Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : "Quel avenir pour l'entreprise EDF avec le projet Hercule ?"
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce soir, dans l'hémicycle, nous parlons de l'avenir d'un opérateur historique et d'un fleuron national, mais aussi de l'avenir de notre pays. Le sujet dépasse le champ de nos mandats et les clivages politiques, car nous avons tous à cœur de construire un avenir meilleur.
M. Fabien Gay. Pas de la même manière !
Mme Barbara Pompili, ministre. J'ai entendu trop de contre-vérités dans ce débat, et je vais essayer de les corriger. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. Fabien Gay. Ça commence bien !
Mme Barbara Pompili, ministre. Comme le Président de la République l'a réaffirmé, le 8 décembre dernier, au Creusot, la France a fait le choix d'un mix électrique décarboné avec une part de nucléaire. Nous prenons désormais massivement le tournant des énergies renouvelables. Nous faisons le choix de la résilience et de la transition vers un mix électrique plus équilibré, ce dont je me réjouis.
Nous empruntons cette voie en responsabilité, pour atteindre la neutralité carbone tout en diversifiant notre approvisionnement, comme vous l'avez voté, et pour nous doter d'une économie écologique.
La France figure déjà parmi les pays les plus vertueux dans la lutte contre le changement climatique. Un Français émet en moyenne 20% de gaz à effet de serre en moins qu'un Européen et 35% en moins qu'un Allemand. Notre pays dispose d'une électricité décarbonée, socle sur lequel nous pouvons développer la mobilité électrique comme la production d'hydrogène non issu des fossiles.
M. François Bonhomme. Grâce au nucléaire…
Mme Barbara Pompili, ministre. Un tel constat ne doit cependant pas nous empêcher de regarder vers l'avenir. La performance française est le fruit de l'histoire, de choix politiques inscrits dans un contexte très différent de celui d'aujourd'hui.
Le débat aura lieu en son temps sur l'évolution du mix de notre production d'électricité. Ce n'est pas le sujet de ce soir.
En revanche, j'ai entendu les craintes que vous avez exprimées, et qui sont parfaitement légitimes, tout autant que les interrogations et les doutes, dès lors que l'enjeu porte sur un fleuron français.
En tant que ministre de l'écologie et de l'énergie, je tiens à rappeler que, à l'heure où nous parlons, partout en Europe, les concurrents d'EDF montent en puissance sur les énergies renouvelables, sur cette grande révolution qu'est l'hydrogène, mais aussi sur l'efficacité énergétique et le stockage.
M. Fabien Gay. Et donc ?
Mme Barbara Pompili, ministre. Je le dis tout net : le Gouvernement refuse que la France et EDF soient reléguées au second plan de cette bataille, faute d'avoir su adapter notre régulation aux évolutions des marchés de l'énergie.
Ce serait le prix de l'immobilisme, de l'attentisme, et je le refuse !
M. Fabien Gay. Donc, vous privatisez !
Mme Barbara Pompili, ministre. Il y va, et vous en avez parlé, de notre souveraineté, de notre rayonnement, et il y va encore une fois, tout simplement, de l'avenir de notre pays.
Alors, oui, EDF doit être un champion mondial de la transition écologique et énergétique. C'est mon engagement et celui du Gouvernement, et c'est ce que je suis venue rappeler ce soir.
M. Fabien Gay. Voilà un bon discours libéral !
Mme Barbara Pompili, ministre. Atteindre cette ambition, cela demande de regarder la réalité en face, toute la réalité.
M. Fabien Gay. Ah oui ?
Mme Barbara Pompili, ministre. Quelle est-elle ? Aujourd'hui, les cadres de régulation ne sont pas adaptés. Ils ne permettent pas à EDF de relever cette ambition ; ils ne lui donnent pas les moyens suffisants pour investir, notamment dans les énergies renouvelables.
