Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie, avec "Eventiz Media Group" le 19 février 2021, sur le tourisme confronté à l'épidémie de Covid-19.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'Etat au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie

Texte intégral

Q - Alors, tout d'abord, le débat du passeport vaccinal vous semble "prématuré" - je vous cite -, vous plaidez plus pour le principe des tests PCR au format digital. Et donc, sous quel format ? Pensez-vous qu'il faille ajouter une fonctionnalité à l'application Tous anti-Covid, ou bien, comme vous incarnez la première destination mondiale, allez-vous porter un projet de technologie sanitaire au niveau européen ?

R - Tout d'abord, un grand merci de m'avoir invité à ce débat, à cet échange. C'est vrai que l'on est dans un secteur - le tourisme, les déplacements, le travel - qui a été très impacté. Et donc, c'est un grand bonheur de pouvoir revenir un peu sur, à la fois à ce que l'on est en train de surmonter et puis bien sûr, peut-être, le tourisme de demain, avec vous, avec vos rédactions. Sur le passeport vaccinal, on voit que c'est effectivement un grand débat - un grand débat en France, en Europe, dans le monde, d'ailleurs -, et il est normal qu'il y ait débat, parce que la notion de passeport vaccinal, elle pose des questions, et pas que des petites questions. Cela renvoie aussi à un sujet d'éthique. Est-ce que je peux conditionner la mobilité ou l'accès à certaines activités au fait d'avoir été vacciné ?

Alors, je dis que c'est prématuré, parce qu'aujourd'hui, en l'état actuel des connaissances scientifiques, on ne sait pas encore, par exemple, si le fait d'être vacciné a une conséquence en termes de non transmission du virus, de votre capacité à ne pas contaminer d'autres personnes. Ce que l'on sait seulement, c'est que le vaccin vous évite la forme la plus grave du Covid. Mais, vous le savez, il y a un pourcentage, quelques pour cent de personnes qui, bien qu'étant vaccinées, peuvent contracter néanmoins des formes du virus.

Donc, tout cela incite à la prudence. Et c'est pourquoi je pense, - et je ne suis pas le seul... j'en ai parlé avec Thierry Breton qui, au niveau de la Commission de l'Union européenne, s'occupe du tourisme - que la réponse pérenne pour pouvoir remettre de la visibilité dans la mobilité, c'est plutôt de pouvoir déployer de façon toujours plus fiable et plus importante des tests rapides, parce que c'est cela qui permet, juste avant un déplacement, de s'assurer que l'on est négatif, que l'on n'est pas porteur du virus, et donc pas en capacité de le transmettre.

Et de ce point de vue-là, les tests antigéniques, par exemple, ont une fiabilité qui est un peu inférieure à celle des tests PCR. Et c'est pourquoi, il y a aussi tout un stimulus pour que ces tests accroissent leurs performances, et puis après, qu'ils puissent être toujours plus disponibles. En tous les cas, c'est la voie que Thierry Breton m'a indiqué chercher, comme d'ailleurs, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, - parce que tout cela doit être travaillé, évoqué entre Européens, naturellement -, nous le ferons, le 1er mars. Nous avons eu une réunion des ministres du tourisme européens. Donc, naturellement, je mettrai le sujet à l'ordre du jour.

Je pense qu'il faudra toujours offrir une alternative. Il y a des gens qui ne seront pas vaccinés.

Q - On revient à la question initiale : quelles solutions digitales envisagez-vous pour ce test PCR digital ?

R - Je ne suis pas le technicien. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut regarder techniquement ce qui peut être fait. Je pense qu'il y a des acteurs privés qui déjà travaillent sur des solutions, des acteurs publics, vous l'avez dit, et avec "tous anti-Covid", ont développé leurs propres solutions. Après, la mobilité, cela renvoie aussi à l'Europe et à l'international. Donc, je pense que l'on a besoin d'avoir des outils qui soient les plus interconnectés ou les plus interopérables. Et donc, cela renvoie à ce travail européen...

Q - Donc, vous plaidez pour une solution européenne ?

R - Une solution qui puisse en tous les cas être effectivement interopérable. Et même - en réalité, les déplacements sont parfois sur du long courrier, etc. Donc je pense que c'est une réflexion à avoir en Européen, mais aussi un travail à conduire avec les collègues au sein de l'Organisation mondiale du tourisme.

Q - Le passeport sanitaire est prématuré, mais quand les vaccins seront disponibles et que la population pourra être vaccinée, il sera nécessaire. C'est donc Renaud Muselier, président des Régions de France, qui a prononcé cette phrase.

R - Cela pose une question encore une fois éthique importante : peut-on avoir, finalement, une France à deux vitesses avec des citoyens qui, pour certains, ont des droits et d'autres pas.

Q - Proche de nous...

R - Et donc, même lorsque l'on aura atteint 50, 60, 70% de vaccination, je pense qu'il est compliqué de conditionner l'accès à certaines activités à la vaccination. Et donc, la présidente de la Commission européenne, d'ailleurs, chez vos confrères des "Echos", il y a quelques jours, disait qu'il lui fallait, pour elle, qu'il y ait toujours une alternative, que des personnes qui ne soient pas vaccinées puissent avoir démontré qu'elles ne sont pas porteuses, qu'elles sont négatives, à travers ces fameux tests rapides. Je note d'ailleurs que le Conseil économique, social et environnemental a lancé une grande consultation, il y a deux jours, qui rencontre un succès phénoménal. Hier soir, il y avait déjà 23.000 contributions ; et donc, je pense que les Français sont en train de s'emparer de ce débat.

