Interview de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation à Europe 1 le 10 mars 2021, sur le gel des frais d'inscription à l'université et des loyers en résidence Crous, la nouvelle jauge pour le retour en présentiel des étudiants et les accusations d'islamophobie à l'IEP de Grenoble.

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Intervenant(s) : 
  • Frédérique Vidal - Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bienvenue à vous et bonjour Frédérique VIDAL.

FREDERIQUE VIDAL
Bonjour.

SONIA MABROUK
Je voudrais que l'on démarre cet entretien par la situation des étudiants, fragilisés, isolés pour beaucoup par la crise sanitaire qui dure. Comment les soutenir davantage ?

FREDERIQUE VIDAL
Alors, moi tout d'abord, vraiment, ce que je voudrais dire, c'est souligner le courage des étudiants. Je suis sur le terrain entre deux et trois fois par semaine depuis le mois de novembre, avant ça et à l'issue du premier confinement, j'avais entamé un tour de France des régions, pour aller aussi à leur rencontre. Je vois des jeunes qui ne lâchent rien, qui restent impliqués dans leurs études, qui pour certains ont fait de cette période très compliquée, eh bien finalement une source d'engagement qui aide les autres, et voilà, je voulais d'abord leur rendre hommage pour ça. Ensuite, oui, on a des étudiants qui sont fragiles, fragiles psychologiquement, fragiles socialement…

SONIA MABROUK
Financièrement.

FREDERIQUE VIDAL
Financièrement, et c'est pour ça que tout a été mis en place, là encore, depuis la fin du premier confinement, pour qu'on puisse les accompagner, et je crois que c'est très important que d'une part on reconnaisse ceux qui ont des difficultés, qu'on les aide, qu'on fasse tout pour eux, et qu'on reconnaisse aussi le courage et l'engagement de l'ensemble des étudiants.

SONIA MABROUK
Oui, il y a eu des annonces, Madame la Ministre, effectivement, mais qui peuvent paraître insuffisantes. Par exemple, en matière de pouvoir d'achat, pour ces étudiants, comment les soulager davantage ?

FREDERIQUE VIDAL
Eh bien, en matière de pouvoir d'achat il y a plusieurs choses qui ont été faites, d'abord des aides ponctuelles, ensuite la revalorisation des bourses sur critères sociaux, la possibilité d'avoir aujourd'hui, sur demande, que l'on soit boursier ou non boursier, que l'on soit étudiant national ou international, des aides, et il faut les demander au CROUS, et ça c'est quelque chose qui est encore assez peu connu. Beaucoup de gens pensent que le CROUS est réservé aux étudiants boursiers, pas du tout, nous avons mis en place, au travers des CROUS, ces aides spécifiques qui peuvent être demandées par tous, et puis les repas à 1 €, et puis nous allons évidemment continuer et essayer de donner de la visibilité pour la rentrée.

SONIA MABROUK
Concrètement, comment ?

FREDERIQUE VIDAL
Eh bien la visibilité pour la rentrée, c'est d'abord le gel des droits d'inscription, nous allons les geler pour la deuxième année consécutive, donc vous savez que normalement ils augmentent à niveau de l'inflation, donc ils vont être gelés. Le gel…

SONIA MABROUK
Donc gel des frais d'inscription, Frédérique VIDAL, pour la rentrée, évidemment, pour l'année qui arrive.

FREDERIQUE VIDAL
Pour l'année 2021, le gel des loyers des résidences CROUS aussi, parce que voilà, on n'est pas encore sûr que cet été va être tout à fait normal pour les emplois étudiants. Donc, voilà, et puis évidemment on continue à travailler sur la reprise en présentiel…

SONIA MABROUK
Alors, c'est important, parce qu'on pourrait dire que la première des mesures sociales, reste le retour justement, ce qu'on appelle le présentiel à l'université. Est-ce que vous allez augmenter cette reprise, cette jauge pour les prochaines semaines ?

FREDERIQUE VIDAL
On est en train d'y travailler et on a bon espoir de pouvoir le faire. Bien sûr il faudra suivre la situation sanitaire, mais on est en train de préparer avec l'ensemble des établissements, de nouvelles mesures pour augmenter encore la capacité des étudiants à retrouver leurs profs.