M. Jean-Claude Tissot. À qui la faute ?
Mme Barbara Pompili, ministre. D'un côté, s'agissant du nucléaire, le tarif historique, l'Arenh, qui permet à tous les fournisseurs d'acheter la production nucléaire à un prix régulé, a certes rempli un rôle en permettant qu'émerge une concurrence dans la fourniture d'électricité (Eh oui ! sur les travées du groupe CRCE.) et que les Français puissent choisir librement leur contrat. Les fournisseurs alternatifs assurent désormais la commercialisation de 40% des volumes d'électricité.
M. Fabien Gay. Mais pas la production !
Mme Barbara Pompili, ministre. C'est juste !
Ce dispositif, créé en 2010, ne permet pas de garantir correctement la couverture des coûts et des investissements nécessaires au fonctionnement du parc nucléaire existant. Son prix n'a plus été révisé depuis 2012 et, vous le savez comme moi, le nucléaire a un coût. Beaucoup d'entre vous ont parlé d'un mur d'investissement. La sécurité aussi a un coût ; la maintenance, l'entretien, la modernisation ont un coût.
M. Fabien Gay. La sous-traitance !
Mme Barbara Pompili, ministre. De l'autre côté, la régulation de l'hydroélectricité, à laquelle vous êtes très attachés, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, est aussi dépassée. Notre pays doit faire face à deux contentieux européens et, disons-le clairement, cela nous met aujourd'hui dans une situation de blocage qui empêche d'engager de nouveaux développements et la modernisation de nos installations, qui en ont bien besoin.
M. Jean-Claude Tissot. C'est faux !
Mme Barbara Pompili, ministre. Nous devons, là aussi, évoluer, parce qu'il ne s'agit pas seulement d'électricité produite par les barrages d'EDF, il s'agit aussi, et vous l'avez mentionné, de la gestion d'une ressource rare et de plus en plus précieuse, l'eau.
Oui, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est exact, le Gouvernement a engagé une réflexion et ouvert une discussion avec Bruxelles, en lien étroit avec l'entreprise, afin de donner à EDF tous les moyens d'assumer son rôle dans la transition de notre pays.
Très concrètement, cela veut dire, d'abord, garantir le financement du parc nucléaire existant et donc réformer les conditions de vente de sa production. Oui, je crois qu'EDF doit être rémunérée à hauteur des coûts qu'elle supporte. D'ailleurs, monsieur le sénateur Gay (M. Fabien Gay s'exclame.), que j'ai écouté avec attention sans l'interrompre, notre projet de régulation du nucléaire vise précisément à garantir la couverture des coûts et la rémunération du parc nucléaire, et ce quelles que soient les évolutions de prix sur les marchés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Ce serait une garantie très forte, inédite à cette échelle en Europe, qui assurerait à EDF le fait de disposer des ressources financières suffisantes pour faire face aux dépenses liées à l'exploitation du parc existant, y compris le remboursement de la dette qui y est attachée.
Oui, les consommateurs français doivent être protégés contre les variations imprévisibles des prix de gros, avec un prix de l'énergie nucléaire existant, stable et prévisible ne fluctuant pas au gré des variations de marché. À ce titre, je veux rassurer Mme la sénatrice Saint-Pé : l'évolution de l'organisation du groupe n'aura aucun impact sur l'existence des tarifs réglementés et la péréquation ne sera pas remise en cause.
Mme Céline Brulin. Si ce n'est pas une contre-vérité !
Mme Barbara Pompili, ministre. C'est avec ces deux principes au cœur que nous poursuivons la discussion.
De même, nous entendons mettre un terme aux contentieux sur les concessions hydrauliques d'EDF, car notre objectif est simple : conforter le parc hydraulique en permettant à EDF de conserver la gestion de ces concessions sans mise en concurrence.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Barbara Pompili, ministre. Alors, vous le voyez, nous ne cachons rien : rien de nos ambitions, et rien de notre exigence. Bien sûr, certains voudraient faire croire que la discrétion qui préside à tout type de négociation avec Bruxelles est le signe d'un complot, pour je ne sais quel résultat. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. Fabien Gay. Nous n'avons jamais dit cela !