Q - Même quand l'ensemble de la population française sera vacciné, vous pensez qu'il ne faudra pas impérativement demander le vaccin et qu'il y ait une alternative, type tests PCR ou plus rapides ?

R - Oui, c'est mon sentiment parce que, encore une fois, cela pose des enjeux éthiques si considérables, qu'aller vers l'obligation ne me paraît pas, à ce stade, la voie. Le Président de la République, d'ailleurs, a dit que la vaccination était le résultat d'une démarche volontaire d'adhésion des uns et des autres. D'ailleurs, vous le savez, on a mis en place une procédure pour s'assurer du consentement, notamment des plus fragiles qui étaient vaccinés dans les EHPAD. Cette notion de consentement est importante et donc, tout ce qui découle a aussi des conséquences sur l'acceptation ou non de ce passeport vaccinal.

Q - Globalement, le vaccin ou test PCR digital...

R - Ou tests rapides, parce qu'il y a des tests rapides qui sont antigéniques ou qui sont salivaires, mais qui ne sont pas les tests PCR. Mais des tests rapides ayant une fiabilité encore accrue.

Q - Très bien. Donc, vaccin ou bien test fiable, on a le sentiment, en vous écoutant, que vous êtes finalement favorable au projet que portent les entreprises du voyage et les syndicats des entreprises de tour-operating, à savoir le certificat sanitaire digital.

R - En tous les cas, j'ai en commun avec les acteurs du voyage le fait de vouloir travailler à ce que le voyage puisse être sûr, qu'il puisse se dérouler dans les meilleures conditions sanitaires. Après, si vous voulez, je ne vais pas dire que je me rallie à telle ou telle formulation, ou tel ou tel mot, parce que des acteurs différents travaillent sur différentes solutions. Il ne m'appartient pas de donner un label étatique, entre guillemets, ou un blanc-seing, ce n'est pas ce qu'ils attendent de ma part. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut garder cette ambition, en tous les cas, de mettre de la sûreté sanitaire, parce qu'on le voit, il y a un besoin de réassurance de ce point de vue-là, de la part des clientèles.

Q - Bonjour, Monsieur le Ministre. Concernant l'entrée sur le territoire de voyageurs étrangers, pensez-vous globalement que les restrictions doivent être les mêmes entre les voyageurs de loisirs et les voyageurs d'affaires ?

R - On a traité sur le même pied, en fait, les voyageurs, quel que soit leur motif, et aujourd'hui effectivement les motifs impérieux, d'ailleurs, s'adressent à toutes les catégories. Il peut y avoir des exceptions très limitatives, mais c'est le même traitement qui est opéré.

Q - Parce qu'il y a tout de même une dimension économique que portent ces voyageurs d'affaires qui sont éventuellement des vecteurs de transfert de technologie, de savoir-faire, bien sûr, de signature de contrats, d'investissements, qui ont un impact...

R - Bien sûr, après, le virus ne dit pas : je vais me loger plus chez le voyageur de loisirs que chez les voyageurs d'affaires, ou vice versa. C'est pour cela que l'on prend des mesures de portée générale. Et quand je dis "on", ce n'est pas la France tout seule, ce sont beaucoup d'Etats européens. Hier, j'étais à la rencontre de nos compatriotes établis outre-Atlantique, aux Etats-Unis ; les Etats-Unis ont mis en place un "travel ban", une interdiction de voyager chez eux, depuis un an déjà, qui d'ailleurs est très pénalisante pour l'activité économique. J'ai le cas d'entreprises qui sont prestataires de grands constructeurs automobiles américains, qui ne sont pas capables d'envoyer leurs employés faire de la maintenance. Et ils doivent faire de la maintenance par visioconférence, en expliquant ce qu'il faut faire, avec d'ailleurs des enjeux de propriété intellectuelle ou de savoir-faire qui ne sont pas neutres. Donc, tout cela pour dire que cette pandémie, c'est un peu l'inattendu permanent. C'est, du coup, aussi, la nécessité de prendre des mesures fortes pour essayer de réduire sa propagation, de réduire la propagation de ces variants, ce qui explique qu'il n'y ait pas forcément de distinction à opérer entre les différents publics. Ce qui compte, c'est de freiner la mobilité pour freiner la circulation du virus.

Q - Bonjour, Monsieur le Ministre. Pour continuer dans la même idée : comment mieux contrôler les entrées des voyageurs sur le territoire français venant d'un pays à risque élevé, mais ayant effectué une correspondance dans un pays européen pour se rendre en France, et auxquels on ne demande pas de présentation de tests PCR. Y aura-t-il un déploiement systématique des tests PCR dans les gares, dans les aéroports ?

R - Je pense que dans le cas que vous citez, on évoque des petits effectifs, parce que de façon générale, je veux rendre hommage à la grande responsabilité des Français, qu'ils soient sur le territoire métropolitain, qu'ils soient outre-mer, qu'ils soient établis hors de France, je crois que, dans l'ensemble, tout le monde a fait les meilleurs efforts pour justement respecter la philosophie générale d'un certain nombre de contraintes. Ce qui est sûr, c'est que les contrôles, on les a déployés de façon très intensive, effectivement, c'est valable dans les aéroports. Pour vous donner quelques chiffres sur la première quinzaine du mois de février, on est à 1,2 million de contrôles opérés, la moitié d'entre eux aux aéroports, et ces contrôles ont donné lieu aussi à un certain nombre de mesures ; c'est-à-dire qu'il y a par exemple 5000 personnes qui n'ont pas été admises sur le territoire national soit par défaut de test, soit qu'elles n'avaient pas de motif impérieux, etc. 3000 personnes qui ont été empêchées de quitter le territoire national, également suite à ces contrôles. Et puis, également, 5000 verbalisations pour ne pas avoir le test PCR. Donc, ces contrôles se font, encore une fois, 1,2 million sur la première quinzaine de février, et d'ailleurs, lors des derniers échanges lors de la CIC, la Commission interministérielle de crise, vous le savez, qui est devenue un organe très important pour piloter justement cette crise, il a été demandé d'accroître encore cette dimension de contrôle.

