Texte intégral
SONIA MABROUK
Bienvenu à vous et bonjour Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Sonia MABROUK.
SONIA MABROUK
Une bataille entre deux grands champions français dans l'actualité. VEOLIA et SUEZ, VEOLIA qui a lancé hier une offre, une OPA hostile sur SUEZ sans tenir compte du côté amical que vous aviez pourtant demandé. Quelle est votre réaction ce matin ?
BRUNO LE MAIRE
Je vais répéter une nouvelle fois que cette opération, une opération de cette ampleur entre deux champions industriels français ne peut réussir que si elle est amicale. Vous ne pouvez pas réussir une opération de cette importance contre les salariés qui se sont exprimés contre le conseil d'administration, contre les clients, contre les usagers. Cette offre n'est pas amicale et cela contrevient aux engagements qui ont été pris à plusieurs reprises par VEOLIA. Elle pose aussi des questions de transparence. Pourquoi est-ce que subitement cette offre a été déposée ? Donc nous allons saisir l'Autorité des marchés financiers dès ce matin. Elle peut poser des problèmes de concurrence et elle est clairement précipitée. Donc je veux appeler une nouvelle fois l'ensemble des parties prenantes à retrouver le chemin de la raison et du dialogue. Et je vais vous dire, Sonia MABROUK, de manière plus générale je voudrais que chacun comprenne que surtout dans les circonstances actuelles, où nous affrontons tous ensemble la crise économique la plus grave depuis 1929, le capitalisme français ça ne peut pas être la guerre de tous contre tous. Ça ne doit pas être la guerre de tous contre tous.
SONIA MABROUK
Mais dites-nous Bruno LE MAIRE, quel est le risque ? Est-ce qu'il y a un risque même politique ? Parce que du côté de VEOLIA, le patron est déterminé, estime qu'il y a un double jeu justement chez SUEZ. Voilà pourquoi il a accéléré.
BRUNO LE MAIRE
Je ne suis pas là pour sonder les intentions des uns et des autres. Je suis là pour faire respecter des règles et pour, avec l'ensemble des acteurs économiques français, construire un capitalisme qui soit responsable, qui soit durable, qui soit respectueux des salariés, respectueux de l'emploi, respectueux de l'empreinte industrielle dans notre pays. Les risques, c'est quoi ? Mais c'est des risques sur l'emploi. C'est des risques sur l'empreinte industrielle. C'est des risques de concurrence, ils ont été clairement identifiés. Et vous ne pouvez lever ces risques que dans un cadre amical, que en discutant, que en dialoguant, que en retrouvant tout simplement la raison.
SONIA MABROUK
Pourtant à ce micro, Monsieur le Ministre, à ce micro Antoine FREROT a apporté, a-t-il dit en tout cas, des garanties en termes d'emploi. Elles vous semblent insuffisantes ?
BRUNO LE MAIRE
Je ne sais pas ce que valent ces garanties à partir du moment où VEOLIA s'était engagé et avait apporté toutes ses garanties pour avoir une offre amicale et que VEOLIA vient de déposer une offre qui est inamicale. Donc simplement je veux le redire avec beaucoup de force, le capitalisme français ne peut pas être la guerre de tous contre tous. Chacun doit retrouver un peu de raison, un peu de sagesse et tout simplement un peu de sens de l'intérêt général. Parce que ce sont des milliers d'emplois qui sont en jeu, Sonia MABROUK, ce sont des technologies dans le traitement de l'eau, dans la gestion des déchets qui nous concernent tous. C'est la vie quotidienne des Français dans des dizaines de milliers de communes en France. Ça suppose, je crois, un peu de sens de l'intérêt général.
SONIA MABROUK
Vous craignez une étincelle sociale ?
BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas l'étincelle sociale que je crains, c'est les salariés qui se demandent ce qui va arriver à leur emploi. C'est les collectivités locales qui se disent : mais est-ce que la concurrence va être préservée dans cette opération ou est-ce que je vais être contraint avec un acteur unique ? C'est les technologies, c'est les savoir-faire industriels qui sont en jeu. Et vous voyez bien qu'à partir du moment où nous avons deux fleurons industriels qui ont un niveau de classe mondiale, qui sont SUEZ et VEOLIA dans un enjeu qui est vital pour le XXIème siècle : le traitement des déchets et le traitement et la gestion des eaux, est-ce qu'il ne serait pas infiniment préférable que cette opération se fasse dans le cadre d'un dialogue apaisé ? Est-ce que ce n'est pas trop demander à l'ensemble des parties prenantes de revenir sur le chemin du dialogue et de retrouver le sens de la raison ?
