Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec LCI le 22 mars 2021, sur les membres du gouvernement touchés par la Covid-19 et la campagne vaccinale contre le coronavirus au sein de l'Union européenne.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - On a appris que votre collègue au gouvernement chargée du travail, Elisabeth Borne, est hospitalisée, elle avait été déclarée positive il y a quelques jours. Comment va-t-elle ?

R - Ecoutez, je n'ai pas à connaître de sa situation médicale ou personnelle, mais j'ai échangé avec Elisabeth Borne encore tout à l'heure et elle est, je crois, en voie d'amélioration, et je crois que ça va.

Q - Il n'y a pas lieu d'être inquiet ?

R - Non, je crois qu'il n'y a pas lieu d'être inquiet. Cela montre que ce virus touche partout, qu'il est violent. Mais je crois que pour le cas d'Elisabeth Borne, il n'y a pas d'inquiétude à avoir et qu'elle se remet.

Q - Et puisque nous en sommes là, si je puis dire, pas non plus pour Roselyne Bachelot, qui est positive et qui est chez elle semble-t-il ?

R - C'est ce que je comprends...

Q - Il n'y a pas de difficulté non plus ?

R - Il n'y a pas de difficulté non plus, de ce que je sais, et je crois que ça va.

Q - Alors deux ministres importantes, des femmes, en l'occurrence. Il y a d'autres ministres qui ont déjà été, dans la première vague, Bruno Le Maire, on s'en souvient, Franck Riester, qui était à l'époque au gouvernement. Là, puisque Roselyne Bachelot et Elisabeth Borne sont touchées par un virus qui est plus contagieux, le variant anglais peut-être les concerne, est-ce que cela va des conséquences sur l'organisation gouvernementale ? Est-ce que le Conseil de défense, le Conseil des ministres va évoluer ?

R - Ecoutez, non. Il y a, parfois, des cas contact ; c'est le cas de la ministre de l'industrie, Agnès Pannier-Runacher, qui applique évidemment aussi les règles et qui du coup s'est mise en retrait pour quelques jours. Cela ne l'empêche pas de participer en visioconférence à des réunions. Et puis, il y a des personnes qui sont touchées par le virus, qui parfois sont un peu affaiblies pendant quelques jours et qui, dans ces cas-là, comme tout le monde dans ces moments, adaptent leur agenda, l'allègent, ou parfois se mettent aussi en retrait pendant quelques jours. Mais cela n'a pas de conséquences sur le fonctionnement du gouvernement. On parle d'abord de quelques jours, de quelques cas, même si dans les cas particuliers - je pense à mes collègues Roselyne Bachelot, Elisabeth Borne - c'est difficile et c'est douloureux. Mais elles vont se remettre, j'en suis sûr, rapidement et reprendre le travail. Et en attendant elles ont des équipes, des ministères, des administrations qui assurent la continuité.

Q - D'accord. Parce qu'il y a encore des ministres en "présentiel", comme on dit maintenant, qui venaient à l'Elysée le mercredi matin. Très peu, mais encore.

R - Il y a une règle de six, qui s'applique depuis plusieurs semaines...

Q - Voilà, elle va rester, elle va demeurer ?

R - Bien sûr. On applique ces règles - c'est la moindre des choses - dans les réunions administratives, gouvernementales, comme on incite les entreprises, et chacun, dans sa vie professionnelle, personnelle, à les appliquer.

Q - Êtes-vous vacciné, Monsieur le Ministre ?

R - Non.

Q - Est-ce que ce qui se passe pour Elisabeth Borne et Roselyne Bachelot ne vous fait pas dire que le gouvernement aurait dû se faire vacciner ?

R - Non, je ne crois pas, parce qu'il n'y a pas de passe-droits. Et il y avait un geste de confiance à poser pour le vaccin AstraZeneca. C'était le sens de la vaccination en fin de semaine dernière du Premier ministre, pour montrer que lui-même n'en avait pas crainte, que l'on pouvait reprendre après une période qui a créé de la confusion, parfois, et de l'angoisse chez les Français. C'est normal. Donc il fallait montrer, après l'avis scientifique de l'Agence européenne, qu'on reprenait cette vaccination avec ce vaccin-là aussi, AstraZeneca. Pour le reste, il y a des règles qui s'appliquent, des populations qui, en fonction de l'âge, des risques sanitaires, sont vaccinées à tour de rôle. Et je crois qu'il n'y a pas lieu de donner une forme d'accès privilégié aux membres du gouvernement.

