Entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, à Azur TV le 14 janvier 2021, sur l'épidémie de Covid-19, le déploiement des entreprises françaises à l'international et les relations commerciales avec les Etats-Unis.

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Intervenant(s) : 
  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Texte intégral

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R - Peu importe les mots, ce qui compte, ce sont les mesures, ces mesures sont utiles, elles ont été utiles dans un certain nombre de pays et c'est bien. Etant donné la circulation du virus dans un certain nombre de pays, c'est bien qu'elles soient prises ce soir, je m'en réjouis. Je crois que dans la lutte contre cette crise sanitaire, il faut faire preuve de beaucoup d'humilité, il faut faire preuve de beaucoup de pragmatisme, il faut s'appuyer sur notre expérience de la gestion de la crise sanitaire, regarder ce qui se passe ailleurs, voir les bonnes expériences et essayer de les utiliser quand c'est possible pour faire en sorte de "balancer" entre ce qui est essentiel, c'est-à-dire la santé de nos compatriotes, et en même temps, pouvoir continuer, autant que possible, de permettre à l'activité économique de se faire. Par exemple, que les commerçants puissent continuer d'avoir leur commerce ouvert, et que dans les écoles, nos jeunes puissent continuer d'être accueillis, parce qu'on sait bien, on l'a vu dans le premier confinement total, qu'il y avait des conséquences relativement importantes sur un certain nombre d'enfants, de jeunes, et notamment ceux qui sont dans les familles les plus défavorisées.

Cet équilibre, nous allons essayer de continuer de le maintenir le plus longtemps possible pour éviter un confinement généralisé. Mais bien évidemment, nous ne refermons aucune solution, aucune hypothèse, tout va dépendre de l'évolution de la circulation du virus car encore une fois, ce que nous voulons, c'est protéger nos compatriotes, c'est faire en sorte que dans les hôpitaux, dans les différents centres de soins, les personnels qui sont absolument exemplaires ne soient pas débordés par la vague de circulation du virus comme cela a pu être à un moment le cas au printemps, ou comme c'est le cas dans un certain nombre de pays aujourd'hui, avec l'arrivée de ces variants anglais et sud-africain qui sont évidemment très problématiques.

Q - Franck Riester, vous êtes allé à la rencontre de Rodolphe Saadé, le patron de la CMA CGM, vous êtes allé chez Airbus Helicopters, vous irez demain chez Thales Alenia space dans les Alpes maritimes, vous êtes allé aussi au contact des incubateurs de ces start-up qui ont pour mission d'exporter et de travailler avec l'étranger. Comment affrontent-elles la crise ces entreprises ?

R - Avec le Président de la République, avec le Premier ministre, nous sommes absolument convaincus, avec Jean-Yves Le Drian, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et avec Bruno Le Maire, le ministre de l'économie, des finances et de la relance bien évidemment, nous sommes convaincus que la relance passera aussi par la capacité de nos entreprises à se déployer à l'international, à exporter, à s'implanter dans d'autres pays, à accueillir aussi sur nos territoires des investisseurs étrangers, bref, à ne pas nous replier sur nous-mêmes. Bien sûr il faut travailler pour faire en sorte que nous puissions avoir de la relocalisation d'un certain nombre de productions de chaînes de valeurs pour qu'il y ait davantage de produits fabriqués en France qui soient vendus à des consommateurs français, mais il faut absolument que l'on continue de se déployer à l'international, parce que c'est source de croissance et c'est source d'emplois.

Comme vous l'avez dit, je suis allé voir des acteurs majeurs de ce déploiement de la France à l'international : bien sûr CMA CGM qui est une entreprise leader dans son secteur en matière de transports maritimes et donc en matière d'outils logistiques pour exporter nos produits, je suis allé voir Airbus Helicopters qui est une des entreprises fleuron dans ce secteur pour exporter des hélicoptères partout dans le monde, et puis voir ces start-upers, ces jeunes entreprises, ces créateurs, ces innovateurs qui n'ont pas peur de prendre des risques, de créer et de se tourner dès le début de leur activité vers l'international.

