Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "Le Talk - Le Figaro" le 15 janvier 2021, sur l'Union européenne face à l'épidémie de Covid-19, le Brexit, la situation en Biélorussie et l'endettement des pays européens.

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Q - Nous sommes avec Clément Beaune, ce matin, dans les locaux du Figaro, pour parler de l'Europe, puisque c'est le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes. L'Europe à l'heure de la COVID et à l'heure du Brexit. Bonjour, Clément Beaune.

R - Bonjour

Q - Avant d'aborder ces deux sujets, il y a quand même un sujet qui fait pas mal parler de lui actuellement, c'est la tentative de rachat de Carrefour pas un Canadien qui s'appelle Couche-Tard, cela ne s'invente pas. Et pourquoi les autorités françaises, par la voix de Bruno Le Maire, notamment, on a entendu aussi Elisabeth Borne, qui s'opposent à ce rachat ? Pourquoi ? Ce n'est pas un secteur stratégique.

R - Si, je crois qu'en période de crise, nous avons un besoin de souveraineté qui est plus fort parce que c'est, Bruno Le Maire l'a rappelé, le premier employeur de France, c'est de la souveraineté alimentaire, qui achète à des producteurs locaux, des producteurs français, c'est un gage de qualité, de préservation de notre chaîne d'approvisionnement. On ne peut pas avoir dit à la fois, pour la crise : la première ligne, ce sont, avec nos soignants, les caissières ou les caissiers, l'alimentation et les supermarchés, et considérer que c'est un secteur secondaire. Cela dépend aussi des périodes, on est dans une période de crise.

Q - Il n'y a pas de risque de délocalisation, on n'est pas dans l'armement ni dans l'informatique.

R - Ce n'est pas le seul critère et c'est d'ailleurs pour cela qu'avant même que cette opération d'actualité n'émerge, dans le décret qui permet de contrôler un certain nombre de secteurs, nous avions ajouté cette question.

Q - C'est tout de même très politique !

R - Mais c'est politique au bon sens du terme. Je pense que dans une période de crise, on a vu qu'il pouvait y avoir parfois des tensions, parfois des fermetures ou des contrôles de frontières, la souveraineté alimentaire, la chaîne d'approvisionnement, c'est très important.

Q - Les producteurs agricoles sont toujours en France, les producteurs de bovins.

R - Oui, bien sûr.

Q - Donc, il n'y a pas de risque.

R - Je pense qu'il peut y en avoir en matière d'emploi, en matière d'approvisionnement, en matière d'engagement, aussi, parce que l'enseigne française est sans doute plus sensible à la production locale et à la vérification.

Q - Aujourd'hui, la souveraineté est au coeur du débat en France ?

R - Oui, et c'est ce que l'on défend aussi d'ailleurs au niveau européen.

Q - À cause de la Covid précisément ?

R - À cause de la Covid, je dirais que cela renforce la perception, je crois, le besoin de protection dans cette période qui va être difficile, qui durera au-delà de la crise sanitaire d'ailleurs. Et cette souveraineté, on l'exerce aussi au niveau européen. Je note que beaucoup de pays, y compris que l'on décrit un peu vite comme libéraux, la Suède ou les Pays-Bas, ont tous pris des décrets ou l'équivalent pour le contrôle des secteurs stratégique ces derniers mois ; cela dépend parfois d'un pays à l'autre,

Q - Et l'alimentaire en fait partie ?

R - Parfois, l'alimentaire en fait partie, les télécommunications, l'énergie ; et puis, cela s'apprécie en fonction des périodes, et dans une période de crise, oui, je crois que l'on doit plus de protection aux Français et aux Européens.

Q - Clément Beaune, le Premier ministre s'est exprimé hier en compagnie de quelques ministres, il a dit et spécifié que les ressortissants de pays étrangers hors Union européenne seraient soumis à un test avant de pénétrer sur le territoire français. Pourquoi ceux qui sont à l'intérieur de l'Union européenne, les Allemands, les Espagnols, les Italiens, ne seraient-ils pas soumis au même régime ? Parce qu'en plus, ils viennent de pays qui sont des pays gravement touchés pour la plupart.

R - Oui c'est vrai. D'abord, on a toujours eu cette différence d'approche depuis le départ. Les frontières extérieures de l'Europe et la circulation intérieure de l'Europe, ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas la même chose sur le plan politique, économique et social, on est beaucoup plus intégré à l'intérieur. Je prends un exemple très concret : on a 350.000 travailleurs frontaliers qui chaque jour vont au Luxembourg, en Allemagne, en Suisse pour prendre l'Europe au sens large. C'est très important et au total, c'est plus d'un million de personnes qui vivent directement du travail transfrontalier.

