Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, à France 2 le 27 janvier 2021, sur les vaccins contre le coronavirus.

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Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Caroline ROUX.

CAROLINE ROUX
C'était une volonté du gouvernement, SANOFI a donc annoncé qu'il allait produire, en tout cas aider au conditionnement du vaccin ARN développé par BIONTECH et PFIZER, produire 100 millions de doses, quand et pour qui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, avec Paul HUDSON, qui est numéro 1 de SANOFI, lorsqu'il nous a annoncé que son vaccin risquait de prendre du retard, j'ai souhaité qu'il regarde des options de production d'autres vaccins, et nous avions regardé plusieurs options, la plus rapide, celle qui permet d'avoir le plus grand nombre de doses le plus rapidement, c'est celle du vaccin Pfizer BIONTECH, l'accord se fait avec BIONTECH, cette start-up allemande, directement, et permettra…

CAROLINE ROUX
Et pas avec PFIZER ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et pas avec PFIZER, non, et elle permettra de produire plus de 100 millions de doses à partir du mois d'août, donc sur une cadence assez régulière, jusqu'à la fin d'année, de façon à apporter tout de suite un support au marché, pour le marché européen et les citoyens européens.

CAROLINE ROUX
100 millions, combien pour la France, pardon d'être un peu autocentrée, mais… ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Comme vous le savez c'est 15% de ces doses qui reviennent à la France, automatiquement, et peut-être plus si certains pays ne souhaitent pas prendre leurs doses, c'est déjà le cas aujourd'hui, nous avons déjà eu un peu plus de doses sur un certain nombre de commandes, puisque nous reprenons à notre compte des doses qui ne sont pas prises par les autres pays européens.

CAROLINE ROUX
Ça change quoi dans le calendrier de vaccinations ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça supporte surtout la commande de 600 millions de doses qu'a passée l'Union européenne, ça rend cette commande réalisable, puisque l'enjeu aujourd'hui c'est de mobiliser toutes les capacités de production européenne pour monter notre production de vaccins, c'est ce que je fais…

CAROLINE ROUX
100 millions c'est suffisant, pardon, mais 100 millions à l'été c'est suffisant ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
100 millions à l'été c'est suffisant parce que ça s'inscrit dans d'autres productions. Comme vous le savez, la Commission européenne a réservé un premier lot de 300 millions de doses, elle a rajouté, il y a deux semaines, 300 millions de doses additionnelles, et il faut maintenant trouver, s'assurer, que ces productions peuvent se faire sur le territoire européen.

CAROLINE ROUX
Est-ce qu'on peut aller encore plus vite, est-ce qu'il y a d'autres usines, d'autres groupes, en France, qui pourraient faire ce que fait aujourd'hui SANOFI ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
En tout cas moi j'y travaille. Je suis en train de monter une opération commando pour faire en sorte que toutes les capacités qui peuvent être mises au service du développement du vaccin soient mises au service du développement des vaccins.

CAROLINE ROUX
Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
alors, très concrètement, nous avons déjà trois sites, en plus de SANOFI, qui vont produire du vaccin, nous l'avons mis en place, avec Olivier VERAN, dès le mois de juin dernier, nous avons lancé un appel à projets pour augmenter les productions de produits pharmaceutiques au service de la Covid, et vous avez RESIPHARM, DELPHARM, et FAREVA, qui vont produire PFIZER, MODERNA, et CUREVAC, donc ça, ça démarre au premier semestre 2021, et nous allons continuer, avec d'autres laboratoires, puisque maintenant nous avons une meilleure visibilité sur les vaccins qui fonctionnent et sur les capacités industrielles.

CAROLINE ROUX
Si on revient à cette collaboration, d'une certaine manière, entre SANOFI et BIONTECH, ça veut dire qu'on les paye deux fois les vaccins, on les paye auprès de BIONTECH et on les paye dans le reconditionnement avec SANOFI ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, pas du tout, puisque c'est un accord entre SANOFI et BIONTECH, et nous, le lien que nous avons, c'est directement avec BIONTECH PFIZER, donc on ne paye pas deux fois les vaccins, c'est BIONTECH qui va payer SANOFI.

