Texte intégral
Des panneaux solaires à Kiffa en Mauritanie pour produire l'électricité durable dont la ville a besoin ; des prêts sur l'honneur pour aider les jeunes entrepreneurs de N'Djamena au Tchad à lancer un commerce ou un atelier au coeur de leur communauté ; des équipes de santé qui vont à la rencontre des habitants de la région de Gao au Mali pour soigner les nouveau-nés et rendre aux femmes leur liberté de choix grâce à la planification familiale ; un campus universitaire franco-sénégalais pour préparer une nouvelle génération africaine aux métiers de demain, ceux de l'ingénierie écologique, des énergies renouvelables ou encore du big data et de l'intelligence artificielle - si elles sont loin d'épuiser la richesse et la diversité des projets que la France a soutenus et accompagnés l'année dernière, ces quelques illustrations permettent de saisir, à partir du concret, du terrain, là où se joue l'essentiel, quelques-uns des enjeux de notre politique de développement solidaire.
Ces exemples rappellent avant tout qu'un geste de solidarité, même très simple, peut changer le cours d'une vie, ouvrir de nouveaux horizons, rendre l'espoir. Cela ne suffit pas à fonder nos choix de politique étrangère, nous en sommes bien conscients, mais je sais que nous sommes nombreux dans et hors de cet hémicycle à nous réjouir, en notre for intérieur, de ces résultats très concrets qui constituent de véritables progrès. Ce sentiment n'est pas étranger à ce qu'est notre République, à son histoire et à ses valeurs.
Ce que montrent également ses projets, contre bien des idées reçues, c'est que les réponses aux grands défis environnementaux, sociaux et technologiques du XXIe siècle se jouent aussi au Sud. Nous continuons à utiliser l'expression "aide publique au développement", qui reste une formule de référence dans la nomenclature internationale, mais, à y regarder de plus près, il serait plus juste de parler désormais d'entraide et même d'entraide au développement durable.
D'une part, le développement durable n'a vraiment de valeur que s'il est global. C'est d'ailleurs l'esprit de l'agenda 2030, fixé en 2015 par les Nations unies et qui est notre boussole en la matière. D'autre part, cet objectif n'est atteignable que collectivement, c'est-à-dire par l'action multilatérale et par le soutien financier ou technique que nous apportons aux pays les moins avancés et aux pays émergents.
Dans un monde comme le nôtre, en état d'urgence écologique, sociale et désormais pandémique, la solidarité est un impératif d'efficacité en même temps qu'une exigence d'humanité et de justice. Enracinée dans nos valeurs, elle est aussi dictée par nos intérêts bien compris.
Ce constat, Mesdames et Messieurs les députés, est la clef du projet de loi de programmation sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales que j'ai l'honneur de vous présenter ce soir.
La Covid-19 est venue confirmer, une à une, chacune des intuitions qui, depuis plus de trois ans, nous ont guidés dans l'élaboration de ce texte, lequel est donc à la fois le fruit d'une longue réflexion collective conduite avec l'ensemble de la communauté française du développement, et le résultat de l'actualité.
Chacune de ces intuitions a été confirmée plus que nous n'aurions pu l'imaginer.
L'intuition que les désordres internationaux peuvent venir bouleverser notre quotidien - nos concitoyens ne le savent désormais que trop.
L'intuition que la santé des uns dépend de la santé de tous tant les liens qui unissent les continents et les nations sont étroits.
L'intuition que l'humanité ne saurait vivre en bonne santé sur une planète malade et que les menaces qui pèsent sur nous sont d'autant plus redoutables qu'elles sont intriquées.
L'intuition que le chacun pour soi est une impasse pour nous tous - cette orientation guide notre combat visant à faire du vaccin un nouveau bien public mondial dans le cadre de l'initiative ACT-A - Access to covid-19 tools accelerator - et de la facilité financière appelée COVAX - collaborer pour un accès mondial et équitable aux vaccins contre le virus de la covid-19.
Le sens du nouvel élan que je propose que nous donnions ensemble à notre politique de développement est donc très clair : tirer toutes les leçons de ces mois d'épreuve ; agir pour protéger les Françaises et les Français des crises qui ne peuvent nous frapper à l'avenir ; commencer pour cela à rebâtir notre commun, non seulement avec les Européens, nos grands alliés et des puissances de bonne volonté qui nous ont rejoints dans l'Alliance pour le multilatéralisme, mais aussi avec nos partenaires les plus vulnérables car nous avons besoin d'eux - pour renforcer tous les maillons des chaînes qui nous protègent - autant qu'ils ont besoin de nous.
Cette loi est donc notre réponse en profondeur et dans la durée à la crise pandémique et à tout ce qu'elle a révélé. J'espère que vous la verrez ainsi, dans ce qu'elle a d'urgent et de nécessaire au regard des défis du temps long. J'espère que vous n'aurez pas la tentation de la résumer à un simple chiffre : ce 0,55 % de la richesse nationale que le Président de la République s'est engagé à consacrer à notre aide publique au développement - APD - d'ici à 2022, même si, soyons clairs, je me suis battu pour qu'il figure dans le texte.