Mme Barbara Pompili, ministre. Je le redis devant vous, notre seul mandat, notre unique exigence sont d'aboutir à cette évolution majeure de la régulation, parce qu'elle est en faveur d'EDF, de la protection du consommateur, de notre politique énergétique, et que notre pays a tout à y gagner.
Comme nous n'avons rien à cacher, je le dis avec la plus grande clarté, ces évolutions, si nous arrivons à un accord, nécessiteront une modification de certaines des structures internes du groupe. La Commission sera attentive à la manière dont les activités de production régulée seront organisées par rapport aux autres activités du groupe.
M. Fabien Gay. Nous y voilà !
Mme Barbara Pompili, ministre. Mais laissez-moi être claire jusqu'au bout, car ce soir, comme depuis le début de ce projet, trois contre-vérités continuent à être professées.
Non, nous n'allons pas dépecer EDF, comme vous le prétendez.
M. Jean-Claude Tissot. Mais si !
Mme Barbara Pompili, ministre. Non, nous n'allons pas non plus démanteler le groupe.
M. Jean-Claude Tissot. Mais bien sûr que si !
Mme Barbara Pompili, ministre. Oui, évidemment, nous préserverons le statut des salariés, auxquels je veux ce soir rendre hommage et que je veux rassurer.
M. Fabien Gay. C'est pour cela qu'ils sont en grève !
Mme Barbara Pompili, ministre. Ce dont nous parlons ce soir, c'est bien de la nécessité de doter EDF d'une structure à même de pérenniser ses activités, d'accroître ses perspectives de développement et de financer sa croissance pour assurer le financement des parcs nucléaire et hydroélectrique, tout en constituant un grand champion des nouveaux métiers de la transition.
Avec ce projet, les parcours professionnels des personnels d'EDF seront préservés ; le statut des industries électriques et gazières sera préservé et l'ensemble des activités restera détenu très majoritairement par EDF, dans le cadre d'un groupe public et intégré. Je rappelle que l'actionnariat privé existe déjà dans EDF.
M. Fabien Gay. Nous le savons !
Mme Barbara Pompili, ministre. Il pourrait être question, par exemple, de prévoir des plafonds ; cela fera partie du débat. Oui, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, EDF est une entreprise publique et le restera ; cela fait partie de l'ADN du groupe et même, je crois, d'une part de l'ADN français.
Nous n'en sommes qu'au début de ce chantier. À ce stade, nous ne sommes pas encore parvenus à un accord global avec la Commission européenne et les échanges se poursuivent. Cela prend du temps, mais c'est aussi parce que le Gouvernement tient bon sur les points essentiels du projet et que nous voulons qu'il soit solide.
Si cette négociation ouvre le champ des possibles, je le dis devant vous, jamais elle ne se substituera à la voix des élus de la Nation ni à l'indispensable discussion parlementaire sur l'avenir d'EDF avant toute réforme. Je vous confirme que cette discussion ne se fera pas dans le cadre d'un projet de loi Climat et Résilience ou d'un projet de loi 4D ; il y aura un texte spécifique sur ce sujet.
De même, une réorganisation ne peut se faire qu'en débattant et en décidant dans le cadre des instances de gouvernance du groupe, avec les partenaires sociaux. Je m'y engage, car je crois que ce débat à venir, beaucoup plus qu'une obligation légale ou politique, est le gage de la meilleure décision pour le pays.
Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce que je voulais vous dire ce soir. Loin des rumeurs, loin des contre-vérités, loin des peurs, avec ce projet, nous entendons donner à EDF les moyens de rester le premier électricien bas-carbone d'Europe, en sécurisant le financement de son parc historique et en dégageant les moyens nécessaires pour devenir un champion de la transition énergétique. Nul démantèlement, nul dépeçage, nulle remise en cause du statut des salariés ne sont au programme : c'est bien à assurer l'avenir de la transition énergétique de la France que le Gouvernement travaille, et vous pouvez compter sur ma totale détermination.
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : "Quel avenir pour l'entreprise EDF avec le projet Hercule ?"
source http://www.senat.fr, le 20 janvier 2021