Déclaration de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur le système des ressources propres de l'Union européenne, au Sénat le 4 février 2021.

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Circonstance : Adoption définitive au Sénat en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (projet n° 303, texte de la commission n° 307, rapport n° 306).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État. (MM. François Patriat et André Gattolin applaudissent.)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme d'une négociation qui a duré plusieurs années s'agissant du budget de l'Union européenne pour la période 2021-2027, et huit mois seulement – un peu moins, en réalité – pour ce qui est du plan de relance, je suis très heureux de me trouver au Sénat afin de présenter ce projet de loi.

Ce texte, qui comporte un article unique, a en effet pour objet d'autoriser le Gouvernement à approuver la décision sur les ressources propres adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 14 décembre 2020.

Comme vous le savez, les traités européens prévoient que cette décision ne peut entrer en vigueur qu'après approbation par l'ensemble des États membres suivant leurs procédures nationales respectives. En ce qui concerne la France, l'article 53 de notre Constitution prévoit que l'approbation doit faire intervenir une loi, donc être votée par le Parlement.

Cette décision sur les ressources propres est un exercice traditionnel, qui revient tous les sept ans ; en l'espèce, le présent texte vise à concrétiser les résultats inédits et historiques obtenus à l'issue d'une négociation extraordinaire à la fois par son ampleur et par la gravité de la crise dans laquelle nous sommes et qui a accompagné sa conclusion.

Cette négociation a permis à la France de faire avancer – j'en suis convaincu – un certain nombre d'idées anciennes qu'elle portait et porte plus que jamais en réponse à cette crise.

En premier lieu, ce texte permet la mise en oeuvre du volet relatif aux recettes de ce qui est, depuis le 1er janvier dernier, notre cadre commun européen, budgétaire et d'action politique, pour les sept prochaines années. Il permet en effet le déploiement du cadre financier pluriannuel 2021-2027 que j'évoquais, qui est doté, sur cette période de sept ans, de précisément 1 074 milliards d'euros, soit une augmentation de 12 % par rapport à la période précédente, alors que le contexte est celui de la sortie du Royaume-Uni.

La période budgétaire qui s'est ouverte le 1er janvier est ainsi marquée par le renforcement très important, en particulier à la suite de l'accord final trouvé avec le Parlement européen en novembre dernier, des moyens consacrés à plusieurs politiques fondamentales, prioritaires pour la France.

Je pense notamment à la politique de mobilité internationale étudiante, le programme Erasmus +, doté d'un peu plus de 26 milliards d'euros, soit un quasi-doublement par rapport à la période 2014-2020.

Je pense aussi aux 95 milliards d'euros qui abondent le programme de recherche dit « Horizon Europe », soit une hausse de près de 50% par rapport à la précédente période budgétaire ; à l'augmentation d'un tiers des moyens du programme spatial européen, si essentiel à notre indépendance et à notre souveraineté technologiques et militaires ; aux plus de 5 milliards d'euros consacrés à un nouveau programme spécifique relatif à la santé, qui a notamment permis l'acquisition des premiers vaccins dont nous bénéficions aujourd'hui.

Ces diverses dotations interviennent de surcroît dans un contexte où nous avons pu préserver le budget de la politique agricole commune et renforcer les moyens de la politique de cohésion – vous savez qu'il n'y avait là rien d'acquis ni d'évident, loin de là, puisque la première proposition de la Commission, au printemps 2018, prévoyait un recul de 15 milliards d'euros des fonds consacrés à la politique agricole commune.

Nous avons, à l'issue de cette négociation, obtenu la stabilisation des paiements directs à nos agriculteurs sur les sept prochaines années et le renforcement de la politique qui finance les investissements de nos régions, en particulier dans les outre-mer.

Il est par ailleurs prévu, dans ce nouveau cadre budgétaire européen, que 30 % des dépenses soient consacrées à la transition énergétique et climatique et qu'aucune dépense ne puisse être jugée contraire à ladite transition – la Commission s'en assure via une méthodologie commune.

