Texte intégral
J'ai tout d'abord une pensée amicale pour la présidente de la commission, Marielle de Sarnez, qui ne peut être parmi nous.
Je suis heureux et honoré, juste après le conseil des ministres qui vient d'adopter le projet de loi visant à ratifier de la décision ressources propres de l'Union européenne, de pouvoir sans délai l'expliquer et échanger avec vous à son sujet.
Ce texte comporte un article unique visant à autoriser le Gouvernement à ratifier cette décision qui a été adoptée le 14 décembre par le Conseil de l'Union européenne - elle a vocation à se substituer, selon une mécanique habituelle, à la décision existante, qui date de 2014 et qui avait bien entendu été soumise à votre assemblée - afin de couvrir la nouvelle période budgétaire ouverte au 1er janvier 2021 et qui sera close le 31 décembre 2027.
Comme c'est l'usage, elle aura un effet rétroactif au 1er janvier 2021. Si elle est ratifiée à la suite de l'autorisation parlementaire, elle écrasera le mécanisme de financement existant du budget européen et se substituera donc à lui.
Les traités européens prévoient que cette décision relative aux ressources propres ne puisse précisément entrer en vigueur qu'après ratification par l'ensemble des 27 Etats membres selon leurs procédures nationales respectives. En France, nous nous situons dans le cadre de l'article 53 de la Constitution qui prévoit un débat parlementaire et un vote législatif.
Sur le fond, ce texte évidemment essentiel est inhabituel car, au-delà de la reconduction d'un certain nombre de mécanismes de financement du budget de l'Union européenne, et alors que d'autres seront je l'espère renforcés dans les années à venir, il traduit une innovation fondamentale : la diversification et l'amplification des financements de ce budget.
Il concrétise, et c'est très important car il s'inscrit dans ce paquet budgétaire dont nous avons discuté et dont la décision ressources propres est le seul élément législatif, les résultats historiques obtenus récemment, notamment par la France, dans les négociations européennes.
Il permet plus spécifiquement la mise en oeuvre du volet relatif à l'ensemble des recettes du budget européen qui sera notre cadre commun pour les sept prochaines années.
Concrètement, ce paquet budgétaire est pour l'essentiel constitué de trois éléments, le premier étant les dépenses du budget lui-même, sur lesquelles nous avons obtenu des avancées importantes ou des garanties essentielles, comme la stabilisation du budget de la politique agricole commune (PAC), l'augmentation du budget de la politique régionale et le renforcement très significatif de programmes européens prioritaires comme Erasmus+ ou "Horizon Europe", consacré au financement de la recherche et dont les moyens augmentent au total de plus de 50 %.
Le budget 2021-2027 est doté au total de 1074 milliards, soit une augmentation de 12 % en euros constants par rapport à la période précédente, alors même qu'un Etat membre, le Royaume-Uni, a quitté l'Union de manière effective et complète au 1er janvier.
Particulièrement d'actualité, deux autres éléments de ce paquet marquent, au-delà des programmes budgétaires que nous connaissons, des innovations importantes, signes d'une ambition de puissance et de souveraineté européennes et de réponse coordonnée aux crises.
C'est le cas de l'augmentation significative - un tiers - des moyens du programme spatial, même si nous aurions aimé aller plus loin. Le Président de la République a d'ailleurs rappelé hier encore les ambitions de la France et de l'Union européenne en la matière.
C'est également le cas de l'Europe de la santé à laquelle plus de 5 milliards seront consacrés au travers d'un nouveau programme spécifique : c'est une innovation fondamentale.
Nous avons commencé à mettre en application le volet ordinaire mais ô combien ambitieux des dépenses du budget européen pour les années 2021-2027.
Face à elles, la décision ressources propres constitue un deuxième volet, le troisième, sans doute le plus ambitieux, le plus innovant et le plus historique, étant évidemment le plan de relance lui-même, soit 750 milliards d'euros.
Il se décompose en subventions, à hauteur de 390 milliards, et en prêts à disposition des Etats membres pouvant compléter leur réponse à la crise, à hauteur de 360 milliards.
Ce plan est issu d'une initiative franco-allemande prise le 18 mai 2020 par le Président de la République et par la chancelière Angela Merkel qui a ensuite fait l'objet d'une proposition de la Commission européenne en date du 27 mai. En dépit des tensions et des difficultés, les chefs d'Etat et de gouvernement sont parvenus, le 21 juillet, à un accord européen unanime et complet sur ces 750 milliards du plan de relance, avec une innovation non seulement technique mais historique, au-delà de ce montant : le recours à l'endettement commun.
C'est ce volet consacré au plan de relance que la décision sur les ressources propres rend possible, c'est sans doute la novation la plus grande du projet de décision soumis au débat et à votre vote.
Au total, ce plan financera 40 %, et probablement un peu plus, du plan de relance français présenté au début du mois de septembre par le Premier ministre et qui a commencé d'être mis en oeuvre, notamment dans le cadre de la loi de finances pour 2021 que votre assemblée a votée, en soutenant des initiatives dans divers domaines, en fonction de ses priorités : rénovation énergétique, soutien aux entreprises, accompagnement des jeunes, formation professionnelle.
Au niveau européen, ce plan inédit par son ampleur et très ambitieux par son contenu permet également de mieux coordonner nos réponses à la crise et de financer, au-delà des mesures d'urgence prises par tous les Etats membres, la relance elle-même.
En matière de transition écologique et numérique comme de lutte contre le changement climatique, la France, soutenue par la Commission européenne, a fixé des objectifs communs : tous les plans nationaux de relance cofinancés par les fonds européens devront, conformément à l'accord du 21 juillet, lui consacrer au moins 30 % des dépenses d'investissement. La Commission a même relevé cet objectif à 37 % de ces dépenses en y ajoutant un autre : 20 % de dépenses consacrées au numérique.
Acquis qui reste un combat, cette décision relative aux ressources propres acte le début de la rénovation du système de ces ressources de l'Union européenne, avec la création dès 2021 d'une contribution des Etats membres assise sur la quantité de plastique non recyclé.