Comme vous l'aurez remarqué, ce texte est bel et bien une loi de programmation, à la différence de la loi relative à la politique de développement et de solidarité internationale de 2014. S'il avait été question que nous fassions finalement moins que prévu pour le développement en raison de la crise, j'aurais lutté contre cette idée.
Certains pays ont fait ce choix, mais ce n'est pas le cas de la France. La détermination du Président de la République, qui n'a jamais vacillé en la matière, est parfaitement cohérente avec les combats qu'il a menés sur la scène internationale depuis 2017 : le combat pour l'action collective et le multilatéralisme, le combat contre les inégalités mondiales, que nous avons pris comme fil rouge de la présidence française du G7 en 2019, et le combat pour la préservation de nos biens communs.
Je me suis aussi battu pour que le présent texte signifie davantage qu'un seul chiffre, car un chiffre ne fait pas une politique. Or nous avons besoin d'une vraie politique de développement solidaire pour préparer l'avenir. Comme je l'ai déjà dit hier dans cet hémicycle, nous avons besoin d'une politique qui constitue un pilier à part entière de notre politique étrangère.
Il était tout à fait essentiel que l'engagement du Président de la République soit tenu et il le sera, mais, et je veux y insister, il ne s'agit pas seulement de faire plus, il s'agit aussi de faire mieux pour gagner en efficacité et obtenir toujours des résultats tangibles, concrets.
Pour faire mieux, nous devons d'abord clarifier nos priorités géographiques, afin de faire une vraie différence sur le terrain. Dans le sillage des décisions prises en 2018 par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID, nous proposons donc d'orienter notre aide en dons vers dix-neuf pays prioritaires qui concentrent les fragilités - Haïti et dix-huit pays d'Afrique subsaharienne.
En cet instant, je pense en particulier aux cinq pays du Sahel où nos efforts s'inscrivent dans le cadre d'une approche globale et intégrée, qui articule des engagements sécuritaires et un soutien aux populations, sur tout l'arc de la solidarité internationale qui va de l'humanitaire au développement, sans oublier l'étape cruciale de la stabilisation.
Au Sahel, les moyens sont en constante augmentation depuis quelques années : entre 2016 et 2019, notre aide publique au développement en faveur des pays du G5 Sahel est passée de 382 millions d'euros à plus de 500 millions d'euros ; sa part bilatérale s'élevait à 362 millions d'euros en 2019, en progression de 34 % par rapport à l'année précédente.
Comme j'aime le concret, je ne résiste pas à l'envie de vous citer quelques exemples d'utilisation de cette aide. En 2020, elle a permis de donner un accès à l'eau potable à plusieurs milliers de Nigériens, de réaliser quarante-trois ouvrages hydrauliques de la région de Ménaka au Mali, de maintenir 200 000 enfants nigériens à l'école primaire, de réhabiliter 1 800 classes au Mali. Ces résultats concrets font reculer durablement la menace terroriste au Sahel, dont je rappelle qu'elle est aussi une menace pour la sécurité des Français et des Européens.
Pour faire mieux, nous devons aussi clarifier nos priorités thématiques autour des biens publics mondiaux qui engagent notre vie à tous - la santé, le climat, la biodiversité -, autour de ces formidables leviers de développement que sont l'éducation et l'égalité entre les femmes et les hommes, et autour d'un objectif global de lutte contre les fragilités qui sont des facteurs d'instabilité pour les sociétés et donc pour l'ensemble de la planète.
Ces sujets étant intimement liés les uns aux autres, pour faire mieux, nous devons donc veiller à les traiter ensemble, afin de répondre à la complexité des problèmes qui se posent sur le terrain et décupler l'efficacité de nos actions. D'où l'attention que nous accordons aux questions nodales que sont la scolarisation des filles, les interactions entre la santé humaine et la santé animale, ou encore la formation et l'emploi des jeunes dans la transition agro-écologique.
Il faut faire plus et mieux, mais aussi faire avec nos partenaires du Sud et non pas seulement faire pour eux. On ne saurait en effet concevoir le développement aujourd'hui comme on le pratiquait hier, ne serait-ce que pour des raisons d'efficacité. Nous voulons travailler autrement avec les pays du Sud, en particulier avec leur société civile, afin de bâtir et de réaliser ensemble les projets dont les populations ont besoin.
Nous voulons aussi mieux valoriser le rôle des organisations non gouvernementales - ONG - françaises auxquelles nous proposons de reconnaître le droit d'initiative. Nous voulons encourager la coopération décentralisée qui permet à nos communes, départements et régions de partager leur expertise et leur expérience avec les collectivités locales des pays en développement. Nous voulons réinventer le volontariat de solidarité internationale, en ouvrant ce dispositif emblématique à la jeunesse du Sud, qui pourra venir prêter main-forte à nos associations, ici en France. Nous voulons mettre à contribution les diasporas africaines en France, qui sont des relais précieux entre notre pays et le continent africain.
