Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La dette publique : la payer ou l'annuler ? ».
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons dans un second temps à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics. S'agissant du cantonnement de la dette sociale, monsieur Dharréville, je vous confirme que nous avons fait le choix, approuvé par la majorité, de reporter sur la CADES à la fois des dettes accumulées par l'ACOSS – Agence centrale des organismes de sécurité sociale – et, de manière prévisionnelle, les déficits des années 2020, 2021, 2022 et 2023, considérant que ces années seront marquées par des déficits liés essentiellement au financement de la crise du covid.
D'après les modalités de calcul qui ont été arrêtées, la dette sociale représente au total 136 milliards d'euros, dont 92 milliards correspondent, selon notre estimation, à la dette accumulée et à celle de l'année 2020. Le déficit de la sécurité sociale étant moins important que prévu, ces 92 milliards ont été ramenés à 75 milliards, ce qui nous laisse une certaine marge et permettra d'éviter que le montant du transfert à la CADES fixé dans la loi relative à la dette sociale et à l'autonomie, à savoir 136 milliards, ne soit atteint avant terme.
Pourquoi avons-nous procédé ainsi ? Tout d'abord parce que nous avons considéré que la dette créée par les déficits actuels de la sécurité sociale était liée à la baisse d'activité engendrée par la crise sanitaire. C'est la perte de recettes, notamment de cotisations salariales, qui explique la dégradation des comptes de la sécurité sociale, ce qui est fort logique dans la période que nous vivons. Ensuite, parce que nous avons aussi transféré à la CADES une partie de la dette des hôpitaux.
Concernant la politique monétaire, le Gouvernement aura l'occasion, au cours des prochaines semaines, de se battre devant la Commission européenne pour que le plan de relance européen soit débloqué et pour que la France en bénéficie – c'est le combat que mène quotidiennement Bruno Le Maire, conformément à son engagement. En outre, lorsque la Commission ouvrira, en principe à la fin de l'année, le débat politique sur les nouvelles règles et nouveaux indicateurs qui encadreront très certainement la dépense publique et son évolution sur la scène européenne, chacun apportera des arguments et nous prendrons position à ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Marilossian, pour le groupe La République en marche.
M. Jacques Marilossian. En écoutant tout à l'heure certaines interventions, je me suis demandé : que sommes-nous venus faire dans cette galère ? De beaux esprits, aveuglés par l'idéologie et encouragés par des politiciens démagogues et populistes,…
M. Adrien Quatennens. C'est d'une finesse !
M. Jacques Marilossian. …ont inventé la panacée : il suffirait d'annuler la dette détenue par la BCE.
Pour le prix Nobel d'économie Jean Tirole, les choses sont claires : la répudiation de la dette publique existante est une solution très risquée, car la confiance en l'État serait affectée.
M. Adrien Quatennens. Dites cela aux Allemands !
M. Jacques Marilossian. Il a raison de rappeler que la confiance est un facteur essentiel au fonctionnement de l'économie. Annuler la dette publique en Europe reviendrait à rompre le pacte de confiance. Cette approche s'appuie sur une longue liste d'arguments juridiques, techniques, pratiques et financiers qui ignorent les réalités de l'économie et les marchés financiers.
Il existe, de surcroît, un obstacle politique européen très simple et très clair à cette solution : un grand nombre de nos partenaires européens ne l'accepteront jamais. En effet, ses conséquences sont à leurs yeux évidentes : perte de confiance, perte de crédibilité, destruction de richesses, appauvrissement des épargnants, remontée des taux d'intérêt, risque d'inflation et de chômage, et j'en oublie. Une telle solution est donc inopportune et, surtout, dangereuse.
Passons aux choses sérieuses. Je voudrais vous interroger sur l'avenir de notre gestion économique et sur notre capacité à maîtriser la dette.