Il ne s'agit pas littéralement d'une nouvelle ressource mais d'un mode de calcul des contributions nationales qui prend en compte les efforts en matière de recyclage, ce qui va dans le sens d'un verdissement du financement du budget de l'Union. Cette évolution a été renforcée par les travaux du Parlement européen tout au long des mois ayant suivi l'accord intervenu cet été et visant à établir un calendrier précis de mise en place des ressources propres.
Pour être tout à fait clair sur ce sujet, une percée fondamentale a eu lieu : pour la première fois, les 27 chefs d'Etat et de gouvernement ont tous, à la fin du mois de juillet, acté le principe de nouvelles ressources propres. Aucune nouvelle ressource propre au sens strict n'avait été créée depuis les années soixante-dix. Il s'agit donc d'une avancée considérable : l'accord du 21 juillet liste en effet un certain nombre de possibilités, de l'ajustement du prix du carbone aux frontières à une taxation commune du numérique et à la taxation des transactions financières. C'est la première fois qu'un accord politique complet, commun et unanime est trouvé s'agissant de ces nouvelles ressources.
Le Parlement européen a, comme je l'ai dit, renforcé cette dynamique en exigeant un calendrier précis de propositions par la Commission et d'adoption par le législateur européen - Conseil et Parlement - de nouvelles ressources, avec quelques jalons précis, comme l'obligation faite à la Commission de proposer, dès le premier semestre 2021, des actes législatifs portant sur la taxation du numérique et sur le mécanisme d'ajustement carbone à nos frontières.
Est-ce à dire que ce sujet est clos ? À l'évidence non, puisque sur la base de ces propositions législatives s'engagera un débat national et européen, les engagements pris me semblant tout à fait significatifs, ce qui n'est pas sans lien avec le plan de relance. En effet, cette dette commune permettra d'enclencher l'approbation de la décision relative aux ressources propres puisque les nouvelles ressources permettront de rembourser à partir de 2028 l'emprunt européen commun contracté pour financer ce même plan également commun.
Toutes ces importantes avancées se sont faites dans le plein respect de nos valeurs car dans ce paquet budgétaire figure également un règlement sensible qui renforce la protection de l'Etat de droit en liant le versement de certains fonds européens au respect de valeurs fondamentales, sous le contrôle de la Commission européenne et de la Cour de justice. Le débat qui a eu lieu avec la Pologne et la Hongrie, qui y étaient opposées, s'est réglé par un accord politique intervenu lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre.
S'agissant enfin du calendrier de nos partenaires européens, trois Etats membres ont finalisé la ratification de la décision ressources propres : Chypre, la Croatie et l'Italie, cette dernière l'ayant intégrée en fin d'année dans sa loi de finances.
Si le Parlement y donne suite, la France pourrait, après le vote de l'Assemblée nationale et le débat prévu au Sénat au tout début du mois de février, figurer dans les cinq ou six premiers pays à ratifier cette même décision, donc à assurer le financement du plan de relance.
Selon les éléments provisoires dont nous disposons concernant les calendriers parlementaires de nos partenaires, l'ensemble des Etats membres devraient avoir procédé à sa ratification d'ici le début du mois de mai.
Si l'on aimerait qu'elle intervienne plus rapidement encore, rappelons que, lors de l'exercice précédent, plus de deux ans avaient été nécessaires pour ratifier la décision de 2014 que j'ai évoquée.
L'urgence et la priorité donnée à cette ambition et au plan de relance européen ont donc un sens et sont importantes et remarquables. Je veux d'ailleurs saluer l'engagement de votre assemblée en particulier pour pousser à cette accélération : il s'est manifesté au cours des dernières semaines dans le soutien à l'action du Gouvernement, il se traduira désormais, je l'espère, dans les débats que nous entamons aujourd'hui.
(...)
Je vais être clair : les conditions politiques ne sont pas réunies pour élaborer un deuxième plan de relance européen. Faut-il pour autant exclure d'en défendre l'idée ou d'obtenir un accord sur ce point ? Non. Mais nous avons, pour le moment, une première étape à franchir. Il nous faut ratifier la décision sur les ressources propres afin de procéder à l'endettement commun et de mettre en oeuvre le plan de relance, dont je rappelle qu'il est très ambitieux puisqu'il se compose de près de 400 milliards d'aides directes aux Etats et de 360 milliards de prêts disponibles.
N'oublions pas, avant d'évoquer un possible nouvel abondement, que d'autres dispositifs européens, qui ne sont pas tous utilisés ou "saturés", sont à la disposition des Etats membres. Je pense au renforcement de l'action de la Banque européenne d'investissement, décidé par les ministres des finances au mois d'avril dernier, qui lui permet d'accorder des prêts supplémentaires, pour un montant total de 200 milliards d'euros. Je pense également au plan Support to mitigate Unemployment Risks (SURE), qui permet de financer l'assurance chômage européenne par des prêts à taux très favorables - plus intéressants, pour ce qui est des dernières émissions, que ceux dont bénéficient la plupart des Etats européens. Ce dispositif permet à un pays comme l'Italie, par exemple, de réaliser plusieurs centaines de millions d'économies dans le cadre du financement de son activité partielle.
Tout n'est pas parfait, loin de moi cette idée. Mais le plan de relance a été difficile à négocier politiquement : appliquons-le et accélérons sa mise en oeuvre. J'ajoute, car j'ai omis de le préciser dans mon propos introductif, qu'il comporte un mécanisme de préfinancement qui permettra à chaque Etat membre de disposer dès le printemps, avant même la finalisation des procédures, d'une part, qui peut atteindre 10 %, de l'enveloppe à laquelle il a droit.
Je suis favorable à une accélération et, éventuellement, à la prise en compte de certaines mesures d'urgence, destinées à répondre immédiatement à la crise, dans les financements européens. À ce propos, je précise que sont prises en compte au titre des dépenses éligibles au financement du plan de relance celles qui ont été réalisées dès février 2020. Ainsi les Etats membres qui ont financé, dès le début de la crise sanitaire, certains dispositifs d'investissement ou de soutien, tels que l'assurance chômage, peuvent les soumettre à un financement européen.