Tout est mis en oeuvre par le gouvernement, tant dans la transformation du pays que dans le plan de relance, et dans le plan de relance spécifique export, pour, le mieux possible, donner toutes les clefs à nos entreprises pour être à l'international et avoir des beaux succès.

Q - Franck Riester, vous allez entendre des acteurs économiques de notre belle région sud qui souhaitaient vous interroger sur la situation économique et partager avec vous quelques remarques, mais je voudrais que l'on revienne sur CMA CGM un instant. On imagine quand même que Rodolphe Saadé, le patron de cette emblématique entreprise de Marseille vous a fait part de ses difficultés, parce que le commerce est entravé et parce que la récession économique est quasiment mondiale.

R - Oui, mais paradoxalement, ce secteur-là, depuis la fin de l'année est en pleine dynamique. L'activité économique a repris de plus belle en Asie et il y a une activité très dense pour le transport maritime. C'est vrai qu'ils ont été touchés au début de la crise sanitaire au printemps, mais depuis l'automne, il y a une grande demande de transports de biens et de recours à leurs services.

Q - Je vous posais cette question parce qu'au moment de la première vague, on a expliqué que le monde d'après serait différent, que l'on relocaliserait des entreprises, peut-être de l'Asie vers l'Europe, est-ce un sujet d'inquiétude pour une entreprise comme CMA CGM, le président Rodolphe Saadé vous en a-t-il fait part,

R - Nous n'avons pas parlé de cette inquiétude, il est plutôt à avoir beaucoup de projets de développement et de croissance, pour autant vous avez raison, c'est important d'avoir cette préoccupation de cette autonomie stratégique, de veiller à ce que dans l'avenir, nous ne soyons plus dépendants d'une zone géographique, d'un pays, sur un secteur stratégique. C'est toute la politique du gouvernement qui s'inscrit aussi dans la politique européenne, secteur par secteur, produit stratégique par produit stratégique, vérifier et diversifier nos fournisseurs, de faire des stocks stratégiques sur des produits essentiels et aussi, de relocaliser une partie des chaînes de valeurs de production, parce que cela crée de l'emploi en France et on a besoin de réindustrialiser notre pays.

Nous avons aussi besoin d'être moins naïfs aussi, d'un point de vue commercial par rapport à des acteurs qui ne respectent pas les règles du commerce international d'une façon loyale. On sait qu'il y a un certain nombre de tensions commerciales avec la chine, avec les Etats-Unis aujourd'hui, il nous faut être déterminés à assumer notre souveraineté en matière commerciale, mais en même temps, il ne faut pas nous replier sur nous-mêmes, il faut continuer d'aller chercher des parts de marchés. Croyez-moi, dans ce plan de relance export que nous avons mis en place, nous avons des moyens pour accompagner celles et ceux qui sont les acteurs de cette croissance économique à l'international, ces entreprises en lien, et je voudrais insister et terminer par-là peut-être.

Q - Voilà, ces Team-France export dont vous avez discuté avec Renaud Muselier, le président de la région sud. Avant de donner, Franck Riester, la parole à des acteurs économiques et politiques de notre région, demain donc, vous serez dans les Alpes maritimes, à Cannes, vous allez je crois du côté du Palm Beach, vous irez évidemment à Sophia Antipolis, quel est le message que vous porterez aux élus locaux et aux acteurs de la vie économique des Alpes maritimes ?

R - Je vais leur dire que c'est le moment d'oser l'international, c'est le moment d'oser aller chercher des parts de marché à l'international, parce que la région qui est en charge du pilotage de l'équipe de France de l'export, la Team France Export, l'Etat et toutes les collectivités territoriales sont rassemblés pour essayer de leur donner le maximum de moyens d'accompagnement vers l'international. Ce sont des moyens financiers pour baisser le coût de prospection, tant physique que numérique, ce sont des moyens financiers de financement pour les accompagner, par exemple avec l'assurance-crédit, ce sont des femmes et des hommes qui sont mobilisés avec Bpifrance, ... avec la Chambre de commerce d'industrie, avec toutes les collectivités territoriales pour les aider dans cette aventure parfois à l'international, et c'est le moment de le faire.