SONIA MABROUK
Avec un délai précis, d'ici à la mi-avril, puisqu'on parle de cette date, cette échéance.

FREDERIQUE VIDAL
On n'a pas de délai précis, puisqu'évidemment il faut qu'on suive la situation sanitaire et surtout il faut qu'on atteigne un taux de vaccination des personnes les plus fragiles qui fasse que nos hôpitaux ne soient plus engorgés.

SONIA MABROUK
Il y a beaucoup de « si » Madame la Ministre, là justement pour ce retour.

FREDERIQUE VIDAL
Mais c'est pour être prêt, dès que possible, que nous commençons à travailler en amont et souvent ce travail se fait d'ailleurs, j'allais dire, en chambres, parce que pour préparer la possibilité de reprise il ne faut pas que le jour où ça va mieux, on se dise « tiens, préparons la reprise », et qu'on mette 4 semaines. Donc évidemment ça se prépare en amont pour pouvoir le déclencher dès que possible.

SONIA MABROUK
Alors, vous avez dénoncé Frédérique VIDAL des faits graves et des tentatives de pressions et de menaces intolérables sur les deux professeurs de l'IEP Grenoble, visés pour leur prétendue islamophobie. Mais au-delà ce matin des mots, des condamnations, est-ce que vous attendez des sanctions fortes, à la hauteur des faits ?

FREDERIQUE VIDAL
Alors, d'abord est évidemment un signalement a été fait au procureur, pour injures publiques. Je rappelle les faits, et évidemment je ne peux que les condamner très fortement et tous les faits qui conduisent qui que ce soit à afficher des noms, afficher les injures à côté de ces noms, donner en pâture sur les réseaux sociaux des enseignants-chercheurs, des personnels des universités, moi je serai évidemment toujours là pour les défendre et c'est totalement intolérable que nous vivions aujourd'hui au sein de l'université, eh bien cette violence.

SONIA MABROUK
Certes, mais vous avez vu hier que le principal syndicat étudiant en Sciences-Po Grenoble, malgré ce que vous dites, les condamnations, ce qui est intolérable, exige des sanctions contre les enseignants. Est-ce que ces syndicats, Frédérique VIDAL, ont encore une place dans les universités ?

FREDERIQUE VIDAL
Moi, je crois que les syndicats, les corps intermédiaires, doivent avoir une place essentielle, parce que normalement c'est eux qui permettent justement de travailler, de trouver des compromis, de la sérénité.

SONIA MABROUK
Normalement. Normalement.

FREDERIQUE VIDAL
Très clairement, à Grenoble ça a été un échec complet et voilà, et évidemment je le regrette parce que les syndicats représentatifs des étudiants ont toute leur place, simplement c'est à eux de s'interroger sur leurs valeurs, sur leur histoire. Evidemment que c'est un problème.

SONIA MABROUK
Mais est-ce que l'UNEF est encore dans le champ républicain ? Quand par leur complaisance on laisse justement des noms ainsi placardés, affichés, sur le mur d'universités, est-ce qu'ils sont encore dans ce champ républicain, que vous défendez, que nous défendons ?

FREDERIQUE VIDAL
Eh bien en réalité ce qui s'est produit, c'est que l'UNEF a regretté ce qui s'est passé, mais visiblement pas…

SONIA MABROUK
Très tardivement, très mollement.

FREDERIQUE VIDAL
Voilà. Je crois que ce qui est important c'est, et une fois de plus je suis convaincue que les syndicats, y compris bien sûr les syndicats étudiants, ont toute leur place, mais ils doivent se réinterroger. On ne peut pas débattre…

SONIA MABROUK
Mais comment, est-ce qu'il faut que les subventions soient conditionnelles, Madame la Ministre ?

FREDERIQUE VIDAL
On ne peut pas débattre sereinement, à partir du moment où on prend parti aussi violemment contre ou pour, ce n'est pas ça le débat.

