Texte intégral
M. Clément Beaune : J'ai voulu venir à Bruxelles assez tôt en cette rentrée 2021 car on a évidemment un agenda assez chargé et on est dans une période qui contient quelques nouveautés et enjeux spécifiques pour la France. D'abord, c'est le moment du Brexit avec l'accord du 24 décembre, signé le 30, et, je le dis avec prudence et une certaine réserve car ce n'est pas complètement la fin de notre aventure commune du Brexit, pour ceux qui l'ont suivi dès le début. Mais, après 4 années et demie post-référendum, on a quand même un chapitre important qui s'est clos de manière positive, mais qui appelle à un certain nombre de questions et de compléments, notamment du côté de l'Union européenne, pour assurer le suivi, la vigilance, la mise en oeuvre de cet accord afin de défendre les intérêts européens et poursuivre le travail de coopération et de construction de la relation future dans les domaines non-couverts par l'accord. Je pense aux questions de défense et de sécurité qui feront l'objet de discussions supplémentaires avec le Royaume-Uni.
Et puis c'est une année 2021 importante car, sans vouloir faire de lapalissade, elle précède 2022 qui commencera avec la présidence française de l'Union européenne au combien importante, et nous la préparons. Nous avons commencé à la préparer avant 2021, mais nous entrons dans une phase active de préparation d'agenda : identification d'initiatives législatives prioritaires, échanges avec plusieurs commissaires européens hier, que je poursuivrai cet après-midi avec le commissaire au marché intérieur et le commissaire à la pêche. J'ai échangé ce matin avec la commissaire chargée de la recherche et de l'innovation. Et je poursuivrai cet après-midi avec M. Gentiloni. Et je me suis entretenu avec M. Dombrovskis, justement au sujet du futur de la relation commerciale entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Il me semblait donc important d'avoir ces entretiens de rentrée pour poser ces jalons de l'agenda.
Nous aurons un certain nombre de rendez-vous européens par les conseils qui vont commencer dès le mois de janvier, sans doute ensuite au mois de février, et puis le Conseil européen du mois de mars qui seront consacrés à ces enjeux-là : le suivi de la relation avec le Royaume-Uni, la suite de notre accord climatique du mois de décembre qui est très important : 55% de réduction commune pour 2030. Et puis l'autre sujet, la défense et la sécurité, la question migratoire qui va revenir sur l'agenda. Et puis je m'entretenais ce matin avec la présidence portugaise : il y a aussi un agenda social étoffé dans la suite de ce que nous avions fait il y a trois ans, la suite de la réforme du travail détaché et d'autres sujets très importants. Et puis évidemment un axe central : la mise en oeuvre de notre réponse à la crise de la Covid, aux différentes dimensions de la crise. Je pense à la dimension sanitaire qui doit encore s'améliorer, je pense à tous les éléments qui ne traitent pas directement du vaccin. Ainsi nous aurons, je l'espère le plus vite possible, une réouverture de nos pays, de la circulation. Il faut coordonner. Coordonner nos mesures de tests, coordonner les protocoles, la reconnaissance mutuelle des tests rapides etc. Donc des choses très concrètes et importantes au niveau européen dans les prochains mois car nous n'en avons malheureusement pas fini avec cette crise sanitaire.
Et puis la vaccination spécifiquement qui est, évidemment, j'insiste, une des réponses européennes, on le verra sans doute dans notre échange, dont je pense que nous pouvons être le plus fiers dans la crise. Tout n'a pas fonctionné, tout n'a pas fonctionné tout de suite mais la dimension européenne du soutien aux vaccins, de l'acquisition des vaccins, la production des vaccins, qui est largement européenne elle aussi industriellement, doit être un motif de fierté collective. Il y a des questions, il y a des débats, il y a des mauvais procès, des mauvaises controverses, on pourra aussi y revenir, mais c'est l'un des éléments de la réponse européenne que l'on doit poursuivre et accélérer. Encore ce matin, la Commissaire chargée de la santé a annoncé un huitième pré-accord puisqu'il y a six accords fermes et deux qui font l'objet désormais de préaccords et qui pourront se poursuivre. C'est très important aussi de montrer que cette accélération européenne se poursuit. Puis, il y a la réponse économique à la crise qui évidemment devra se mettre en place avec le plan de relance qui a été adopté politiquement l'été dernier, adopté avec le Parlement européen à la fin du mois de novembre, débloqué, si je puis dire, de ses derniers soubresauts et blocages de la Pologne et de la Hongrie en particulier spécifiquement, début décembre au dernier Conseil européen. Maintenant, on va passer à la phase d'exécution. Il faut que les parlements nationaux ratifient la décision ressources propres qui en permet le financement. Puis, il faut que chaque pays finalise son plan national de relance et de résilience et que la discussion collective se fasse rapidement et que les décaissements commencent puisqu'à la fin c'est ça qui matérialisera, qui fera que l'on a concrètement un plan de relance qui soit visible pour nos économies, utiles pour nos investissements et le plus rapide possible, en espérant avoir ces décaissements dès le printemps 2021.
Voilà, j'ai brossé rapidement les sujets de discussions de cette visite, de l'agenda de rentrée et des prochains mois puisque tout cela se développera à différentes discussions européennes au cours de la présidence portugaise et aux différents Conseils européens, sans doute déjà trois d'ici la fin du mois de mars. Voilà qui nous fait un menu un peu copieux".
Q - "Sur le Brexit, qu'est-ce que vous pensez de la mise en oeuvre de l'accord jusqu'à maintenant ? On voit déjà l'impact sur le commerce. Il y a des difficultés pour les entreprises de faire le commerce à travers la Manche. Que pensez-vous de la mise en oeuvre jusqu'à maintenant ?
M. Clément Beaune : On est au tout début. Deux choses là-dessus. Il y a des complications, des difficultés qui doivent être résolues. Je crois qu'on a fait, je l'ai suivi en particulier du côté français, je parle de l'exemple que je connais le mieux, on a fait un gros travail d'adaptation de nos dispositifs de contrôles parce que l'on rétablit les contrôles inévitablement avec le Royaume-Uni devenu un pays tiers en matière douanière, en matière sanitaire et alimentaire, en matière aussi de sécurité pour le contrôle des passagers, la durée de séjour, etc. tout ça des conséquences inévitables du Brexit. On s'y était préparé. Je dirais que nous avons mis du temps mais on s'y était préparé. Pour prendre cet exemple, nous avons recruté en France 1300 personnes supplémentaires au total sur les questions de douanes et de contrôles alimentaires et sanitaires et de contrôles de sécurité à nos frontières. Donc, c'est un investissement important, des effectifs importants qui, je crois, permettent parce qu'ils ont été complétés aussi par des investissements informatiques, une adaptation de nos dispositifs de contrôles, je ne rentre pas trop dans le détail, qui nous permettent que globalement les choses se passent bien et c'est particulièrement important entre le Royaume-Uni et la France puisque nous faisons passer 80% des marchandises qui transitent entre toute l'Union européenne et le Royaume-Uni spécifiquement par un canal, si je puis dire, qui est le tunnel sous la Manche. Nous avons une responsabilité particulière. Il y a ensuite, et ça il ne faut pas faire les étonnés, des formalités supplémentaires. Le Brexit sans friction, pour reprendre l'expression de fricitonless trade ça n'existe pas. C'est la conséquence mécanique, je dirais, parfois souhaitée par ceux qui l'ont défendu du Brexit. Donc, il y a des formalités qui sont nécessaires et que l'on essaie de faciliter, c'est normal. Puis, les mêmes formalités sont aussi inévitables et le commerce comme si c'était avant, ça n'existe pas, ça n'existera pas. Donc, l'accord nous permet par exemple d'avoir un accès large au marché européen en contrepartie du respect de règles, ça permet d'avoir un commerce assez fluide. Nous avons facilité les procédures pour les entreprises dans un sens et dans l'autre, le plus possible. Mais évidemment, le commerce entre l'Union européenne et le Royaume-Uni n'est pas et ne sera pas comme avant dans sa fluidité, dans sa simplicité et peut-être même dans son ampleur. Je crois qu'il faut bien distinguer les choses. Il y a des tracasseries que l'on peut éviter et il y a des formalités qui ne sont pas évitables. Puisque vous parlez de mise en oeuvre, il y a un point qui a fait l'un des objets de ma visite, de mes échanges d'hier notamment avec le Commissaire Sinkevi?ius, il y a la pêche. C'est la question de la délivrance des accès réciproques d'ailleurs, en ce qui nous concerne, aux eaux britanniques. Aux termes de l'accord, il est prévu des conditions pour cinq ans et demi, ce qui couvre six campagnes de pêche, c'est un résultat important, ça fait partie de l'équilibre global de la négociation et un certain nombre de formalités administratives sont encore en cours. Donc, nous sommes en contacts avec les autorités britanniques pour que les choses s'accélèrent parce que ça c'est la mise en oeuvre complète qui doit se faire le plus vite possible et de la manière la plus simple possible mais c'est un enjeu parce qu'il ne faut pas seulement avoir un bon accord, il faut aussi l'appliquer de la bonne manière et nous nous battons pour cela, c'est un circuit administratif.