Comment pouvons-nous identifier la fameuse dette covid et la cantonner ? Si nous la cantonnons, quel traitement allons-nous lui réserver ? Ne pourrions-nous pas mettre en place, avec nos partenaires, un mécanisme européen dédié à la gestion de la dette covid, s'accompagnant d'un plan de rééchelonnement et d'un plan de financement ? Quel plan pouvons-nous déployer pour la dette publique hors covid ? Pouvons-nous proposer de nouvelles règles européennes pour le pacte de stabilité et de croissance ? Parmi ces pistes, quelles priorités le Gouvernement entend-il retenir pour les cinq prochaines années ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Vous avez évoqué les différents moyens d'identifier, de mesurer et de cantonner la dette covid. Je l'ai indiqué il y a quelques instants à M. Dharréville, nous estimons qu'en 2020 et en 2021, la quotité de dette explicitement liée au covid pour la sécurité sociale se situera autour de 75 milliards d'euros. Par ailleurs, nous évaluons à environ 140 milliards la dette de l'État provoquée par la crise du covid en 2020 et au début de l'année 2021. Nous obtenons donc le chiffre de 215 milliards évoqué par Bruno Le Maire dans son intervention.
Comment identifions-nous et assurons-nous le remboursement de cette dette ? Comment tenons-nous nos engagements ? Si nous défendons la modalité du cantonnement, c'est parce qu'elle permet d'isoler la dette covid et de montrer que nous la traitons, tout en gérant et stabilisant le reste de la dette – la part qui est liéé non pas au covid, mais à l'accumulation de déficits chroniques depuis quarante ou cinquante ans – en vue de réduire son poids.
La question du cantonnement de la dette soulève celle de l'affectation, ou non, d'une recette dédiée. Le choix qui sera fait en la matière modifiera profondément la nature du cantonnement. Certains d'entre vous, je le sais, défendent l'idée d'un isolement de la dette covid pour mieux la définir et la suivre sans nécessairement affecter une recette à son remboursement. Un schéma médian, qui a également été évoqué, consisterait à financer ce remboursement par l'attribution en loi de finances, année après année, d'une subvention budgétaire, en nous appuyant sur les recettes de la croissance. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces différents points lors du débat sur le programme de stabilité.
Concernant la définition de nouveaux indicateurs sur la scène européenne, je l'ai indiqué en répondant à M. Dharréville, la Commission européenne devrait en principe soumettre des propositions aux États membres à la fin de l'année. La France exprimera alors clairement sa position à ce sujet et ses priorités.
M. Bruno Le Maire, ministre. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Saint-Martin, pour le groupe La République en marche.
M. Laurent Saint-Martin. Bien que Fabien Roussel ait quitté l'hémicycle, je veux le remercier, ainsi que le groupe communiste, pour ce débat sur la dette publique, absolument essentiel. Éric Woerth, président de la commission des finances, et moi-même avions d'ailleurs proposé l'organisation d'un débat annuel sur la dette publique, afin que nous puissions discuter chaque année des questions fondamentales que nous abordons ce soir.
L'annulation de la dette publique constituerait une double faute, quand bien même elle concernerait uniquement la part détenue par la Banque centrale européenne.
Ce serait tout d'abord une faute technique. Imaginez que vous soyez actionnaire d'une banque auprès de laquelle vous souscrivez un prêt immobilier. La banque vous propose de l'annuler : vous n'aurez plus à rembourser le prêt, ce dont vous pouvez vous réjouir, mais, en tant qu'actionnaire de la banque, vous subirez une dévaluation de votre actif. Le projet d'annuler la dette repose donc sur une entourloupe comptable, qui n'a aucune efficacité et aucun impact sur la capacité d'investissement d'un pays.
L'annulation de la dette publique constituerait surtout une faute politique, car elle briserait la confiance de ceux qui nous prêtent et nous priverait de toute possibilité d'emprunter de nouveau pour de futurs besoins. Le pire cauchemar du groupe communiste deviendrait alors réalité : il faudrait soit augmenter les impôts, soit, pis encore, prescrire une cure d'austérité.
Aussi devons-nous non seulement nous opposer à l'annulation de la dette publique, mais dénoncer ce débat toxique qui n'a lieu qu'en France – quoiqu'un peu aussi en Italie. Cette mesure nous ferait perdre en crédibilité à l'échelle européenne.