Q - Mais vous n'êtes pas un peu tétanisés, au gouvernement, par cette idée justement de donner aux Français l'impression que vous auriez un avantage à être vaccinés avant. Alors que vous êtes ministre, du coup, quand vous êtes touché par le virus, cela peut frapper l'opinion peut-être dans un mauvais sens. Est-ce que vous n'êtes pas un peu frileux par rapport à cela ?

R - Non, je crois qu'il ne faut pas confondre les choses. Ce n'est pas la frilosité à l'égard du vaccin...

Q - Non, non !

R - Moi je l'ai dit d'ailleurs dès le mois de décembre...

Q - Mais par rapport à l'idée que vous pourriez être accusés d'avoir des passe-droits ?

R - C'est normal de faire attention à cela. C'est bien sûr une question d'exemple, et d'image. Il faut respecter les règles, toutes les règles, quand on est aussi membre du gouvernement. Je veux dire : surtout quand on est membre du gouvernement. S'il y avait lieu de donner des signaux de confiance supplémentaires, on pourrait le regarder. Mais pour l'instant, je crois, on a eu ce signal très clair de la part du Premier ministre avec le vaccin AstraZeneca. Et puis, moi, je l'ai dit, je le redis si besoin, je me ferai vacciner, quand ce sera mon tour, sans aucune réserve, avec, même, enthousiasme, parce que je considère que c'est une avancée scientifique majeure d'avoir - même si on est impatient, tous - en quelques mois développé au niveau international des vaccins, qui vont être la solution à cette pandémie.

Donc, je me ferai vacciner, le moment venu, et non par privilège. Ce n'est pas une question de frilosité, ce n'est pas une question de défiance à l'égard du vaccin. Je dis les deux : je me ferai vacciner, et quand ce sera mon tour.

Q - On y reviendra peut-être tout à l'heure, parce qu'il y a un nouveau slogan qui a été élaboré par Matignon pour caractériser le confinement troisième manière : dedans avec les miens, dehors en citoyen. Décidément, le gouvernement cherche à communiquer, parce qu'il y a eu un peu de cafouillage, on y reviendra. Mais parlons de l'Europe, puisque vous êtes chargé des affaires européennes, Clément Beaune. Hier, Thierry Breton, commissaire européen, était l'invité du journal de 20 heures de TF1, il a confirmé qu'en matière de campagne vaccinale, les 27 sont partis quatre semaines après les Etats-Unis. Il s'agit d'un décalage, pas d'un retard ; aucun mea culpa. Est-ce que, en réalité, l'Europe n'a pas accumulé un retard par quelques erreurs, quelques dysfonctionnements - caractérisez-les comme vous le voudrez - ? Est-ce que vous feriez, ce soir, un petit mea culpa ?

R - Moi, je n'ai pas de problème à dire, parce qu'il faut regarder la réalité en face, il y a des difficultés. Tout n'est pas parfait, loin de là. Il y a des pays, dans le monde, qui font mieux que nous. Thierry Breton l'a dit - quelques semaines d'avance pour l'autorisation de certains vaccins. Cela a été le cas des Etats-Unis, cela a été le cas du Royaume-Uni. Prenons l'exemple d'Israël. Mais il faut dire deux choses, il faut dire d'abord quels sont les vrais problèmes et évacuer les faux débats. Je crois qu'il y a des faux débats : c'est le prix qu'on aurait payé moins cher, que l'on aurait acheté au rabais. Ce n'est pas vrai. Le fait que l'on n'aurait pas commandé les doses, ce n'est pas vrai : c'est l'Union européenne qui dans le monde a commandé le plus de doses. On n'aurait jamais réussi à faire cela si on était parti tout seul, j'insiste aussi. Et puis il y a de vraies difficultés qu'il faut résoudre : c'est la production, c'est le rythme de production.

Q - Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment est-ce que vous analysez le retard européen ? Qu'est-ce que vous pointez, s'il y avait quelque chose à pointer pour comprendre ?

R - Bien sûr, on n'a pas encore toutes les réponses. Il faudra en avoir aussi une idée, il faudra regarder comment on aurait pu faire plus vite. Et puis surtout, au moment où l'on parle, comment on peut faire aujourd'hui plus vite - c'est ce qu'a expliqué Thierry Breton - pour accélérer la cadence très fortement.