Q - Mme Von der Leyen nous a annoncé il y a quelques jours un printemps difficile, ce qui veut dire que les vacances de Pâques vont être sous masque et avec restrictions. Je voudrais savoir, à votre avis, quand est-ce qu'on va retrouver la normale ? Est-ce que vous pensez que ce sera pour l'été, pour la rentrée scolaire, ce qui veut dire une année blanche pour les étudiants et les restaurateurs ? Et la présidente a invoqué deux raisons pour expliquer que le printemps serait difficile : une contamination rapide et virulente, et les difficultés de mise en oeuvre des campagnes de vaccination. Je voudrais que vous fassiez un petit point : à ce niveau-là, où en est-on en France ? Quels sont vos objectifs ? Est-ce que vous pensez que vous arriverez à vacciner 70% de la population française, et à quelle échéance ? Sur l'accord France-Chine, je sais tout le bien que vous pensez de cet accord. Mais est-ce qu'on doit penser en France qu'on doit dissocier le commerce des droits de l'homme comme le dit la Commission européenne ? « On fait les accords commerciaux, « business is business » et on a d'autres enceintes pour parler des droits de l'homme, mais on ne mélange pas les torchons et les serviettes » dit la Commission. Est-ce que les droits de l'homme sont quelque chose d'accessoire, et qui passe derrière les accès au marché ?
M. Clément Beaune : Sur la première question, qui est une question à tiroir et vaste, une réponse honnête sur le retour à la normale c'est que je ne sais pas. Personne ne le sait. Je ne peux pas donner d'heure ou de date qui sera le retour à la vie d'avant. Sur le fond de votre question qui concerne les restrictions, le masque, il y a un certain nombre de gestes barrières, de bonnes habitudes pour éviter ou limiter la propagation du virus qui resteront, sans doute durablement. C'est pas tout à fait pareil, ce type de restrictions, que celles que l'on connaît dans beaucoup de pays, qui sont dans un confinement complet ou qui sont parfois, comme en France, soumis à un couvre-feu. Ça, j'espère mais je ne peux pas le dire, qu'au cours du printemps, on pourra vivre avec moins de restrictions possibles, progressivement. Je sais qu'il y a un sentiment de ras le bol, d'impatience. Mais il serait déraisonnable de dire « le 10 février, le 10 mars, le 10 avril, on revient comme avant ». Il n'y aura pas de grand soir, il y aura une forme de gradation dans ce retour progressif à une vie normale, en tout cas plus humaine et ouverte. Le vaccin que vous évoquiez en fait partie. Et, bien sûr, plus la vaccination se fait rapidement, plus ce retour à la normale pourra s'envisager vite. Les objectifs du ministre de la santé, je ne reviendrai pas sur la présentation qu'on a faite sur le rythme de vaccination, mais on a accéléré un certain nombre d'éléments. La stratégie vaccinale de commencer par les plus vulnérables dans un premier temps, puis de rentrer dans une phase suivante de vaccination de la population générale autour du mois de mars, reste la stratégie. Bien sûr, personne ne sait où on sera au mois de juin, mais on essaye de rentrer dans une phase grand public au mois de mars. Ce qu'on voit sur le plan industriel pour les vaccins, c'est qu'on a eu à chaque étape jusqu'à présent de bonnes nouvelles. Ceux qui disent « pourquoi ne pas avoir commandé plus de doses de chaque vaccin » ? On le fait d'abord, on a juste, je parle de la stratégie européenne aux commandes, on l'a fait avec BioNTech, la Commission européenne a fait BioNTech la semaine dernière. Dans chaque commande, il y avait des tranches optionnelles qui permettent de commander plus en fonction de la disponibilité du vaccin et si le vaccin était effectivement autorisé. On en a déjà deux qui ont été autorisés. Et on observe que les livraisons suivent à un rythme plus satisfaisant que prévu. Ça fait évidemment partie, c'est même notre principal instrument d'un retour le plus vite possible à la vie normale.
Sur la Chine, la France partage les mêmes préoccupations que ses partenaires européens. On ne distingue pas la vie économique-business, et la vie morale des droits de l'homme. Mais c'est un accord sur l'investissement qui est encore en discussion au Parlement européen, et qui ne doit pas être vu de manière isolée car il comporte un certain nombre d'éléments qui touchent à ces valeurs de droits sociaux et humains, je pense à la convention de l'Organisation Internationale du travail. Il y a des engagements de la Chine qu'on va vérifier, on ne va pas tout prendre pour argent comptant. La Chine va s'engager dans un processus de ratification de cette convention du droit de travail. On le voit, y compris dans cet accord, Il y a des éléments qui dépassent la dimension économique. Et cet accord n'est pas la fin de l'histoire de nos relations économiques ou autre avec la Chine. Le discours sur les Ouighours, la protection des droits de l'homme, des droits sociaux, la lutte contre le travail forcé, c'est un combat qui va continuer. Voir cet accord comme l‘alpha et l'oméga de nos relations avec la Chine serait une mauvaise perception. D'ailleurs, le Président de la République l'a dit dès la fin du mois de décembre, nous allons continuer à être exigent sur le plan économique, social, sur le respect des droits humains et des droits sociaux avec une clause de rendez-vous sous la présidence française de 2022 pour renforcer les engagements et en ajouter d'autres. Lorsque vous regardez l'histoire des relations économiques entre la Chine et l'Union depuis 4 ans, il y a eu un vrai tournant en 2016, il y a eu un rééquilibrage, une affirmation de l'Union européenne envers la Chine. En 2016, nous avons refusé, alors que le train était assez bien lancé, d'octroyer le statut d'économie de marché à l'OMC à la Chine. Nous avons renforcé, c'est une initiative française de l'époque, le droit anti-dumping et réformé les règles anti-dumping. Nous avons, c'est une nouveauté qu'il faudra renforcer, mis en place un système de filtrage, de contrôle des investissements en Europe. C'est encore insuffisant, trop léger, et ça ne vise pas que la Chine d'ailleurs. On l'a mis en place dès 2017 et il est entré en vigueur l'été dernier. L'accord sur les indications géographiques, pour prendre les éléments économiques, on l'a signé l'an dernier, c'était aussi un autre accord avec la Chine. Donc c'est un chapitre d'une histoire qui continue à s'écrire et qui, évidemment, ne se résume pas à une relation économique et commerciale, et certainement pas celle que l'on a connue jusqu'à il y a 3 ou 4 ans et qui consistait à ne pas affirmer, sur le plan défensif notre marché, ou offensif la réciprocité dans nos relations avec la Chine.