SONIA MABROUK
Vous parlez beaucoup et c'est normal des enjeux de l'emploi, Monsieur le Ministre. On va rester sur le front de l'emploi en France. Tandis que l'INSEE a anticipé la destruction de près de 600 000 emplois en 2020 dans notre pays finalement, ce sont près de 360 000 emplois qui ont été détruits. Alors c'est déjà beaucoup, c'est terrible pour ceux qui le subissent mais c'est moins que prévu. Est-ce que c'est le ?quoi qu'il en coûte? ? C'est une économie sous perfusion qui le permet ?
BRUNO LE MAIRE
Le "quoi qu'il en coûte" a évidemment été particulièrement efficace en 2020. On le voit bien avec le nombre d'emplois détruits. 360 000, c'est toujours trop bien entendu et moi ma première pensée elle va à tous ceux qui ont perdu leur emploi, qui sont dans une situation difficile. Mais je rappelle qu'on annonçait 700 000 destructions d'emplois, 9000 00 pour l'UNEDIC. Donc nous avons, notamment grâce au chômage partiel, protégé l'emploi. Nous avons également protégé les entreprises. En 2020, 35 000 faillites alors qu'il y en a d'ordinaire 50 000. Nous avons protégé la croissance puisque nous avons vu qu'avec le deuxième confinement, nous pensions perdre 12 % d'activité : nous n'en avons perdu qu'un peu plus de 8. Donc oui c'est d'abord dû au ?quoi qu'il en coûte? ; mais je vais vous dire, Sonia MABROUK : c'est surtout dû à l'exceptionnelle capacité de résistance de l'économie française. L'économie française a montré dans cette crise son immense capacité de résistance et je vais vous donner ma conviction. Elle va montrer à la fin de l'année 2021 son immense capacité de rebond. Nous avons la possibilité d'avoir une fin d'année 2021 qui soit une forte année en termes de croissance, en termes - je l'espère aussi - à plus long terme de création d'emplois. Si nous prenons, comme nous le faisons actuellement, les bonnes décisions c'est-à-dire si nous investissons sur l'avenir.
SONIA MABROUK
En termes de créations d'emplois, Monsieur le Ministre ; alors que beaucoup s'inquiètent justement avec peut-être une fin progressive du ?quoi qu'il en coûte? et aussi l'arrivée des échéances des prêts garantis par l'Etat qu'il y ait plutôt une vague de faillites.
BRUNO LE MAIRE
Mais parce que sur le long terme, nous sommes en train de réussir la transition d'une économie du XXème siècle vers une économie du XXIème siècle. Nous avons d'abord des secteurs qui continuent de marcher très bien. Regardez le bâtiment, les travaux publics : ils ont créé 20 000 emplois. Vous avez des secteurs nouveaux qui sont en train de créer de nouveaux emplois. Prenez les start-up de technologies, elles ont créé 10 000 emplois au cours des mois passés ; et tout l'objectif du plan de relance que nous mettons en oeuvre à la demande du président de la République, c'est d'investir dans des nouvelles chaînes de valeurs qui vont créer de nouveaux emplois. Je comprends l'angoisse…
SONIA MABROUK
Vous avez un exemple justement d'une coopération industrielle ?
BRUNO LE MAIRE
Mais je peux vous en donner plusieurs. Prenez les batteries électriques : nous avons créé 2 000 emplois dans le nord de la France grâce à une usine de batteries électriques financée par PSA avec l'alliance avec TOTAL avec SAFT. C'est bien une nouvelle technologie, une nouvelle chaîne de valeurs, de l'indépendance industrielle et des emplois.