Au début, moi, je vais vous dire mon sentiment, mon analyse : au tout début, il y a un an, quand cette pandémie nous a tous frappés, on s'est lancé un peu plus tard que les autres, en Europe - pas l'Union européenne spécifiquement, en Europe, les pays européens -, on s'est lancé un peu plus tard que certains, notamment les Etats-Unis, dans le financement du risque, le financement de l'innovation. Et puis il faut le dire aussi, il y a eu un décrochage...

Q - Pour traduire, on a investi trop tard...

R - On a investi un peu moins vite.

Q - On a mis de l'argent trop tard.

R - Mais les Américains, qu'ont fait les Américains ? Parce qu'il faut être clair : Israël, ce n'est pas une stratégie comparable, parce que c'est une stratégie dans laquelle ils ne produisent pas de doses. Ils ont acheté des doses plus vite que nous, parce qu'ils ont donné leurs données médicales à un laboratoire qui est Pfizer. Je crois que les Européens, les Français n'auront pas accepté cela, ils ont sans doute raison. C'est notre modèle. Les Britanniques, c'est un peu différent aussi, on pourrait y revenir, ils font pression sur les laboratoires pour avoir les doses plus rapidement. Les Américains, ils ont une stratégie qui a été scientifiquement efficace, il faut bien le dire : ils ont investi beaucoup d'argent, des milliards de dollars, un peu plus que nous, plus tôt, en investissant sur différentes technologies de vaccins qui n'étaient pas encore connues. Autrement dit, ils ont pris un risque. Ils ont fait des paris...

Q - Donc nous, c'était moins tôt, et moins important.

R - Un peu moins tôt, un peu moins important, il faut le reconnaître aussi. Il y avait eu un décrochage les années précédentes de l'industrie pharmaceutique européenne par rapport à d'autres, qui avait moins de capacité d'investissement. Cela, c'est le constat. Maintenant, il faut aussi être juste. L'ARN messager qui est la technique avec laquelle on vaccine dans le monde entier - le premier vaccin qui a été autorisé, Pfizer-BioNTech, ce sont des chercheurs européens financés en large partie par l'Union européenne, et cela a été une technologie inventée en Europe. Donc, il ne faut pas non plus donner l'impression qu'en Europe, on fait tout mal.

Q - Bien sûr.

R - Mais il faut reconnaitre les problèmes et puis les régler surtout. Et c'est cela qu'on fait en accélérant la production aujourd'hui.

Q - Vous reconnaissez les problèmes, mais Thierry Breton a aussi dit, toujours sur TF1 : on rattrape le retard. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas tout à fait vrai. En tout cas, c'est faux pour l'instant. On va regarder, si vous voulez bien, ce tableau où l'on voit que l'écart se creuse. Voyez, le retard au 1er mars, il est de 9% par rapport aux Etats-Unis - on parle de l'Union européenne -, et de 25%, j'arrondis, par rapport au Royaume-Uni. Le 20 mars, 20 jours plus tard, vous voyez bien que l'écart se creuse. 14,8 et 30. Donc, on continue d'accumuler du retard, Clément Beaune, on ne rattrape pas le retard pour l'instant.

R - Si, si, on va le rattraper justement. Je reconnais qu'il y a des pays qui ont été plus rapides que nous au départ, c'est vrai. C'est un fait. On a, je l'avais dit à plusieurs reprises, deux mois qui sont particulièrement difficiles qui sont février et mars. Parce qu'on avait le cumul des variants, qui rendaient l'épidémie plus dure, plus forte, ce virus plus méchant, si je puis le dire ainsi. Et puis, une difficulté d'approvisionnement des vaccins, des retards notamment du laboratoire AstraZeneca. Cela, on va l'accélérer, et le deuxième trimestre, avril-mai-juin, sera un trimestre d'accélération significative - c'est ce qu'a rappelé le commissaire européen Thierry Breton hier - et, pour donner un ordre de grandeur parlant je crois, on avait 100 millions de doses dans toute l'Union européenne qui auront été livrées sur janvier-février-mars, ce sera plus du triple, plus de 300 millions de doses, sur avril-mai-juin. Donc, on va avoir une grosse accélération, après une difficulté de démarrage, au deuxième trimestre.

Q - Jusqu'à fin mars, on peine...

R - Oui, là, on va arriver dans une phase de rattrapage, et c'est très important, parce que ce n'est pas seulement par rapport aux autres, que l'on compare. C'est pour les Français, de se dire : est-ce qu'ils pourront avoir plus facilement accès à la vaccination. Cela va être le cas. Et nos objectifs seront tenus.