Q - Ma question porte aussi sur l'accord avec la Chine et la relation Union européenne-Chine. On a un peu le sentiment que l'Europe a voulu agir très vite pour boucler cet accord. Certaines analyses disent que l'un des objectifs était de conclure avant qu'il n'y ait un changement de locataire à la Maison Blanche. Quel positionnement l'Europe doit avoir par rapport à la Chine ? Par rapport aux Etats-Unis ? On a le sentiment qu'elle joue sur plusieurs tableaux. Elle a essayé de redéfinir sa doctrine il y a un an. Dans cette redéfinition, il y avait certes la notion de rival stratégique mais il y avait aussi des choses beaucoup plus conciliantes. Donc, on a un peu l'impression que l'Europe ne sait pas exactement quelle doctrine elle doit avoir vis-à-vis de la Chine. J'aimerais bien avoir quelques idées là-dessus.
M. Clément Beaune : Je ne crois pas, pardon je ne refais pas la réponse que je viens de faire, mais il y a un élément que j'aurais pu mentionner dans ce champ d'actions plus ou moins coopératives où parfois il faut être plus durs, parfois il faut être plus coopératifs avec la Chine, il y a la question climatique sur laquelle je crois l'Europe a tenu un leadership fort y compris quand les Etats-Unis de Donald Trump se sont retirés de l'accord de Paris en 2017. On a tenu dans le G20, dans différentes instances internationales, à maintenir l'accord de Paris, on a gardé la Chine dedans. La Chine a renforcé ses ambitions climatiques, pas que, mais aussi sous la pression européenne parce que c'était important dans nos relations avec un objectif de neutralité climatique 2060 qui n'était pas acquis il y a encore quelques mois. Je ferme la parenthèse mais pas tout à fait parce que cela fait partie de la doctrine de nos relations entre l'Union européenne et la Chine. Je suis toujours un peu surpris parce que l'on nous dit « vous êtes incapables de vous affirmer en tant qu'Européens dès que la situation est un peu difficile ou qu'il y a les grandes puissances du monde dont la Chine » et puis quand on le fait [inaudible] débat démocratique légitime, on l'aura d'ailleurs au Parlement européen etc., on nous dit « pourquoi n'avez-vous pas attendu les Etats-Unis ? Il ne faut quand même pas le faire sans les grandes personnes ». Donc, moi là je récuse cette vision qui consisterait à dire « défendre ses intérêts d'Européens dans les négociations, encore une fois après on peut avoir un débat sur le contenu de la négociation entre nous et démocratique et public, mais le principe d'avoir des accords européens et des négociations européennes avec les grandes puissances dont la Chine sur le plan économique et d'autres, indépendamment des autres, y compris nos alliés et nos partenaires, je crois que c'est essentiel. Il faut continuer cette démarche. Ce n'est pas hostile aux Etats-Unis ou à la nouvelle administration américaine qui prend ses fonctions dans quelques jours. Vraiment, il ne faut pas l'interpréter comme ça. En revanche, si on avait dit « on ne fait rien sans une discussion préalable avec les Etats-Unis », ça aurait pris déjà quelques mois parce que ce n'est pas juste le 20 janvier et puis le 21 on discute de tout. Une administration, ça se met en place, ça prend ses fonctions, ça prend ses marques, etc. Bref, on n'aurait pas fait ça en janvier clairement. Ça aurait pris encore quelques mois. Donc, l'idée qu'il fallait faire dépendre notre calendrier d'un calendrier américain aussi important que celui-ci soit, je crois n'étais pas une bonne idée. C'est aussi une marque non pas puérile mais je crois nécessaire et au contraire adulte et responsable que l'Europe définisse ses intérêts, son calendrier, ses instruments de négociations avec les autres grandes puissances y compris la Chine. Maintenant, qu'avec la nouvelle administration américaine, puisque je le disais cet accord n'est pas la fin d'une histoire, on travaille sur un agenda notamment sur la question climatique, notamment sur la question commerciale qui soit plus coopératif que ces quatre dernières années avec l'administration américaine, c'est une évidence et que la relation commune avec la Chine soit au coeur de cet agenda, ça doit aussi être une évidence, on va voir ce qu'en pense la nouvelle administration mais je pense qu'on doit le fait. On a encore, je pense sur le plan commercial, beaucoup de chantiers à mener, en transatlantique vis-à-vis de la Chine, en transatlantique dans les instances multilatérales. Je pense qu'on souhaite, France, Union européenne, que la réforme de l'OMC, qui ne cible pas la Chine mais qui concerne d'évidence la Chine aussi parce qu'on a mis en place ces règles pour beaucoup au début des années 1990, dans un univers qui était très différent, où la Chine était non-membre de l'OMC mais une puissance commerciale non moindre, sur la propriété intellectuelle, les transferts forcés de technologies, les règles d'appel, les délais de fonctionnement de l'organisation, la vérification de l'application des règles, etc. Tout ça, c'est un chantier que l'on doit doit mener et je pense qu'il sera très haut dans l'agenda commun, Europe et Etats-Unis, en tout cas l'Union européenne le souhaite. Donc, l'idée d'une coopération euro-américaine sur la Chine, sur le commerce, les autres aspects de nos relations avec la Chine, le climat, oui. Mais, ça ne veut pas dire que l'Europe doit attendre une forme d'instruction ou d'autorisation de Washington aussi amis que l'on soit pour travailler, négocier, se défendre vis-à-vis d'autres grandes puissances internationales.
Q - Toujours sur l'accord Union européenne-Chine. Je voulais savoir s'il y avait vraiment urgence de conclure avant le 31 décembre ? Est-ce que ça n'a pas été une manière pour l'Allemagne de finir sa présidence en soutenant son industrie automobile ? Est-ce que ça ne vise pas à dire que cette présidence était réussie ? On a pas vu cet accord, c'est un accord de principe.
M. Clément Beaune : Sur la question du timing, on peut avoir un débat infini : est-ce qu'il fallait attendre un peu plus pour défendre nos positions et intérêts ou pas ? Soit vous considérez que le compte n'y est pas et vous vous arrêtez, soit vous considérez qu'en attendant un peu vous améliorez votre position, soit vous pensez qu'au moment-clé, vous avez un bon accord, qu'il faut saisir cette chance et ensuite continuer sur d'autres sujets, sur d'autres éléments de négociations. C'est la décision qu'on a faite et qu'on assume, mais c'est une décision, je le rappelle, qui n'a pas été prise dans une seule capitale et dans un seul pays, même celui de la présidence. Moi je n'ai pas de doutes sur le fait qu'on a défendu nos intérêts, que cet accord les reflète. Encore une fois, il y aura après un débat, les accords fonctionnent comme ça dans l'Union européenne. Ça ne veut pas dire que l'accord est opaque ou caché. Il y a des étapes, c'est pour ça qu'on a parlé d'accord de principe. il y aura des étapes. Il y aura des vérifications juridiques et techniques, et puis un débat démocratique, notamment au Parlement européen. Ce sera un débat riche, compliqué, difficile, et légitime car c'est un gros sujet qui attirera sans doute d'autres éléments de la relation Union européenne-Chine. Donc moi je n'ai pas de doutes sur le timing, je ne pense honnêtement pas qu'il faille passer un temps infini à s‘interroger à ce sujet. Il y a encore du travail sur cet accord et d'autres sujets d'accords ou de négociations à préparer, en bilatéral, l'Union européenne et un autre pays, ou ailleurs comme la réforme de l'Organisation Mondiale du Commerce etc. Avançons cet accord. On peut encore travailler sur d'autres accords, avec la Chine ou d'autres pays. Cet accord est une avancée, et non un recul sur son contenu économique et sur les signaux qu'il donne dans son contenu et sur d'autres aspects, et on va le surveiller et le compléter.