Le transport de marchandises se fait encore beaucoup par la route entre des pays européens, y compris pour des produits essentiels : alimentaires, médicaments etc. Donc, je crois que cette différence, nous devons toujours l'avoir à l'esprit.

Nous avons donc décidé, dans un premier temps, d'avoir, en effet, une obligation à partir de lundi, de test PCR au départ, avant l'embarquement vers la France, et c'est ce que font d'ailleurs la plupart des pays européens et nous avons coordonné cela entre pays européens.

Q - Mais à l'intérieur de l'Europe ?

R - À l'intérieur de l'Europe, c'est en cours de discussion parce que nous voulons avoir une coordination européenne la plus forte possible.

Q - Pour que tout le monde fasse la même chose au même moment ?

R - Pour que le plus possible, nous fassions la même chose, notamment avec nos voisins directs, et que nous regardions les mesures que l'on doit imposer. Il n'est pas exclu que nous ayons des mesures supplémentaires de contrôle à prendre, par exemple, de test. Certains pays, je prends l'exemple de l'Allemagne, le font : quand vous allez de Paris à Berlin, aujourd'hui vous devez avoir un test négatif.

Q - Et quand on va de Berlin à Paris ?

R - Pas aujourd'hui, mais c'est ce sur quoi on réfléchit.

Q - On pourrait faire la réciprocité ?

R - Absolument, c'est ce sur quoi on réfléchit pour le début de semaine, il y a une réunion des ministres des affaires européennes, lundi matin, que nous avons souhaitée, en visioconférence, parce que c'est plus prudent de le faire à distance, une réunion sur ce sujet, pour voir comment nous pouvons coordonner nos mesures.

Mais j'insiste, il est très important pour ces mesures intérieures, internes, de parfaitement coordonner, d'essayer d'être le plus proche possible de nos voisins qui font souvent des tests, donc, on pourrait - on va le voir en début de semaine - faire la même chose, et d'avoir, de toute façon, pour la circulation interne à l'Europe, un certain nombre de cas d'exemptions ou de dérogations, je pense aux frontaliers, parce qu'il n'est pas question pour nos frontaliers d'avoir à être bloqués à une frontière pour une arrivée quotidienne.

Q - Berlin exige un test, pourquoi ne le ferions-nous pas immédiatement ?

R - Ils l'ont décidé il y a quelques jours, nous avons échangé avec les autorités allemandes, d'autres pays se posent la question.

Q - est-ce le seul pays, l'Allemagne ?

R - Non, il y a plusieurs pays qui le font en Europe, c'est, par exemple, le cas du Danemark, c'est le cas de la Grèce.

Q - Ceux qui sont très touchés, donc.

R - Ceux qui sont très touchés ou qui parfois ont pris des mesures préventives, il y a plus longtemps que nous, parce qu'ils avaient d'une situation difficile, effectivement.

Nous essayons donc de nous coordonner au niveau franco-allemand et européen, et on annoncera en début de semaine ces mesures françaises.

Q - D'après vous, Clément Beaune, vers quoi se dirige-t-on à l'issue de cette réunion ?

R - On le verra, mais il est possible qu'il y ait des tests qui soient exigés, y compris pour les voyages européens, c'est ce que font beaucoup d'Etats membres, et c'est ce que pourrait faire la France en fonction de la situation épidémique des autres pays.

Q - Ce sont donc des tests PCR, n'est-ce pas ? Ce ne sont pas des tests antigéniques.

R - Vous avez raison, il faut être précis sur ce point, ce qui a été annoncé hier par le Premier ministre et par le ministre de la santé, ce sont pour les voyages hors Europe, ce sont des tests PCR obligatoirement. Pourquoi ? Parce qu'il y a encore des différences entre pays sur la disponibilité et sur la fiabilité des tests antigéniques.

Q - Et à l'intérieur de l'Europe ?

R - C'est l'un des points dont on discute parce que les tests antigéniques sont beaucoup plus développés, plus rapides, bien sûr, mais beaucoup plus développés dans les pays européens, mais ils ne sont pas disponibles partout et ne sont pas reconnus partout. Ce que nous ferons donc, lundi, c'est avoir une discussion pour lister des tests antigéniques sont les plus fiables et reconnus partout en Europe. C'est donc l'un des points que l'on discutera : s'il y avait une obligation de test ? Quel test ? Les PCR évidemment seront reconnus, ils sont reconnus partout en Europe, et pour les tests antigéniques : tout de suite ou un peu plus tard, peut-être.

