Texte intégral
CAROLINE ROUX
Bonjour Marlène SCHIAPPA.
MARLENE SCHIAPPA
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Merci d'avoir accepté de répondre à nos questions.
MARLENE SCHIAPPA
Merci à vous.
CAROLINE ROUX
Nous allons parler du texte confortant les principes républicains, mais d'abord un mot sur un sujet qui vous touche tout particulièrement. Le nombre de féminicides est passé de 146 à 90 femmes tuées sous les coups de leur conjoint en 2020, alors bien sûr c'est 90 de trop, mais quelle leçon vous tirez de cette baisse, vous qui avez si longtemps porté le sujet ?
MARLENE SCHIAPPA
Moi ce que j'observe d'abord, évidemment, comme vous l'avez dit, c'est 90 de trop, et même si on était à 15, je le dis, parce que c'est important, notamment pour les familles de victimes de féminicide qui nous regardent. Mais effectivement il y a une baisse historique, c'est la première fois depuis plus de 15 ans qu'il y a un nombre, qu'on passe sous la barre des 100, et qu'il y a un nombre aussi "bas" de féminicides. Ça veut dire que quand il y a une mobilisation de toute la société ça produit ses effets, c'est ce qu'on a fait avec le Grenelle des violences conjugales, de fin 2019 à début 2020, des mobilisations ont eu lieu et tous les acteurs se sont mobilisés avec le Grenelle des violences conjugales…
CAROLINE ROUX
Ça veut dire que c'est une affaire de volontarisme politique plus que certaines mesures qui ont été prises, je pense au bracelet anti-rapprochement, au téléphone « grand danger », etc. ?
MARLENE SCHIAPPA
Je pense surtout que c'est une affaire de mobilisation de toute la société. Qu'est-ce qui a changé ? c'est qu'effectivement on a pris des mesures fortes, le bracelet anti-rapprochement en est une, la saisie des armes dès la plainte, etc., mais je dirais surtout qu'il y a eu une mobilisation de toute la société, grâce aussi aux associations, aux organisations de victimes de violences conjugales, aux élus locaux qui se sont mobilisés, aux professionnels du monde de la justice, de la santé, et quand tout le monde est mobilisé et qu'il y a une vraie vigilance pour s'organiser de façon solidaire et mettre à l'abri ces femmes, stopper les violences, avant le drame, eh bien ça produit ses effets.
CAROLINE ROUX
Ils peuvent encore baisser ces chiffres-là ?
MARLENE SCHIAPPA
J'espère, j'espère qu'ils vont encore baisser, certains disent que le confinement aurait eu un impact également, sur la baisse de ces chiffres, j'espère que cette baisse elle sera durable, en tout cas nous allons tout faire pour.
CAROLINE ROUX
Je crois que vous voulez annoncer une plateforme multilingue destinée aux femmes victimes de violences.
MARLENE SCHIAPPA
Oui, absolument. On travaille avec une association qui s'appelle "Women to Women", et nous sommes en train de financer une plateforme qui permettra à toutes les femmes, victimes de toutes formes de violences, de violences conjugales, mais aussi de mutilations génitales par exemple, d'emprise psychologique, d'avoir accès à leurs droits en 15 langues. C'est important, parce qu'il y a des femmes, sur notre sol, qui ne parlent pas bien français, qui sont des primo-arrivantes, qui sont des filles au pair, des étudiantes, des femmes migrantes, et c'est important qu'elles puissent aussi avoir accès aux droits que la France et que la République met à leur disposition.
CAROLINE ROUX
Alors, on en vient au texte qui est débattu à l'Assemblée nationale, et on est passé du discours - c'est important les mots qu'on utilise pour qualifier les choses – on est passé du discours des Mureaux au projet de loi donc contre le séparatisme islamiste, puis séparatisme tout court, et maintenant un texte pour conforter les valeurs de la République. Qui est-ce que vous voulez épargner avec cette formulation ?
MARLENE SCHIAPPA
L'idée ce n'est pas tant d'épargner, l'idée c'est que vous voulez traduire dans une loi, effectivement l'impulsion du président de la République lors de son discours aux Mureaux, discours qui s'appelait " La République en actes", et le projet, pour nous, c'est de montrer, avec Gérald DARMANIN, dans cette loi, qu'il y a des principes républicains, la laïcité, la liberté de conscience, la liberté de culte, mais aussi la protection, par exemple face aux dérives sectaires, ou face à la dignité humaine, que nous confortons dans ce projet de loi. Mais, évidemment, ce projet de loi il vise en premier lieu à mieux lutter contre l'islamisme radical, qui est le terreau du terrorisme et qui est la principale menace qui existe en France aujourd'hui.