Q - J'ai une question sur la conférence sur l'avenir de l'Europe. Vous venez de dire ou de proposer que cette impasse entre le Parlement et le Conseil pourrait être résolue dans une forme de coprésidence, une présidence commune. Est-ce que vous pourriez expliquer un peu plus comment vous imagineriez ça ? Est-ce que ça pourrait dire que ce [inaudible] franco-allemand qu'Helle Thorning-Schmidt pourrait être la présidente est [inaudible] maintenant ? Est-ce que vous voyez encore un rôle pour elle ?
M. Clément Beaune : Je ne rentrerais pas dans le débat ô combien difficile sur les noms parce que beaucoup s'y sont essayé et la prédiction est difficile, en l'espèce. Ce que j'ai évoqué comme l'une des options, justement aussi parce qu'il faut trouver un équilibre entre institutions, entre notamment le Parlement européen et le Conseil, ce serait, ce n'est pas décidé, c'est à la présidence portugaise de mener cette discussion avec la Commission et le Parlement européen dans les prochains jours, c'est une piste, ce serait d'avoir une présidence collégiale et pour ce qui concerne le Conseil, tournante, c'est-à-dire la présidence semestrielle en exercice représenterait, par le chef d'Etat ou de gouvernement et par les ministres selon les cas, le Conseil et les Etats membres dans une forme de collégialité avec le Parlement européen et la Commission. C'est une piste. Je ne dis pas que c'est fait, c'est une piste qui, je crois, sera discutée par la présidence portugaise dans les prochains jours avec le Parlement européen, avec la Commission. Il y a un point clé, c'est pour ça que j'évoquais cette option, c'est que l'on peut chercher la conférence parfaite ; mais la conférence parfaite qui n'existe pas, c'est dommage. Donc, il faut lancer cette conférence. Il y a, je ne dis pas ça par défaut, je crois que cette idée était inespérée il y a un an et demi, je rappelle qu'elle a été proposée pour la première fois dans la Lettre aux Européens du Président Macron en 2019. Certains partis politiques s'en sont saisi pendant la campagne. Madame von der Leyen a intégré cette idée dans son discours à l'investiture, l'a défendue avec beaucoup de conviction et le Parlement européen, le groupe Renew en particulier mais d'autres groupes, la soutient beaucoup. Tant mieux. Il y a une sorte de besoin ou d'intérêt pour cette conférence qui est un lieu de débat. C'est un moment et un lieu de débats de plusieurs semaines et plusieurs mois y compris avec des panels citoyens. Un débat large sur l'avenir de l'Union européenne, pas le Conseil européen les mois qui suivent, mais les perspectives dans différents domaines : politique migratoire, politique climatique, réformes institutionnelles dans les 5 à 10 ans qui viennent. Cet exercice-là est soutenu très largement au Parlement européen, à la Commission, il y a une Vice-Présidente en charge et chez tous les Etats membres. Donc, ça serait dommage que les modalités nous bloquent. La présidence portugaise, le Premier ministre Costa l'a dit au Président de la République, Monsieur Macron. Il veut la lancer. Il en fait un point important de sa présidence. Saisissons cette opportunité. J'espère qu'on pourra la lancer d'ici le printemps sous présidence portugaise à l'évidence pour que l'exercice qui ensuite va [inaudible] commence et ensuite que l'on ait des résultats, et c'est aussi l'un de nos objectifs importants, sous présidence française, avec des orientations, des pistes de réformes déjà actées au printemps 2022.
Q - Une question sur la Turquie. Le ministre turc a dit qu'avec le ministre français Le Drian, on aurait une feuille de route pour normaliser la relation entre la France et la Turquie. Est-ce que vous pouvez dire plus de détails sur cette feuille de route, et s'il y a des rencontres de prévus ? Est-ce qu'il y a une date de dialogue entre la Turquie et la Grèce ?
M. Clément Beaune : Il n'y a pas de calendrier particulier de prévu. Et ce que l'on tient à faire, c'est s'en tenir au processus unitaire européen qui a été défini au dernier Conseil Européen, en décembre. Il y a deux éléments importants, si je résume, dans ces conclusions : des sanctions dans le cadre du régime existant portant sur la Méditerranée Orientale, et là il y a un accord politique unanime très important et très symbolique. Il faut maintenant le mettre en oeuvre, c'est une question de crédibilité, et les ministres des affaires étrangères sont en train d'y travailler, et ils y travailleront dans les prochaines semaines et les prochains mois. Et puis, on le sait, d'ailleurs je pense que c'est le fruit de la politique européenne de fermeté, on voit les signaux, les déclarations publiques de la Turquie, qui manifestent une volonté de dialogue, de discussion constructive. Acceptons-en l'augure, mais voyons les de près car on a déjà eu des épisodes précédents. Nous avons toujours été, nous européens, nous français, nous avons toujours été ouverts à ce dialogue, toujours. Nous ne sommes pas ceux qui ont choisi l'escalade et les provocations, mais nous avons toujours dit sans hésitation que nous réagirons en tant qu'européen à ces provocations. Si ces provocations diminuent, on est prêt à reprendre le chemin du dialogue. C'est au fond le choix des turques que de dire s'ils veulent le dialogue ou s'ils veulent rester dans une stratégie de tensions. Et puis, c'est le deuxième élément essentiel du Conseil européen du mois de décembre, nous avons demandé au Haut-Représentant Borrell, pour rester unis en tant qu'européens, de nous faire une évaluation complète de nos relations avec la Turquie, car c'est un comportement d'ensemble de la Turquie qui avait été pointé du doigt par les européens dans la Méditerranée Orientale, en Libye, au Haut-Karabagh, en Syrie. Et sur cette base de ce comportement, on décidera d'une nouvelle attitude constructive si l'évaluation de notre Haut-Représentant Borrell conclut que la Turquie a tiré les conséquences de cette fermeté européenne et du résultat de ses provocations et cherche à revenir sur la table de discussion. Si elle décide de poursuivre les tensions et multiplier les provocations, on décidera d'autres mesures. C'est donc ce que nous avons décidé au dernier Conseil européen sur le régime de Méditerranée Orientale et une évaluation complète de la relation Union européenne - Turquie en mars faite par notre Haut-Représentant Borrell. C'est là-dessus qu'on tient et qu'on reste, mais il n'y a pas d'agenda précis qui a été décidé.
Q - Pour revenir à la conférence, l'idée initiale était qu'elle dure deux ans. Là, vous venez de dire qu'il faut des résultats sous présidence française. Donc, vous actez le fait qu'elle ne durera plus qu'une seule année ? Quel rôle pour Strasbourg ? Vous avez aussi évoqué la présidence française du Conseil. Est-ce que vous pouvez déjà indiquer quels sont les grands axes prévus ?