SONIA MABROUK
Monsieur le Ministre…
BRUNO LE MAIRE
Les semi-conducteurs, Sonia MABROUK, dont on parlait ce matin, vous voyez bien qu'on est totalement dépendant de l'Asie sur les semi-conducteurs. Nous allons investir sur les semi-conducteurs. L'hydrogène : ce matin AIR LIQUIDE et SIEMENS annoncent une alliance et une coopération pour créer une première usine qui va permettre de faire de l'électrolyse, de grandes puissances pour créer notre propre hydrogène vert…
SONIA MABROUK
C'est un exemple investissement d'avenir mais Monsieur le Ministre…
BRUNO LE MAIRE
Mais je pourrais vous parler pendant dix minutes de toutes ces chaînes de valeurs nouvelles qui vont créer de nouveaux emplois.
SONIA MABROUK
Certes mais malheureusement, on pourrait vous parler aussi pendant dix minutes de ce qui ne va pas, c'est-à-dire des vagues de faillites peut-être dans la restauration, dans d'autres domaines également. On dirait que ça fait partie d'une économie du passé. Vous ne me parlez que de l'économie de l'avenir mais c'est également notre tissu actuel.
BRUNO LE MAIRE
Mais les restaurants sont l'économie de l'avenir. Les hôtels sont l'économie de l'avenir. Le tourisme est l'économie de l'avenir.
SONIA MABROUK
Mais vous pensez qu'il va y avoir des créations et ce sera une création d'emplois dans ces secteurs en 2021 ?
BRUNO LE MAIRE
Sans doute pas dans les mois qui viennent. Chacun sait que c'est eux qui sont le plus touchés par la crise, d'ailleurs c'est eux qui ont le plus notre soutien parce que c'est eux qui souffrent le plus. Et les restaurateurs, les hôteliers, tous ceux qui travaillent dans le secteur du tourisme, les acteurs de l'événementiel, de la culture, tous ceux qui travaillent dans les salles de spectacle, dans les salles de théâtre, tous ceux qui travaillent dans le cinéma…
SONIA MABROUK
La montagne aussi.
BRUNO LE MAIRE
Aujourd'hui ils vivent un enfer. Un enfer économique et un enfer moral. On les soutient, nous sommes derrière eux et nous serons derrière eux tant que la crise durera. Mais est-ce que ça veut dire que demain, il n'y aura plus de cinémas, plus théâtres, plus de restaurants, plus de bars, plus d'hôtels ? Certainement pas. J'ai confiance dans la capacité de ce secteur à se redresser, à se réinventer à la sortie et à nouveau à créer des emplois.
SONIA MABROUK
Mais les Français se demandent aussi ce matin et puis déjà depuis quelques mois, Monsieur le Ministre, qui va payer. Vous répétez, Bruno LE MAIRE, depuis des mois d'ailleurs qu'il n'y aura pas de hausse d'impôts et selon un récent sondage pour Les Echos, 76 % des Français ne croient pas en cette promesse. Ils sont réalistes j'allais dire dans l'un des pays les plus taxés au monde.
BRUNO LE MAIRE
Ils ne sont pas réalistes, ils sont simplement lucides…
SONIA MABROUK
Pragmatiques.
BRUNO LE MAIRE
Pragmatiques effectivement par rapport à ce qui a été décidé dans le passé. Moi je le comprends ce sondage. Quand nous sommes sortis de la grande crise financière de 2008/2010, nous en sommes sortis en évitant le pire mais à la sortie il a fallu payer la note. La note a été payée à partir de 2012, au cours du précédent quinquennat, par une augmentation massive des impôts et des prélèvements sur les Français. Ce qui a amené d'ailleurs l'un de mes prédécesseurs qui est actuellement Premier président de la Cour des comptes à dire qu'il y avait un ras-le-bol fiscal. Eh bien nous ne pouvons pas refaire la même erreur à la sortie de cette crise qui est, je le redis, la plus importante depuis 1929 c'est-à-dire faire payer la note aux Français par les impôts. On l'a fait une fois, ça a été une catastrophe, on ne peut pas le faire une deuxième fois.
SONIA MABROUK
Sinon ? Qu'est-ce qui va se passer sinon ?
BRUNO LE MAIRE
Et c'est un engagement que j'ai pris comme Ministre des Finances vis-à-vis des Français : je n'augmenterai pas les impôts.
SONIA MABROUK
Oui mais Monsieur le Ministre, si vous n'êtes plus ministre dans un an, que vaut cet engagement ?
