaccinations.

SONIA MABROUK
Justement, vous avez une prévision de doses livrées jusqu'à fin janvier ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, tout à fait, il y en a 520.000 par semaine, donc c'est très simple, et on arrive à peu près, à la fin du mois, autour de 2,6 millions doses livrées.

SONIA MABROUK
Hier le ministre de la Santé nous a expliqué que la France avait reçu fin décembre 520.000 doses de vaccin, c'est bien cela ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

SONIA MABROUK
Mais alors comment expliquer, Madame la ministre, que devant les députés, donc la représentation nationale, le Premier ministre, à la mi-décembre, affirme, je cite, "que plus d'1 million de doses seraient livrées au 31 décembre ", c'est-à-dire que la France n'aurait reçu que la moitié des doses qui devaient être livrées ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, en réalité c'est le calendrier de livraisons qui a été légèrement modifié, c'est-à-dire au lieu d'avoir une grosse première livraison, on a eu deux petites livraisons de 520.000, ce qui revient au même chiffre, et on continue à avoir chaque semaine 520.000 livraisons, c'est une demande des Etats membres pour pouvoir absorber progressivement les doses et ne pas avoir à les conserver trop longtemps avant leur utilisation.

SONIA MABROUK
Donc c'est la Commission européenne qui a modifié les livraisons, qui les aurait lissées.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, les livraisons ont été lissées à la demande des Etats membres, en l'occurrence la Commission européenne, elle fait, elle passe les demandes des Etats membres.

SONIA MABROUK
D'accord, mais je me permets d'insister pour bien comprendre !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà, tout à fait.

SONIA MABROUK
Ça veut dire qu'au 31 décembre, alors qu'on aurait dû recevoir 1.000.116 doses livrées, on a reçu 500.000.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, on était au-delà de 500.000, puisqu'on a une première livraison le 26 décembre, puis une deuxième livraison le 29 décembre, et une troisième livraison qui était aux alentours du 3, 4 janvier, donc vous voyez, ça modifie à peine le calendrier, et en revanche on prend de l'avance, la semaine prochaine, avec 520.000 livraisons de plus.

SONIA MABROUK
Très bien, et 2,6 millions de doses ça fait environ 1,3 million de personnes vaccinées.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vaccinables, tout à fait.

SONIA MABROUK
La Commission européenne, Agnès PANNIER-RUNACHER, a théorisé la solidarité européenne, pourtant on évoque, est-ce que vous le confirmez, un accord de principe de manière unilatérale avec les Allemands, qui ont de leur côté commandé 30 millions de doses directement chez PFIZER ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, ce n'est pas tout à fait la réalité. En l'occurrence, comment ça s'est passé ? l'Allemagne avait commencé à discuter avec PFIZER, et sous l'égide du président de la République, et son impulsion, nous avons monté une coalition, avec les Allemands, les Néerlandais et les Italiens, pour aller négocier ensemble les doses, et pour le coup, les Allemands ont joué le jeu, et aujourd'hui les doses qui sont livrées sont uniquement celles du contrat européen, et eux-mêmes continuent évidemment à avoir un lien fort avec BIONTECH, puisque c'est une start-up allemande, mais c'est surtout une start-up allemande qu'ils ont soutenue, mais les Allemands jouent complètement le jeu, et aujourd'hui ils appuient les livraisons européennes, et notre enjeu collectif…

SONIA MABROUK
Oui, aujourd'hui, mais est-ce qu'hier il y a eu une option mise effectivement par les Allemands sur des dizaines de millions de doses de vaccin PFIZER ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ce n'est pas le cas, par contre, et c'est peut-être ça aussi qui rend les choses un peu plus compliquées, c'est que nous avons une tranche additionnelle de 100 millions de doses, sur lesquelles certains pays ne se sont pas positionnés, et la France, comme l'Allemagne, ont décidé de se positionner au-delà de leurs quotas populationnels.

SONIA MABROUK
D'accord, et sans tenir compte des autres Etats membres, donc il est possible de faire fi de cette solidarité qui nous est…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ce n'est pas ça, c'est les Etats membres, aux premiers, on leur demande s'ils veulent prendre de doses additionnelles, et certains Etats membres disent "j'ai suffisamment de doses et je ne souhaite pas prendre de doses additionnelles", donc nous sommes toujours dans cette logique de solidarité. Et moi je veux insister sur le rôle absolument instrumental des Allemands dans cette négociation, parce qu'ils ont joué le jeu, parce qu'ils ont été particulièrement proactifs, et je salue le ministre de la Santé, Jens SPAHN, pour obtenir des accords, chacun…

SONIA MABROUK
Donc vous n'avez aucun doute sur leurs intentions de jouer solo ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je suis très à l'aise avec ce qu'ils font, et j'observe que, autant on peut avoir des discussions rugueuses, et c'est normal, pour organiser les choses, et autant aujourd'hui ils ont été…

SONIA MABROUK
Donc il y a eu des tensions pour s'adapter !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ils ont été extrêmement, je vais dire, ils ont joué le jeu de l'Union européenne, et aujourd'hui, toutes les doses qui sont livrées, de PFIZER, et vous savez qu'on en a commandé 200 millions, plus 100 millions de tranche additionnelle, les 200 millions de tranche ferme, elle respecte totalement le calendrier de l'Union européenne.