Mesdames, messieurs les sénateurs, de manière inédite dans les circonstances exceptionnelles liées à la crise, ce texte sur les ressources propres permet également la mise en oeuvre du plan de relance de 750 milliards d'euros agréé par les chefs d'État et de gouvernement le 21 juillet dernier et définitivement adopté au niveau européen au mois de décembre dernier.

Il autorise le financement de ce plan de relance par une dette européenne commune et solidaire, qui était, là encore, sans doute impensable voilà quelques semaines.

Vous le savez, ce plan est le fruit d'une initiative franco-allemande lancée le 18 mai 2020, qui a fini, non sans difficultés, par aboutir à ce changement de paradigme. Il y a encore moins d'un an, le principe d'un emprunt européen restait un tabou. Je ne dis pas – nous aurons l'occasion d'en débattre – que cet emprunt ne soulève pas un certain nombre de questions, et j'espère, à ces interrogations, pouvoir répondre ce matin.

Néanmoins, il est absolument vital si nous voulons apporter une réponse immédiate à une crise extraordinaire dont nous ne pourrons nous sortir, tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique, que si cette réponse est commune, européenne : en matière de vaccins comme de relance économique, il est inconcevable qu'un pays puisse s'en sortir si ses voisins européens ne s'en sortent pas eux-mêmes.

Cette crise a donc changé la donne : nous avons compris, à cette occasion, que nous avions besoin d'une réponse européenne massive et partagée ; nous avons compris que les outils budgétaires européens qui étaient à notre disposition étaient désormais insuffisants face aux besoins, en particulier dans certains États membres particulièrement touchés par la pandémie et par ses conséquences économiques.

Il est vrai aussi que les taux d'intérêt sont suffisamment faibles pour que nous puissions recourir à l'emprunt dans des conditions sûres, économiquement et financièrement raisonnables.

C'est la démonstration du succès d'un engagement européen et d'une méthode qui, sans être nouvelle, a été réactivée ces derniers mois, dans le cadre d'un effort collectif : une discussion franco-allemande, au départ difficile, qui a permis un accord entre nos deux pays ; une proposition de la Commission européenne au nom de l'intérêt commun des Vingt-Sept ; un débat entre l'ensemble des États membres pour construire et finaliser, sur un sujet aussi sensible, un accord unanime, obtenu – je le disais – l'été dernier, avalisé par le Parlement européen et désormais soumis à chaque parlement national pour ce qui concerne le volet relatif aux recettes, c'est-à-dire la mise en oeuvre effective de l'ensemble de ce plan budgétaire. Telles sont nos procédures démocratiques !

Le plan de relance financera plus de 40% du plan de relance français, soutenant nos initiatives dans l'ensemble des domaines visés par ce plan – vous avez eu l'occasion de les discuter et de les voter lors de l'examen du projet loi de finances pour 2021 notamment. Au titre des actions prioritaires ainsi financées, je citerai nos initiatives en faveur des jeunes, de la formation, de nos entreprises, de la transition écologique, de la rénovation énergétique des bâtiments, et j'en passe.

Pour le dire autrement, ce vote est essentiel au déroulement complet et rapide du plan de relance français dont nous avons grand besoin.

Au niveau européen, il permet de coordonner l'accélération des transitions verte et numérique. En la matière, nous avons inscrit des objectifs communs dans le plan de relance de l'Union européenne : au moins 37% de dépenses en faveur de la transition écologique ; au moins 20% en faveur de la transition numérique, en complément du budget ordinaire de l'Union.

En outre – c'est la troisième avancée que je souhaite évoquer –, cette décision du Conseil engage la rénovation profonde, pour la première fois depuis les années 1970, du système des ressources propres de l'Union européenne, avec la création, à vrai dire symbolique à ce stade – il s'agit d'un simple ajustement de notre système de ressources propres –, d'une forme de bonus-malus sur le recyclage du plastique, mais aussi, plus profondément et de manière beaucoup plus importante, avec la définition d'une feuille de route et d'un calendrier précis de mise en place progressive de véritables ressources propres nouvelles, agréés à vingt-sept et partagés avec le Parlement européen ; ce dernier en a fait, d'ailleurs, une condition de son approbation du budget et du plan de relance.

