Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à France 5 le 21 mars 2021, sur les droits des personnes LGBT en Pologne.

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Média : France 5

Texte intégral

Q - Bonsoir, Clément Beaune.

R - Bonsoir.

Q - Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation, ce soir. Vous étiez conseiller d'Emmanuel Macron, avant d'intégrer le gouvernement, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, aujourd'hui, et vous revenez de Pologne ; vous y étiez la semaine dernière, pour une visite de trois jours et vous aviez annoncé votre intention de vous rendre dans l'une de ces zones "anti-LGBT", mais les autorités polonaises vous ont, quoi ?, fortement déconseillé de vous y rendre, elles vous ont dit que vous n'étiez pas le bienvenu là-bas ?

R - On peut dire cela comme cela, ou qu'en tout cas elles ne souhaitaient pas avoir des entretiens politiques si je poursuivais ce projet. Cela a été la teneur des échanges.

Q - Concrètement, cela veut dire qu'en tant que ministre français, secrétaire d'Etat, normalement, quand vous vous rendez à l'étranger, vous êtes reçu officiellement, j'imagine par un préfet ou par le maire d'une grande ville. Là, si vous y alliez, c'était vous, seul, avec votre voiture ?

R - Eventuellement, ou cela aurait sans doute conduit à l'annulation d'entretiens politiques que je prévoyais par ailleurs, parce que c'était ma première visite de ministre, et que c'est normal, c'est comme cela qu'on fait, dans l'Union européenne et dans la diplomatie, en général. Quand on va visiter un pays, on a des entretiens avec des ministres, des autorités politiques diverses. Cela n'aurait pas été compatible.

Q - Vous vous attendiez à cela, ou pas, en y allant ?

R - Je ne m'attendais pas à un soutien très chaleureux, pour être honnête, mais j'ai hésité à maintenir cette visite, je l'ai fait quand même, parce que je pense que c'est important de maintenir une discussion, maintenir un dialogue, de passer ses messages, aussi. Et puis, tout en disant les choses, telles qu'elles sont, telles que je vous les dis, aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il y avait une forme de pression politique, ce qui, en soi, est un signe préoccupant. Je veux dire aussi que tout ce que l'on voit, dans le reportage, ce n'est pas une politique gouvernementale décidée par la capitale, par le parlement, par le gouvernement. Ce sont les communes, en général, qui votent ces résolutions que l'on a vues. Mais il y a un climat très préoccupant.

Q - Un climat qui vient aussi de ce gouvernement ultraconservateur qui est au pouvoir depuis un petit moment. Vous avez fait votre coming-out, il y a quelques semaines, Clément Beaune.

R - Oui

Q - Est-ce que vous pensez que votre homosexualité a joué dans la décision des autorités polonaises ?

R - Je ne crois pas, je ne veux pas le croire et je ne veux pas en faire, si je puis dire, un argument ou un élément, ni pour ni contre, et d'ailleurs je ne pointe pas du doigt cette réalité ou cette question parce que cela me concerne personnellement. Il faut une sensibilité personnelle qui vient de quelque part, mais j'étais en Pologne aussi le 8 mars, pour la journée internationale des droits des femmes. J'ai commencé d'ailleurs ce déplacement en rencontrant des associations féministes et militantes politiques ou d'ONG, ou qui sont simplement mobilisées dans la rue, parce qu'il y a aussi des reculs très graves sur ces droits, notamment sur le droit à l'avortement. Et je crois profondément, c'est pour cela que cela me tient à coeur, d'abord, cela peut arriver partout, donc, je ne veux pas dire : il y a un pays où cela arrive, et puis, on est protégé. Cela peut arriver partout. C'est en Europe, c'est à deux heures d'avion. Et puis, ce sont des droits qui reculent ensemble.

Q - C'est ça, et cela semble quasiment irréel, en fait, de voir cela en Europe, à deux heures d'avion de Paris.