Q - On entend parfois en France, quand on parle avec les Français, ils disent que quand il y a une menace terroriste on ferme les frontières. Alors, évidemment, physiquement, on ne les ferme pas ce sont des contrôles aléatoires, pourquoi ne fait-on pas la même chose ?

R - Alors, je veux être précis parce qu'il y a un peu de fantasme sur ce point.

Q - Et des amalgames, peut-être.

R - Absolument. D'abord, j'insiste beaucoup, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas, parfois, prendre des mesures douloureuses ou difficiles, mais les frontières extérieures et les frontières intérieures, ce n'est pas la même chose.

Q - Oui, nous sommes d'accord.

R - Mais c'est très important parce que notre vie économique européenne, ce n'est pas une fiction, elle est intégrée. On l'a vu avec le Royaume-Uni avec lequel on a été pendant 40 ans dans le marché européen, quand vous bloquez la frontière, et on l'a fait quand il y a eu besoin pour 48 heures totalement, c'était très compliqué. On voyait bien les files de camions, c'était des situations difficiles humainement et économiquement. On ne fait donc pas cela à la légère concernant la fermeture des frontières européennes.

Quand il y a eu des mesures de restrictions à prendre, on l'a même parfois fait, dans le passé, des mesures de restriction de la circulation à l'intérieur d'un pays, de la France même. Souvenez-vous : les cent kilomètres etc. Donc, s'il y a besoin, parce qu'il y a une situation sanitaire extrêmement difficile avec les Européens et que les différences de situations sanitaires sont très fortes, parce que cela ne sert à rien quand vous êtes à peu près au même niveau dans l'épidémie de fermer une frontière, le virus est pareil des deux côtés, il n'a pas de passeport. Pour l'instant, ce n'est pas une mesure que l'on envisage, en revanche, avoir des mesures de vérification, de contrôle entre pays européens par des tests, par exemple, c'est une piste de travail.

Q - Alors, il y a une autre polémique qui monte, elle est d'ailleurs montée en Allemagne, outre-Rhin, c'est celle des vaccins où beaucoup d'Allemands se sont émus, et d'ailleurs on entend aussi cette petite musique en France, demandant "pourquoi on est obligé de passer par la commission européenne pour acheter des vaccins". Je ne vais pas vous demander la réponse, on sait très bien, c'est parce qu'à plusieurs on est plus forts et on peut avoir de meilleurs prix, peut-être. Néanmoins, pourquoi on ne pourrait pas avoir cette faculté aussi, parallèlement, d'acheter des vaccins ?

R - Je veux d'abord dire que ce n'est pas une contrainte. Ce n'est pas la Commission européenne qui est venue nous voir en disant : vous, Français, vous, Allemands, il faut passer par nous.

Q - Vous vous êtes entendus ?

R - Nous nous sommes entendus, mais on l'a fait, je crois, il faut quand même y revenir, pour une raison : parce que nous sommes plus forts, oui, mais ce n'est pas théorique, c'est concret. D'abord, on négocie mieux avec les laboratoires, y compris en termes de prix. Ce n'est pas négligeable. On a une autorité sanitaire européenne, l'Agence européenne des médicaments, unique. Contrairement à ce que l'on dit, cela accélère les procédures au lieu de les ralentir. Sinon, il faudrait déposer 27 autorisations. Ce n'est pas négligeable, non plus. Et surtout, on voit bien la nécessité d'avoir plusieurs vaccins ; moi j'entends la petite musique de dire : on a chacun son laboratoire... D'abord, c'est assez fictif, quand on regarde l'actionnariat des grands laboratoires pharmaceutiques. Les Allemands disent, il y a ce mauvais procès ou ce mauvais débat : "on serait allé plus vite si on avait négocié avec BioNTech", le premier vaccin BioNTech-Pfizer. Le premier qui est disponible, en ce moment, partout en Europe. Parce que la partie BioNTech est effectivement allemande. Je pense que ce n'est pas vrai, mais admettons qu'ils aient négocié plus vite que s'ils avaient fait ça eux-mêmes, les Allemands, le deuxième vaccin, Moderna qui est disponible en ce moment en Allemagne et en France, qui arrive, il est ni français ni allemand. Il est américain. Donc, c'est absurde de se dire "on a chacun son petit bout" alors que la solution est forcément collective, au sens où nous aurons tous, tous, besoin de plusieurs vaccins. Il y a déjà six contrats européens, et plus de deux milliards de doses, qui protégeront progressivement toute la population européenne.