Cependant, il ne faut pas exclure que la réponse européenne soit amplifiée et se prolonge. Mais beaucoup d'Etats membres s'étant opposés au principe même d'un plan de relance et d'une dette commune et a fortiori au montant ambitieux de 750 milliards, il faut faire la démonstration que ces financements européens peuvent être rapidement opérationnels et qu'ils sont utiles à la relance de nos économies. Cela relève de la responsabilité de l'ensemble des Etats membres, notamment de ceux, dont la France, qui ont défendu l'idée d'un plan de relance.
S'agissant des nouvelles ressources propres, plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le calendrier. Je veux, à cet égard, souligner à nouveau le rôle du Parlement européen qui, au-delà de l'accord du 21 juillet sur le principe de nouvelles ressources propres, a souhaité que la feuille de route soit précisée. Il a ainsi obtenu une présentation rapide des actes législatifs relatifs à deux ressources - sur lesquelles le consensus me semble plus fort que sur d'autres -, à savoir la taxe sur les entreprises numériques et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ce dernier consiste, je le rappelle, à faire payer aux entreprises qui exportent vers l'Union européenne et qui ne sont pas soumises aux mêmes exigences environnementales que les nôtres le prix du carbone dont ces dernières s'acquittent. Force est de reconnaître, au-delà des différences de sensibilité politique, qu'une telle mesure est juste, efficace et qu'elle contribue au financement du budget de l'Union européenne en faisant payer les acteurs internationaux qui profitent de notre marché sans y contribuer.
Sur ces deux ressources, qui obéissent à une logique identique et qui constituent une priorité, notamment de la prochaine présidence française de l'Union européenne, la Commission a pris l'engagement - et il sera tenu, car le Parlement l'a exigé et nous y veillerons - de présenter les textes législatifs au premier semestre 2021. Le Parlement européen et le Conseil se sont quant à eux engagés à aboutir à un accord législatif d'ici à la fin du premier semestre 2022 afin que les textes entrent en application au plus tard le 1er janvier 2023.
D'autres ressources figurent dans la feuille de route. Deux d'entre elles ont été évoquées par plusieurs d'entre vous : la taxe sur les transactions financières - je pourrai y revenir -, et l'ACCISS. Cette dernière a pour objet, j'y insiste, non pas d'augmenter la pression fiscale, mais d'harmoniser nos impôts sur les sociétés dans la perspective d'affecter ultérieurement cette ressource à l'Union. S'agissant de ces deux mesures, l'engagement a été pris de présenter les textes en 2024, pour une mise en oeuvre d'ici au 1er janvier 2026.
Le calendrier est certes plus long, car le débat politique, qui soulève des questions plus lourdes, est technique et beaucoup moins avancé. Mais il se veut ambitieux puisque l'objectif est bien de disposer d'une série de ressources propres supplémentaires pour le prochain cadre budgétaire, lorsque débutera le remboursement de l'emprunt. Je rappelle en effet que la dette destinée à financer le plan de relance ne sera pas remboursée pendant la période 2021-2027. Cette décision relève, non pas de l'irresponsabilité, mais d'une bonne gestion économique : nous empruntons et investissons pendant la crise et nous commencerons à rembourser lorsque la reprise sera là et que nous disposerons de ressources propres supplémentaires. Ce remboursement s'étalera - là encore, j'y insiste - sur trente années. J'ajoute que le montant du remboursement annuel collectif de cet emprunt est évalué aux alentours de 17 milliards, soit environ 10 % d'une annuité du budget européen.
La question des rabais est très importante. Nous nous sommes battus pour obtenir leur disparition. Certes, nous n'avons pas gagné. Mais nous avons obtenu une avancée majeure sur la dette commune et, même si elle reste à finaliser, sur les ressources propres. Le prochain combat sera celui de la refondation du système de financement, qui implique la suppression des rabais. En tout état de cause, je crois, je le dis franchement, que nous ne pouvions pas, d'un point de vue politique, obtenir également satisfaction sur ce point dans le cadre de cette négociation.
Nous n'avons pas, je le rappelle, créer les rabais lors de la négociation du cadre financier pour la période 2021-2027. Celui dont bénéficiait le Royaume-Uni existait depuis 1984 - je n'en rappelle pas l'histoire, bien connue ; quant aux quatre autres, ils existent depuis 1999. Ils ont, c'est vrai, augmenté pour plusieurs pays. Mais, je tiens à le préciser, sans entrer moi-même dans la logique du juste retour, nous avons bien négocié, du point de vue de l'intérêt financier du pays. De fait, la contribution nette de nos grands partenaires a nettement plus augmenté, à la suite du Brexit, que celle de la France. Pour l'Allemagne, par exemple, cette augmentation est deux fois plus importante que pour notre pays, lequel est, en revenu par habitant, le huitième contributeur net au budget de l'Union européenne. Je ne veux pas multiplier ces chiffres, car je ne souhaite pas que l'on s'en tienne à une logique du juste retour - ce serait une vision étriquée et fausse de l'apport de l'Union européenne -, mais il est légitime que vous ayez connaissance de ces éléments budgétaires.
Par ailleurs, pour la France, le coût des rabais a diminué à la suite du Brexit. Leur coût annuel total était, jusqu'à la fin de l'année de 2020, de 2 milliards, dont la moitié était imputable aux Britanniques ; il est désormais légèrement inférieur à 1,5 milliard. Le rappel de ces ordres de grandeur n'a pas pour objet de légitimer ces rabais, mais d'éclairer notre débat sur cette question.
J'ai évoqué les travaux d'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Cette mesure peut paraître technique, mais elle est le préalable absolu à toute harmonisation de cet impôt et un outil nécessaire si nous voulons encadrer ses taux et lutter contre un dumping fiscal européen qui existe dans ce domaine, comme en témoignent les taux extrêmement agressifs appliqués par certains de nos partenaires.
Je ne reviendrai pas en détail sur la question de l'Etat de droit, dont j'ai dit, devant votre assemblée et devant le Sénat, combien elle était importante. Nous ne comptions céder ni sur le plan de relance, en le retardant ou en le rabotant, ni sur la protection des valeurs. La décision qui a été prise marque une avancée politique, au sens noble du terme, importante. J'assume le fait que la France contribue au budget de l'Union européenne, car elle y trouve des avantages. En revanche, je n'assumerais pas devant vous le fait que des Etats membres qui ne respecteraient pas des valeurs essentielles bénéficient de notre solidarité financière. Je parle là, non pas de points secondaires ou de choix politiques qui relèvent de chaque parlement et de chaque gouvernement, mais de valeurs essentielles qui nous relient et qui figurent dans nos traités. Chacun serait choqué que la solidarité s'exerce au bénéfice de pays qui ne respecteraient pas ces contreparties minimales.