Q - Est-ce que ce sera systématique ?

R - En tous les cas, comme je vous le dis, c'est plusieurs milliers de forces de sécurité, de la PAF, etc... qui sont mobilisées sur le terrain, et les chiffres sont là : lorsque l'on parle d'1,2 million de contrôles sur quinze jours, cela veut dire que compte tenu des flux qui ont nettement été réduits, c'est un dispositif significatif.

Q - Monsieur le Ministre, des compagnies aériennes ont refusé de rembourser des voyageurs en émettant des avoirs, enfreignant ainsi la réglementation européenne. Que faire ? Faut-il demander à la DGAC d'intervenir ? Par ailleurs, pensez-vous qu'une caisse de garantie aérienne à l'échelle européenne serait une bonne idée ?

R - Ce sujet des compagnies aériennes, on en a beaucoup entendu parler, surtout dans la première phase, la phase de mars, avril, mai, je dirais, de l'année dernière, parce qu'effectivement, bon nombre d'entre elles, ont fait de la trésorerie sur le dos du voyageur, il faut dire les choses. Et donc, à rebours du règlement de 2004 qui les concerne et qui prévoit que le remboursement est de droit ou, à défaut, un avoir peut être émis, mais s'il y a l'accord express du voyageur. Or, nous voyons bien que pour un certain nombre de voyageurs, leur accord express n'a pas été requis et qu'il leur a été dit qu'ils n'avaient pas le choix. Nous voyons bien que cela contrevenait à l'esprit et à la lettre du règlement de 2004. La DGAC n'est pas restée inerte. Elle a interpellé une quarantaine de compagnies à l'occasion de 95 saisines formelles, au fur et à mesure que les cas nous remontaient. Il est vrai que le règlement de 2004 a aussi été élaboré dans un contexte où jamais nous n'aurions pensé faire face à une situation comme celle que nous avons connue. Il faut dire qu'un choc comme celui-là, personne ne l'avait imaginé, personne ne l'avait anticipé, donc tout le monde s'est adapté du mieux possible. Il n'en reste pas moins que l'on doit en tirer des leçons. La leçon que j'en tire, c'est que, oui, il faut travailler à un mécanisme de garantie. Je pense qu'il faut le placer au niveau européen, de la même façon que la directive voyages à forfait a permis de mettre en place un certain nombre de garde-fous. Je pense que c'est un chantier qui est urgent, compte-tenu de la crise que nous avons connu.

Q - C'est un sujet que vous abordez avec Thierry Breton ?

R - C'est un sujet qui relève plus des transports, et donc c'est mon collègue Jean-Baptiste Djebbari qui est en charge. Mais ce qui est sûr, c'est que je ferai valoir le point de vue du consommateur, de ce point de vue-là, bien sûr.

Q - Vous êtes confiant ? Cela fait quand même des années que l'on en parle.

R - Ce sont des chantiers au long cours, il faut dire les choses. Maintenant, on voit que cette crise est un accélérateur. C'est un révélateur d'accélérateur. Donc je pense que cela fait partie des dossiers qui doivent désormais être accélérés.

Q - Concernant les compagnies aériennes qui restent récalcitrantes. Qui émet des avoirs ? Est-ce que la DGAC pourrait aller jusqu'à infliger des amendes ?

R - Le règlement de 2004 prévoit que les dispositifs nationaux peuvent aller vers des sanctions. Ce que je constate, c'est que depuis un an, les compagnies ont adapté néanmoins leur comportement et que l'on est revenu, quand même, à des choses beaucoup plus normales.

Q - À plusieurs reprises, lors de vos réponses précédentes, vous avez mis en avant l'Europe, considérant que c'était le bon niveau de décision pour répondre à un certain nombre de questions, de problèmes, qui sont posés par cette crise. Mais il se trouve que l'été dernier, l'Europe n'a pas été complètement au rendez-vous. L'ouverture des frontières s'est faite d'une façon assez désordonnée, pour ne pas dire chaotique. Donc, ma question est simple : comment peut-on faire en sorte que ce scénario ne se reproduise pas, à l'été 2021 ?

R - Je vous trouve un peu dur parce qu'en réalité, j'ai un souvenir très précis, très exact, de tout cela. Globalement, les trois-quarts ou les quatre-cinquièmes des Etats européens, se sont mis d'accord pour converger sur la date pivot à l'époque du 15 juin, afin de rétablir de la mobilité pour lever les freins aux frontières, etc. Donc, il y a quand même eu, je pense, un travail qui a permis de converger. Effectivement, il y a quelques Etats qui ont tiré, soit avant, soit après les autres. Mais quand 80% des Etats se mettent d'accord sur le 15 juin et que c'est respecté, je trouve que c'est plutôt dans le bon sens. Donc, j'ai envie de regarder le verre à 80% rempli.