Q - Mais c'est vraiment interdit de négocier parallèlement ?

R - Ce n'est pas interdit. On préfère ne pas le faire. Pourquoi ? Parce que si chacun commence à dire : en fait, à côté, je fais mon contrat, les Allemands ont à un moment cette tentation, Mme Merkel a dit finalement on ne le fait pas, vous cassez...

Q - Vous cassez une rumeur, là. Ils n'ont pas commandé parallèlement ?

R - Non, il y a eu une tentation, il y a eu, je pense, des discussions, possiblement, mais il n'y a pas eu de contrat finalisé entre l'Allemagne, à ma connaissance...

Q - 100 millions de doses ?

R - Non, 30 millions, ils ont réintégré cela dans un cadre européen. Et tant mieux, parce que si vous commencez à faire cela, plus personne ne commande ensemble.

Q - Donc, personne n'a commandé parallèlement ?

R - Pour l'instant, personne n'a commandé parallèlement...

Q - Et ne peut-on pas le faire ?

R - Je pense que ce n'est pas souhaitable de le faire. Si demain, on cassait le cadre européen, chacun irait commander de son côté, mais je pense que c'est moins efficace, moins protecteur pour les Français, pour les Allemands, etc.

Q - Il y aura assez de vaccins pour tout le monde ?

R - Oui, il y aura assez de vaccins pour tout le monde. Les contrats européens, si vous faites la somme, c'est plus de deux milliards de dollars.

Q - Pour 400 millions d'habitants.

R - Donc, même quand il y a deux doses, vous avez, disons, un milliard, cela fait un milliard de personnes, un petit peu moins, parce qu'il y a toujours un peu de pertes etc., vous avez presque 450 millions d'Européens. Donc, vous voyez que l'on a beaucoup plus que la population européenne. Maintenant, il faut être transparent, il y a un enjeu qui est très important, on a assez, on aura assez. La question, c'est le rythme de production. Partout dans le monde, ce sujet se pose et nous essayons de l'accélérer pour que ces vaccins qui sont garantis, ces doses, on les ait le plus vite possible. C'est l'enjeu industriel d'accélération que nous avons aujourd'hui.

Q - Comment expliquez-vous, parce que vous parliez de BioNTech, tout à l'heure, mais comment expliquez-vous que Sanofi, entreprise française, au pays de Pasteur, soit aussi en retard ?

R - D'abord, le vaccin arrivera et quand vous regardez...

Q - Quand est-ce qu'il arrivera ? Avant la fin de l'année, c'est sûr ?

R - Oui, oui, on ne le sait pas encore définitivement. Mais oui, bien sûr, il y a eu un peu de retard. On pensait qu'il arriverait plutôt, au printemps, au milieu du semestre. Ce sera sans doute un peu plus tard, probablement vers l'été. Il y a encore des procédures à faire. Mais nous aurons besoin, de toute façon de ce vaccin ; donc, ce n'est pas inutile, encore une fois, parce que la vaccination se prolongera après. Donc, nous avons besoin de plusieurs vaccins, y compris celui de Sanofi. Et je ne veux pas non plus que nous soyons dans une espèce de défaitisme. Il y a un laboratoire Sanofi, qui est en partie français, mais il y a beaucoup de ces laboratoires qui ont déjà avancé, qui ont déjà des solutions, qui ont été soutenus par l'Europe, par notre recherche, nos chercheurs, nos financements de la recherche, c'est d'ailleurs le cas de BioNTech, ce sont des chercheurs installés en Allemagne, au départ, qui ont reçu des financements européens. Donc, j'entends la petite musique de les premiers vaccins ne sont pas européens ou ne sont pas français etc. D'abord, ce n'est pas vrai. Ce sont souvent des collaborations scientifiques. On les a financées.

Q - Moderna, c'est un Français qui est à la tête.

R - Et Moderna, c'est un Français qui est à la tête, mais réjouissons-nous aussi de la reconnaissance de nos chercheurs. Et maintenant, on a un enjeu de production. Pfizer, dans Pfizer-BioNTech, partie américaine de cette alliance, produit en Europe.

Q - En France, notamment.

R - En France aussi, mais en Europe en tout cas, pour l'immense majorité des vaccins qui sont injectés chez nous.