Les rabais sont liés à chaque décision concernant les ressources propres. Ils ont été reconduits dans le cadre de la dernière décision ; je le déplore, mais cette reconduction participe d'un équilibre politique qui est en définitive très favorable à nos ambitions européennes et à nos intérêts. En tout état de cause, ils seront rediscutés dans le cadre de la prochaine décision sur les ressources propres - les pays concernés le savent : c'est la nouvelle frontière, si je puis dire. À ce propos, d'aucuns font des calculs en comparant le bénéfice que chacun tirera du plan de relance et la contribution qu'il y apportera, mais un tel calcul n'est pas possible puisque personne ne connaît la prochaine décision relative aux ressources propres. Et, lorsqu'elle interviendra, il sera dans l'intérêt de la France de défendre une remise à plat du système de financement, remise à plat qui n'est pas impossible puisque nous avons obtenu des avancées très importantes sur le système de ressources propres et le financement par la dette commune. Il est donc faux de dire que les choses sont figées, définitivement écrites. Si des réticences s'exprimaient sur de nouvelles ressources ou sur certains paramètres, nous aurions, nous aussi, les moyens d'imposer que ceux-ci soient redéfinis. Les rabais ne sont pas un droit historique garanti aux pays qui en bénéficient encore pour les sept années qui viennent.
S'agissant de la contribution liée au recyclage des déchets en plastique, je vous propose, pour ne pas être trop long, de vous communiquer quelques éléments chiffrés, notamment sur le prix de la tonne pris en compte pour le calcul de cette contribution. Je précise, c'est un point important, qu'il ne s'agit pas - on peut le regretter ou s'en réjouir - d'une ressource propre au sens strict, et encore moins d'une taxe. Il s'agit d'un système de bonus-malus qui, pour être tout à fait honnête, porte sur de petits montants. C'est vrai, Jean-Michel Clément l'a dit, il n'y a pas de double dividende en la matière : plus on recyclera de matière plastique, plus cette ressource diminuera. Mais ce système ne contribue pas significativement au budget européen ; c'est un signal positif, mais il ne faut pas accorder une importance excessive à cette ressource. Mieux vaut concentrer le combat sur les véritables ressources propres qui peuvent être mobilisées dans les mois qui viennent. J'ajoute que, pour la France, le coût annuel lié à ce système de bonus-malus est, non pas de 1 milliard, comme je l'ai entendu dire - ce chiffre correspond à l'assiette globale -, mais de 60 millions, sachant, je le rappelle, que le montant total de notre une contribution dépasse 20 milliards.
Vous m'avez interrogé sur les contraintes et les risques liés à ces nouvelles ressources propres. Je l'ai indiqué de la manière la plus honnête possible : pour la première fois, leur principe et leur nature font l'objet d'un accord. Quant à leur contenu, leur montant et leur calendrier, ils doivent encore - même si j'ai rappelé les engagements politiques qui ont été pris en la matière - faire l'objet d'un débat législatif, national et européen. Jamais le principe de la création de nouvelles ressources propres n'a fait l'objet d'un consensus politique européen aussi fort. Les pays qui étaient le plus réticents - Pays-Bas, Autriche, Suède - ont beaucoup évolué sur cette question, notamment sur le volet environnemental, non seulement parce que la préoccupation climatique est plus forte mais aussi parce qu'ils perçoivent bien l'enjeu budgétaire, auquel ils sont parfois plus sensibles que nous. Après 2027, le budget européen ne pourra pas se dispenser de nouvelles ressources, quand bien même ces pays dits frugaux renonceraient-ils à leurs rabais. De fait, avec le plan de relance - certains le déplorent, je m'en félicite -, nous franchissons une étape supplémentaire vers une solidarité budgétaire européenne. Face au choix d'augmenter leur contribution nationale et de renoncer à leur rabais ou de créer de nouvelles ressources propres, leur priorité, je crois, sera claire. La Suède ou les Pays-Bas, par exemple, longtemps hostiles par principe à de nouvelles ressources propres, défendent désormais certaines d'entre elles, notamment la réforme du système d'échange de quotas d'émission (ETS) ou la taxe carbone aux frontières. Il reste du travail, nous avons un combat à mener, et j'espère que nous serons le plus nombreux possible, ici comme au Parlement européen.
S'agissant des délais d'examen du projet de loi, on peut, certes, toujours faire mieux. Mais je m'efforce toujours de répondre au plus grand nombre de questions possible, par écrit ou par oral, devant les deux assemblées. Je me suis exprimé pour la première fois devant l'Assemblée nationale sur l'accord budgétaire, plus précisément sur la question des ressources et de la dette, le 28 juillet, lors des questions au Gouvernement. Quant à la décision relative aux ressources propres dont nous discutons aujourd'hui, elle est connue depuis plusieurs mois et nous avons répondu à de nombreuses questions sur le sujet.
(...)
Je tenais tout de même à dire que nous avons des échanges réguliers sur la question.
Quoi qu'il en soit, sur le fond, vous avez souligné, et je vous en remercie, le caractère historique des avancées obtenues et vous partagez le combat que nous entendons mener dans la perspective des prochaines étapes concernant les ressources propres. À cet égard, j'observe qu'il existe parfois un écart entre les positions défendues par une même famille politique - ce n'est pas le cas de la vôtre - à l'Assemblée nationale et au Parlement européen, où elle se montre beaucoup plus hostile aux ressources propres. Soyons cohérents jusqu'au bout. Par ailleurs, je sais que le combat en faveur des ressources propres et de la réforme du budget européen - qui est, du reste, au-delà des alternances ou sensibilités politiques, conforme à l'intérêt national - est mené depuis longtemps par nombre d'entre vous. Je sais votre engagement personnel de longue date en la matière.