Q - Alors on rentre plus dans le détail des raisons du retard, notamment AstraZeneca. Sur 100%, combien ont été livrées ?

R - Alors, sur le premier trimestre, jusqu'à aujourd'hui, par rapport aux engagements qu'ils avaient pris, ils ont livré un quart des doses qui étaient prévues...

Q - Alors 25%.

R - Donc on a un gros retard, sur AstraZeneca. Et c'est là-dessus que l'on met la pression.

Q - Première question, Clément Beaune. L'Union européenne a envoyé 10 millions de vaccins vers le Royaume-Uni. A l'inverse, combien le Royaume-Uni a-t-il livré de vaccins à la France ?

R - Alors, je vais être très clair, car cela dépend de quel vaccin on parle. Au total, l'Union européenne exporte des doses de vaccin vers une trentaine de pays, dont le Royaume-Uni. En soi, ce n'est pas une mauvaise nouvelle. C'est plutôt bon signe. On est le lieu de production majeur dans le monde, avec les Etats-Unis. On va d'ailleurs renforcer cette capacité de production, d'ici la fin de l'année. On a livré au total près de dix millions de doses au Royaume-Uni, de sites de production européens, vers le Royaume-Uni. J'insiste tout de suite, s'il s'agit, parce que c'est important, du vaccin, Pfizer, dans l'immense majorité. Un laboratoire qui respecte ses engagements avec l'Union européenne, nous a livré, et nous a même livré plus que prévu. On a compensé un certain nombre de mauvaises nouvelles, avec AstraZeneca en particulier, en ayant plus de livraisons de Pfizer et on en aura encore plus que prévu au deuxième trimestre sur Pfizer.

Q - Mais Bruxelles reproche au Royaume-Uni de ne pas exporter en doses suffisantes les vaccins.

R - On a un sujet, je vais être très clair. Dans le contrat qu'on a passé avec le laboratoire AstraZeneca, on doit pouvoir mobiliser différents sites de production. En Europe, c'est ce qu'on va faire, ce qu'on commence à faire, et au Royaume-Uni. C'est prévu dans notre contrat avec le laboratoire AstraZeneca. On dit une chose très simple, on ne va pas continuer à livrer des doses, ou commencer à livrer des doses, d'un autre laboratoire comme AstraZeneca au Royaume-Uni, si les usines britanniques...

Q - S'il n'y a pas de réciprocité ?

R - ...réciproquement ne nous livrent pas. On livre si on est livré. On pose un principe très simple.

Q - Pour ceux qui ne suivraient pas cela, c'est compliqué les affaires européennes, vous êtes bien payé pour le savoir. Est-ce que la France est prête à bloquer les exportations vers le Royaume-Uni si les livraisons ne sont pas respectées ?

R - Oui, nous sommes prêts à le faire s'il n'y a pas de principe de réciprocité.

Q - Mais il n'y en a pas ! Vous dites bien qu'il y a un défaut.

R - Sur Pfizer c'est normal, parce qu'on produit en Europe.

Q - Non mais sur l'AstraZeneca ?

R - Sur l'AstraZeneca, cela n'a pas commencé, ces flux. Ce que l'on a dit est très clair : le laboratoire nous annonce des retards. S'il y a des retards, il y a des problèmes industriels, on peut en partie les comprendre, on met la pression pour les rattraper le plus vite possible. Ce qu'on ne peut pas comprendre, et ce qu'on ne peut pas accepter, c'est de sacrifier les intérêts européens et de ne pas être livré si d'autres sont livrés.

Q - Est-ce qu'on le sait ça ? Est-ce qu'il y a des doses qui devaient être livrées à l'Europe qui ne le sont pas, et si oui, elles sont où ?

R - Ce que l'on sait, c'est que les usines britanniques qu'on doit mobiliser dans la suite de la campagne de vaccination, pour nous approvisionner en doses de vaccins AstraZeneca, ne sont pas encore mobilisées, ne nous livrent pas encore. Et donc, on dit à AstraZeneca "vous êtes en retard, très bien, mobilisez tous vos sites de production y compris à l'extérieur de l'Europe".

Q - Je vais poser la question différemment...

R - J'insiste sur un point : on contrôle les exportations, c'est ça que l'on va faire.