Ces nouvelles ressources propres permettront, par leur logique même, d'affirmer la solidarité européenne en mettant fin aux logiques de juste retour et aux calculs de soldes nets, sans doute nécessaires, mais à vrai dire stériles, car donnant une image très incomplète des bénéfices que nous retirons de l'Union européenne.

Elles permettront également de renforcer ladite solidarité en donnant à l'Union européenne des outils nouveaux au service de ses politiques publiques prioritaires, et surtout de financer cette relance européenne, de telle sorte que le remboursement du plan ne pèse pas sur les citoyens ou sur les entreprises de l'Union européenne.

Ainsi, très concrètement, de nouvelles ressources propres feront l'objet d'une proposition législative de la Commission européenne – tel est l'engagement pris – dès le premier semestre 2021, concernant deux volets précis : la taxation des services numériques et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui vise à ce que nos engagements climatiques ne se heurtent pas à l'application d'exigences moins fortes à l'égard de ceux qui exportent vers notre continent.

La mise en oeuvre de ces deux ressources est prévue au plus tard d'ici au début de 2023 – cela fait partie de l'accord trouvé entre le Parlement européen et le Conseil à la fin de l'année 2020. Nous devons désormais accélérer dans la conduite de ce combat, que la France défend activement et qui sera une priorité de l'agenda de la présidence française de l'Union européenne, laquelle commence dans moins d'un an, puisqu'elle aura lieu au premier semestre 2022.

Toutes ces avancées sur le plan budgétaire s'accompagnent par ailleurs d'un renforcement, là encore inédit, de la garantie de nos valeurs, grâce à un règlement spécifique prévoyant un mécanisme de conditionnalité lié au respect de l'État de droit.

Vous le savez, ce nouvel instrument a été fortement débattu ; il a été un temps refusé par deux États membres, avant que nous ne trouvions un accord à l'occasion du Conseil européen des 10 et 11 décembre derniers. Cet accord préserve intégralement l'outil législatif qui avait été voté, donc ce mécanisme nouveau, cela sans ralentir la mise en oeuvre de la relance au niveau européen – telles étaient nos deux conditions.

Parce que l'Europe n'est pas qu'un grand marché, parce qu'elle est un projet politique de souveraineté et de valeurs, ces dernières doivent aussi faire l'objet d'une exigence renforcée.

À ce stade, mesdames, messieurs les sénateurs, quatre de nos partenaires européens seulement ont approuvé la décision sur les ressources propres qui vous est présentée aujourd'hui : l'Italie, la Croatie, la Slovénie et Chypre.

Je note néanmoins que la précédente décision relative aux ressources propres avait donné lieu, à l'occasion du précédent cadre financier pluriannuel, à une approbation étalée sur deux ans ; cette fois, les engagements pris par nos partenaires indiquent que, compte tenu de l'importance et de l'urgence de la relance, nous pourrons sans doute procéder à cette approbation d'ici au mois de mai au plus tard, ce qui constitue, en la matière, un record.

Si votre assemblée adopte ce texte et autorise l'approbation de cette décision par le Gouvernement, nous serons l'un des premiers États membres à avoir achevé le processus consistant à approuver cette dette commune et ce plan de relance.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que cette décision est d'apparence technique, mais son article unique cache des enjeux multiples et essentiels, et je suis convaincu que ce texte est primordial.

Par votre vote, vous montrerez, je l'espère, votre soutien à une Union européenne qui a su surmonter ses tabous, parfois ses lenteurs, parfois ses défauts, en réponse à une crise sanitaire et économique dans laquelle nous ne pouvons agir et réussir qu'ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot et M. Didier Marie applaudissent également.)

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite, sans que mon intervention soit trop longue, revenir sur quelques points évoqués de façon récurrente dans les différentes interventions.

Plusieurs questions ont été soulevées. Sans rouvrir le débat sur les qualificatifs, le fait est que nous n'avons jamais discuté d'un « plan de relance » tout court à l'échelon européen, a fortiori d'un plan de cette ampleur et d'une dette commune, dont vous avez rappelé les avantages qu'elle présentait et les interrogations qu'elle suscitait. Je vais m'efforcer d'apporter quelques réponses, autant que faire se peut, sur ces différents points.