Q - Je parlais des VIE aussi, c'est aussi quelque chose d'important, les entreprises ont aussi à leur disposition des jeunes qu'elles peuvent envoyer à l'international et qui représentent et qui apprennent au contact de l'entreprise.

R - Tout à fait. Les VIE viennent de fêter leurs vingt ans. C'est un programme exceptionnel. C'est deux ans donnés en possibilité aux jeunes pour travailler pour une entreprise à l'international. Donc nous voulons, avec le gouvernement, aider le maximum de jeunes dans cette période toute spécifique, de les aider à entrer sur le marché du travail, et notamment à l'international. Donc nous mettons des moyens, un chèque VIE de 5000 euros pour les entreprises, pour avoir un jeune qui pendant deux ans va travailler pour elle, à l'international. Donc c'est une opportunité formidable de profiter des talents exceptionnels qu'il y a dans cette région, et il y a beaucoup de talents dans cette région pour aider les entreprises à l'international. Eric Revel, je voulais vraiment dire qu'il est important de mettre en avant le fait que cette complémentarité entre régions, Etats et acteurs privés, est une des clés du succès de notre volonté, de notre politique à l'international, et on va continuer de l'amplifier en s'appuyant sur tous ces acteurs de terrain, et dans cette région sud, il y a une volonté très claire d'aller à l'international, et je m'en réjouis. Comme il y a une volonté très claire d'attirer des investisseurs étrangers, et à Sophia Antipolis, je verrai à quel point il y a une telle attractivité des entreprises qui viennent créer, innover, dans le secteur des biotech notamment, à Sophia, dans la région sud.

Q - Dans la région sud d'ailleurs, à titre indicatif, les échanges avec l'étranger représentent 55 milliards d'euros. C'est quand même une manne non négligeable. On parlait tout à l'heure, Franck Riester, du tourisme, avec l'aéroport, les aéroports de notre région. Il va falloir présenter un texte lorsqu'on vient d'autres pays que ceux membres de l'Union européenne. Ecoutez Jérôme Biliard, il est hôtelier et restaurateur. Il a une question simple à vous poser concernant le tourisme hôtelier et restaurateur à Nice : " Est-ce que vous avez prévu des actions, et quelles actions avez-vous prévu pour communiquer sur nos marchés, c'est-à-dire à l'étranger et en général, pour rassurer les gens, et faire qu'ils viennent à Nice et partout en France d'ailleurs, dès que l'épidémie sera rétablie ? ". Question importante, le tourisme est une manne hyper importante de notre région. Comment relancer la marque France et la marque Côte d'Azur région sud après la crise ?

R - C'est évidemment essentiel, il va falloir redonner un élan au tourisme français dès que la crise sanitaire sera derrière nous. Nous travaillons beaucoup avec Jean-Baptiste Lemoyne qui est le secrétaire d'Etat en charge du tourisme, et nous avons dans le plan de relance, justement, export et international, des budgets importants de communication autour de la marque France et de toutes les valeurs qui sont communiquées par la France, pour que les consommateurs à l'international achètent des produits français, achètent des services français, et puis viennent en tant que touristes en France. Nous travaillons avec Atout France qui est l'opérateur français qui vante les talents français, les sites français, les offres françaises, en matière de tourisme. Nous allons communiquer beaucoup à l'issue de la crise sanitaire pour attirer le maximum de touristes, et en lien bien sûr avec les acteurs locaux et régionaux du tourisme. Et j'aurai l'occasion dans quelques semaines de me rendre à Nice qui a fait un travail exceptionnel aussi en matière touristique, mais aussi en matière d'attractivité, pour attirer des entreprises. Pour montrer à quel point nous sommes ensemble, Etats, collectivités territoriales, à pousser pour relancer ce secteur du tourisme qui en aura tellement besoin étant donné que c'est l'un des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire.