SONIA MABROUK
Madame la ministre, on rentre dans les détails, parce que c'est évidemment essentiel, ce sera l'un des outils pour sortir de cette crise, et notamment de la crise économique, mais vous avez dit tout à l'heure que les Etats membres auraient demandé justement qu'il y ait un lissage de ces doses, c'est quand même assez particulier. On aurait dû recevoir au 31 décembre 1 million, on demande un lissage, on reçoit 500.000 au 31 décembre, pourquoi avons-nous fait cette demande ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bah, pour pouvoir gérer en logistique. Si vous voulez, entre recevoir…

SONIA MABROUK
Donc on limite les doses ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pardon, Sonia MABROUK, mais on est sur sujet très opérationnel…

SONIA MABROUK
Bien sûr.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc, vous réceptionnez 520.00 livraisons le 29 décembre, est-ce que vous avez besoin d'1 million de doses le 1er janvier ? Non. Est-ce que vous pouvez en avoir le 3 janvier 500 millions supplémentaires ? Oui. Ça fait le même chiffre à l'arrivée. Donc, c'est une organisation opérationnelle, logistique, aujourd'hui notre enjeu, avec Olivier VERAN, c'est de faire en sorte que ces doses soient utilisées le plus rapidement possible…

SONIA MABROUK
J'ai bien compris.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Entre leur moment de livraison et entre la vaccination.

SONIA MABROUK
J'insiste de nouveau, mais pour être sûre de vous comprendre.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais, pardon, reprenons les chiffres, 1,1 million 31 décembre ou 1,1 million le 3 janvier, ça ne fait pas beaucoup de différence.

SONIA MABROUK
Vous êtes sûre, avec un jour près, parfois c'est tellement important, mais, très bien, j'ai entendu.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je me permets de souligner qu'aujourd'hui le sujet c'est d'obtenir le consentement des gens et de faire en sorte que chacun soit confiant dans l'utilisation du vaccin. Moi j'ai discuté avec la patronne de l'EHPAD qui était hier à la conférence de presse et qui me disait, de manière très simple, qu'elle avait 50% de taux d'adhésion au vaccin, qu'elle espérait avoir 80% dans deux semaines…

SONIA MABROUK
Et c'est essentiel, bien sûr.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et ça prend du temps, il faut regarder les choses.

SONIA MABROUK
Mais Madame la ministre, pour la France, j'insiste de nouveau, pour être sûre à chaque fois d'être précis sur les chiffres, pour la France c'est combien de vaccins commandés au total ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pour la France, combien de vaccins ? 200 millions de vaccins commandés, précommandés…

SONIA MABROUK
Au total.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Précommandés, depuis le mois de septembre !

SONIA MABROUK
Précommandés.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Précommandés depuis le mois de septembre, puisque les contrats ont été finalisés en novembre, mais les nombres de doses ont été verrouillés au mois de septembre, et comme nous nous positionnons parfois en allant au-delà de notre quota populationnel, quand la Pologne, par exemple, ne veut pas prendre ces doses, nous sommes progressivement en train d'augmenter le nombre de doses qui nous seront livrées.

SONIA MABROUK
Alors, face à la saturation mondiale des capacités de production en vaccin, tous les pays cherchent à produire. En France, quand précisément, Agnès PANNIER-RUNACHER, la première usine va démarrer cette production des autres vaccins ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, nous avons l'usine de RECIPHARM qui est implantée en France, qui va produire de vaccin MODERNA fin février/ début mars, nous aurons ensuite DELPHARM et FAREVA, qui suivront, DELPHARM pour le vaccin de BIONTECH, et FAREVA pour le vaccin CUREVAC si celui-ci obtient la mise sur le marché.

SONIA MABROUK
Et s'il y a production, donc en France, de ces autres vaccins, est-ce que nous serions, nous Français, prioritaires justement pour ces doses ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Absolument pas, parce que ce sont des chaînes de production qui sont européennes, et nous avons veillé à cela. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui vous prenez le vaccin MODERNA par exemple, le site où est réalisé le principe actif il est en Suisse, c'est celui qui a les plus grandes capacités de production d'ARN, quasiment en Europe, on a choisi ça, et MODERNA l'a choisi pour des raisons d'efficacité, et ce site sert l'ensemble des pays européens. En revanche, la mise en bouteille est effectuée dans plusieurs autres pays, en l'occurrence l'Espagne et la France, et nous allons servir évidemment le marché français, pour des raisons de logistique, ça sera plus simple, mais l'ensemble du marché européen, et c'est cette solidarité qui permet d'avoir cette organisation qui est la plus efficace possible.