Q - C'est ça, vous allez contrôler les exportations. Mais est-ce que pour l'instant, quand même, vous avez un petit doute sur le Royaume-Uni ? Est-ce qu'il serait possible que le Royaume-Uni livre ailleurs ce qu'il devait livrer à l'Europe ?

R - Non, il n'y a aucun élément qui montre cela. Ce que l'on voit en revanche, c'est que manifestement les Britanniques sont mieux livrés en doses que nous. Nous on a signé un contrat avec le laboratoire qui engage le laboratoire. Donc, ce que l'on dit est très simple, pour le dire clairement : on a désormais un mécanisme de contrôle des exportations. C'est la France qui l'a proposé avec l'Allemagne. La Commission l'a mis en place. La Commission propose de le durcir et de proposer un principe de réciprocité, on livre si on est livré. C'est très simple.

Q - C'est-à-dire que vous avez un levier ? Vous avez un levier concret. Il y a un sommet européen...

R - Il y a un sommet européen jeudi et vendredi.

Q - Boris Johnson va tout faire pour diviser les Européens et évidemment rallier une partie des Européens à sa cause, pour qu'il n'y ait pas d'unanimité sur le blocage. Vous, vous pensez que c'est tenable, la menace ?

R - On dit aux Britanniques une chose très simple. On ne cherche pas à les empêcher de faire leur campagne de vaccination. On cherche à ce que les choses soient équitables. Et les sites de production doivent livrer tout le monde. S'il y a une difficulté, elle doit être répartie entre tout le monde et ça ne doit pas être l'Europe la variable d'ajustements des laboratoires ou de nos partenaires. On dit cela très simplement. Pour garder cette pression et cette menace, moi, je crois à une Europe forte qui défend ses intérêts. Je défends le cadre européen mais c'est une Europe qui défend nos intérêts. Elle doit dire "je vous livre si vous me livrez", principe simple de réciprocité. C'est cela que l'on va discuter, jeudi et vendredi, la France est favorable à ce mécanisme.

Q - Alors, j'ai encore beaucoup de questions et le temps passe très vite, donc, je vais vous demander d'être un peu synthétique. Regardez, on va voir un tableau. On voit que la France, en Europe cette fois, si on compare par population, proportionnellement, on voit que la France est douzième, au sein de l'Union européenne, dans la livraison des vaccins. Est-ce qu'il y a des pays européens qui se livrent en dehors des circuits établis par Bruxelles ?

R - Alors, il y a deux pays européens qui ont fait appel à des commandes en plus du cadre européen, la Hongrie et la Slovaquie.

Q - On le voit, la Hongrie du coup, est deuxième.

R - Et la Slovaquie est beaucoup plus bas. Donc, vous voyez qu'il n'y a pas de lien. Malte est je crois, très haut dans le tableau, respecte à 100% le cadre européen. Donc, cela veut dire qu'il y a des pays qui vont un peu plus vite que les autres en vaccination. Il y a aussi des pays...

Q - Très peu de logistique alors à Malte. Cela aurait dû nous inspirer.

R - C'est un pays de 400.000 personnes. Donc, c'est un peu plus facile d'organiser une campagne de vaccination, et c'est très bien pour eux, qu'en France ou en Allemagne. Ce qui est très important c'est que l'on reçoit proportionnellement les mêmes doses partout en Europe, et que les pays qui pensaient faire appel à l'extérieur et qui avaient soi-disant trouvé des solutions miracles, l'Autriche, le Danemark, la République tchèque, la Pologne qui étaient tentés à un moment, sont tous revenus dans le cadre européen. Pourquoi ? Parce qu'ils ont compris en regardant qu'il n'y avait pas plus de doses sur le marché. Le sujet, c'est de produire plus, plus vite. On le fait mieux, tous ces instruments de pression que j'évoquais, en européen, qu'au niveau national. Qu'est-ce qu'il se serait passé si on était allé tout seul ? Aujourd'hui, on ferait la guerre des doses entre pays...

Q - On l'a beaucoup dit, c'est vrai.

R - C'est pour cela qu'on ne fait pas appel à un autre cadre.

Q - Thierry Breton a dit encore, hier soir, que l'Europe n'avait pas besoin du vaccin russe Sputnik 5. Vous confirmez ? On n'aura pas de Sputnik en Europe ?

R - Pour être précis, on a dit aujourd'hui, c'est factuel, on ne fait pas de politique, si je puis dire, avec les vaccins ; pour le dire autrement, on ne se prive pas d'un vaccin s'il est utile.