CAROLINE ROUX
Est-ce que vous avez été surprise par la façon dont ça se passe avec les laboratoires, Agnès PANNIER-RUNACHER, sincèrement ? Sur le délai, on va parler à la fois de PFIZER et d'ASTRAZENECA, mais plus globalement, on avait dit au début on va trouver un vaccin, ça va être un bien universel, on s'est rendu compte que c'était une affaire de business, vous ne l'avez pas découvert vous ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, parce que moi j'ai travaillé dans le milieu industriel. Je vais d'abord redire une chose, parce que je crois qu'il faut qu'on touche du doigt, ce qui est en train de se passer c'est une véritable prouesse technologique et industrielle, et ça il faut quand même le reconnaître. Vous avez sur le pont des équipes, que ce soit dans les laboratoires pharma, dans les agences médicales, au niveau de l'Etat, qui sont mobilisées 15 heures par jour pour faire en sorte qu'on sorte en un an, en un an, un vaccin qui est efficace à plus de 90%, personne ne l'aurait imagé au mois de mars dernier.

CAROLINE ROUX
Ça vous avez raison de le dire, mais ça a suscité beaucoup d'espoir, et aujourd'hui on apprend qu'il y a des retards. PFIZER, aussi, par exemple, décide qu'il va facturer six doses de vaccins, dans chaque flacon, alors qu'on pensait qu'il n'y avait que cinq doses, ça a mis en colère certains de nos partenaires européens, ça c'est acceptable dans le contexte, c'est acceptable ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, il y a deux choses. La première chose c'est une montée en capacités industrielles, moi j'ai lancé des productions industrielles, dans une autre vie, c'est un chemin semé pas tout à fait de roses, c'est compliqué, vous avez des aléas et des retards, ça arrive toujours, donc ça c'est normal et il faut accompagner et apporter des solutions. Vous avez une deuxième chose qui est, est-ce que, et c'est la présidente de la Commission européenne qui l'a très clairement indiqué, est-ce que les doses qui sont prévues pour le marché européen restent pour le marché européen, et là, c'est très simple, la présidente de la Commission a indiqué qu'elle allait faire des propositions en matière de contrôle des exportations. Donc, il faut savoir jouer des deux aspects, accompagner et trouver des solutions d'un côté, mais se faire respecter, et je crois que l'Europe se fera respectée.

CAROLINE ROUX
Comment, quels outils à part faire des déclarations ? La Suède, par exemple, a suspendu ses paiements à PFIZER, la France pourrait faire pareil ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je suis livrée du nombre de doses que j'ai commandé, donc je n'ai pas de raison de suspendre mes paiements, j'indique juste une chose, aujourd'hui on n'a pas encore décidé de la date à partir de laquelle on payait la sixième dose, puisque les pays européens ont demandé, ont demandé, à ce qu'il y ait une reconnaissance de la sixième dose, mais ont également indiqué qu'il fallait qu'ils adaptent leur matériel d'injection pour aller chercher la sixième dose, donc il y a une discussion qui se fait sur ce sujet-là.

CAROLINE ROUX
Sur ASTRAZENECA, baisse des livraisons de 60%, 31 millions de doses au lieu de 80 millions qui étaient prévus fin mars, ça change quand même le rythme de vaccinations tel qu'il était prévu, est-ce que vous croyez aux arguments avancés, c'est-à-dire retards de production, baisse de rendement sur un site de fabrication européen ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je ne crois que ce que je vois, et donc j'ai demandé, au travers de la Task Force, à ce qu'il y ait une inspection de l'usine d'ASTRAZENECA, c'est plus sain, soit il y a des problèmes…

CAROLINE ROUX
Ils peuvent refuser ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, parce que nous avons des clauses d'audit dans les contrats que nous avons passés avec les laboratoires pharma, donc, soit il y a un problème industriel et il vaut mieux que tout le monde se mobilise pour le régler…

CAROLINE ROUX
Soit ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Soit il y a un problème d'exportation, et dans ce cas-là l'Union européenne peut prendre des mesures de contrôle, voire d'autorisation des exportations.