Q - C'est-à-dire pas le verre de cet hiver ? Avec les stations de ski autrichiennes, allemandes, françaises qui n'étaient pas tout à fait sur la même ligne ?

R - On est rentrés dans cette dynamique d'échanges beaucoup plus forts au niveau européen sur ces sujets-là. Je rappelle que depuis 2017, jusqu'à la crise, nous n'avions pas eu de réunions de ministres du tourisme européens. Donc c'est avec la crise que l'on a pris l'habitude de travailler ensemble. Avant, nous étions plus dans une logique de compétition, il faut se dire les choses. Une logique aussi de destination, parce que pour les uns et les autres, le tourisme pèse dans nos économies, il y avait un rapport un peu différent. Là, je crois que cela a permis de créer plus d'automatismes, plus de concertation, et s'agissant des stations de ski, par exemple, il y a eu beaucoup de discussions européennes. La France n'est pas la seule à avoir interdit le fonctionnement des remontées mécaniques. Regardez l'Allemagne, et beaucoup de pays ont pris des décisions visant à restreindre l'accès aux stations à des clientèles très locales, ou très régionales. Et donc, nous l'avons vu, hormis la Suisse, qui n'est pas dans l'Union européenne, et l'Autriche, qui dans un premier temps a cherché à jouer sa carte, mais après, finalement, a quand même restreint à sa clientèle nationale, il n'y a pas eu d'ouverture aux clientèles européennes des remontées mécaniques. À chaque fois, c'était sur une base très localisée.

Q - Et donc, vous êtes optimiste pour cet été ? Pour l'ouverture des frontières, si ouverture des frontières il y a, vous êtes optimiste quant à la cohérence et la cohésion d'une action européenne ?

R - Je ne veux pas être béat. Ce travail de coordination est un combat de tous les jours, parce que naturellement, tous les gouvernements sont soumis à de fortes contraintes et peuvent avoir la tentation de prendre des décisions unilatérales. Maintenant, notre devoir, c'est à chaque fois d'essayer de forcer à ce travail européen. D'ailleurs, le 25 janvier, la Commission a édité de nouvelles lignes directrices sur les frontières. Donc, c'est pour vous dire que ce travail se fait, que les chefs d'Etat et de gouvernement qui se réuniront le 25 février, je pense, évoqueront aussi le sujet entre eux. Nous, les ministres du tourisme, en mars. Il y a néanmoins des discussions sur ces thèmes-là. Après, il peut y avoir des nuances, mais l'essentiel, c'est qu'on arrive à converger le plus nombreux possible. Mais je concède que ce n'est pas un travail évident.

Q - Je note que vous avez une analyse intéressante. Beaucoup d'observateurs considèrent que cette crise a révélé des insuffisances de l'Europe. Vous, vous dîtes qu'en tout cas, dans le domaine qui vous occupe, le tourisme, cela a renforcé une cohésion qui n'existait pas.

R - Oui, et d'ailleurs, on est arrivé à se dire que cela pouvait avoir du sens aussi de faire, le moment venu, pour la reprise, la relance, le rebond, des campagnes européennes de promotion sur les marchés lointains. C'est quelque chose que l'on n'avait pas forcément avant, parce que l'on avait cette logique, un peu, de compétition. Nous voyons bien que là, on est aussi en train de se dire que nous avons des complémentarités. C'est vrai que le Chinois qui vient visiter l'Europe, on sait ce que représente l'Europe, en termes géographiques, c'est petit à leur échelle, donc cela veut dire qu'il faut aussi que l'on sache s'adapter au point de vue du voyageur et bien l'inciter à visiter la France, mais peut-être à prolonger sur l'Italie, l'Espagne... et vice versa. Donc, je trouve que c'est une dynamique qui n'est pas inintéressante.

Q - Quand on parle d'Europe et qu'on l'envisage sous l'angle des frontières, l'autre gros dossier, c'est tout de même le Brexit. On voit que depuis quelques mois, alors que le Brexit n'est pas totalement et effectivement abouti, l'échange de marchandises ne se fait pas sans heurts. Comment envisagez-vous, dans les mois et dans les années à venir, la circulation des personnes ? Je pense en particulier aux voyageurs d'affaires, sachant l'importance des liens économiques qui existent entre l'Europe, l'Union Européenne, et la France en particulier, et le Royaume-Uni ?

R - Le Brexit change beaucoup de choses, c'est sûr, mais par exemple, pour les déplacements courts de moins de 90 jours, il y a toujours cette capacité à les faire sans paperasse supplémentaire. Donc cela, c'est très important...

Q - Jusqu'au mois d'octobre, je crois ?

R - Dès lors que l'on est sur du très court séjour, encore une fois, il y a cette capacité à aller et venir ; c'est vrai que la carte d'identité ne suffit plus, il faut un passeport, etc., mais globalement, cette mobilité demeure aisée. C'est plus compliqué pour les résidents de part et d'autre, où il faut faire des demandes de ce que l'on appelle le "pre-settled status". Là, par exemple, il y a aussi une nouvelle politique migratoire qui n'est pas forcément évidente pour ceux qui veulent s'installer Outre-Manche. Mais pour le voyage d'affaire qui se fait sur la journée, sur deux ou trois jours, il y aura toujours cette capacité à le faire de façon très facile. C'est vrai que la France est, avec l'Allemagne, je crois, la destination privilégiée pour le tourisme d'affaire britannique, donc on entend bien naturellement conserver ce lien fort avec ce marché. La géographie est là, et même s'il y a effectivement cette frontière désormais qui est revenue, qui fait que c'est un Etat tiers par rapport à l'Union européenne, la géographie commande aussi le fait de garder une intensité dans les liens humains, et l'on s'y engage fortement.