Enfin, cette nouvelle politique de développement est ancrée dans une géopolitique du développement. Une solidarité internationale efficace, c'est une solidarité internationale lucide.
Alors que la compétition des puissances joue désormais partout, nous devons proposer une autre voie à nos partenaires du Sud. Certains, sous couvert de soutien, tentent de leur imposer de nouvelles formes de dépendance. Ce n'est pas notre conception de l'influence, ce n'est pas le modèle que nous avons à défendre. Notre modèle est celui de l'accompagnement dans le respect des souverainetés nationales, celui du progrès durable et non celui de la prédation. Il repose sur des valeurs universelles : le respect des droits humains, la promotion de la gouvernance démocratique, mais aussi la mise en commun de savoirs et de recherches scientifiques, et le dialogue des cultures.
Ce modèle humaniste et progressiste est aujourd'hui contesté et pas seulement en paroles. Ne nous voilons pas la face : le développement est devenu l'un des grands champs de manoeuvre où, que nous le voulions ou non, se livrent désormais les nouvelles batailles de l'influence.
Notre intérêt est d'en prendre acte, sans aucune ambiguïté. Pour moi, cette nouvelle conception du développement solidaire n'a de sens que si elle se concrétise sur le terrain. C'est la raison pour laquelle j'ai cité plusieurs exemples concrets dont j'ai été, pour une bonne partie d'entre eux, le témoin visuel. Nous proposons donc des évolutions significatives en amont et en aval.
En amont, nous voulons consolider le pilotage de notre politique de développement par l'Etat. Il s'agit de réaffirmer clairement la chaîne des responsabilités, du plus haut niveau - le Conseil présidentiel du développement, qui s'est réuni pour la première fois en décembre dernier - jusque dans nos pays partenaires où le rôle dévolu aux ambassadrices et aux ambassadeurs sera renforcé dans le cadre d'un comité local du développement qui rassemblera régulièrement, sous leur présidence, toutes celles et tous ceux qui contribueront à cette politique au quotidien, en lien direct avec nos partenaires, opérateurs et ONG nationales, internationales et locales. Et en même temps, nous souhaitons que nos opérateurs, en particulier Expertise France, intègrent le groupe Agence française de développement, AFD, en vue de réarmer notre pays sur le terrain de la coopération et de renforcer notre partenariat technique. Je voudrais également souligner, puisque la question m'a souvent été posée, que le temps est révolu où notre politique de développement pouvait sembler être pilotée uniquement par les instruments qu'elle utilise.
En aval, nous proposons la création d'une commission indépendante d'évaluation chargée de mesurer l'impact concret des projets que nous soutenons et de se prononcer sur l'efficacité de notre aide publique au développement. Puisque des moyens accrus vont être consacrés au développement, il est légitime que la représentation nationale et nos concitoyens sachent comment et avec quels résultats ces moyens sont utilisés. C'est une mesure de transparence que nous leur devons et à laquelle je suis très attaché.
Ce projet de loi vise aussi à faciliter l'installation des organisations internationales sur notre territoire, notamment en simplifiant et en accélérant l'octroi de ce que l'on appelle les privilèges et immunités, qui rendent notre pays attractif pour ces organisations. L'enjeu est de placer la France au centre du combat pour le développement et pour les biens publics mondiaux. Influence et attractivité doivent aller de pair.
Refonder notre politique de développement solidaire pour mieux protéger les Françaises et les Français dans un monde tissé d'interdépendances, émaillé de défis communs qui représentent autant de périls très concrets, mais aussi d'occasions concrètes de rapprocher les nations autour d'une certaine idée de l'humain et de sa dignité : voilà l'ambition de ce projet de loi que je suis très fier de vous soumettre aujourd'hui.
Il est rare que le Parlement participe aussi directement à l'élaboration et à la conduite de notre action internationale, et je tiens à saluer ceux d'entre vous qui nous accompagnent depuis le début de cette aventure, à commencer par Mme Bérengère Poletti, M. Rodrigue Kokouendo et bien sûr vous, Monsieur le Rapporteur, cher Hervé Berville. À mes yeux, ce projet de loi n'en a que plus de valeur pour nous tous.
Son adoption, dans une version enrichie par vos amendements, constituera un très beau signal. Un signal de lucidité et de responsabilité envoyé à nos concitoyens pour leur montrer que cette assemblée et le Gouvernement regardent le monde en face, sans naïveté mais sans fatalisme, et sont prêts à en tirer ensemble toutes les conséquences en misant sur la coopération et en se donnant les moyens de défendre les principes auxquels nous nous tenons et le modèle auquel nous croyons, dans un contexte de brutalisation de la vie internationale et de compétition à outrance. Un signal de soutien aux acteurs français de l'humanitaire et du développement, qui effectuent chaque jour un travail remarquable, parfois dans des conditions très difficiles. Je voudrais ici leur rendre hommage. Enfin, un signal de confiance envoyé à nos partenaires du Sud : ce texte est une manière de leur dire qu'ils peuvent compter sur notre engagement à leurs côtés comme nous comptons sur eux pour préparer notre avenir commun.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2021