Texte intégral
Q - Vous avez été en Pologne, récemment, vous vouliez aller dans l'une des quatre-vingt communes considérées comme "sans idéologie LGBT" en Pologne. Cela n'a pas été possible, pourquoi ?
R - Je me suis effectivement rendu en Pologne et les autorités polonaises n'ont pas souhaité que j'aille dans une zone dite en effet "anti-LGBT" ou "anti-idéologie LGBT", pour reprendre les termes qu'ils utilisent. Je le regrette et ce qui s'est passé, c'est qu'ils ont dit que cela aurait comme conséquence qu'il n'y aurait pas d'entretien politique, au cours de cette visite. Moi, je suis un responsable politique, je suis très engagé sur cette question des droits, des droits LGBT, d'autres droits que l'on doit préserver en Europe, mais j'ai voulu, pour cette première visite comme ministre en Pologne, d'abord la maintenir, et puis avoir des contacts avec les autorités polonaises, pour passer aussi ces messages-là.
Q - Mais la Pologne, le gouvernement polonais, dit que ces zones "anti-idéologie LGBT" n'existent pas.
R - Je crois qu'il n'y a pas de doute sur le fait que ces résolutions existent, qu'un certain nombre de communes les promeuvent, et c'est parfois fait de manière assez subtile, parce que ce n'est pas toujours juridique ; ce sont des déclarations politiques, mais ce sont parfois des commerces qui affichent que les personnes homosexuelles, des personnes LGBT ne sont pas les bienvenues. Ce sont des centres villes dans lesquels on dit : ne vous embrassez pas en public, ne vous tenez pas la main. C'est cela, les chartes LGBT ou les résolutions LGBT qui sont adoptées. Donc, c'est pour cela que je dis que cela crée une tension, un climat, et cela existe, ces documents, ces votes existent, on peut le vérifier. Il y a en ligne, d'ailleurs, un recensement de ces communes également.
Q - Donc, iriez-vous jusqu'à dire que le gouvernement polonais ment ?
R - Moi je n'ai pas entendu - j'ai eu des contacts politiques justement en Pologne - mes homologues, mes contacts au gouvernement polonais dire : il n'y a pas de problème, il n'y a pas de zone anti-LGBT. Certains responsables politiques je crois tiennent ce langage. Mais il y a une réalité que l'on ne peut pas cacher. Et encore une fois, je suis précis et honnête, ce n'est pas toujours le gouvernement qui encourage ces zones, mais c'est parfois le même parti, ce sont les municipalités dans un pays où il ne faut pas nier le problème, mais le combattre.
Q - Est-ce que vous avez des retours, justement, de militants qui vous alertent, vous, en tant que ministre français, en disant : il faut que la France agisse ?
R - Mais oui, ils font état de menaces, de difficultés dans leur vie professionnelle, de difficultés dans leur vie de militant. Et c'est un climat difficile ; certains sont poursuivis par la justice. Il faut la laisser parfois faire son cours. Mais on sent bien, cela m'a beaucoup frappé dans ces échanges, une volonté, encore une fois, je ne parle pas du gouvernement, spécifiquement, mais d'intimidation qui est très grave et très préoccupante. Je voulais dire aussi en y allant, dire les choses sur place et dire en France, partout en Europe : cela existe, sans stigmatiser un pays, mais cela existe en Pologne, cela peut exister partout, tout le temps. Il ne faut jamais considérer que ces droits et ces libertés sont des acquis.
Q - Et l'Europe, dans ce combat pour l'universalité des droits, avez-vous l'impression qu'elle est à la hauteur ?
R - Pas encore assez. Mais je crois que les choses ont beaucoup changé. Le Parlement européen a voté, à une très large majorité, une résolution, symbolique, c'est vrai, mais qui déclare l'Union européenne comme une zone de liberté pour les droits LGBT. L'Europe s'est beaucoup mobilisée et unie pour ce combat sur les droits des femmes en Pologne. C'est un sujet dont on parle aujourd'hui ; on n'en parlait pas il y a un an. Je crois que l'on a contribué, dans les médias, dans le combat politique, dans le combat associatif, à mettre en lumière cela. Puis il faut aller au-delà des mots, il y a des actes qui ont commencé à être posés, qui sont par exemple le fait que les fonds européens désormais seront conditionnés au respect d'un certain nombre d'éléments de l'Etat de droit. Je crois qu'il faudra élargir les conditions, aller plus loin, mais l'Europe a commencé à bouger et a réalisé que quand on était dans l'Union européenne, partout, ce n'est pas une question d'est ou ouest, de nord ou sud, partout, le combat n'était pas acquis ; donc, il fallait beaucoup plus de force pour le défendre.
(...)
Q - Pensez-vous qu'il y a matière à espérer, en Pologne ?
R - Bien sûr, il y a matière à espérer en Pologne et ailleurs. Pour la Pologne, bien sûr, parce que ce que j'ai vu, c'est une très forte mobilisation. Une société ne se résume jamais, malheureusement, à quelques centaines, dizaines d'initiatives, aussi brutales et agressives soient-elles, c'est une réalité qu'il faut dire ; mais il y a une autre réalité, qui est des femmes courageuses, des minorités LGBT engagées et courageuses, des jeunes en particulier qui sont descendus dans la rue pour défendre ces droits, et ils le font au nom de l'Europe, souvent avec des drapeaux européens, parce qu'ils disent "nous sommes européens, nous croyons en ces droits", la Pologne est européenne, et elle a une longue tradition de liberté, j'en suis sûr, qui reviendra encore plus fortement.
Q - C'est un pays coupé en deux ?
R - Oui, mais je crois qu'il faut aussi avoir le sens de ce qui arrive partout en Europe. Nos sociétés sont assez fracturées, et le combat pour les droits, souvent, oppose, dans nos pays, et on l'a vu aussi dans d'autres grandes démocraties, aux Etats-Unis, deux camps, deux sensibilités, qui se battent, et il faut tenir bon, parce que le recul peut arriver partout, mais le recul n'est une fatalité nulle part.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2021