M. Clément Beaune : Sur la durée de la conférence, vous avez raison, c'est important, le mandat qui est en discussion est un mandat qui portait sur deux années. Il faut reconnaitre aussi, la crise de la COVID est passée par là, on a pris du retard dans la négociation de ce mandat puisqu'il a commencé à être discuté à la fin de l'année 2019. Il n'y avait pas d'accord mais la discussion avait commencé. Donc, je pense qu'il faut garder une durée sans doute de plus d'un an, c'est clair. Il faudra sans doute plus d'un an si on veut que ce travail se fasse de manière sérieuse, complète, que toutes les institutions participent, que les parlements nationaux participent, que l'on ait des consultations citoyennes larges etc. Mais je crois que les deux ne sont pas incompatibles. Pour nous, c'est très important d'avoir ce rendez-vous sous présidence française parce que le Président de la République tient à cet exercice, parce que l'on a fait partie des quelques-uns qui l'ont porté au début. On veut y mettre de l'énergie, du capital politique pour la présidence. Des orientations, un agenda de travail arrêté, de réformes arrêtées au printemps 2022, sous présidence française. Et qu'ensuite il y ait une phase, ça c'est à la présidence portugaise aujourd'hui de le définir pour l'avenir, de mise en oeuvre, de compléments de travail etc. qui se poursuivra sans doute quelques mois, peut-être un an, on ne sait pas encore mais quelques mois au moins, pour être plutôt dans une réflexion sur comment on met en oeuvre ces réflexions, ces orientations, ces propositions de réformes qui seront arrêtées au printemps 2022. Donc, en quelque sorte c'est un schéma qu'il faut affiner. La présidence portugaise en ce moment est en train d'y travailler. Mais que l'on ait bien un rendez-vous en 2022, on arrête les grandes réformes, les grandes orientations, et puis une phase plutôt de mise en oeuvre et d'exécution qui se poursuive ensuite pour les deux présidences suivantes. Voilà un peu le schéma que l'on envisagerait aujourd'hui pour concilier les deux. Sur le rôle de Strasbourg dans ce panorama, important évidemment, très important pour nous. Nous l'avons dit. Le Président du Parlement européen s'y est engagé d'ailleurs, que le lancement de cette conférence puisse se faire à Strasbourg et qu'ensuite beaucoup de lieux de débats, puisque le Parlement européen en particulier sera très impliqué, que beaucoup de débats se tiennent dans ce lieu de ce siège du Parlement européen à Strasbourg au fil de l'année 2021 et du début de l'année 2022. Donc, on confirme évidemment l'ambition que nous avons et qui est partagée, encore une fois, qui a été soutenue par David Sassoli constamment de faire de Strasbourg le lieu de lancement et de travail central de cette conférence sur l'avenir de l'Europe. Sur les axes de la présidence française, ça sera l'un des points évoqué dans le séminaire gouvernemental français de demain par [inaudible] le Président de la République et le Premier ministre. On a déjà fait une communication début novembre où on a défini trois grands mots clés mais on va les affiner qui sont la question de la relance qui devra se poursuivre évidemment. Le plan de relance sera enclenché. Il faudra réfléchir à la politique industrielle ; la politique de concurrence pour l'avenir ; de transition numérique et climatique qui se poursuivront ; la politique commerciale que l'on évoquait. La puissance, c'est toute la politique étrangère, de sécurité, de souveraineté que l'on défend : technologique, de défense, commerciale là aussi. Puis, l'appartenance qui peut-être est un thème plus nouveau, original, mais je pense que c'est très important que l'on réfléchisse à notre modèle culturel, presque de civilisation européenne dont on doit être fiers. On a vu encore avec la crise de la COVID mais je crois qu'il y a un modèle européen de réponse aux crises, de gestion des transitons, comme le numérique et comme le climat. Dans la réponse à la crise par exemple, l'Europe a choisi et c'est unique au monde d'être à la fois très solidaire, c'est l'endroit au monde où on a investi le plus pour soutenir nos entreprises, nos emplois, le pouvoir d'achat ; démocratique jusqu'au bout, c'est-à-dire avec un débat parfois difficile dans tous les pays sur comment on gère la crise sanitaire etc. mais c'est sain. Là où d'autres modèles sont différents, plus autoritaires en Asie par exemple ; et moins solidaires, par exemple en Amérique du Nord. C'est des choix de société. Je crois qu'il y a un modèle européen sur lequel on doit être plus précis, dont on doit être plus fiers et qui doit s'incarner par une appartenance commune. J'y crois beaucoup. C'est l'un des axes sur lesquels on réfléchit pour la présidence, à des symboles et du concret en termes d'appartenance. Plus de mobilité, Erasmus renforcé, plus d'échanges entre lycées, de mobilité des artistes, de protection de notre modèle de création culturelle et d'informations, le droit d'auteur et la suite de cette réforme, la régulation des grandes plateformes numériques. Le DSA et le DMA ont été proposés par la Commission, ce seront bien sûr les textes centraux dans la présidence française qui j'espère pourront faire l'objet d'un accord politique à ce moment-là, etc. Donc, voilà pour l'instant c'est ce triptyque qui nous guide : relance, puissance, appartenance. On va le préciser dans les prochains mois, au cours du semestre qui vient pour avoir un programme complet, comme le veut l'usage que l'on présente au deuxième semestre de l'année, quelques semaines avant la présidence.
Q - Sur le MERCOSUR, la présidence portugaise semble déterminée à débloquer ce dossier pendant sa présidence, notamment par le voie de son Premier ministre et de son ministre des Affaires Étrangères. Voyez-vous aussi une possibilité d'avancer sur ce dossier avant votre présidence ?
M. Clément Beaune : C'est pas lié au calendrier de notre présidence, on a une position de fond claire et constante. En l'état, la France n'est pas favorable à cet accord. On a plusieurs points qui posent problème, on a un vrai problème de fond : la question de la déforestation, la question du respect de l'accord de Paris, qui n'est pas garanti par cet accord, la question des règles sanitaires et environnementales qui ne sont pas garanties par cet accord. Notre position n'a pas changé : tel qu'il est, cet accord ne peut recevoir le soutien de la France, et je note que plusieurs gouvernements ou parlements ont exprimé des réserves sur cet accord : l'Autriche, l'Irlande, le Luxembourg. C'est un débat européen vaste sur notre politique commerciale et ces outils. Et je crois d'ailleurs que, dans l'univers post-Brexit, c'est un des points positifs de l'accord conclu avec le Royaume-Uni. On a vu, même si le Royaume-Uni est un partenaire particulier, que nous avons eu un niveau d'exigence avec cet accord en termes de « Level Playing Field », de respect de nos règles, du lien entre l'accès au marché et le respect de nos normes qui doit servir de modèle, alors peut-être pas à 100%, mais servir de modèle en termes d'exigence et de contrôle pour notre politique commerciale plus largement. Le schéma est clair, et les exigences que nous portons depuis l'été 2019 et les déclarations du Président de la République à la fin du mois d'août au moment du G7 sont toujours valables.
Q - Au niveau européen, on voit que sur la scène mondiale la puissance diplomatique européenne, même s'il y a beaucoup de bonne volonté, c'est réduit. En Syrie, nous étions absents. Au Haut-Karabagh, on s'est fait éjecter. L'Ukraine, ça n'avance pas. Est-ce que c'est juste conjoncturel ? Est-ce que c'est un problème d'effacement inquiétant sur le long terme ? Comment on peut réagir là-dessus ? Concernant la langue française au niveau européen, c'est quand même fabuleux de voir qu'aujourd'hui les institutions européennes sont incapables de communiquer. Je prends l'agence Frontex. Je ne parle pas sur le Brexit où c'est normal de communiquer en anglais. Je parle sur des missions au Sahel, par exemple. Même sur l'Iran, il est facile d'avoir la traduction en français d'un communiqué américain qui a été envoyé par le Department of State. Il y a le communiqué européen qui n'est pas traduit. Il y a une vraie question qui se pose là-dessus.