Comment garantir le remboursement ? Par les ressources propres. Si l'on additionne le produit de la taxe sur le numérique, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et la réforme du système ETS, ce sont 10 milliards à 30 milliards de ressources propres supplémentaires qui seront affectées au budget européen, sachant que la contribution française annuelle s'élève à un peu plus de 20 milliards et le remboursement annuel de l'emprunt lié au plan de relance à 17 milliards. Ainsi, même si nous ne disposions que de deux de ces trois ressources propres, nous pourrions largement rembourser chaque annuité du plan de relance à partir de 2028. Au-delà, je crois que c'est une bonne logique de financement du budget européen et la seule façon de sortir d'un débat délétère sur le juste retour. Quant au remboursement, il nous appartient d'en définir les paramètres. C'est un combat à mener, je l'admets, mais il est faux d'affirmer que la France devra s'acquitter d'une facture ou d'un impôt caché.
Peut-être pensiez-vous, en évoquant le renforcement de la capacité de contrôle, à une forme de mainmise qu'un Etat pourrait exercer sur un autre dans le cadre des plans de relance. Permettez-moi donc d'en expliquer la mécanique. Chaque pays va soumettre à l'ensemble des ministres des finances son plan national de relance et de résilience et demander un cofinancement européen. Je mentionnerai deux points importants, à cet égard. Tout d'abord, nous avons refusé tout système de veto, qui aurait conduit à faire de chacun l'otage de son voisin et aurait permis à un pays - du nord de l'Europe, par exemple - de contester tel investissement réalisé par un autre ou de lui recommander telle réforme ; ce type de débat serait malsain. En revanche, il est sain d'avoir une discussion collective pour coordonner nos priorités - 30 % pour le climat, 20 % pour le numérique - tout en permettant à chaque pays de bénéficier de la souplesse nécessaire pour construire son propre plan. Aucune unanimité n'est requise, aucun veto ne permet à un pays du nord de bloquer un pays du sud, pour citer un exemple qui n'est pas qu'un cas d'école.
Ensuite, je m'inscris en faux contre l'idée tant débattue d'une conditionnalité, selon laquelle l'Europe nous imposerait de réaliser telle réforme pour pouvoir bénéficier de l'argent européen. Nos plans de relance sont coordonnés, c'est normal et sain. La France déplore de longue date, toutes majorités confondues, l'insuffisance de la gouvernance économique et de la coordination des politiques économiques ; or, nous avons là un outil pour les renforcer : utilisons-le ! Mais, encore une fois, il n'existe aucune liste, cachée ou non, des réformes qui seraient exigées par Bruxelles ou par tel partenaire en contrepartie de l'argent européen.
Vous avez raison, les ressources propres ont tendanciellement baissé au fil du temps parce qu'on n'en a pas créé de nouvelles et qu'on les a, de fait, remplacées en masse par une contribution annuelle des Etats, laquelle a l'avantage de la simplicité et l'inconvénient de s'inscrire dans une pure logique du juste retour, qui veut que chacun fasse le compte de ce qu'il verse à l'Europe et de ce qu'il en retire immédiatement. Par ailleurs, la France défend la taxe sur les transactions financières, qui est inscrite dans la feuille de route. Quant à l'impôt européen sur les sociétés, il n'est pas pour demain. Encore une fois, il ne s'agit certainement pas de créer un impôt européen - ce serait une folie et un mauvais signal - mais de rapprocher nos fiscalités pour éviter le dumping et, éventuellement, d'affecter à terme une part de ces impôts existants au budget européen.
Il est possible que certaines ressources soient mobilisées dans le cadre de coopérations renforcées ; c'est le cas actuellement de la taxe sur les transactions financières. C'est un peu compliqué techniquement et juridiquement, mais il n'est pas impossible, si une ressource est créée par quelques Etats, qu'elle puisse financer leur quote-part du remboursement de l'emprunt collectif après 2027. En tout cas, il ne faut pas exclure cette possibilité, car la coopération renforcée fiscale est un bon outil.
Vous avez dit ressentir une certaine aigreur. Cette avancée européenne - que vous ne remettez pas en cause - est, c'est vrai, le produit d'une contrainte, d'une crise. C'est du reste souvent le cas en Europe : nous progressons dans la crise et nous prenons conscience de la nécessité d'une réponse collective lorsque nous sommes confrontés à un problème collectif. C'est du reste plutôt une bonne nouvelle, car tel n'a pas toujours été le cas. Je pense à la crise précédente, celle des dettes, à laquelle nous avons mal répondu, trop peu ou trop tard, au plan européen. Cette fois, nous avons élaboré une réponse solidaire et économique ambitieuse : le plan de relance et la dette commune, que nous ne pouvions pas imaginer il y a quelques mois de cela. Ce n'est donc pas, me semble-t-il, l'aveu d'une faiblesse ou le seul produit d'une contrainte.
Quant au renforcement du poids de certains pays, si vous faisiez allusion au dispositif de contrôle que j'ai évoqué il y a un instant, j'espère vous avoir répondu, tout comme sur la taxe sur les plastiques.
Je garde également un bon souvenir de notre échange amical au Havre. La question des accords de libre-échange est un vaste débat. Je partage, plus que vous ne l'imaginez, votre réticence sur le contenu de certains de ces accords ou la façon de les négocier. Mais ne mélangeons pas les débats. On ne peut pas mesurer la pertinence de ces accords à la seule aune de la ressource que les droits de douane apporteraient au budget européen. Les nouvelles ressources propres dont nous avons discuté permettent de compenser largement la baisse historique de ces droits qui, je le rappelle, sont, indépendamment de tout accord de libre-échange, très sensibles à la crise. Ainsi, l'augmentation de notre contribution au budget pour 2021 de l'Union européenne est due en grande partie à la baisse des ressources propres traditionnelles, notamment les droits de douane. Ce ne serait pas une bonne chose de soumettre le budget européen à cette logique cyclique. Nous pouvons donc mener ensemble le combat pour des ressources propres qui sécurisent le budget européen, sortent de la logique du juste retour et nous permettent de financer de manière ambitieuse des politiques publiques dont nous avons le souci commun.