CAROLINE ROUX
Alors, la droite fait 41 contre-propositions, elle dit que vous avez raté votre cible justement parce que vous ne nommez pas clairement les choses dans ce texte-là, elle propose notamment une réforme de la Constitution, pour y inscrire cette formule dans l'article 1 : Nul individu ou groupe ne peut se prévaloir de sa religion ou de son origine pour s'exonérer des règles communes. Est-ce que c'est une bonne idée, de l'inscrire, ce principe-là, dans la Constitution ?
MARLENE SCHIAPPA
A mon humble avis c'est une paraphrase dans la mesure où la Constitution elle est déjà très claire sur le fait que la République est une et indivisible, et qu'il n'y a qu'une seule communauté, la communauté nationale, on ne reconnaît pas les communautés, et d'ailleurs au terme de l'article 2 de la loi de 1905 on ne reconnaît pas non plus les religions. Donc, affirmer la primauté des lois de la République sur tout autre système normatif, y compris religieux, c'est le but de cette loi et c'est ce que dit cette loi très clairement dans la lignée de la Constitution.
CAROLINE ROUX
Quand ils disent que vous ratez votre cible justement parce que vous ne nommez pas l'ennemi ?
MARLENE SCHIAPPA
Je ne le crois pas. D'abord, on ne peut pas nommer de religion dans la loi, justement parce que la République ne reconnaît aucun culte, la loi de 2004 sur les signes religieux ne nommait pas non plus d'ailleurs de religion, ni aucune des lois ou des règlements qui ont été pris à cet égard, au contraire, nous, nous avons mis en place des CLIR, des cellules locales de lutte contre l'islamisme, la radicalisation et le repli communautaire, qui sont, ces organes, de travail de terrain, fins, qui autour des préfets, des procureurs, des services de l'Etat, dans tous les départements, analysent les dossiers, et ce sont ces CLIR qui ont permis la fermeture par exemple d'associations, de commerces, séparatistes, et liés à l'islamisme radical.
CAROLINE ROUX
Mais on avait besoin d'une nouvelle loi justement ? On voit, vous parlez de ces associations qui vont au-delà de nos principes républicains, il n'y a pas besoin d'une nouvelle loi pour savoir qu'ils franchissent les lignes rouges.
MARLENE SCHIAPPA
Moi je crois qu'il y a besoin d'une nouvelle loi justement pour combler les trous dans la raquette, ou les zones grises du droit actuel.
CAROLINE ROUX
Par exemple ?
MARLENE SCHIAPPA
Par exemple pour dissoudre une association, comme ce qui a été fait pour BarakaCity, le CCIF, le Collectif de… à l'heure actuelle c'est difficile juridiquement. Autre exemple, des élus locaux nous disent que lorsqu'ils mettent en place des chartes de la laïcité, des chartes des valeurs républicaines, ils sont attaqués en justice, donc nous créons dans cette loi un contrat d'engagement républicain qui est un nouvel outil à la main des élus locaux et des services de l'Etat déconcentrés.
CAROLINE ROUX
En fait c'est plus une boîte à outils cette loi, qu'une loi qui vise à réaffirmer des grands principes.
MARLENE SCHIAPPA
Elle réaffirme aussi des grands principes, la symbolique est importante, mais nous voulons être concrets, ce n'est pas une loi… c'est une loi dans laquelle tous les articles ont été vraiment travaillés, en consultation avec les acteurs de terrain, pour apporter un plus et faciliter cette lutte contre l'islamisme radical.
CAROLINE ROUX
C'est pour ça que vous ne vous êtes pas attelés au sujet du voile, c'est un des reproches qui est fait aussi par l'opposition, parce que c'est un totem et que ça crispe le débat public ?