SONIA MABROUK
Mais, est-ce qu'il faut des subventions conditionnelles ? Par rapport à ces syndicats qui ne sont pas dans une ligne républicaine.

FREDERIQUE VIDAL
Je crois que, et nous en parlons souvent, il faut que ces syndicats revoient leurs valeurs…

SONIA MABROUK
Et s'ils ne le font pas ?

FREDERIQUE VIDAL
Revoient leur capacité à porter des sujets pour les étudiants, ils ne sont pas dans leur rôle lorsqu'ils placardent des noms de professeurs.

SONIA MABROUK
Alors, allons plus loin : que représente selon vous l'accusation ou l'étiquette d'islamophobie ?

FREDERIQUE VIDAL
Une fois de plus, moi je n'ai pas à dire, donner le sens d'un mot ou je n'ai pas à estimer…

SONIA MABROUK
Mais c'est important, c'est quand même le coeur du débat, est-ce que pour vous c'est une escroquerie intellectuelle ?

FREDERIQUE VIDAL
Je n'ai pas à estimer la valeur scientifique…

SONIA MABROUK
Mais il n'en a pas, pour beaucoup, l'islamophobie.

FREDERIQUE VIDAL
Il n'en a pas pour beaucoup, il en a pour d'autres, moi mon rôle…

SONIA MABROUK
Non, attendez, ça existe l'islamophobie ?

FREDERIQUE VIDAL
Islamophobie, c'est la peur de l'islam, voilà, c'est la définition du mot, phobique, peur…

SONIA MABROUK
Non, l'islamophobie, c'est de pouvoir critiquer l'islam comme on pourrait critiquer d'autres religions.

FREDERIQUE VIDAL
Ah mais ça, nous sommes dans une République laïque, donc chacun a le droit de croire ou de ne pas croire et ça évidemment je crois que c'est quelque chose qui est très important. Mais on était dans un débat qui était mené entre personnes qualifiées, je pense, au sein de cet établissement.

SONIA MABROUK
Non mais c'est ce mot qui a fait débat. Parce que la majorité des collègues, Madame la Ministre, des deux professeurs intimidés, ne les ont pas du tout soutenus, au contraire, en cherchant même à les décrédibiliser, en ne défendant pas la liberté académique, est-ce que ces professeurs ont leur place dans l'enseignement supérieur ?

FREDERIQUE VIDAL
Moi, mon rôle c'est justement de défendre cette liberté académique, de veiller à ce qu'il y ait du pluralisme, de veiller à ce qu'il puisse y avoir un débat contradictoire et serein. J'ai envoyé une inspection de manière à ce que justement les choses soient dans la sérénité, retrouvée…

SONIA MABROUK
Mais quand ce n'est respecté ? Moi j'ai envie de comprendre ce que vous ministre de l'Enseignement supérieur, comment vous considérez des professeurs qui continuent d'accabler, de tenter de décrédibiliser en particulier l'un des professeurs qui parlent dans les médias, le professeur d'allemand Klaus KINZLER, qu'incarnent selon vous ces enseignants qui ne respectent pas la liberté académique ?

FREDERIQUE VIDAL
Ça va être justement la mission de l'Inspection générale que de ramener de la sérénité. Je crois qu'à partir du moment où on sort du champ de recherches et de débats intellectuels autour d'un mot ou d'un groupe de mots, et à partir du moment où ça rentre dans la sphère publique avec tout le monde qui donne son avis, on sort du champ académique et on est dans le champ médiatique. Et moi ce que je souhaite, c'est que tout puisse être discuté dans le champ académique, et à partir du moment où les gens se sentent empêchés d'avoir ces discussions, alors il faut…

SONIA MABROUK
Mais par quoi, dites-nous par quoi ? On n'arrive pas à mettre le fer dans la plaie, si je puis dire.

FREDERIQUE VIDAL
Mais voyez bien, je pense que ce débat que vous évoquez, aurait pu se dérouler j'allais dire tranquillement, sereinement…

SONIA MABROUK
Bon, ça n'a pas été le cas.

FREDERIQUE VIDAL
Il fallait définir quel était le titre de cette journée.