Q - Dans le même temps, Franck Riester, j'imagine que cette déclaration de Christian Estrosi ne vous a pas échappé, il souhaite que l'Etat, par le biais du préfet des Alpes-Maritimes, prenne un arrêté pour arrêter les locations saisonnières à Nice, sinon il prendra un arrêté municipal. Ecoutez ce qu'il disait à ce propos tout à l'heure à Alexis Ricard : "Nous voyons que, durant toute cette période des vacances dites de Noël, nous avons eu un gros taux de remplissage des locations saisonnières. Donc, il ne faut pas s'étonner que ces fréquentations venues de partout aient largement contribué à la montrée de la circulation du virus. Voilà pourquoi j'estime qu'il est raisonnable, que tant que nous n'aurons pas atteint un seuil le plus rapide possible pour permettre à notre économie de tourner à plein de nouveau, et d'être au niveau le plus bas possible, nous ne devons pas favoriser la circulation et la venue de populations, tant que nous ne savons pas ce qu'elles peuvent apporter, notamment avec le nouveau virus mutant.

Q - Est-ce que ça vous paraît raisonnable, comme le dit Christian Estrosi, d'interdire à Nice, par arrêté, les locations saisonnières ?

R - Ce n'est pas moi qui vais me prononcer sur ce point-là. Vous avez vu que c'est le Premier Ministre et le Ministre de la santé, dans le cadre du Conseil de défense, qui prennent des décisions spécifiques de lutte contre la circulation du virus. Pour autant nous sommes en dialogue constant avec les élus locaux, et évidemment en particulier à Nice, avec Christian Estrosi. Je suis sûr que les échanges qu'il y aura avec le préfet et en lien avec les équipes nationales qui prennent ces questions-là, permettront de trouver la solution la plus raisonnable et la plus adaptée pour lutter efficacement contre la circulation du virus.

Q - Franck Riester, il y a un secteur également qui est important dans notre région et dans le pays en général, mais dans notre région, c'est celui du vin, le rouge, le rosé, bien sûr, et il y a tout ce qui inquiète les viticulteurs, ce sont toutes les taxations américaines mises en place par Trump, bon alors qui quitte le pouvoir. Comment est-ce que vous abordez la chose, est-ce qu'il y a des mesures de rétention ? Est-ce qu'on va réussir à faire lâcher la bride aux américains sur ce secteur ?

R - Ecoutez il y a des tensions commerciales, vous l'avez très bien dit, avec un certain nombre de pays, notamment avec les Etats-Unis aujourd'hui, il y a des taxes qui ont été décidées par l'administration Trump encore récemment en fin d'année, qui s'appliquent mi-janvier, notamment sur le secteur des vins et spiritueux, qui sont des taxes illégitimes, illégales, et nous les contestons et nous souhaitons, nous avons notamment la détermination totale avec nos amis européens pour retrouver les voies et moyens de désescalade avec la nouvelle administration Biden. Parce que c'est l'intérêt, ni des Américains, ni évidemment des Européens, de continuer de taxer nos produits au moment où il y a une crise, une crise économique. Au contraire, on a besoin de relancer le commerce international. Pour autant, la réalité c'est qu'il y a des taxes aujourd'hui sur les vins et spiritueux, et nous travaillons avec Bruno Le Maire et Julien Denormandie, Ministre de l'agriculture, pour voir de quelle manière on peut accompagner le mieux possible celles et ceux qui travaillent dans ce secteur-là, pour faire face évidemment aux conséquences de ces surtaxes américaines, parce que nous savons qu'il y a des conséquences sur leur activité. Mais en tant que Ministre du commerce extérieur, je travaille aussi avec toute la filière pour aller chercher des marchés ailleurs. Cela ne remplacera pas la perte liée à cette surtaxation américaine. Mais en tout état de cause on a besoin d'aller chercher des marchés partout, mais nous mettons un plan d'action spécifique pour ces producteurs, et notamment à partir de début du mois de février, une vitrine numérique sectorielle pour les vins et spiritueux qui permettra notamment aux plus petits producteurs de pouvoir, avec cette vitrine, avoir accès à des marchés partout dans le monde.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2021