R - Oui, mais c'est pour cela que je pense que c'est bien de le décrire. Ce qui apparaît bien aussi dans votre reportage, que l'on m'a décrit dans mes échanges, Bartsz, qui est dans votre reportage, je l'ai rencontré, à Varsovie, ainsi qu'un certain nombre d'autres militants. Ce qu'ils décrivent, c'est l'intimidation, c'est la peur, c'est quelque chose d'insidieux, souvent, mais cela commence comme cela, dans beaucoup de cas où les droits reculent, où les violences se développent. Vous voyez, ces chartes, c'est souvent pas juridique, ce sont des déclarations, qui sont prises par différents conseils municipaux. Et il y a deux types de chartes, si j'ai bien compris ce que l'on m'a raconté, montré : il y en a qui disent explicitement : on est contre, je mets des guillemets, "l'idéologie LGBT", vous voyez, c'est formulé comme cela, c'était formulé comme cela dans la campagne présidentielle, comme s'il y avait une forme de propagande pour un modèle de couple, de famille, de vie, qui serait au détriment, évidemment, sous-entendu ou pas sous-entendu, de la famille "traditionnelle". Et puis, vous avez des chartes plus subtiles qui disent : on n'est pas anti-LGBT ou anti-propagande LGBT, on est pour la famille traditionnelle, un homme, une femme, les enfants, etc. C'est tout aussi, évidemment, intimidant et discriminant. Et cela se fait, effectivement, par ce genre de messages qui créent, ce que l'on voit bien dans votre sujet, la peur, l'inquiétude, qui de facto incitent aussi à la haine, et font partir beaucoup de jeunes.

(...)

R - Mon engagement européen, c'est aussi cela, c'est un miracle que l'on ait créé ces droits et libertés, que des pays y aient adhéré progressivement, qu'ils soient garantis, parce tout cela, on le dénonce, et je trouve que le fait qu'il y ait un débat, en Pologne, il y a beaucoup de gens qui se mobilisent, ce n'est pas minoritaire, il y a beaucoup de gens qui se mobilisent pour dénoncer ces pratiques, tant mieux. En Europe, cela sensibilise d'autant plus de monde, mais ce n'est jamais acquis, et nulle part ; ce n'est pas une société, je le dis parce que cela se passe en Pologne, mais je ne veux pas stigmatiser les Polonais ou la Pologne, parce qu'il y a de l'homophobie d'ailleurs partout, il y a des reculs des droits des femmes partout, cela arrive, et cela peut se reproduire, sans faire de grande comparaison historique, pour dramatiser, mais enfin, le mouvement des droits n'est pas acquis. Je pense qu'il est profondément européen, cet attachement aux libertés, cet attachement aux droits, j'espère aussi et j'ai vu beaucoup de jeunes notamment qui se mobilisent dans ces manifestations, ces actions, mais l'acquis n'est jamais sûr.

Q - Vous parliez de ces acquis européens, le Parlement européen a répliqué, avec le vote d'une résolution, proclamant l'Union européenne zone de liberté pour les personnes LGBT. Cette déclaration est symbolique, uniquement symbolique, et de façon générale, toutes les tentatives de l'Union européenne pour rappeler à l'ordre la Pologne, mais il y a aussi la Hongrie, sur le respect des minorités sexuelles, n'ont pas du tout eu de résultat. Est-ce que l'Europe est impuissante face à ces membres quand ils ne tiennent pas leur engagement à respecter ces libertés fondamentales du pacte européen ?

R - Vous avez raison sur le côté symbolique. D'abord, je crois quand même au côté symbolique et aux combats politiques. Le fait qu'on en parle, que ce soit de plus en plus connu, que ce qui s'est passé au Parlement européen, où une très large majorité politique de gauche et de droite qui a soutenu l'attachement à ces droits, cette zone de liberté, au sens symbolique, c'est vrai, ce sont des mots, mais cela compte. Cela commence par cela aussi. Et on a vu, en sens inverse, ce sont souvent des mots qui créent un malaise... Il faut aller plus loin, je suis d'accord. Alors, pour donner quelques exemples, heureusement, il y a eu des actions européennes, déjà, au-delà des mots, il y a certaines violations de l'Etat de droit, pas seulement dans ces cas-là, sur les droits LGBT, ou même sur les droits des femmes, qui ont été sanctionnées, la réforme de la justice, l'atteinte au pluralisme de la presse, etc. qui ont été relevées et sanctionnées, parfois, par la Cour de justice européenne, parce que je rappelle que la discrimination, l'inégalité, la violation de l'Etat de droit, c'est contraire aux traités européens, ce n'est pas juste, simplement, des déclarations que l'on fait comme cela. Et puis, il y a des mécanismes, pardon, sans être trop technique, c'est important, qui commencent à être à l'oeuvre : on a créé, l'an dernier, au mois de décembre, une règle européenne, c'est juridique, qui va permettre de suspendre des financements européens s'il y a certaines violations de l'Etat de droit ; pas les droits dont on parle, mais par exemple l'atteinte à l'indépendance de la justice.