Q - Je parle au secrétaire d'Etat aux affaires européennes, depuis le début, d'ailleurs, la santé ne figurait pas parmi les thèmes ou les sujets, je dirais, à compétence européenne. Cela relevait de la souveraineté de chaque Etat. Est-ce que c'est appelé à changer maintenant ?

R - Je ne suis pas un partisan des débats un peu théoriques ou théologiques sur l'Europe. Oui, vous avez raison. Ce n'était pas une compétence. Cela veut dire qu'il n'y avait pas d'outil juridique, financier, d'organisation pour commander des vaccins et tout cela. On a vu le problème quand on a eu, par exemple, le problème des masques, c'était un problème européen, en réalité. On manquait tous de masques et nous nous faisions tous une sorte de compétition. Là, je crois que nous devons rendre hommage à cette coopération pragmatique et efficace, on a décidé, sur le vaccin, d'ailleurs sur d'autres choses, mais sur le vaccin, avant tout, contrairement à ce que l'on dit, on a anticipé, avec Olivier Véran, Agnès Pannier-Runacher, on a fait cela dès le mois de juin, on a dit, avec l'Allemagne, puis avec tous les Etats européens, nous allons passer nos contrats vite et ensemble pour avoir, justement, tout cet accès à ces six vaccins et à ces deux milliards de doses. Si on n'avait pas fait cela au niveau européen, on ne les aurait pas.

Q - Est-ce que vous allez réformer le mode de fonctionnement ?

R Je pense qu'il faut le faire pour organiser cela, mais vous voyez qu'il n'y a pas toujours besoin de changer un traité, ou de créer une compétence au sens juridique. Quand on veut, on peut. Il y a un chemin qui s'est ouvert sur le vaccin qui est concrètement l'Europe de la santé. Ce n'est pas écrire un bout de traité. C'est ce que l'on fait là.

Q - D'accord. Il y a un autre sujet dont on parle beaucoup moins, maintenant, qui s'appelle le Brexit. D'abord, une petite question sur les nombreux Français qui travaillent, habitent de l'autre côté de la Manche : est-ce qu'il y a un exode, est-ce qu'ils reviennent vers la France, parce qu'évidemment ils redoutent l'avenir ? Cela va être beaucoup plus compliqué pour eux.

R - Depuis le 24 décembre et cet accord de Noël que l'on a conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, on n'a pas noté de mouvements massifs. D'abord, il y avait des restrictions sanitaires, difficiles en Angleterre, mais ce que l'on remarque depuis plusieurs années, évidemment dans certains secteurs, comme la finance, mais depuis le référendum britannique, il y a eu effectivement, plusieurs dizaines à centaines de milliers, on fait actuellement les évaluations, oui, de Britanniques qui sont revenus vers l'Union européenne, pour être précis, qui étaient parfois des ressortissants européens, non-britanniques, qui vivaient là-bas et qui reviennent plus vite, plus tôt qu'ils ne l'auraient sans doute fait. Donc, on l’observe, je prends l'exemple de la finance, c'est plus de dix mille emplois au total qui ont quitté la City pour l'Europe, dont la place de Paris, on estime à trois, quatre mille emplois ceux qui se sont...

Q - Donc, c'est bénéfique alors, de ce point de vue, ce Brexit ?

R - Je pense que ce n'est pas bon pour le Royaume-Uni, et ce n'est pas une bonne nouvelle non plus pour l'Union européenne. Mais c'est l'Union européenne qui a une forme d'opportunité d'utiliser cette crise, parce que c'est une crise et une mauvaise nouvelle, pour se renforcer. Je prends l'exemple, plus largement, du plan de relance européen qui va relancer nos économies et permet d'investir 750 milliards d'euros, plus de 40 milliards d'euros directement injectés en France, à partir de 2021. Ce n'est pas négligeable.

Q - C'est sûr, la mécanique marche ?

R - Absolument, cela arrivera au printemps, oui. On a un vote au parlement national, puisqu'il y a évidemment un débat démocratique...

Q - L'argent commencera à venir au printemps ?

R - L'argent commencera à venir, d'ici le mois de juin, concrètement, qui viendra amplifier, abonder notre plan de relance. Ça, je pense qu'on ne l'aurait jamais fait sans le choc du Brexit et sans le départ du Royaume-Uni.

Q - C'est le Brexit qui a facilité cette solidarité européenne ?