CAROLINE ROUX
Qu'est-ce qui pourrait se passer, par exemple qu'ils décident de ne pas honorer leurs contrats avec l'Union européenne, mais de livrer à des pays qui payent plus cher, c'est ça qu'on suspecte ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne sais pas si on en est jusque-là, je pense qu'il faut ne pas trop partir dans le fantasme, ASTRAZENECA nous avait indiqué depuis trois semaines qu'ils avaient des difficultés pour monter leur capacité, donc ce n'est pas une chute de production industrielle, c'est leur production industrielle qui ne monte pas au rythme attendu.

CAROLINE ROUX
Et ils ont eu des engagements, ils ont pris des engagements vis-à-vis de l'Europe, qui a versé des millions d'euros pour les aider ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ils ont pris des engagements, mais pas sur le rythme de capacité industrielle. Encore une fois ce n'est pas une… c'est un lancement industriel, ça prend du temps, c'est une culture dans une cuve qui ne se fait pas en claquant dans les doigts, on n'est pas en train de fabriquer des petits pains dans une boulangerie.

CAROLINE ROUX
Mais ils ne le découvrent pas Agnès PANNIER-RUNACHER, rassurez-moi, ils ne le découvrent pas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais nous ne le découvrons pas. Regardez le nombre de doses que nous avions pris en compte au mois de février, dans les chiffres qui ont circulé on est à 2,7 millions, ils vont nous livrer 2,5 millions, donc pour la France, et dans son plan d'avancement de livraison, le mois de février est légèrement en dessous de celui qu'ils vont nous donner, en revanche, nous ce qui nous intéresse c'est qu'est-ce qu'il se passe en mars, qu'est-ce qu'il se passe en avril. Il faut que ce sujet soit réglé rapidement, et il faut également, comme vous dites très bien, que les doutes sur la destination des doses soient également levés rapidement.

CAROLINE ROUX
Rapidement c'est quand, quand est-ce qu'on saura ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Rapidement c'est une question de jours.

CAROLINE ROUX
Une demande d'homologation du vaccin russe Spoutnik V a été déposée dans l'Union européenne, est-ce que ça peut être une solution pour aider à la campagne de vaccination ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous sommes très ouverts, toute demande qui est déposée au niveau de l'Agence du médicament européenne va être examinée, à condition que les porteurs de ces dossiers donnent tous les éléments, de transparence, d'études cliniques, qui permettent à cette agence, qui est une agence indépendante, de prendre une décision en conscience. On ne mettra pas sur le marché un produit sur lequel on n'a pas toutes les données en transparence.

CAROLINE ROUX
Quand vous entendez les Etats-Unis, Joe BIDEN qui a annoncé que l'immunité collective sera atteinte aux Etats-Unis, grâce à la vaccination, à l'été, vous vous dites quoi, on a pris du retard au niveau européen, on n'a pas mis suffisamment de moyens ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, j'entends Joe BIDEN qui dit qu'à la fin de l'été il est en capacité de vacciner l'ensemble de la population américaine, je crois qu'Olivier VERAN a dit exactement la même chose il y a quelques jours, c'est-à-dire que, une capacité, la question de nombre de doses disponibles, dans les contrats tels qu'ils sont aujourd'hui établis, et si effectivement les différents vaccins ont bien leur autorisation de mise sur le marché, nous sommes au même rythme. Ensuite, nous ne vaccinerons pas tout le monde, parce qu'il y a des gens qui ne souhaitent pas être vaccinés, et ce rythme de marche est à peu près équivalent, 600 millions de doses commandées chez PFIZER, seulement 200 aux Etats-Unis, comparons l'Europe et les Etats-Unis, je crois que nous n'avons pas à rougir du travail qui a été fait par la Commission européenne.

CAROLINE ROUX
Merci beaucoup d'avoir été notre invitée ce matin et bon courage pour la suite.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 janvier 2021