BRUNO LE MAIRE
Mais j'ose espérer que ça fera partie du débat de la présidentielle. Comment est-ce qu'on peut rembourser la dette ? D'abord on peut la rembourser en ayant une croissance plus forte et en investissant grâce à notre plan de relance…
SONIA MABROUK
Vous savez que ça ne sera pas suffisant la croissance.
BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas suffisant mais c'est un élément clé. Et ça nous la nourrissons, cette croissance, grâce à l'investissement dans de nouvelles chaîne de valeurs, de nouveaux secteurs industriels que je viens de décrire. La deuxième manière de rembourser cette dette, c'est effectivement d'être plus économe sur l'argent public. Soyons clairs.
SONIA MABROUK
Mais il est où le plan rigoureux sur la maîtrise des dépenses publiques ?
BRUNO LE MAIRE
Déjà il commence par le fait de n'investir aujourd'hui, ne dépenser de l'argent public que pour ceux qui en ont réellement besoin, pour des dépenses d'investissement ponctuelles qui peuvent être retirées ensuite et pas pour des dépenses éternelles. Et la troisième réponse, c'est des changements structurels dans notre système social de façon à assurer son bon financement. C'est cette réforme des retraites dont je parle très souvent qui doit nous permettre tout simplement de travailler tous globalement davantage pour pouvoir financer notre modèle de protection sociale.
SONIA MABROUK
Bruno LE MAIRE, avec le risque d'allumer une étincelle sociale dans un pays esseulé en parlant de réforme aujourd'hui ?
BRUNO LE MAIRE
Il faudra le faire au bon moment mais je pense que l'immense majorité des Français qui sont lucides savent parfaitement que notre système de protection sociale, auquel nous sommes tous viscéralement attachés, il coûte cher. Et vous ne pouvez pas avoir le système de protection sociale le plus généreux au monde et être dans le même temps la nation développée qui a le volume global de travail parmi les plus faibles. Il y a un moment donné, ça pose un hic. Eh bien ce hic, il ne peut se résoudre qu'en ayant le courage d'engager le moment venu - je dis bien le moment venu - une réforme des retraites.
SONIA MABROUK
Alors Europe 1, Monsieur le Ministre, s'engage toute la semaine avec des propositions très concrètes pour soutenir les plus jeunes d'entre nous en grande souffrance. Demain d'ailleurs à votre place, notre invité sera Gaspard GUERMONPREZ. Il a vingt-trois ans, il a fait une vidéo sur le mal-être des étudiants qui est devenue virale. Quel message vous lui adressez ? J'allais dire au-delà du message aussi, quelles nouvelles mesures aujourd'hui apporter ?
BRUNO LE MAIRE
D'abord j'ai vu sa vidéo et je veux lui dire qu'il a touché juste. Il a touché juste, je le vois, je vais vous dire avec mes deux fils aînés. L'un est à l'université, je le vois qui suit ses cours en visio, qui est derrière son bureau, qui a son écran devant lui, qui a très peu de contacts, qui a très peu de cours en présentiel comme on dit, qui n'a pas la vie d'un étudiant de vingt ou de vingt et un ans. Voilà, c'est tout. C'est la c'est la triste réalité et pour beaucoup d'étudiants. Il n'y a plus de petits boulots, il n'y a plus de ressources pour pouvoir se payer leur logement. Ils ont des parents qui parfois ne peuvent pas apporter les dix, vingt, cinquante euros nécessaires par mois…
SONIA MABROUK
Oui. Ça, c'est le diagnostic que l'on fait tous.
BRUNO LE MAIRE
Mais c'est la réalité. Donc nous avons apporté un certain nombre de réponses, que ça porte sur le Ticket Restaurant, sur des aides financières supplémentaires. S'il faut à un moment donné faire davantage pour soutenir les étudiants, Frédérique VIDAL, la Ministre des universités suit ce dossier avec énormément de coeur, d'attention. Le président de la République est totalement mobilisé sur ce sujet. Nous, toutes les propositions concrètes qui permettraient aux étudiants de passer mieux cette période qui de toute façon restera difficile pour eux, nous serons toujours ouverts.
SONIA MABROUK
On va en parler notamment toute la semaine et on diffusera ce que vous avez dit justement à notre invité demain à 8 heures 15. Merci Bruno LE MAIRE d'avoir été notre invité ce matin et bonne journée à vous.
BRUNO LE MAIRE
Merci Sonia MABROUK.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 février 2021