R - Il n'y a jamais un seul facteur, mais oui, je crois que le Brexit a montré à tout le monde que quand on critique l'Union européenne, quand on fait, et on a raison parfois, tout ne marche pas bien, il faut accélérer, parfois, cela peut être très grave et aller jusqu'à la rupture. Personne n'avait vraiment anticipé, pour être clair. Et je crois que chacun a pris conscience de la fragilité, mais aussi de la valeur de notre Europe, de notre projet politique. Il vaut mieux chercher à l'améliorer, que le casser ou le quitter, comme le proposent les populistes qui n'offrent aucune solution et qui aujourd'hui regardent cela avec un peu de tristesse. D'ailleurs, je n'ai pas beaucoup entendu ceux, comme M. Dupont-Aignan ou Mme Le Pen, qui avaient célébré à l'époque la liberté, la souveraineté retrouvée du Royaume-Uni, nous expliquer aujourd'hui à quel point c'est formidable et qu'il faudrait quitter l'euro et l'Union européenne. On ne l'entend plus beaucoup.

Q - Alors, il y a eu l'accord de Noël, vous en avez parlé, vous êtes allé, tout à fait récemment, au début de l'année, avec Jean-Yves Le Drian, en Bretagne, sa terre d'élection, à Lorient. Et il a dit, vous aussi d'ailleurs, à cette occasion, que cet accord, maintenant, il fallait l'appliquer. Vous étiez allés voir les pêcheurs, pardon. Et que ce n'était peut-être pas aussi simple que cela dans l'application. Qu'est-ce qui achoppe ? Où est-ce que c'est compliqué ?

R - Alors il y a deux choses, pour être très concret. D'abord, il faut mettre en oeuvre cet accord, puisque c'est un morceau de papier, si je puis le dire comme ça. Maintenant, je prends l'exemple de la pêche, on a sécurisé le fait que nos pêcheurs avaient accès pour les six prochaines campagnes de pêche, sur cinq ans et demi, aux eaux britanniques. C'était un des points durs de la négociation, on l'a obtenu.

Q - Avec quelques restrictions quand même.

R - Oui on perd un peu de quotas de poissons, concrètement, mais il y a l'accès, c'était très important, on s'en est expliqué, en Bretagne, moi je suis allé aussi dans les Hauts-de-France, en Normandie, pour expliquer avec la ministre de la Mer, tout cela. Mais maintenant il faut des autorisations administratives d'accès. Donc dans les jours qui viennent, on se bat encore, on les obtient au compte-goutte, il faut accélérer, pour que cet accord devienne réalité. Moi, je dis aux pêcheurs "on a un bon accord", mais eux, ils disent, ils ont raison... Ce n'est pas une salle de réunion dans laquelle on discute, c'est la pratique de la pêche. Là, on va y arriver, j'aimerais que cela aille plus vite, on accélère, on se bat chaque jour.

Q - Il y a d'autres secteurs où cela achoppe ?

R - Non, mais surtout il y a une autre chose, c'est très important. C'est que toutes les conditions de concurrence économique, les aides d'Etat, les normes qui s'appliquent dans un secteur en matière alimentaire... on a un accord qui permet d'éviter le dumping britannique. C'est-à-dire que si les Britanniques faisaient du dumping, baissaient à un niveau d'exigence, une norme, une régulation, on pourrait réagir. En fermant un secteur avec les droits de douane, etc, on peut réagir. Mais tout ça, c'est dans l'accord, et maintenant on a encore un peu de travail juridique, de mise en oeuvre.

Q - Combien de temps ?

R - Nous, notre demande, j'étais à Bruxelles en début de semaine, c'est que la Commission fasse une proposition très concrète dans les prochaines semaines, au premier trimestre de 2021, et que, parce qu'il faut un peu de texte juridique, tout cela soit adopté cette année, bien sûr, pour éviter qu'il y ait une divergence britannique qui pénalise nos entreprises.

Q - On est avec Clément Beaune ce matin dans les studios du Figaro et nous continuons avec vos questions, chers internautes...

Q - Bonjour Yves et bonjour Clément Beaune. En Biélorussie, des milliers de personnes continuent à manifester tous les dimanches pour réclamer le départ du président Loukachenko. Ne serait-t-il pas temps de prendre des sanctions plus fortes à l'égard du régime en place ?