Q - Monsieur le Ministre, sur le sujet des aides : donc, aujourd'hui, les voyages sont interdits, sauf motif impérieux entre la France d'une part, les pays hors espace européen et les DOM-TOM d'autre part. De plus, les remontées mécaniques sont à l'arrêt. Au nom du " quoi qu'il en coûte ", quelles aides supplémentaires allez-vous accorder ? Je pense en particulier à deux types d'aides : tout d'abord, la prise en charge à 100% de l'activité partielle qui est prolongée jusqu'à la fin mars. Il avait été évoqué le fait que cette prise en charge à 100% puisse se poursuivre jusqu'au mois de juin, à condition que le chiffre d'affaires de l'entreprise soit en recul de 80% au minimum. Est-ce que vous allez tenir cette promesse que vous avez, je crois, tenue aux entreprises du voyage ? Le deuxième sujet, c'est celui des charges fixes ; beaucoup d'entreprises, à commencer par les agences de voyages, mais également les résidences de tourisme, souhaitent une prise en charge des frais fixes à hauteur de 70%. Allez-vous accéder à leur demande ?

R - Le soutien économique est indispensable. Il l'était, il le reste, les choses sont très claires : tant que certains secteurs économiques sont durablement entravés, on sera à leurs côtés. Ce n'est pas un slogan, ce n'est pas une clause de style. Ce n'est pas pour se faire plaisir que je dis cela. C'est une réalité. Si je me retourne sur l'année qui vient de s'écouler, nous en sommes aujourd'hui, puisque les compteurs tournent chaque mois, à vingt milliards d'euros d'aide et de soutien apportés, de façon très concrète. Si l'on regarde dans le détail, c'est 11,5 milliards d'euros de prêts garantis par l'Etat et l'Etat est garanti à hauteur de 90%. Donc cela veut dire que cela nous engage, s'il y a une défaillance. 90%, c'est nous qui l'assumons. 4,7 milliards, presque cinq milliards d'activité partielle qui ont été décaissés. Egalement 3,6 milliards, donc pas loin de quatre milliards, sur le fonds de solidarité. Surtout on a adapté ces dispositifs au fur et à mesure du temps pour réduire ce que le Premier ministre appelle souvent les trous dans la raquette. Maintenant, le fonds de solidarité, d'ailleurs il faut être un peu sorti de Polytechnique pour en comprendre tous les raffinements, mais c'est aussi la contrepartie du fait que l'on cherche à s'adapter au maximum de situations possibles entre les secteurs directement concernés, les secteurs S1, les secteurs qui sont connexes, mais pour lesquels le tourisme les entraînent, ces fameux secteurs S1 bis. Au fur et à mesure, on a amélioré la prise en charge. Initialement, souvenez-vous, le fonds de solidarité il y a un an, cela paraît de la Préhistoire, c'était 1500 euros par mois. Après, on est monté à 10.000 euros. Ensuite, on a mis en place des dispositifs ou, lorsque vous étiez très impacté, vous pouviez avoir jusqu'à 20% de votre chiffre d'affaire pris en charge jusqu'à 200.000 euros. Ensuite, on a mis en place le dispositif sur la prise en compte des charges fixes pour un certain nombre de publics. C'est le cas, par exemple, pour les résidences de tourisme, effectivement...

Q - Ils disent que la promesse n'est pas tenue ? Que les textes n'ont jamais été publiés.

R - J'ai vu le courrier de Monsieur Labrune qui travaille beaucoup avec Patrick. Mais vous savez que sur tous ces dispositifs-là, il y a toujours un gros travail qui se fait, à la fois avec Bruxelles, à la fois à l'interministériel, mais dès lors que l'on prend des engagements, on les tient. Parfois, il y a le sujet du tuilage, entre le moment où l'aide est annoncée et l'aide est effectivement décaissée, et c'est pour cela qu'il y a naturellement, d'une part le PGE, qui peut aider, mais d'autre part, on a aussi des mécanismes directs d'avances remboursables mis en place par l'Etat, qui permettent de faire la jointure en attendant le versement de l'aide. Sur les résidences de tourisme, nous souhaitons faire un travail très sur-mesure, parce qu'il y a quelques très gros acteurs qui, au regard des seuils, ne sont pas toujours forcément pris en compte. Et donc, il y a ce travail, individuellement, aussi, pour voir où est-ce qu'on peut travailler sur leur charge, sur les créances sociales et fiscales, etc. et donc, là, Bercy, naturellement, est à la manœuvre.

Q - Donc là, vous rassurez les résidences de tourisme, il y aura bien une prise en charge de 70% des coûts fixes ?

R - Oui. Après, il y a des histoires de seuil. Je vois que Bruxelles nous donne la capacité à pouvoir traiter éventuellement jusqu'à dix millions d'euros. C'est un sujet. Moi, je pense que ce serait une bonne idée d'aller jusque-là, puisque que pour l'instant, on est capé à trois millions d'euros. Donc, c'est un travail interministériel qui est en cours, mais je peux vous dire qu'on voit le poids et l'importance des résidences du tourisme dans l'économie de la montagne notamment. S'il n'y a pas ces hébergements, en réalité, c'est la vie des stations qui est compromise. Donc, je crois que tout sera mis en œuvre pour les aider à passer ce cap. Je veux les rassurer de ce point de vue-là.