SONIA MABROUK
Madame la Ministre, quel est le mal, qu'est-ce que vous dénoncez ?

FREDERIQUE VIDAL
Le mal, c'est que de manière extérieure, des gens soient venus prendre parti pour certains professeurs, contre d'autres, et accuser certains professeurs et du coup les aient finalement ciblés, et considérer qu'une partie de leurs professeurs avait raison et d'autres pas raison. Ça n'est pas leur rôle de le faire.

SONIA MABROUK
Je vais vous poser la question directement : est-ce que vous y voyez la preuve de l'entrisme islamo-gauchisme à l'université, ou plutôt pour être plus précise, la diffusion des théories de l'intersectionnalité, de la cancel culture, qui se base sur une victimisation permanente. Est-ce que c'est ce mal là que vous tentez de dénoncer ?

FREDERIQUE VIDAL
C'est exactement ce que, mon rôle est exactement de combattre le fait que l'on ne puisse pas travailler sur les sujets de son choix, dans le monde universitaire, parce que la violence s'invite et vraiment c'est absolument pas de dire ce sur quoi on a le droit de travailler ou pas…

SONIA MABROUK
C'est de la violence ou de l'idéologie ?

FREDERIQUE VIDAL
C'est de dire qu'on a le droit de faire des recherches sur ce que l'on veut dans l'université, sans être empêché, y compris par des éléments extérieurs à l'université, en l'occurrence là par ce syndicat. C'est ça mon devoir, mon travail c'est de protéger l'universalité dans l'université. Et je crois que c'est très important.

SONIA MABROUK
Et pour cela, qu'est-ce que vous allez faire ? Est-ce qu'il faut aller contre la cooptation de certains professeurs, le financement de certaines recherches, la valorisation de certaines publications ? Est-ce qu'il faut mettre un coup de pied dans la fourmilière intersectionnelle ?

FREDERIQUE VIDAL
La cooptation par les pairs, c'est la base de la recherche, donc ça évidemment c'est important, mais ce à quoi il faut veiller c'est que la pluralité des idées puisse s'exprimer. Il ne faut pas de pensée unique dans l'université, il ne faut pas que certains aient peur de dire ce qu'ils pensent.

SONIA MABROUK
Mais le mal, est-ce qu'il est dans l'université. Vous m'avez dit tout à l'heure : c'est des pressions extérieures. Mais elles n'étaient pas extérieures dans le cas de l'IEP Grenoble. Ce sont certains syndicats, ce sont des étudiants de l'université, ce sont des professeurs.

FREDERIQUE VIDAL
Quand je dis extérieur, c'est extérieur au monde de la recherche, vous avez raison. Voilà, si on prend l'université dans son ensemble, bien sûr que ce n'est pas extérieur dans le sens où ce sont des syndicats étudiants, mais ce que je veux dire, c'est que la recherche doit rester libre et ça n'est pas possible qu'il y ait des interventions qui empêchent cette liberté …

SONIA MABROUK
Mais vous êtes déterminée à mener ce combat ?

FREDERIQUE VIDAL
… c'est mon travail que de protéger l'université et que de protéger cette liberté d'expression, contre effectivement des radicalités, des violences qui viennent…

SONIA MABROUK
Qui peuvent aller jusqu'où, pour conclure Madame la Ministre ? Est-ce que l'islamophobie tue ?

FREDERIQUE VIDAL
Eh bien moi je pense que c'est traiter quelqu'un d'islamophobe qui peut le tuer, et malheureusement c'est ce qu'on a vu avec l'assassinat de Samuel PATY, et évidemment je ferai tout pour que cela n'arrive pas dans le monde universitaire. Et je crois que nous avons tous besoin de travailler ensemble pour éviter que cela arrive. Et ça veut dire qu'il faut retrouver de la sérénité dans les débats et être capable de débattre vraiment, c'est-à-dire de ne pas se battre y compris par l'intermédiaire des réseaux sociaux.

SONIA MABROUK
Merci Frédérique VIDAL, merci de nous avoir aussi consacré votre première réaction après cette polémique et ces défis. Bonne journée à vous ainsi qu'à nos auditeurs.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2021