SONIA MABROUK
On le dit aujourd'hui, mais imaginons dans quelque temps, là l'inquiétude monte autour du variant anglais, sud-africain, des pans de l'économie sont en souffrance, il y a un risque de pénurie, et vous nous dites que même si c'est produit sur notre sol, on distribuera les doses dont on aurait potentiellement cruellement besoin ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais moi je suis choquée de ce repli nationaliste, où chacun irait produire son petit vaccin dans son coin, la réalité c'est qu'on est…

SONIA MABROUK
Il existe aujourd'hui, ce nationalisme vaccinal il existe ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est celui qu'on entend par exemple au travers de vos questions, mais qui reflète…

SONIA MABROUK
Mais est-ce qu'il existe ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Qui reflète effectivement certaines interrogations. Mais moi je veux redire une chose, si vous voulez produire le plus grand nombre de doses possible, et c'est ce que nous faisons aujourd'hui, il faut prendre les sites les plus gros possibles en Europe et s'organiser pour que ce soit ces sites qui livrent l'ensemble de l'Europe, et c'est ce que nous avons fait. Et aujourd'hui, l'Europe a commandé 300 millions de doses chez PFIZER, les Etats-Unis en ont commandé 200 millions, nous avons 450 millions d'Européens, il y a 350 millions d'Américains, donc nous ne sommes pas en retard. Le sujet que nous avons devant nous c'est d'essayer d'accompagner encore ces laboratoires pharmaceutiques, qui ont fait, je vais dire une espèce d'exploit industriel…

SONIA MABROUK
Est-ce qu'on le fait suffisamment ? Certains disent que SANOFI justement, l'Etat n'était pas suffisamment derrière. Et, Madame la ministre, je vous donne un exemple d'une stratégie industrielle, dites-nous ce que vous en pensez. L'Angleterre a su associer un industriel, ASTRAZENECA, qui n'avait pas du tout de compétence particulière en vaccins, mais qui sait produire, il est associé à l'université d'Oxford, une collaboration gagnante.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Eh bien, pour le moment, ASTRAZENECA n'a pas l'autorisation de mise sur le marché, ils ont 3 mois de retard, et moi je leur souhaite de l'avoir le plus rapidement possible, mais vous voyez que ce n'est pas un chemin semé de roses de faire à vaccin. Un transfert technologique ça prend, en temps normal, 12 à 18 mois, la production, l'élaboration d'un vaccin en recherche et développement, ça prend plus de 5 ans, donc c'est un exploit technologique majeur que nous sommes en train de mener, collectivement au niveau européen. Vous avez trois sites qui vont produire en France, ces trois sites sont accompagnés par le gouvernement français. Je veux quand même redire que les trois ont déposé un dossier au titre du plan de relance, deux d'entre eux ont déjà reçu une décision favorable, et nous continuons à instruire. De même, avec SANOFI, SANOFI est en train de regarder comment aider à la production de vaccins, y compris des vaccins qui ne seraient pas chez eux.

SONIA MABROUK
Donc, des usines SANOFI pourraient produire d'autres vaccins ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Si techniquement c'est possible, et là encore je redis qu'un transfert technologique pour ouvrir un nouveau site prend du temps, et qu'il faut choisir l'efficacité, mais si c'est possible, oui, nous sommes en train d'y travailler dessus…

SONIA MABROUK
Très bien, SANOFI qui pourrait produire donc d'autres vaccins, en un mot, Madame la ministre, le vaccin SANOFI, est-ce que vous avez désormais une date, une date butoir, un horizon ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors il y a deux choses, puisque le vaccin lui-même, tel que nous le disent les équipes de SANOFI, est décalé d'un trimestre, donc, 3, 4 mois à ce stade, mais par ailleurs…

SONIA MABROUK
Avant l'été.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, il devait être produit au mois de juillet, donc là on parle du mois d'octobre, donc vous retrouvez à peu près ces 3, 4 mois. La deuxième chose c'est qu'il peut avoir un intérêt, à regarder une possibilité que le vaccin SANOFI soit utilisé en population générale. Je veux redire une chose très précise, parce que…

SONIA MABROUK
Et ce sera votre conclusion.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait. Le vaccin, les vaccins qui sont aujourd'hui mis sur le marché empêchent le développement de formes graves, en revanche nous n'avons pas la certitude qu'ils empêchent le virus de circuler, donc ces vaccins-là ils ne font du sens que sur les personnes vulnérables. Ce qui serait intéressant c'est d'avoir aussi un vaccin en population générale, dont on a la certitude qu'il empêche la transmission…

SONIA MABROUK
Evidemment, vu que c'est un défi.

AGNES PANNIER-RUNACHER
… Une personne jeune ne va pas développer une forme grave, a priori, en revanche, si on peut couper la transmission, là on a gagné la bataille.

SONIA MABROUK
Un défi important.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et donc c'est un défi industriel aujourd'hui, et technologique.

SONIA MABROUK
Evidemment, et une stratégie industrielle, d'où la question sur l'Etat stratège. Merci…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement, et c'est pour ça que nous sommes à la manoeuvre et que nous avons déjà trois sites qui produisent, qui vont produire.

SONIA MABROUK
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER – peut-être aussi des usines SANOFI – d'avoir été notre invitée, bonne journée à vous, ainsi qu'à nos auditeurs.


Source : Servie d'information du Gouvernement, le 11 janvier 2021