Q - Très bien. Et pour les agences de voyages ?

R - Les agences de voyages, elles sont au cœur du secteur S1, donc éligibles à tous ces mécanismes que j'évoquais, de fonds de solidarité, d'activité partielle, etc. Je pense qu'il faut qu'on continue à travailler très étroitement avec les EDV, naturellement, avec Valérie Bonnet qui est d'ailleurs membre du bureau du Comité de filière tourisme, présidente d'une commission, et Jean-Pierre Mas. Et donc là, il y a peut-être aussi des sujets de curseur. Encore une fois, je n'écarte rien, parce que tout doit être étudié et tout ce que l'on peut faire pour réduire les trous dans la raquette, est bienvenu. Après, c'est vrai que ce sont des mécaniques de travail interministériel, parce qu'il y a ce besoin d'avoir le regard croisé : économie, travail, tourisme, etc. Mais il y a vraiment cette volonté, en tous les cas, qui est d'accompagner, du mieux possible.

Q - Il est possible que les agences de voyages bénéficient à leur retour d'une prise en charge, à hauteur de 70%, des frais fixes ? Est-ce une hypothèse sur laquelle vous travaillez ?

R - Alors, la prise en charge des frais fixes, c'est un dispositif qui tend à se développer de plus en plus ; et donc, dans les interministérielles les plus récentes, ce sont des demandes que nous portons. Donc, rendez-vous très prochainement.

Q - Et sur la prise en charge de l'activité partielle jusqu'au mois de juin, à 100% si l'activité baisse de 80%, est-ce que vous allez aller au bout de cette proposition ?

R - Sur l'activité partielle, Elisabeth Borne a annoncé, il y a quelques jours, la reconduction au mois de mars, et c'est vrai que nous l'avons toujours dit, pour les secteurs qui sont durablement entravés, on poursuivra, tant qu'il le faudra. Et donc, c'est vrai que, dans nos travaux, nous estimons que vraisemblablement jusqu'au mois de juin, il y aura besoin de cet accompagnement pour une bonne partie des acteurs du tourisme. Voilà. C'est la contrepartie de l'incertitude qui existe, pour le secteur, c'est de pouvoir donner une visibilité, et de dire que l'on accompagnera. Maintenant, on ne peut pas s'engager sur des dates trop lointaines, parce que l'on ne sait pas comment tout cela va évoluer. C'est, encore une fois, l'inattendu, donc l'incertitude. Mais l'idée, c'est de pouvoir les aider à rester debout, parce qu'un an plus tard, nous voyons que c'est effectivement très compliqué. Et donc, on fera les meilleurs efforts. Et c'est normal, parce que l'on veut préserver les talents, les emplois, les compétences. C'est grâce à eux que le tourisme, en France, performe.

Q - Mais on peut le comprendre, il reste encore beaucoup d'incertitudes. Mais c'est vrai que les entreprises de voyages ont aussi besoin d'un peu de visibilité et c'est pour cela qu'elles auraient aimé que le dispositif de prise en charge de l'activité partielle puisse se poursuivre, en émettant une condition, pour qu'il n'y ait pas trop d'effets d'aubaine, finalement.

R - Moi, je pense qu'il n'y a pas eu d'effet d'aubaine. Je pense que je n'emploierais pas ce terme parce qu'en réalité, ce sont des entreprises qui ont été encore plus impactées que d'autres, dans le tourisme, parce qu'il a fallu, d'ailleurs, qu'elles gardent une partie de leur personnel en activité, pour gérer les dossiers, d'autant plus qu'il y a des moments où la mobilité a repris, donc il a fallu du travail, sans pour autant facturer toujours, puisqu'un certain nombre de prestations avait été déjà commandé. Donc, dans les entreprises du voyage, on est très sensible à leur situation, et c'est pourquoi, d'ailleurs, sur le dispositif de prise en charge des coûts fixes, vous le savez, il existe pour les entreprises qui ont un chiffre d'affaires mensuel de un million d'euros ; donc, c'est important, et que leur idée est de regarder si l'on peut étendre à des chiffres d'affaires moins importants, en tous les cas, se regarde, parce que c'est ce qui permettra peut-être de les préserver au mieux ; donc le travail est en cours.

Q - Essayons un petit peu d'anticiper cette période où les contraintes sanitaires se desserreront un petit peu, le voyage va un petit peu repartir et avant tout voyage de de loisirs, on le sait par l'expérience des crises précédentes. Pour les entreprises, il y a, évidemment, cette obligation de protection de leurs employés qui fait que de laisser partir ses collaborateurs, c'est difficile, et pourtant, le voyage pour un certain nombre d'activités, est essentiel. Quelle garantie on va pouvoir donner à ces entreprises de pouvoir laisser partir leurs collaborateurs, tout simplement ?

R - Je pense que c'est justement tous les dispositifs que l'on mettra en place d'un point de vue de santé, ces fameux tests rapides, etc. parce que l'entreprise a dans ses missions de protéger également la santé de ses salariés. Nous voyons donc bien que la réassurance sanitaire, c'est aussi important pour les entreprises, pour pouvoir relancer la machine ; c'est vrai que la relance va se faire, je pense, en premier lieu par la clientèle de loisirs et dans un second temps, par la clientèle d'affaires, et nous voyons aussi qu'il va falloir voir de quelle manière les comportements ont évolué, parce que des habitudes se sont prises aussi. On le voit tous, à travers ces visio-conférences, à travers l'hybridation des évènements. Je pense qu'il y a un besoin de rencontres physiques qui demeure, là, parce qu'il y a plus de richesse dans un échange dans la vraie vie que par pixels interposés. Donc, je pense qu'à long terme ce besoin reste là. Néanmoins, effectivement, la reprise risque d'être peut-être plus progressive, de ce point de vue-là.