M. Clément Beaune : Sur le premier point, je ne serais pas… il faut que l'on s'affirme davantage, mais je pense que la question de la direction… je ne partage pas votre diagnostic sur l'effacement. D'abord, de quoi parle-t-on quand on dit l'Europe ? Je pense qu'il y a beaucoup de dossiers sur lesquels heureusement l'Europe, au sens Union européenne, au sens des groupes de pays, il faut aussi avoir de la souplesse dans les formats, ont été là. Ça ne veut pas dire qu'il y a un résultat et que l'on résout toutes les crises. Mêmes les puissances qui ont plus l'habitude de la politique étrangère ou sont plus visibles, je pense aux Etats-Unis, n'ont pas résolu les crises dont vous parlez, le Proche Orient, la Syrie, etc. On ne dit pas pourtant que les Etats-Unis sont devenus une non-puissance. L'engagement européen s'est plutôt renforcé. Quand vous regardez les grands sujets internationaux, sur la question climatique, heureusement que l'Europe a été là et a tenu. Même sur l'Ukraine, pour prendre une crise à nos frontières, la gestion de la crise, si je puis dire, est entièrement européenne, principalement franco-allemande. Les Etats-Unis n'y sont quasiment pas impliqués. Un des problèmes que l'on a, on évoquait la question de la Turquie, c'est que les Etats-Unis se sont effacés ou retirés de ce théâtre de discussions, de négociations, de pressions. L'Europe, je crois, a justement, ça prend du temps, l'Union européenne s'est affirmée progressivement là où elle avait fait preuve pendant longtemps d'un détournement du regard ou d'une forme de naïveté à l'égard de Monsieur Erdo?an et de la Turquie. Il y a d'autres conflits, c'est vrai, parce que ce n'est pas l'ADN, l'outil de l'Europe, qui sont les conflits plus durs comme la Syrie, où l'Union européenne est plus en retrait, c'est clair. Ça ne veut pas dire que certains de ses membres, la France en particulier, ne sont pas impliqués, soit diplomatiquement, soit politiquement, soit militairement. Ce que l'on fait au Sahel, au Mali, c'est un effort porté très largement par la France avec le soutien, je tiens quand même à le dire [inaudible] parce qu'il faut quand même être justes, on a du soutien européen qui s'est renforcé au fil des années, y compris des pays qui sont loin de ce théâtre l'opération - l'Estonie, la République tchèque, etc. -qui sont avec nous et c'est presque entièrement un effort européen. Donc, on est plutôt sur une trajectoire où l'Europe s'affirme sur le plan international. Je partage votre avis, pas assez vite, pas assez fort, mais en partant d'un socle où elle avait très peu de compétences, très peu d'appétit, très peu de notion de puissance, parfois très peu d'outils de projection internationale y compris militaires, en tant qu'Union et parfois même au regard de la composition de ses membres. Donc, je pense que les dernières années sont plutôt celles de l'affirmation progressive, certes à consolider, certes à renforcer, certes à [inaudible] d'un leadership européen que l'inverse. Je prends, puisqu'on l'évoquait, c'est un sujet qui n'est pas seulement commercial mais géopolitique, la position ou l'affirmation de l'Europe face à la Chine est aussi un des éléments importants des dernières années. Donc, je ne veux pas être pessimiste. On peut faire beaucoup mieux. On va, je crois, faire beaucoup mieux. On doit d'ailleurs travailler avec le Royaume-Uni sur ce sujet parce que sinon on sera plus faibles. Mais l'histoire n'est pas celle d'une Europe qui tourne le dos à la politique étrangère alors même que depuis quelques années on essaye de lui faire prendre la mesure de ses responsabilités et qu'elle le fait, encore une fois, tant bien que mal, mais elle le fait. Ça ne vaut pas que sur le plan militaire, c'est géopolitique, c'est géostratégique, c'est technologique parfois. On l'a vu sur la 5G, nous avons été beaucoup plus forts que si nous avions je crois été trop dispersés dans nos choix technologiques et souverains, etc. Je tiens quand même à ce qu'il n'y ait pas dans ce sujet une vision trop négative de l'Europe parce que c'est déjà difficile de trouver cette énergie européenne qui est nouvelle sur la question internationale et géopolitique. Il ne faut pas que l'on se dise « de toute façon, on n'y arrive pas, on n'y arrivera pas, on n'est fait pour ça ». On est fait pour ça. On s'est vacciné contre la puissance après la guerre pour des raisons historiques évidentes. On a créé une réconciliation entre nous et un club de coopération qui marche et qui maintenant essaye de trouver la recette qu'il n'avait jamais trouvée, celle de l'affirmation internationale tout en étant une puissance d'équilibre multilatérale, coopérative. Cette équation-là jamais dans l'histoire de notre continent au fond, jamais nous l'avons trouvée. Nous essayons de la construire, ça prend un peu de temps. Sur la question de la langue française, je partage le combat. Il n'est pas lié qu'au Brexit mais évidemment le Brexit en souligne encore plus la nécessité. On a eu l'occasion de le dire, à la Commission européenne, aux institutions, on a pris, quand je dis « on » parfois il faut le dire c'est une responsabilité collective, parfois nous-mêmes français, des habitudes de travail en anglais, monolingues, etc. Je crois qu'il faut sortir de là. Ce n'est pas seulement un combat pour la francophonie ou pour le français, même s'il nous tient à coeur, c'est un combat pour le multilinguisme. Je pense qu'une Europe post-Brexit qui ne travaillerait que dans une langue, qui ne communiquerait que dans une langue, ferait une erreur et manquerait d'adhésion, manquerait de soutien, manquerait de compréhension. En vue de la présidence française, là aussi nous prendrons un certain nombre d'initiatives politiques et concrètes parce qu'il ne s'agit pas non seulement de clamer le principe. Il faut faire de la formation, il faut donner le gout de l'apprentissage d'une autre langue. Il faut que les processus de recrutement de la Commission européenne et des institutions soient très vigilants sur le respect des exigences linguistiques. Nous nous battrons de plus en plus sur tous ces fronts au cours de l'année qui vient et au cours de la présidence française, encore une fois ce n'est pas un combat ni d'arrière-garde, ni d'un seul pays, c'est un combat vraiment pour la diversité linguistique européenne, et je crois qui fait partie du rejet ou de l'acceptation qu'auront les citoyens européens de notre club, de notre projet politique. Effectivement, je pense que ça sera encore moins compris après le Brexit que l'on soit tous dans une forme d'anglais approximatif. Des concepts compliqués comme le « level-playing field », il faut les traduire. Je me laisse parfois aller à ne pas le faire, mais il faut les traduire. Ce sont les conditions de concurrence équitable. Ce n'est pas si compliqué. Il doit y avoir une traduction espagnole, allemande, italienne de ce concept. Habituons nous à reparler nos langues.
Q - Vous avez dit au début que vous vouliez cette année négocier plus de coopération avec le Royaume-Uni sur la question de la défense et de la sécurité. Boris Johnson a toujours refusé de s'engager sur ce point. Pourquoi êtes-vous si confiants que ça va arriver cette année, et quel intérêt pour les anglais qui, au nom du Brexit, voulaient s'éloigner de la politique étrangère européenne ? Et deuxième question : suite à l'interdiction permanente de Donald Trump par les réseaux sociaux, quelle approche en Europe pour que cela ne se produise pas ?