La réflexion sur les ports francs s'est ouverte à l'occasion du Brexit. Les Britanniques pourraient en effet décider - nous verrons ce qu'il en est - d'accorder des avantages fiscaux, sociaux ou réglementaires à des zones portuaires. Nous devons donc étudier ensemble cette question, avec nos partenaires belges ou néerlandais, car il ne serait pas responsable de laisser les Britanniques agir sans évaluer la compétitivité de nos ports. Il ne s'agit pas de s'inscrire dans une logique de dumping ou de course au moins-disant, mais nous devons nous pencher, indépendamment même du Brexit, sur la compétitivité portuaire. Du reste, sur ce sujet comme sur d'autres, l'accord que nous aurons bientôt définitivement conclu avec le Royaume-Uni nous préserve d'une logique de dumping en prévoyant la possibilité de prendre des mesures de rétorsion. Notre objectif n'est pas de participer à une course vers le bas, si le Royaume-Uni s'y lançait, et nous n'entendons pas subir sans pouvoir réagir une compétitivité accrue, s'il cherchait à la renforcer pour compenser les effets du Brexit.
Enfin, comment les parlementaires peuvent-ils aider le Gouvernement ? En menant, au-delà de leurs différences légitimes de sensibilité politique, le combat sur les ressources propres, ici comme au Parlement européen.
(...)
Concernant les nouvelles ressources propres, j'ai déjà détaillé le calendrier envisagé dans la feuille de route agréée par le Parlement européen. Pour ce qui est du respect de l'Etat de droit, il y a eu une bataille de communication politique mais le mieux est d'en revenir aux faits. Pour la première fois, un mécanisme lie le budget européen et le respect de l'Etat de droit. Ce mécanisme est-il parfait ? Non. Marque-t-il une rupture ? Oui. C'est d'ailleurs pour cette raison que la Hongrie et la Pologne, une fois le règlement adopté, se sont fortement mobilisées : elles ont bien pris conscience de la portée politique de ce lien de conditionnalité.
Au Conseil européen de décembre dernier, nous n'avons en rien revu les dispositions du règlement relatives à l'Etat de droit.
Qu'est-ce qui est permis par ce règlement ? Il faudra établir un lien suffisamment direct entre la violation de l'Etat de droit et l'utilisation des fonds européens, ce qui peut aller assez loin. Ainsi, on pourra considérer qu'il a été porté atteinte à l'indépendance de la justice si l'utilisation des fonds européens a été entachée de fraude ou de corruption. On sait que ce n'est pas un cas d'école dans certains pays européens. Tout dépendra également de la manière dont les juges nationaux et ceux de la Cour de justice de l'Union européenne interpréteront ce mécanisme mais, en tout cas, il faudra un lien avec l'utilisation des fonds européens. Ce n'est pas un outil de nature budgétaire qui viserait à sanctionner tout accès aux fonds européens pour toute violation de l'Etat de droit. Ce lien sera défini par la jurisprudence. La Commission européenne évaluera si les conditions sont réunies. Le Conseil européen se prononcera par un vote à la majorité qualifiée. Deux pays - au hasard - ne pourraient bloquer, seuls, l'application de la décision que la Commission proposerait au Conseil. Ce mécanisme complète l'arsenal juridique destiné à faire respecter l'Etat de droit et qui a été renforcé ces dernières années. Nous devrons aller plus loin. L'article 7 du Traité sur l'Union européenne, de nature essentiellement politique, est important. Il enclenche une procédure d'explications qui peuvent aller jusqu'à la sanction. Deux pays ont déjà été visés par cette procédure, la Hongrie et la Pologne. N'oublions pas, plus généralement, l'action de la Cour de justice de l'Union européenne : lorsqu'elle a identifié des violations de principes liés à l'Etat de droit, consacrés par l'article 2 de ce même traité, elle les a sanctionnées. Elle a ainsi sanctionné, au titre de la liberté académique consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l'Union, la fermeture d'universités européennes, que l'on peut considérer comme une forme d'atteinte à des principes fondamentaux ou liés à l'Etat de droit. Nous disposons d'un mécanisme politique, quelque peu tribunitien, osons le dire, avec l'article 7, d'un mécanisme juridique par le respect des principes européens garantis par la Cour de justice et, à présent, d'un mécanisme de nature budgétaire qui crée, pour la première fois, un lien de conditionnalité entre la perception des fonds européens et le respect de ces valeurs essentielles.
Pour ce qui est du délai, présenté par certains gouvernements comme un changement, j'y insiste - et je vous renvoie aux conclusions du sommet européen de décembre dernier : le contenu de la législation n'a pas été modifié. Ce qui est verbalisé dans les conclusions, c'est un droit déjà existant : celui pour chaque pays de contester devant la Cour de justice toute législation d'un pays de l'Union qui ne serait pas conforme au Traité, pour ce qui est tant de la procédure que du fond. Les gouvernements de la Pologne et de la Hongrie veulent intenter un recours devant la Cour de justice contre cet instrument législatif, mais ce n'est pas un droit que nous avons créé : il existait déjà. En revanche, et c'est là qu'il y a un engagement politique, la Commission a déclaré qu'elle attendrait que la Cour de justice constate une violation de l'Etat de droit pour proposer une sanction dans le cadre de ce mécanisme. Rien n'empêche la Commission, elle l'a assuré, de lancer dès le 1er janvier une investigation si on lui signale des fraudes graves liées à l'Etat de droit dans l'utilisation des fonds européens. Elle a simplement choisi d'attendre la décision de la Cour de justice pour proposer une sanction au Conseil. Soyons clairs, l'activation de ce mécanisme prendra, de toute façon, plusieurs mois. Je ne crois pas que l'on ait perdu du temps avec cette sorte de délai d'opportunité que la Commission souhaite utiliser.
Plus important encore : l'absence d'effet suspensif. Dès le 1er janvier de cette année, pour le budget 2021-2027 et pour le plan de relance, toute violation de l'Etat de droit qui serait constatée peut donner lieu à sanction, quelle que soit la date à laquelle la Commission constate cette violation et la signale au Conseil. Qu'une procédure soit en cours, au même moment, devant la Cour de justice, n'y changera et ne retardera rien. Le mécanisme a démarré le 1er janvier, à zéro heure. Si un Etat membre violait l'Etat de droit cette semaine, il n'échapperait pas à la sanction sous prétexte qu'une procédure est en cours devant la Cour de justice. Cela vaut pour tout le nouveau budget 2021-2027, depuis le premier jour, pour tout le plan de relance mais pas pour l'ancien budget en raison du principe de non-rétroactivité, sans que cela ait un rapport avec un recours éventuel devant la Cour de justice.