A-t-on défendu les intérêts de la France jusqu'au bout de la nuit ? Je le pense sincèrement. Je ne suis sans doute pas parfaitement objectif dans la mesure où j'ai participé à ces longues nuits blanches, mais je peux vous assurer que, de par la longueur des négociations et de par le capital politique investi – si je puis le dire ainsi – par le Président de la République dans ces négociations, les intérêts de la France, y compris ses intérêts budgétaires, ont été pris en compte à chaque instant.

Les chiffres valant mieux qu'un long discours, je donnerai quelques éléments d'information et de relativisation sur un certain nombre de points.

Vous l'avez compris, je ne suis pas un fanatique de la logique du juste retour, car je pense qu'elle donne une image très parcellaire et imparfaite du bénéfice de notre appartenance à l'Union européenne. Pour autant, nous sommes le sixième contributeur net rapporté à notre PIB.

Non, les rabais ne sont pas un bon système – j'y reviendrai dans un instant – et oui, nous aurions préféré les supprimer – ce combat est encore devant nous –, mais il est faux de dire que nous sommes les victimes budgétaires de nos amis frugaux et que si l'on prend ce seul critère, aussi imparfait soit-il, ceux-ci s'en sortent mieux que nous.

Ces pays bénéficient de rabais aussi parce que leur situation budgétaire, leur contribution nette au budget de l'Union européenne est très élevée – je ne justifie en rien le système, mais c'est un fait –, et même plus élevée que la nôtre. Si l'on doit faire des comparaisons, il faut être tout à fait exact. C'est vrai pour les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l'Autriche et l'Allemagne : en proportion de leur PIB, ils sont des contributeurs nets plus importants que nous.

Sans justifier, encore une fois, le système des rabais, je note tout de même, afin que nous soyons le plus précis possible, que le coût global des rabais sur l'exercice budgétaire qui a commencé début 2021 est moins élevé pour la France que ce qu'il était auparavant, en raison notamment du départ du Royaume-Uni – le pays qui avait introduit le ver dans le fruit, c'est-à-dire le système des rabais – de l'Union européenne. De ce point de vue, nous bénéficions de ce départ.

La question du coût de l'emprunt a été évoquée dans plusieurs interventions. Sur ce point, les choses sont encore assez incertaines, car elles sont devant nous. Les émissions de dettes européennes liées au plan de relance n'ont pas commencé, mais nous avons quelques éléments de référence, comme l'a dit M. Joly.

Le mécanisme SURE de financement des assurances chômage de certains États membres, auquel la France n'a pas aujourd'hui recours, met au jour, cette semaine encore, des taux d'émission à maturité égale qui sont équivalents entre l'Union européenne et la signature française, et même meilleurs à un certain niveau de maturité, au-delà de dix ans. Cela montre que le produit financier représenté par l'émission de dettes de l'Union européenne est considéré comme extrêmement sûr – c'est, je crois, un geste de confiance dans l'avenir – et qu'il bénéficie dès aujourd'hui de conditions de financement extrêmement favorables, comparables aux nôtres et même meilleures dans certains cas. Il s'agit là non pas de l'argument central pour recourir au plan de relance, mais tout au moins d'un élément d'éclairage de la discussion budgétaire qui nous occupe légitimement ce matin.

Tout comme vous, je l'ai dit, je déplore que les rabais n'aient pas été supprimés. Nous avons mené différents combats ; celui qui portait sur le plan de relance et sur la dette commune était nécessaire, compte tenu de la situation.

Il s'agit, je le maintiens, d'une avancée extrêmement positive, liée certes à la crise, mais qui constituera aussi un outil de réponse lors d'éventuelles crises ultérieures. Nous avons vu que l'Europe avait été frappée, plus souvent qu'on ne l'aurait imaginé, par des crises économiques régulières depuis maintenant une douzaine d'années. Avoir cet outil entre nos mains est donc indispensable, car nous avons besoin, comme le dit M. Le Gleut à juste titre, d'une réponse solidaire.

Permettez-moi de m'éloigner quelques instants de la question du juste retour. Pour évaluer notre appartenance à l'Union européenne de manière plus large que sur ce seul critère, nous devons considérer aussi le bénéfice que nous apporte l'appartenance à la zone euro et au marché unique, ne serait-ce – pour élargir le débat – que d'un point de vue financier.