Q - Mais pourquoi ? L'atteinte à l'indépendance de la justice est sujette à sanction, l'atteinte aux droits des homosexuels ne l'est pas ?

R - Oui, je ne fais pas l'historique de cette règle européenne. C'est parce qu'en fait, on a trouvé une porte d'entrée qui permet de dire : si vous gérez mal les fonds européens, vous êtes sanctionnés, et donc, cela passe par l'indépendance de la justice. Mais ce mécanisme-là, c'est concret, cela va s'appliquer dans quelques mois, cela permettra de suspendre les fonds européens, donc de frapper au portefeuille, et je pense qu'on doit le renforcer et prendre en compte, effectivement, d'autres violations de l'Etat de droit et notamment les atteintes aux droits.

Q - Ce qui est terrible pour la communauté homosexuelle de Pologne, en particulier, c'est qu'elle avait vu la chute du Mur comme enfin une libération. Parce qu'avant le Mur, du temps du communisme, ce n'était pas terrible non plus d'être homosexuel en Pologne. Il fallait se cacher. Ce n'est que dans les années 1980 que les mouvements ont pu naître et le premier bar gay, à Varsovie, a ouvert en 1990. Il a donc fallu attendre la chute du Mur pour cela. Et puis, ils se sont dit, c'est un peu dur, mais on va entrer dans l'Europe, et enfin on sera protégés dans l'Europe, et en fait pas du tout. Donc, c'est terrible pour cette communauté-là qui se voit, événement historique après événement historique, être stigmatisée. Du temps du communisme, on les qualifiait de fascistes, aujourd'hui, on les qualifie quasiment de marxistes. C'est quand même difficile d'être homosexuel, aujourd'hui, en Pologne.

R - C'est vrai, mais sur le plan européen, d'abord, je suis très frappé que dans toutes ces manifestations, sur les droits LGBT, sur les droits des femmes, ou sur d'autres libertés, ou l'indépendance de la justice, l'indépendance des médias, il y a énormément de jeunes, j'allais dire, de gens, en général, qui agitent un drapeau européen, qui justement ont fait cela au nom des valeurs européennes. Quand la chute du Mur s'est faite, quand ils ont retrouvé le camp occidental, si je puis dire, c'était le camp européen. Il y avait les Etats-Unis et l'OTAN pour la sécurité et pour les valeurs et pour la liberté, c'était l'Union européenne. Et donc, c'est très important de montrer aussi que l'entrée dans l'Europe, c'était l'entrée ou la garantie de ces valeurs. C'est pour cela que l'Europe doit faire plus. Je me bats pour cela, parce que cela fait partie de ce projet de liberté du début des années 1990 et de ce vent de liberté. Et ils y croient. Pour eux, pour les jeunes, l'Europe, ce n'est pas des fonds européens pour financer tel ou tel projet, c'est : les valeurs de liberté. C'est pour cela qu'on doit le faire.

On pensait que lorsque l'on entrait dans l'Union européenne, c'était acquis. D'ailleurs, aujourd'hui, quand vous négociez l'entrée dans l'Union européenne, vous devez respecter, montrer patte blanche en quelque sorte, que vous avez réformé votre justice, que vos médias sont indépendants, que vous protégez les droits individuels, etc. Et quand on était dans l'Europe, on pensait que cela se garantirait ou que cela se ferait spontanément. Et on voit aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Et c'est un peu un choc, mais on doit le dire et y répondre.

Q - Et c'est ce qu'on a fait ce soir. Merci, Clément Beaune.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2021