R - Alors, on a pris des sanctions. Dès le 14 août, l'Europe a acté des sanctions puis les a mises en oeuvre. On est prêt, on l'a dit, à renforcer encore, on l'a déjà fait une fois d'ailleurs, les sanctions contre les responsables du régime. Il faut être très clair, cela ne sera pas la seule clé de l'affaire. Les sanctions, c'est utile, cela met de la pression, c'est aussi un symbole, mais il faut que l'on soutienne les manifestants. Cela peut être un soutien à des organisations de la société civile, cela peut être un soutien par des visas, par l'accueil. Dans l'Union européenne on a aujourd'hui la principale opposante. J'ai été, je crois, le premier à lui parler, le Président de la République lui-même s'est entretenu avec elle. Tout cela, ça compte pour encourager aussi le combat démocratique, et on y donne l'accueil et le soutien dans l'Union européenne. Et puis, il faut continuer un dialogue, même s'il est difficile, notamment avec la Russie, parce qu'on sait que la clé passera aussi par cette discussion, difficile, mais il faut la continuer.

Q - Sachant que le président Loukachenko ne tient que parce que Moscou est là ?

R - Pas que, mais je pense que...

Q - Il joue avec lui, d'ailleurs, Moscou ?

R - Il est clair qu'il faut passer par Moscou pour aider à cette situation et à cette transition démocratique, ça c'est clair.

Q - Donc, il ne faut pas refaire l'erreur de l'Ukraine ?

R - Je crois qu'il faut faire les deux. C'est-à-dire être plus ferme avec le régime en place et ses soutiens, sanctions rapides, ce qu'on n'a pas fait aussi vite avec l'Ukraine, et un dialogue, en effet, aussi avec la Russie, cela ne veut pas dire un compromis ou compromission, mais un dialogue pour aider à cette transition. Moi, ce que je note aussi, vous savez c'est très important d'encourager, cela paraît symbolique mais c'est très important, moi je le fais quasiment chaque semaine, à chaque manifestation, du dimanche en particulier. Il y a encore des dizaines de milliers de gens qui risquent leur peau dans les rues de Minsk et partout en Biélorussie, dans l'hiver qui a commencé et qui est très dur, pour continuer à se battre pour la démocratie. C'est très beau, c'est très dur, et on doit les soutenir, par tous moyens, concrets et symboliques, à chaque instant.

Q - Alban, une autre question.

Q - Vu les réticences de la Hongrie et de la Pologne, lors de l'adoption du plan de relance, vous en parliez tout à l'heure, ces pays ne risquent-ils pas d'être les prochains à quitter le navire européen ?

R - Alors je ne crois pas, qu'ils quitteront le navire européen.

Q - Ils en profitent, de ce plan ?

R - Ils en profitent au sens où ils en sont bénéficiaires financiers, budgétaires. Moi je n'ai pas de problèmes avec le fait que la Pologne, la Hongrie et d'autres pays, bénéficient du plan de relance. A partir du moment où on est dans l'Union européenne, chacun a les mêmes droits. Mais chacun a aussi des devoirs, et à commencer par respecter les valeurs fondamentales de l'Etat de droit, comme on appelle cela, c'est-à-dire l'indépendance de la justice, l'indépendance des médias, la lutte contre la corruption, etc. On a créé un outil, dans ce budget et ce plan de relance, qui permet de sanctionner, en arrêtant de verser des fonds européens, ou en sanctionnant par des amendes, les atteintes à l'Etat de droit. C'est la première fois que l'on fait cela.

Q - Elles existent ces atteintes, elles sont déjà là !

R - Oui, mais on a un outil supplémentaire. Avec le budget, on peut arrêter de verser des fonds de ce budget européen ou de ce plan de relance, si ces violations ou ces atteintes persistent et sont constatées par les autorités européennes. C'est très nouveau. On pourrait aller plus loin, je pense, parce que c'est le vrai combat d'aujourd'hui. On a toujours cru que quand on était arrivé dans l'Union européenne, on parlait de la Biélorussie, du point de vue extérieur, mais que quand on était dans l'Union européenne, il n'y avait plus de risque. On respectait tous, parce qu'on avait fait ce choix, la démocratie, les valeurs qui nous relient, qui sont notre identité européenne, le sens du projet politique européen, quand elles sont bafouées, même un peu, parce qu'il n'y a pas de petite atteinte, on doit les sanctionner, les dénoncer, et les sanctionner.

Q - Pourquoi ces pays... ?

R - Je pense que ces pays eux ne veulent pas sortir, je ne souhaite pas du tout qu'ils sortent d'ailleurs. Mais dans le club, on doit quand même avoir des règles et les faire respecter.

Q - Pourquoi ces pays dits illibéraux, pour reprendre une expression du Président de la République...

R - Et d'eux-mêmes.

Q - Oui et d'eux-mêmes. Ont accepté finalement cet accord sur l'emprunt ?