Q - Vous parliez d'évènements hybrides, oui, voilà, un type de déplacement professionnel qui est vraiment pratiquement à zéro, depuis un an, c'est tout ce qui est lié à l'évènement d'entreprise. Là, qu'est-ce qu'il faut pour que l'on autorise de nouveau des évènements à se tenir ? Est-ce que c'est le taux de vaccination de la population, ou est-ce que par la mise en place de protocoles très stricts, on peut quand même espérer...Je vous pose la question très simplement : j'ai un évènement de 500 personnes, au mois de septembre prochain, est-ce que je le maintiens ?

R - Ce que je souhaite faire, c'est de pouvoir conduire des expérimentations. Roselyne Bachelot a également cette démarche-là avec des acteurs de la culture. J'ai pu m'en entretenir, il y a quelques jours aussi, avec Didier Kling, le président de la Chambre de Commerce et d'industrie d'Île-de-France, qui, vous le savez, est présente au sein de Vis Paris, au sein de Comexposium. Et moi, je trouve qu'il serait intéressant, et j'ai d'ailleurs signalé cela au Premier ministre, lors de la réunion qu'il organise chaque semaine sur la COVID, sur l'intérêt qui s'attache à conduire trois expérimentations sur trois types d'événements : effectivement, sur un évènement interne d'entreprise, sur un congrès, sur un salon ; parce que ce sont des jauges différentes, parce que ce sont des modalités différentes, etc. Et donc, je travaille à ce que l'on puisse les réaliser. Il y a un travail aussi en cours dans cette CIC, la Commission interministérielle de crise, de ce point de vue-là. Et j'espère pouvoir, si le feu vert est donné, faire ces expérimentations au mois de mai pour, justement, préparer la reprise, de façon plus industrielle, à partir du mois de septembre, parce que les professionnels d'évènementiel me disent que ce qui compte, c'est de pouvoir se projeter sur septembre-décembre. Et donc, pour bien préparer septembre-décembre, il faut avoir ces retours d'expérimentation. Quand on dit expérimentations, c'est aussi faire cela, avec, d'ailleurs, le regard d'instances de santé, comme éventuellement l'AP-HP ou l'INSERM, pour avoir, après, cette analyse, sur ces évènements, comment ils se sont déroulés, avoir la traçabilité, est-ce que des cas se sont révélés, pas révélés etc. Donc, il s'agit de faire les choses très sérieusement pour après repartir sur des bases solides.

Q - Les recettes touristiques de la France ont reculé de 41% en 2020, ce sont les chiffres que vous avez donnés. Pour encourager les Français à partir en vacances, à choisir, finalement, des vacances bleu-blanc-rouge, pourriez-vous envisager un bonus vacances, comme d'ailleurs certaines régions ou départements l'ont fait, à savoir un bon d'achat accordé aux Français qui séjourneraient dans un territoire, dans certaines conditions ?

R - Alors, ce que vous évoquez, sous le nom de bonus de vacances, finalement, cela existe. Nous l'avons fait, l'été dernier, avec une opération spéciale de promotion et d'abondement des chèques-vacances avec les Régions de France. Et c'est vrai que cette opération a bien fonctionné. Ce sont quarante millions d'euros additionnels qui ont été mis en place sur cette action, de façon globale, en conjuguant les efforts des uns et des autres. Et par exemple, je parlais avec les responsables de la Nouvelle-Aquitaine qui me donnaient quelques chiffres très intéressants qui montraient que 87% des gens, parce qu'ils ont fait une étude, une enquête, 87% des gens qui ont utilisé ces chèques-vacances, été 2020, ne seraient pas partis s'il n'y avait pas eu ce dispositif. Et nous voyons qu'ils ont utilisé d'ailleurs ces chèques pour de l'hébergement, pour de la culture, aussi pour de la restauration, mais cela a été à 48% consommé pour l'hébergement. Donc, cela montre que cela a été une incitation à partir, souvent, d'ailleurs, à proximité. C'est vrai que les Français, moi, j'ai lancé cet appel à un tourisme bleu- blanc-rouge, un été bleu- blanc-rouge et je crois qu'il a été entendu ; et d'ailleurs, parfois, les gens ont fait le choix de se dépayser à 80, 100 ou 150 kilomètres de chez eux, pas trop loin, mais il fallait changer de rythme, souffler, s'oxygéner, après les moments très pénibles que nous avions connus, où l'on était confiné. Et donc, il y avait ce besoin de changer d'air. Je pense qu'il serait intéressant de pouvoir reconduire ce type d'opération également l'été prochain, en tous les cas, on y travaille et je ne peux pas vous en dire plus à ce stade, mais au vu des résultats de 2020, je trouve qu'un tel dispositif à de la pertinence en 2021. Vous évoquiez, dans votre question, également, les pertes de recettes. Les chiffres qui ont été donnés sont une première estimation réalisée par Atout France, et pour moi, ils constituent un minimum parce que je pense que les pertes de recettes, en réalité, seront supérieures à ce montant-là. Je vous prends un exemple, sur les pertes de recettes internationales, je pense que l'on sera, hélas, au-delà de la perte de 55% de recettes internationales qui est le chiffre, pour l'instant, effectivement estimatif, parce que la France est la première destination en matière d'attractivité internationale, et que toutes les clientèles lointaines qui sont celles qui consomment le plus, qui dépensent le plus, - on pense aux clientèles du Sud-Est asiatique, aux clientèles américaines -, n'étaient pas au rendez-vous. Et donc, on le voit, l'OMT a, à peu près, estimé que 80% du tourisme international n'avait pas été présent au rendez-vous en 2020. Et donc, la France, qui est la première destination, de ce point de vue-là, va être impactée, à mon avis, à hauteur des deux tiers. On était pour l'instant sur une idée de 50%, je pense que, hélas, les pertes de recettes vont se monter à deux tiers, au moins, quand les compteurs seront arrêtés de façon définitive et finalisés.