Je crois avoir dit devant votre assemblée que nous financions notre dette à des conditions beaucoup plus favorables qu'avant l'euro. Si nous devions la financer aux mêmes conditions de taux d'intérêt que dans la période précédant immédiatement l'entrée dans la monnaie unique, nous paierions 37 milliards d'euros supplémentaires de charges d'intérêts annuels. J'insiste sur ce chiffre, car il est révélateur de ce que représente, au-delà d'un calcul budgétaire direct, l'appartenance à notre espace commun.

Ce que je viens de dire est vrai aussi pour la relance. Si nous n'aidons pas, via cette dette commune, l'Italie, l'Espagne ou d'autres pays qui bénéficient de conditions de financement nettement moins favorables, à se relever avec nous, alors nous pénalisons notre économie, notre pays et le projet européen dans la durée. Voilà ce que nous ont permis d'obtenir le plan de relance et la dette commune.

La question des rabais, c'est le combat suivant, même s'il n'est pas nouveau. On a évoqué les négociations jusqu'au bout de la nuit ; j'ajoute que ce système des rabais a été accepté, au-delà du Royaume-Uni, il y a plus de vingt ans par le gouvernement de Lionel Jospin et par le président Jacques Chirac, qui ont défendu bec et ongles les intérêts français, mais qui ont dû admettre, à un moment donné, que ce système était une nécessité.

Nous avons constaté que, pour obtenir et maintenir ce plan de relance et disposer d'un budget qui finance nos priorités politiques, nous devions vivre quelques années supplémentaires avec le système des rabais, même si nous avons essayé de le limiter le plus possible.

Lorsque viendra le moment du remboursement effectif du plan de relance, la solution des ressources propres ne s'imposera pas toute seule. Je suis convaincu qu'elle s'imposera d'abord parce que nous avons franchi une première étape : l'accord de principe unanime des vingt-sept États membres intervenu l'été dernier. Cet accord a été renforcé par la négociation avec le Parlement européen, au sein duquel toutes les familles politiques représentées également dans cet hémicycle soutiennent le principe des ressources propres et se sont exprimées à ce sujet, ce qui comptera dans le combat politique qu'il nous reste à mener.

Les ressources propres, agréées politiquement, seront la solution pour rembourser ce plan de relance. Pour fixer les choses, sachez qu'il nous faudra collectivement rembourser environ 17 milliards d'euros par an à partir de 2028.

Si l'on retient les deux ressources qui me paraissent les plus « mûres » et qui doivent figurer en premier sur la feuille de route agréée par le Conseil et le Parlement européens – le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et la taxe sur les services numériques –, elles couvriraient la quasi-totalité, et même un peu plus dans les hypothèses les plus favorables, du montant annuel du remboursement du plan de relance.

Les ressources propres constituent donc clairement la réponse. Et pour tout vous dire, je pense que nos amis bénéficiaires de rabais l'ont bien compris. Ils savent que le système des rabais est remis en cause et que nous le remettrons en question encore davantage la prochaine fois, lors d'un véritable débat sur ce sujet.

Ils savent aussi que les ressources propres seront la réponse à l'augmentation, qu'ils ne veulent pas voir, de leur contribution financière à l'avenir. En effet, les rabais ne pourront pas augmenter à l'infini, et nous voulons même les supprimer.

On le voit d'ores et déjà dans le débat parlementaire aux Pays-Bas et en Suède – tel n'était pas le cas il y a encore quelques années, pour des raisons de principe –, les ressources que j'ai évoquées, notamment le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, bénéficient d'un soutien politique de plus en plus important, car ces États membres savent que c'est la seule voie pour avancer ensemble.

J'ai tout à fait conscience qu'il n'y a pas, ainsi que plusieurs d'entre vous l'ont dit, de baguette magique ou d'argent magique. Il faudra rembourser. Mais il y a des impôts justes !

Je n'entrerai pas dans le débat sur le fédéralisme évoqué par M. Allizard et d'autres sénateurs, non par frilosité, mais parce que j'avoue ne l'avoir jamais bien saisi. Je ne pense pas que ce soit le sujet ici.