M. Clément Beaune : J'avoue que je n'avais pas compris que le Brexit signifiait s'isoler de la politique étrangère européenne. Je ne crois pas d'ailleurs que ce soit ce que dise le Premier ministre Johnson, mais je ne suis pas "confiant ou pas confiant". Je dis que, dans l'accord, il n'y a pas, du fait des choix britanniques, d'éléments de coopération en matière de sécurité, de défense ou de de politique étrangère. Mais je continue à penser que ce sera nécessaire et utile pour le Royaume-Uni et l'Union européenne pour la défense commune de nos intérêts, de nos ambitions climatiques et démocratiques. Et on a aussi des défis communs sur le plan commercial et technologique face à certaines puissances parfois difficiles ou hostiles : Inde, Chine, Russie etc. On a des clubs de coopération qui, de fait, nous réunissent comme l'OTAN. On avait initié, je crois qu'il faut le conserver, à l'été 2017 une initiative européenne d'intervention, un club de coopération souple sur la planification des menaces, la planification d'exercice militaires avec le Royaume-Uni et d'autres pays de l'Union européenne. On a une base, et il faut la renforcer. Si le Royaume-Uni ne veut pas, on ne pourra pas le faire, mais l‘offre tient toujours de travailler ensemble, dans le cadre d'une politique étrangère de sécurité à définir. On avait fait des propositions, et on va voir si ça prospère. Le Président de la République avait proposé en mars 2019 un conseil européen de sécurité qui aurait consisté de l'Union européenne et du Royaume-Uni pour se mettre d'accord sur des questions de sanctions, sur des questions de sécurité, sur des questions climatiques vis-à-vis de certaines puissances étrangères. Je pense qu'on a tout intérêt à poursuivre ces efforts. Moi j'entends que le Brexit c'est « Global Britain ». Ce serait paradoxale d'être en isolement par rapport par l'Union européenne sur ces questions. Nous avons beaucoup en commun. Nous avons aussi, le Royaume-Uni et la France, un cadre bilatéral ancien, profond, gravé dans le marbre, mais il faut aussi qu'on continue nos coopérations industrielles, des services de renseignement en matière de sécurité et de diplomatie, c'est essentiel. C'est essentiel pour l'Union européenne, la France, et plus encore pour le Royaume-Uni, et j'espère qu'on pourra trouver un nouveau cadre de discussion, non seulement bilatéral, entre la France et le Royaume-Uni, mais aussi entre l'Union européenne et le Royaume-Uni dans les mois qui viennent. Je pense que ce serait de notre intérêt commun.
Sur les réseaux sociaux, la bonne réponse, c'est celle que défend la France et les pays européens et que la Commission européenne a proposé au mois de décembre, c'est le DMA et le DSA. C'est quoi ? C'est une régulation publique européenne des grandes plateformes. On peut penser ce qu'on veut des propos d'un dirigeant politique ou d'un président des Etats-Unis, mais l'idée que la régulation soit dans la seule main des plateformes, c'est un problème. Il ne s'agit pas d'avoir un débat sur « est-ce que les propos de M. Trump méritaient censure ou non », mais il s‘agit de savoir qui décide, qui et comment. Et les plateformes, en faisant cela, reconnaissent pour la première fois la responsabilité qu'elles ont sur leur contenu. Elles disent bien, en faisant cela, qu'elles ne sont pas neutres, et ça peut créer des tensions. Il y a des propos qui ne méritent pas d'être tenus pour des raisons de mensonge ou de violence ou autre. Donc ça veut bien dire qu'il y a un besoin de régulation européenne publique. Moi, je souhaite un modèle européen, que cette régulation soit publique, définie par le parlement et la loi, identique pour tous, et européenne car c'est le bon échelon d'action, car si chaque pays avait son cadre de régulation national en matière de concurrence, de taxation ou de de contenu pour les plateformes, ça serait inefficace. On a besoin d'un cadre européen et public, car cet épisode a montré une chose, c'est la puissance considérable des plateformes dans notre information, dans notre débat, dans notre vie démocratique. On ne peut pas laisser un acteur privé, ce n'est pas un jugement sur cet acteur précis, on peut être d'accord avec lui ou non, c'est autre chose, mais on ne peut pas le laisser définir lui-même son cadre de régulation, c'est le sens de ce qu'a fait la Commission européenne avec Mme. Vestager et M. Breton dans le DSA et le DMA, qui sont maintenant encore plus urgents.
Q - Est-ce qu'il n'y a pas tout simplement besoin d'avoir des plateformes publiques ? On peut se dire que les réseaux sociaux aussi sont, à l'instar de chaînes de télévision, libres de donner la parole à qui elles le souhaitent. Est-ce qu'il ne faut pas des plateformes qui soient indépendantes du secteur privé ?
M. Clément Beaune : C'est un débat plus large mais mon sentiment c'est que pas forcément et que le seul outil d'action publique n'est pas forcément la nationalisation ou la possession des moyens de production, si je puis dire. Il peut y avoir de la régulation, de la sanction. Ce n'est pas l'arme des faibles. Ca peut être très [inaudible]. Je pense d'ailleurs que c'est ce qu'on sait faire de plus efficace depuis le plus longtemps en Europe, la régulation d'un marché, en l'occurrence d'un marché numérique et de toutes ses composantes, y compris démocratiques et publiques. Donc, une régulation, des sanctions, des interdictions d'exercer, ça peut être des outils très puissants dont on ne dispose pas aujourd'hui parce que l'on a un cadre de régulation qui date de l'an 2000 et qui ne reconnaît pas la responsabilité des plateformes, c'est ça le vrai sujet, la question de la responsabilité, comment on la reconnaître, comment on la met en oeuvre. Je ne crois pas qu'il faille forcément aller jusqu'à créer… il faut être aussi réalistes. Ces plateformes, elles existent. 97% des recherches que l'on fait sur internet en Europe passent par Google. Vous savez sans doute tous ici un compte Twitter que vous consultez plusieurs fois par jour parce que ça nous informe objectivement, on communique par-là, on regarde par cela. Donc, c'est la vie. Maintenant, laisser cela comme une sorte de far west de monopoles privés, ça ne marche pas. C'est ça qu'il faut casser. Je pense que l'outil n'est pas forcément de créer autre chose à côté qui n'aura pas forcément le même succès. On a parfois vu quand on essaye de créer des choses ex nihilo de manière un peu artificielle ou verticale, ça ne marche pas toujours. Donc, à la télévision, on a l'habitude. Il y a les chaines publiques mais il y a aussi les chaines privées. Quand on est une chaine privée, quand on est une presse, on n'est pas exempt de toute régulation. Je crois que l'on un modèle qui peut être par la régulation, par la norme, par le droit, qui peut fonctionner et je crois que c'est vers ça qu'il faut aller au niveau européen.
Q - Vous avez dit en septembre que la France cherchait des moyens contraignants pour forcer les médias publics à parler de plus d'Europe. C'est quoi ces moyens contraignants ?