Le mécanisme est très certainement perfectible mais il est innovant et crée, pour la première fois, un lien réel et politique important entre le bénéfice des fonds européens et le respect des valeurs fondamentales. C'est essentiel. Il est légitime que la France soit une contributrice nette au budget de l'Union européenne car on a en a pour notre argent, mais elle peut poser des conditions, par rapport au détachement ou au respect des valeurs politiques. On ne peut pas bénéficier des largesses de l'Union sans respecter un socle essentiel qui nous relie. Les valeurs politiques en font partie.
Au sujet du Pacte vert. En effet, 30 %, voire 37 %, des dépenses du plan de relance et du budget seront attribuées à la lutte contre le réchauffement climatique. Concernant la taxe plastique, attention à la dénomination qui pourrait prêter à confusion : il ne s'agit pas d'une taxe ni d'une ressource propre au sens strict mais d'un mode de calcul de la contribution actuelle des Etats membres, qui ne change quasiment rien aux sommes en jeu. Les Etats les plus vertueux dans le recyclage du plastique paient un peu moins, les moins vertueux paient un peu plus. En revanche, la refonte du système des ETS, l'instauration d'une taxe carbone aux frontières et d'une taxe sur les services numériques permettront de dégager de nouvelles ressources propres.
Pourquoi voulons-nous ajuster la taxe carbone aux frontières européennes en étendant le dispositif aux entreprises étrangères ou aux importateurs vers l'Union ? Sans entrer dans les détails, ce serait la solution la plus robuste juridiquement, au regard des règles européennes et internationales. Elle nous éviterait d'engager un débat interminable pour réformer l'Organisation mondiale du commerce. Surtout, la même règle s'appliquerait aux entreprises européennes et non européennes. Il n'y a pas de raison pour que nos entreprises, qui subissent une concurrence internationale impitoyable, dans les secteurs de l'automobile, de l'acier ou du ciment par exemple, soient soumises à des contraintes écologiques que ne supporteraient pas les Chinois, les Indiens, les Américains, qui pourraient continuer à produire comme avant et à exporter leurs produits chez nous ! Ce serait injuste, inacceptable et inefficace pour le climat. Nous devons donc créer un mécanisme d'équivalence ou d'ajustement entre les obligations que nous faisons supporter à nos entreprises et celles qui pèsent sur les entreprises non-européennes.
Sur la série de questions précises, d'ordre budgétaire ou politique, je serai très honnête. La dette commune européenne marque une avancée fondamentale. D'ailleurs, vous avez parfois critiqué l'austérité, les positions trop allemandes de l'Europe - je n'emploie peut-être pas le bon vocabulaire mais vous reconnaîtrez vos positions. Nous avons fait progresser la solidarité européenne, c'est important. Que serait-il advenu si nous n'avions pas créé cette dette commune ni prévu un plan de relance européen de cette envergure ? Je ne parlerai pas de la France, pour décentrer le débat, mais de l'Italie. Un partenaire comme l'Italie n'aurait pas pu financer immédiatement sa réponse économique à la crise. Regardez ses taux d'intérêt sur les marchés financiers internationaux ! Ce sont de grands méchants, certes, mais quand on en dépend, il faut faire avec. À court terme, l'Italie n'aurait pas pu emprunter. La dette européenne n'est pas une construction de fédéralistes dingues mais un soutien immédiat pour nos partenaires européens. Ce n'est pas neutre pour la France, d'ailleurs ! Quand on réalise 50 % de ses exportations vers le marché intérieur, ce qui se passe ailleurs est intéressant ! Vous en serez peut-être surpris mais je partage certaines de vos critiques contre l'Europe. C'est vrai, il lui est arrivé d'être naïve, à l'intérieur comme à l'extérieur. Encore aujourd'hui, elle laisse passer des pratiques de dumping intérieur, social ou fiscal. Remontons nos manches et essayons d'améliorer la situation, sans casser un marché intérieur, un projet politique, dont je suis convaincu qu'il nous apporte beaucoup même s'il n'est pas parfait. Nous pouvons d'ailleurs le réformer. Si vous me permettez cette comparaison historique, le Général de Gaulle lui-même a accepté le marché commun, après l'avoir critiqué. Il en a même accéléré la mise en oeuvre en échange du soutien de l'Europe à nos agriculteurs, confrontés à une rude concurrence. Or, le marché commun a été instauré entre 1957 et 1958, la politique agricole commune, en 1962. Le Général de Gaulle avait fait le pari que le combat continuerait et que la France gagnerait.
Pour ma part, je n'ai pas l'esprit de défaite. Si cet esprit de défaite nous avait guidés, nous n'aurions eu ni plan de relance, ni vaccins. Ce vaccin que l'on achète en Europe est non seulement sûr mais aussi moins cher car nous nous sommes mis à vingt-sept pour le commander. Cet aspect de la politique vaccinale est critiqué mais je la défends bec et ongles car j'y crois dur comme fer. Elle concrétise l'efficacité de la coopération européenne. Dernier argument auquel vous serez sans doute sensible : l'Union européenne paie les vaccins deux fois moins cher que nos amis britanniques. Rien que cette économie-là se chiffre à plusieurs milliards d'euros pour la France, l'Allemagne et nos partenaires européens. Autre exemple : je sais que vous n'aimez pas beaucoup la monnaie unique mais l'euro permet à la France de réduire de près de 30 milliards chaque année la charge de la dette, soit une fois et demie notre contribution au budget européen. Avant la monnaie unique, la charge de la dette s'élevait à 37 milliards environ. Elle est la même aujourd'hui, alors que la part de la dette dans le PIB a doublé.