Avec les deux ressources propres que j'évoquais, ou d'autres, comme la taxe sur les transactions financières – c'est vrai aussi, par construction, pour la taxe sur les services numériques et pour le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières –, il ne s'agit pas de faire payer les contribuables européens pour financer je ne sais quelle fédération européenne. Il s'agit de faire payer des gens qui bénéficient de notre marché unique, mais qui ne sont pas européens et qui ne contribuent en rien à notre action commune, autrement dit, de mettre fin à un mauvais deal, pour reprendre les termes du Brexit.

Faire payer des entreprises, très largement étrangères, qui sont sur notre marché unique numérique, des entreprises qui exportent vers l'Union européenne sans respecter nos standards environnementaux et climatiques : voilà qui participe du débat non pas sur le fédéralisme, mais sur une Europe souveraine et indépendante, qui défend tout simplement ses intérêts. Voilà de quoi l'on parle en évoquant les ressources propres.

Pour les raisons que j'indiquais et du fait de la nature de ces ressources, je suis optimiste – je vous le confie – sur leur création et leur mise en oeuvre.

Prenons l'exemple de la taxe sur les services numériques : huit pays européens l'ont déjà mise en place à l'échelon national. Avant que les travaux ne se poursuivent au sein de l'OCDE, vingt-quatre pays européens, vingt-cinq avec le Danemark, étaient favorables à cette taxe. Il faudra obtenir l'unanimité des États membres sur cette question, mais je pense que, dans l'année, nous serons fixés sur l'aboutissement ou non des travaux de l'OCDE visant à mettre en place une réponse européenne.

Un autre point a été évoqué, du côté gauche de l'hémicycle : les réformes et les conditionnalités qui pourraient être exigées en contrepartie du plan de relance européen. Je serai précis sur ce sujet.

Chaque pays – la France, comme tous les États membres – va soumettre un plan national de relance – nous sommes en train de le finaliser – à ses partenaires européens en vue de discuter collectivement d'une stratégie de relance. Celle-ci repose sur l'investissement et les financements européens obtenus pour nos plans de relance, mais aussi sur des réformes que nous devrons préciser. Nous faisons d'ailleurs une telle présentation chaque année à nos partenaires européens. C'est ce que l'on a appelé un temps la coordination économique ou la gouvernance économique européenne, que la France a si longtemps appelée – toutes sensibilités politiques confondues – de ses voeux. Il s'agit ici d'une étape supplémentaire en ce sens ; saisissons cette occasion.

Deux points sont très importants.

D'une part, et nous en avons longuement débattu, aucun pays n'a de droit de veto sur le plan de relance d'un autre. Pour être très concret, je prendrai un exemple qui n'est pas tout à fait théorique : les Pays-Bas ne pourraient pas empêcher le financement par l'Union européenne du plan de relance italien. Une décision collective sera prise sur chaque plan de relance, à la majorité qualifiée, selon la procédure normale à l'échelon européen. Je pense que ce débat collectif est sain.

Chaque plan de relance national devra prévoir des réformes ; ce n'est pas une spécificité pour la France… Il y a non pas une réforme prescrite par Bruxelles, mais une stratégie de relance que nous devons exposer et dont nous devons discuter avec nos partenaires européens. Ce sera la dernière étape avant le décaissement des fonds, que nous attendons, je le rappelle, pour le mois de mai ou de juin de cette année.

Le ministre des finances a eu l'occasion de dire que nous devions accélérer les procédures européennes pour que le plan de relance européen soit mis en oeuvre et puisse financer rapidement, de manière sonnante et trébuchante, notre propre plan de relance. Avec Bruno Le Maire, nous nous battons à cette fin. J'espère, si le vote de cette assemblée le permet, que nous franchirons à cet égard une étape importante.

J'ai pris bonne note du large soutien apporté à ce texte, mais aussi du soutien vigilant et responsable exprimé par différents groupes qui ont insisté sur les combats restant à mener. J'y vois un encouragement à continuer le travail sur les ressources propres et, pour ce qui me concerne, à vous en rendre compte le plus régulièrement possible. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.


Source http://www.senat.fr, le 16 février 2021