Q - Alors pourquoi Thierry Breton a dit "non on n'a pas besoin du vaccin" ?

R - Je l'explique, d'abord, parce que le vaccin russe a soumis son dossier, comme tout le monde, à l'autorité européenne. Il y a un examen scientifique. Pas plus, pas moins.

Q - D'ailleurs, le 10 avril, l'Agence européenne du médicament va aller voir le Sputnik et va voir pour l'homologation. Et puis, Angela Merkel dit "si on en a besoin, on le prend".

R - On applique les mêmes règles. On ne va pas diffuser un vaccin en Europe qui n'est pas scientifiquement validé. Comme tous les autres vaccins, il est soumis à une évaluation scientifique. Cela ne sera pas avant deux, trois mois, sans doute, car il a soumis ses données assez tardivement. C'est normal, on regarde après cette période de trois mois.

Q - Donc, pas avant juin, le Sputnik ?

R - Oui, probablement il ne sera pas autorisé scientifiquement, ce n'est pas moi qui décide, c'est l'autorité sanitaire européenne, mais probablement pas avant cet horizon, compte-tenu des délais d'examen. Et surtout, ce qu'a dit Thierry Breton, c'est qu'il est très peu produit aujourd'hui. Donc, on ne l'exclut pas. Mais il ne faut pas avoir en tête une illusion, c'est qu'il n'est pas disponible massivement, ce n'est pas ça, contrairement à ce que dit M. Mélenchon, qui va accélérer l'approvisionnement de la vaccination des Français. Faire croire cela aux gens, c'est mentir. On ne l'exclut pas, mais aujourd'hui, il n'est pas industriellement et scientifiquement disponible. Quand il le sera, pourquoi pas, mais au moment où il le sera, c'est ce qu'a rappelé aussi le commissaire européen, on aura beaucoup plus de doses des autres vaccins. Donc, ne faisons pas croire qu'il y aurait une solution qu'on aurait exclue pour des raisons politiques, ce n'est pas le cas.

Q - Il reste très peu de temps. Vous connaissez le dernier slogan du gouvernement ?

R - Oui.

Q - Alors allez-y.

R - "Dedans avec les miens, dehors en citoyen".

Q - Bien, vous avez bien appris. C'est le slogan de Matignon. "Dedans avec les miens, dehors en citoyen", ça c'est pour comprendre le confinement, troisième manière. Pas facile, hein ?

R - Pas facile parce que, d'abord, on territorialise. Il y a eu un petit couac ce week-end, il faut le reconnaître. Il a été réglé. Il y avait de la complexité excessive sur cette question des dix kilomètres. Je crois qu'on a clarifié les choses, tant mieux. Maintenant, il y a une période qui est difficile, on la vit, parce qu'il faut tenir un certain nombre de semaines encore avec des restrictions, avec des gestes citoyens, porter son masque dès qu'on en a besoin dans une réunion ou dehors, ne pas recevoir chez soi, ne pas sortir, aller voir des amis, le soir. Même si c'est compliqué il faut l'appliquer, c'est ce que résume ce slogan pour donner un peu de pédagogie dans cette période compliquée.

Q - Une ultime question, il faudrait une émission entière, mais on n'a plus le temps : Erdogan retire la Turquie de la Convention d'Istanbul qui protégeait les femmes des violences. Vous avez dit que ce n'est pas bien, c'est préoccupant.

R - Oui, c'est même très grave.

Q - Vous ne condamnez pas ?

R - Si. On aura une discussion au Conseil européen.

Q - Il n'y a pas eu de condamnation, Clément Beaune ?

R - D'abord, qu'est-ce que c'est une condamnation ? Ce serait d'appliquer des sanctions, etc. Ce sont des discussions que l'on a avec la Turquie sur d'autres sujets. Malheureusement, si je puis le dire ainsi, cela se rajoute à la corbeille des sujets très graves, scandaleux...

Q - Cela vous choque ?

R - Enormément. En plus vous avez vu la justification du gouvernement turc qui expliquait que c'est parce que l'on propageait, avec cette Convention, une idéologie, je ne sais pas laquelle, sur les droits des femmes ou les droits LGBT. Donc, oui, c'est un recul supplémentaire, très grave, qui fera l'objet des discussions que l'on a sur notre relation d'ensemble que l'on a avec la Turquie. Cela ne va pas dans le bon sens, ça c'est clair.

Q - Merci beaucoup, Clément Beaune.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mars 2021