M. Clément Beaune : Je ne crois pas avoir parlé de décisions contraignantes, mais j'ai dit qu'il fallait parler de plus d'Europe. Je crois qu'il y a un changement culturel à faire. On considère que parler d'Europe, c'est déjà un acte militant. Mais je ne crois pas, c'est un acte démocratique. On peut penser blanc ou noir, rouge ou vert, on peut critiquer, heureusement, le gouvernement ou l'institution européenne, et tant mieux, mais en parler n'est pas en soi un geste de fédéralisme fou invitant les extrêmes. Ayons justement un débat démocratique européen et des positions sur l'Europe de toutes les gammes, des plus anti au plus pro avec toute une série de nuances. Donc ça c'est important. Et il faut aussi des mesures qui ne passent pas par des décrets ou des lois, Il faut aussi avoir un changement culturel. Je pense que le fait d'en parler est important. Et puis ensuite, les médias publics ont des responsabilités particulières et des engagements particuliers, et des cahiers des charges sous l'autorité d'un régulateur. C'est le cas en France et c'est comme ça que ça doit se passer. Mais en revanche, pour être concret, il y aura dans les prochaines semaines, autour du Premier ministre, des réunions des grands patrons des médias publics et privés, pour regarder comment on peut plus parler, mieux parler, enfin par « mieux », je ne parle pas d'un contenu qui serait imposé, pas du tout, mais parler plus souvent avec plus d'informations et des documentaires ou je ne sais quoi, de parler de plus d'Europe dans nos médias, car c'est sinon tout un point démocratique qui est inconnu des citoyens. Et si j'avais râlé à l'époque qu'on ne couvrait pas le discours de la présidente de la Commission européenne, ce n'est pas pour faire la publicité de Mme. Von der Leyen, ce n'est pas le sujet. C'est pour dire « il s'est passé un événement, et cet événement est important je crois ». Et quand on voit la couverture médiatique donnée aux élections américaines, je suis surpris de voir que les élections fédérales allemandes, générales britanniques et législatives italiennes, n'ont pas 10% de cet intérêt. Il y a un changement qui ne se décrète pas, il n'y a pas le gouvernement qui va dire « il faut faire ci, il faut dire ça », évidemment pas, ça serait le pire de tout. Mais qu'on ouvre ce débat, qu'on se dise qu'on en parle pas assez. L'idée c'est d'un dialogue avec les médias, il faut être transpartisan, pluraliste, pas par un contrôle par le gouvernement, mais par un régulateur indépendant, comme ça se fait déjà d'ailleurs. Et je rappelle qu'il y a d'ores et déjà dans le cahier des charges des chaînes en France un engagement des chaînes de télévision à couvrir le débat européen. Déjà appliquons le cadre existant.
Q - Sur la question de la vaccination, il y a un peu une confusion actuellement dans l'Union européenne en ce qui concerne des contrats bilatéraux qui auraient été passés par des Etats membres avec notamment Pfizer. Est-ce que vous trouvez cela normal ? L'Allemagne a notamment confirmé, je pense, qu'elle a négocié un contrat bilatéral en dehors du cadre européen. Est-ce que les Etats membres peuvent/doivent passer ce type de contrats bilatéraux ? Sinon, qu'est-ce que l'Union européenne doit faire à ce sujet ?
M. Clément Beaune : Non, je crois qu'il faut être clair. Il ne doit pas y avoir de contrats bilatéraux. A ma connaissance, il n'y a pas de contrats bilatéraux. Il y a eu des rumeurs, des menaces. La Chancelière Merkel a été très claire sur le fait qu'elle ait exclu tout accord bilatéral. Donc, il y a eu peut être des travaux, des velléités, des négociations concrètes peut-être, je n'en ai pas le détail personnellement. Comme vous, je lis la presse et j'écoute les déclarations. Mais la Chancelière Merkel a été très claire sur le fait que l'Allemagne restait intégralement dans le cadre européen. Puisque je crois que c'est à cela que vous faisiez écho, les 30 millions de doses de Pfizer/BioNTech, s'il y a eu une tentation bilatérale, elle est écartée désormais. Ils sont inclus dans les négociations européennes communes et les commandes supplémentaires de doses qui ont été faites à l'égard de BioNTech. Donc, ce cadre européen doit être défendu chaque jour parce que les tentations de le casser existent. Je crois que c'est la semaine dernière que les messages ont été repassés de manière claire par la Présidente von der Leyen, par la Chancelière Merkel, par le Président de la République, qui s'est entretenu sur ce sujet d'ailleurs avec la Présidente von der Leyen et la Chancelière Merkel pour que l'on reste dans ce cadre européen. Encore une fois j'insiste, ce n'est pas par volonté bureaucratique, centralisatrice ou fédéraliste, pas du tout, c'est parce que l'Europe, c'est un bon exemple concret, est une bonne protection. Je l'ai dit, il n'y a aucun pays qui ne pourra reposer que sur un seul vaccin. Le fantasme de « on aurait fait mieux tout seul », d'abord on peut toujours le dire, on ne peut pas le vérifier. Quand bien même ça serait le cas sur une négociation, sur un achat, sur un vaccin, une stratégie de vaccination, c'est la force du cadre européen, elle se fonde sur les mêmes critères scientifiques, les mêmes contrats et l'accès à l'intégralité des contrats, les six qui ont été négociés, les deux supplémentaires qui sont pré-négociés. Quand aujourd'hui, il y a un deuxième vaccin qui a été autorisé, d'ailleurs, ça a atténué les critiques. Il n'est ni français, ni allemand. Donc, sortons de ce nationalisme vaccinal. Il est américain. Tout le monde aura besoin du vaccin Moderna. On est contents tous, français, allemands et autres, d'avoir des doses Moderna qui arrivent sur le terrain, qui sont arrivées sur le terrain dès le début de cette semaine. Donc, c'est une chance d'avoir réussi à négocier ensemble et on l'a fait honnêtement vite. Ce n'est pas toujours le cas au niveau européen. On l'a fait vite. On a construit ce cadre, il faut aussi s'en souvenir, nous français et nous allemands. Au départ, une initiative franco-allemande soutenue par l'Italie et les Pays-Bas, que l'on a élargie à 27 et on a bien fait. Dernier point là-dessus et j'insiste, c'est un débat de fond. Il est illusoire de croire que l'on se sortira de cette pandémie, c'est même faux, en ayant fait son vaccin dans une région ou dans un seul pays, évidemment pas. On le voit bien, ce que l'on appelle le « variant anglais », « le variant sud-africain », etc. C'est une pandémie. Par définition, le monde entier est d'ores et déjà touché. On a vu que quand on regardait de loin la Chine en disant « c'est chez eux », c'est venu vite en Europe. Quand on a commencé à regarder l'Italie en disant « c'est chez eux », c'était déjà ailleurs etc. Donc, si vous vaccinez en France et pas en Allemagne, ou en France et en Allemagne et pas en Slovaquie ou en Espagne, vous ne réglez pas le problème sanitaire parce que vous pouvez prendre toutes les mesures que vous voulez. D'abord fermer les frontières, on l'a vu, ce n'est pas la panacée, loin de là. Ca a beaucoup de coûts, humains, politiques, culturels, sociaux etc. De toute façon, la circulation zéro, ça n'existe pas et ça ne peut pas exister. Contrôler, vérifier, on l'a fait. Mais la circulation zéro, surtout en Europe, ça n'existera pas. Donc, on a besoin de vacciner ensemble, en même temps, avec les mêmes contrats, plusieurs vaccins. Quand vous mettez tous ces ingrédients, ça fait le cadre européen et il nous protège. Je crois d'ailleurs que c'était très bien que la Chancelière Merkel, puisqu'il y avait des doutes et des polémiques dans son parti et dans son pays, le rappelle avec la plus grande clarté publiquement mardi dernier".
Source https://ue.delegfrance.org, le 15 janvier 2021