Vous voyez que votre logique du juste retour - je paie, je reçois - est simpliste. Nous devons élargir le débat. Beaucoup de questions légitimes se posent. Je suis d'accord avec vous : il n'est pas normal qu'une usine reçoive des subventions pour s'installer en Pologne. Portons ce combat, celui de l'ajustement carbone aux frontières, mais ne parlons pas de défaut existentiel de l'Union européenne, comme si l'on se réjouissait de quelques faiblesses de cette Union, que l'on pourrait corriger à condition d'y croire et de se battre. Le plan de relance en est la meilleure preuve. Qui croyait au plan de relance, il y a un an ? Qui croyait que l'Allemagne accepterait la dette commune européenne, que la Banque centrale européenne nous ferait économiser des centaines de milliards d'euros grâce à des taux de financement plus favorables ? Sans la Banque centrale européenne, nous n'aurions pas pu instaurer le dispositif de l'activité partielle ni aider les entreprises comme nous l'avons fait. Elle a su sortir d'une orthodoxie qu'on a pu lui reprocher pour devenir extrêmement pro-croissance et soutenir les entreprises face à la crise.
Je ne suis pas un Européen béat pour qui tout va bien mais je ne me sens pas résigné. Nous pouvons nous battre ! C'est en tout cas l'état d'esprit qui a dominé chez tous les Présidents de la République depuis 1958.
Concernant le Mercosur, la position de la France est très claire et je ne vois pas ce que vous entendez par "double langage". Ne mélangeons pas tout, il y a des procédures à respecter. La Commission européenne négocie, puis elle rend compte. Elle a ainsi conclu, à son niveau, un accord avec les pays du Mercosur, mais cet accord n'est pas encore entré en vigueur. Il ne le sera qu'une fois achevées les procédures de ratification respectives de chaque Etat membre. En d'autres termes, le Parlement européen doit approuver cet accord ainsi que tous les Etats membres, à l'unanimité. En l'espèce, je ne crois pas que vous aurez l'occasion de vous opposer à ce traité car le Président de la République a écrit à Jean-Claude Juncker, en 2019, que la France n'approuvait pas cet accord. S'il est entièrement renégocié, nous verrons. Pour l'heure, les normes sanitaires et alimentaires ne sont pas suffisamment garanties, les engagements pour la déforestation sont insuffisants, ce qui est particulièrement inquiétant quand on voit l'état de l'Amazonie brésilienne. Quant à l'Accord de Paris, son respect n'est pas assuré. En l'état, cet accord avec le Mercosur n'est pas acceptable, même si les négociations durent depuis des années. Renseignez-vous auprès de nos partenaires européens : ils ont bien compris le message. Nous ne sommes pas seuls, d'ailleurs, puisque les parlements néerlandais, autrichien et irlandais partagent nos réticences.
J'ai récemment accompagné le ministre des affaires étrangères, Lorientais notoire, dans le Morbihan. Je viendrai aussi dans le Finistère, où j'ai des attaches.
Les ressources propres seront l'une des batailles de la présidence française de l'Union européenne et j'espère que nous pourrons faire avancer les dossiers de la taxe sur les services numériques ainsi que de la taxation carbone à nos frontières. Menons ce combat ensemble plutôt que de partir battus d'avance.
Pour la première fois, le budget consacre l'existence d'un programme de santé européen qui sera doté d'une enveloppe de 5 milliards, voire 5,7 milliards si l'on tient compte de l'inflation. C'est vrai, nous aurions pu aller plus loin, mais de nombreuses lignes augmentent et l'une d'elle consacre l'Europe de la santé. C'est déjà beaucoup. D'ailleurs, le budget ne résume pas tout ce que l'on fait pour la santé au niveau européen. Ainsi, 2 milliards d'euros ont été consacrés à l'achat commun des vaccins, indépendamment du budget. L'Europe de la santé se développe sous diverses formes, sans se limiter à l'octroi d'un budget de 5,7 milliards d'euros.
Je ne comparerai pas la situation en Pologne ou en Hongrie, où se pose la question du droit à l'avortement ou de l'indépendance de la justice, avec celle en Espagne. Chacun pense ce qu'il veut des événements de Catalogne mais l'Espagne n'a pas géré cette crise en violant des principes démocratiques. Elle dispose d'un ordre constitutionnel et juridique, que je ne jugerai pas, qui lui permet de garantir l'application des décisions nationales et européennes. Des procédures restent en cours, vous le savez. Le gouvernement espagnol, face à la crise, n'a pas remis en cause son cadre constitutionnel et juridique, ni violé l'Etat de droit. Ce n'est pas un commentaire diplomatique, je le pense sincèrement. Les voies de recours restent ouvertes aux personnes en cause, y compris au niveau européen.
Le sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine, qui devait se tenir en octobre, a été reporté en raison de la crise sanitaire. Il se tiendra sans doute sous la présidence portugaise, qui a commencé le 1er janvier dernier. Plusieurs débats sont en cours. La France organisera un sommet pour un financement plus équitable de l'économie africaine. Nous lui donnerons bien évidemment une dimension européenne. L'architecture européenne des banques de développement est un autre sujet que la présidence française de l'Union pourrait porter. L'une de nos compatriotes est à la tête de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. La Banque européenne d'investissement, qui a augmenté le nombre de ses interventions extérieures, partage bon nombre de priorités avec l'Agence française de développement, notamment pour la préservation du climat. Tout un paysage de financements et développements se profile à l'horizon et mérite d'être amélioré.
Ces sujets posent la question de la souveraineté. L'Union européenne est le premier investisseur et le premier partenaire, en Afrique. Notre influence est-elle à la hauteur de cette relation ? Non. D'autres pays, en particulier la Chine, par des actions symboliques, ciblées ou qui créent une relation de dépendance, nous concurrencent. Nous devons reconstruire cette relation, en mutualisant nos efforts plutôt qu'en allant planter chacun notre petit drapeau. Enfin, l'Europe, à la demande de la France et de l'Allemagne, s'est donné la possibilité de réserver, dans ses achats de doses de vaccins, une part qui pourra être donnée à l'Afrique - sachant que la quantité achetée suffira largement à couvrir progressivement les besoins en Europe. Nous l'avons fait par solidarité et humanité, bien sûr, mais aussi dans notre propre intérêt car il serait illusoire de croire que nous pourrions nous en sortir sans que le monde entier ait vaincu la pandémie par la vaccination. La France et l'Europe, en tout cas, soutiennent ces initiatives internationales comme COVAX ou ACT Accelerator. Voilà quelques éléments des relations entre la France et l'Afrique, auxquelles le Président de la République tient particulièrement.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2021