MARLENE SCHIAPPA
Moi j'observe surtout que la question du voile, qui est importante, je la mets pas de côté, mais la question du voile, dans ce débat, elle fait écran de fumée, c'est-à-dire on en vient à un débat assez manichéen, de pour ou contre le voile, et en fait on ne parle pas du reste, notamment des mesures sur les cultes, notamment des mesures sur la dignité humaine, contre la polygamie, qui préserve l'égalité entre les femmes et les hommes, contre les mariages forcés, sur la neutralité des services publics, la neutralité sera étendue aux délégataires de service public, c'est important…
CAROLINE ROUX
Ça, on a reçu Laurent BERGER qui dit "ça ne sert à rien, de toute façon ce sujet ne se pose pas." il dit "on n'avait pas besoin de légiférer. "
MARLENE SCHIAPPA
Alors, on est entre des gens qui trouvent que ce sujet se pose trop et qu'on n'y répond pas assez, et des gens qui trouvent que ce sujet n'existe pas, donc c'est vrai qu'il y a parfois, de certains, je ne sais pas Laurent BERGER, mais il y a une forme de cécité en nous disant "non, rien de tout cela existe." Jean-Luc MELENCHON nous a dit "les certificats de virginité ça n'existe pas, la polygamie ce n'est pas important", moi je considère que préserver les droits de toutes les femmes c'est important, et, oui, les associations de terrain, j'étais hier encore avec « Regards de femmes », le GAMS, "Excision, parlons-en" et d'autres, elles nous disent que bien sûr c'est un problème fondamental, notamment dans les quartiers populaires, et qu'il faut apporter des réponses à ces femmes.
CAROLINE ROUX
Alors, vous parlez des associations, il y aura un contrat d'engagement républicain pour les associations, avec, par exemple, certains principes comme le respect de l'égalité hommes-femmes qui devra être respecté par les associations. Qui va contrôler, qui va vérifier ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors, il y aura plusieurs types de contrôle, d'abord par les maires, puisque ce contrat il est à disposition des organisations associatives, elles devront s'engager à le signer lorsqu'elles demanderont une subvention par le biais du CERFA, subvention d'argent public, donc soit donné par l'Etat, soit par les préfets, donc l'Etat en déconcentré, soit les collectivités. Donc les collectivités, les maires, seront fondés à le vérifier, mais bien sûr les services de l'Etat. Les cellules locales de lutte contre l'islamisme, la radicalisation et le repli communautaire, que j'évoquais précédemment, c'est leur travail, lorsqu'il y a une alerte, d'aller le contrôler, et grâce à ce contrat, eh bien l'argent public pourra être repris dès lors que il a été donné à une organisation qui soutient l'islamisme radical, c'est le cas par exemple à Grenoble où le maire s'était aperçu après plusieurs années qu'il avait financé le CCIF, il a souhaité être remboursé, à l'heure actuelle, juridiquement, il semble que ça sera compliqué, grâce à ce contrat d'engagement ça pourra se faire beaucoup plus simplement.
CAROLINE ROUX
En quoi une loi, une boîte à outils comme on le disait à l'instant, peut permettre de lutter contre une idéologie ?
MARLENE SCHIAPPA
Je pense que l'idée c'est de travailler justement sur toutes les manifestations de cette idéologie. On voit qu'on a fait des lois importantes pour lutter contre le terrorisme, dans des dernières années, vous savez que chaque mois, en moyenne, au moins un attentat, voire plus, terroriste, est déjoué par les services de renseignement français, mais cette loi elle vise à lutter contre ce qui précède, et donc contre toutes les manières d'endoctriner, en faisant de l'entrisme, dans les associations d'aide aux devoirs, en empêchant les femmes de se marier avec la personne avec laquelle elles ont envie de se marier, c'est toute cette zone grise et tout ce travail d'endoctrinement contre lequel nous voulons lutter.
CAROLINE ROUX
L'instruction à domicile notamment fait l'objet de nombreux amendements, est-ce que ce texte a vocation à être enrichi, comme on dit, par le débat parlementaire, est-ce qu'il peut bouger sur certains sujets qui… de crispation ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, bien sûr. D'abord il y a déjà eu 55 heures de travail en commission, et je voudrais saluer le travail des députés de la commission spéciale, qui nous ont déjà permis, avec le ministre de l'Intérieur Gérald DARMANIN, d'améliorer considérablement ce texte, et ensuite Jean-Michel BLANQUER va travailler que les députés sur ce qui concerne l'instruction en famille, et j'imagine que ça évoluera dans le bon sens.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Marlène SCHIAPPA.
MARLENE SCHIAPPA
Merci à vous surtout.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 février 2021