R - D'abord pour être très honnête, je pense, parce qu'ils bénéficient du plan de relance. Donc, on leur a dit très clairement "on est prêts à faire le plan de relance sans vous, donc soit vous acceptez à ces conditions-là, démocratiques et fondamentales, soit il n'y a pas de plan de relance pour vous". Et on était prêts à appuyer sur le bouton, on avait un plan de relance à 25, qui était prêt en décembre, et je crois que c'est parce qu'on s'est préparés à cela qu'ils ont accepté. Il faut avoir aucune faiblesse, aucune complaisance, aucune naïveté. Quand il y a une atteinte à l'Etat de droit, pas de solidarité.

Q - C'était possible de le conclure à 25 ?

R - C'était tout à fait possible. Le Président de la République s'était entretenu avec Mme von der Leyen, c'était prêt.

Q - D'accord, autre question.

Q - L'endettement de notre pays et des pays européens devient faramineux, vous dit-il. N'est-on pas en train de ruiner l'économie sous prétexte de la sauver ?

Q - C'est fini la règle des 3%, là, on l'a complètement oubliée ?

R - Pour cette année, partout en Europe d'ailleurs, y compris pour les pays dits vertueux. Donc, je vais être clair. Pendant la crise, effectivement, il n'est pas question, d'ailleurs la Commission européenne, aucun pays européen ne l'a demandé, de s'enfermer dans des règles budgétaires qui auraient empêché la réponse à la crise. Tout le monde a augmenté très significativement son déficit et ses dettes. On ne partait pas tous de la même situation, il faut être honnête, en France, on avait une dette beaucoup plus élevée qu'en Allemagne ; et donc, la question, c'est la sortie de crise. Je ne pense pas qu'il faille remettre en cause les choix de soutien à l'économie pendant la crise. Cela aurait été une erreur. C'est une erreur qu'on a faite en partie après, dans l'immédiate après-crise en zone euro, Grèce, en 2010-2011. On a trop vite voulu, pour une bonne raison peut-être, mais on a trop vite voulu réduire le déficit, revenir dans les clous. Et on a fait en Europe une erreur, on a eu moins de croissance que les Etats-Unis, sans parler de la Chine, pour la décennie qui a suivi. Donc, il faut être très prudent, ce n'est pas une question de laxisme, mais c'est une question de bonne gestion et de bon pilotage économique pour la croissance et pour l'emploi. Il ne faut pas revenir trop vite dans des règles trop strictes...

Q - d'orthodoxie ?

R - Oui, maintenant il est clair, on ne peut pas considérer qu'il n'y ait pas de problème, il faut qu'on ait une discussion européenne, et il faut qu'on ait une trajectoire française aussi, de retour progressif mais programmé, à une dette et un déficit beaucoup plus raisonnables.

Q - Mais cette dette, vous allez l'isoler ? Qu'est-ce que vous allez en faire ?

R - Bruno Le Maire travaille à ce sujet. Il y a une commission qui est pilotée par Jean Arthuis. Il y a la question d'isoler, ou de gouverner, de gouvernance, mais ce n'est pas la question centrale. La question centrale, c'est comment on fait en sorte que des dépenses publiques qu'on a accrues à juste titre, massivement, pendant la crise, ne se prolongent pas après-crise pour entretenir une spirale de la dette. C'est cela le sujet.

Q - Êtes-vous sûr que Bruno Le Maire pourra tenir cette promesse de ne pas augmenter l'impôt ?

R - Oui, c'est l'engagement qui a été pris par Bruno Le Maire, par le gouvernement, par le Président de la République, de ne pas augmenter les impôts, de continuer la stratégie qui a consisté depuis 2017 à baisser les impôts. Pas seulement par une forme de théorie ou de dogme, mais parce que ce serait, je pense, totalement anti-économique et anti-social, en période difficile et dans l'après-crise immédiat, de dire aux Français "vous allez passer à la caisse". Non, cela serait une erreur ; on ne fera pas cette erreur.

Q - De combien est ce déficit aujourd'hui ?

R - Le déficit pour 2021 ?

Q - Oui.

R - Vous le savez, on a fini l'année 2020 avec un déficit d'à peu près un peu plus de 10%. On va essayer de le ramener, cette année, le plus bas possible. Bruno Le Maire l'a dit, il y a encore une incertitude, à la fois sur la croissance, même si on estime que l'objectif de 6% est tenable, et donc sur le déficit. Donc, on le précisera dans les semaines qui viennent. Mais pour l'instant, on reste sur les hypothèses du projet de loi de finances.

Q - Merci, Clément Beaune.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2021