Q - D'accord. Deux tiers. Néanmoins, la France est restée en 2020 la première destination mondiale.

R - La France, du point de vue de l'attraction des touristes internationaux, a mieux résisté que ses voisins espagnol et italien, et nous savons que l'Espagne est notre challenger, avec 83 millions, avant la crise, de visiteurs internationaux. Et nous nous sommes mieux comportés parce que nous avons eu des clientèles européennes de proximité qui ont été très fidèles, d'une part, et que l'on a été aussi chercher. Moi, je me souviens de ce mois de juin, où j'ai sillonné l'Europe pour, avec Atout France aussi et leur campagne, convaincre les Belges, les Suisses, les Allemands, de venir. Nous avons eu, hélas, moins de Britanniques, mais je pense qu'il y avait plusieurs effets, notamment l'effet Brexit et l'incertitude pour eux d'un point de vue économique. Et cela nous a permis, quand même, - je ne dis pas que c'était formidable, mais - de limiter la casse par rapport à d'autres pays européens.

Q - Monsieur le Ministre, parlons maintenant de la transformation du secteur, pour finir : avec des visites virtuelles dans le monde de la culture, des parcours sans contact dans les aéroports, dans les hôtels, pensez-vous que le tourisme est actuellement en train de réaliser sa mue numérique ? Et comptez-vous mettre en place un accompagnement des professionnels pour favoriser cette transition ?

R - La mue numérique, je serais un peu prudent sur le terme, parce qu'en fait, le tourisme, de tout temps, a été un secteur qui était très en pointe, en matière numérique. On le voit, par rapport à tout ce qui est, finalement, l'organisation des déplacements, des voyages, on a en tête toutes les plateformes. Et donc, je pense que déjà, depuis le début des années 2000, beaucoup de choses ont été faites. Maintenant, ce qui est vrai, et vous avez raison, beaucoup d'acteurs traditionnels du tourisme, en revanche, eh bien, mais finalement, voient avec la crise, l'importance du digital dans leur stratégie de distribution, de commercialisation, d'information, etc. Et c'est pourquoi nous avons voulu d'ailleurs accompagner cette prise de conscience ou des acteurs plus traditionnels, en mettant en place, par exemple, un chèque numérique de 500 euros qui permet, justement, à l'entrepreneur individuel de, peut-être, avoir recours à un prestataire pour lancer des éléments numériques qui lui permettent d'être plus visible, peut-être, ou de changer un peu son approche. Donc, il y a cela, et puis, au sein du comité de filière tourisme, Laurent Queige, le patron du Welcome City Lab, préside une commission numérique, innovation, et je peux vous dire qu'il ne reste pas les deux pieds dans le même sabot. On a mis en place, par exemple, avec Atout France et Welcome City Lab, un appel à projets dédié à un certain nombre de startups. Et quand je les ai rencontrés, j'ai vu qu'il y avait là tout un écosystème, français, qui est très dynamique, très actif. Certains d'entre eux avaient également candidaté sur des appels à projets de l'OMT, l'organisation mondiale du tourisme, et tout cela fait chaud au coeur.

J'ai en tête Patrivia, par exemple, qui a lancé aussi l'idée d'un pass numérique. J'ai beaucoup parlé avec Patrivia, et ils avaient d'ailleurs très tôt lancé cet appel " cet été, je visite la France ", et c'est pour cela que j'ai voulu qu'on le transforme en un hashtag, assumé par l'Etat, par Atout France. Mais il y en a bien d'autres, bien d'autres sociétés qui aussi sont inscrites dans cette dynamique d'innovation, Solikend qui propose de réunir solidarité et hôtellerie.

Q - Pour les entreprises établies, est-ce qu'il y a des formations pour justement favoriser la collaboration entre start-ups et entreprises, en fait, du tourisme ? Est-ce que cela va être mis en place, favorisé ?

R - Oui, bien sûr, favorisé, oui. Après, ce n'est pas l'Etat qui va dire à untel ou untel, " rapprochez-vous ", mais cette dynamique est là grâce, encore une fois, à l'action de cette commission numérique du Comité de filière tourisme. Ce que je constate, par exemple, c'est que la CFET que préside Georges Rudas, également, qui s'occupe de formation, d'emplois, a lancé une plateforme pour essayer de rapprocher l'offre et la demande sur les saisonniers ; ils travaillent à une version encore plus performante. Donc, je crois qu'il y a eu vraiment, effectivement, un élan qui a été donné, à l'occasion de cette crise, pour que le numérique soit toujours mieux pris en compte.

Q - Monsieur le Ministre, au nom de toutes les rédactions d'Eventiz Media Group, nous vous remercions d'avoir accepté cette interview.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 février 2021