J'en viens à ma question, messieurs les ministres. À l'occasion du vingtième anniversaire de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, nous souhaitons, avec Éric Woerth, déposer une proposition de loi organique relative à la gouvernance des finances publiques. Considérez-vous qu'un tel texte serait opportun en vue de trouver, après la crise, les voies et moyens d'un meilleur rétablissement de nos finances publiques ? Il s'agirait de promouvoir la pluriannualité des finances publiques – que vous avez mentionnée, monsieur le ministre de l'économie –, mais aussi d'assurer une plus grande transparence de nos comptes, une meilleure segmentation entre les comptes de l'État et les comptes sociaux, ainsi que l'assainissement des comptes publics, notamment en ce qui concerne les taxes affectées et les budgets annexes, car l'opacité des comptes publics nuit au consentement à l'impôt. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Jean-Louis Bricout. Ce n'était pas clair !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, c'est une bonne idée, sleon moi, de graver dans la loi les orientations que vous proposez en matière de gouvernance des finances publiques, ces orientations étant essentielles pour tenir nos objectifs.
M. Jean-Louis Bricout. Il suffit de changer la loi, et tout est réglé !
M. Bruno Le Maire, ministre. Permettez-moi de revenir sur l'un des points qui inquiètent le plus nos compatriotes. Depuis des décennies, nous leur expliquons que nous allons réussir à maîtriser les finances publiques. Au cours des trois premières années du quinquennat, je le rappelle, nous sommes sortis de la procédure de déficit excessif et nous avons stabilisé la dette ; ce sont des résultats significatifs.
Je suis cependant convaincu que nous devons aller plus loin, non pas pour la beauté du geste, mais parce que ne pas reconstituer nos réserves en période de croissance nous exposerait à des difficultés majeures en cas de nouvelle pandémie ou de crise économique, source de nouvelles dépenses supplémentaires. J'énonce là un simple principe de responsabilité : reconstituer nos réserves pour faire face à une éventuelle nouvelle crise.
Ce serait en outre conforme à un principe démocratique : nous devons être capables de choisir certaines dépenses publiques plutôt que d'autres, parce que nous croyons que ces dépenses sont essentielles. Je ne dis pas qu'il faut tailler dans les dépenses de tel ou tel secteur ; je dis que nous devons faire des choix responsables et les tenir pendant cinq ans, afin de mener les politiques publiques que nous estimons prioritaires, quitte à réduire l'argent que nous consacrons à d'autres politiques publiques, que nous estimons moins nécessaires.
C'est le coeur de la démocratie : faire le choix lucide, pour cinq ans, de politiques publiques auxquelles nous croyons et dans lesquelles nous pensons important d'investir – cela peut être l'innovation, la recherche, l'éducation ou l'hôpital ; accepter, pour les financer, de réduire les dépenses publiques dans d'autres secteurs que nous estimons moins prioritaires.
D'après mon expérience de ministre des finances depuis quatre ans, je le répète, si nous ne nous plaçons pas dans le cadre d'une loi pluriannuelle, nous n'arrivons pas à tenir nos objectifs. Chaque année, c'est la précipitation : une priorité immédiate ou un événement conjoncturel nous amène à privilégier telle dépense plutôt que telle autre. Se donner de la visibilité, de la clarté et de la perspective, grâce aux propositions que vous faites, c'est aller dans le bon sens, celui du bien commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Philippe Bolo applaudit également.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Fabrice Brun.
M. Fabrice Brun. La dette publique : faut-il la payer ou l'annuler ? En réalité, avons-nous vraiment le choix ? Pouvons-nous faire comme si la dette d'aujourd'hui n'était pas l'impôt de demain ? Ne vous en déplaise, monsieur le ministre, vous avez augmenté la CSG pour les retraités et voilà ce que nous observons : vous n'en parlez plus, mais eux s'en souviennent, parce qu'ils la paient encore.
Mme Marie-Christine Dalloz. Exactement !
M. Fabrice Brun. Il s'agirait donc d'une véritable bombe à retardement pour les Français, dans un contexte international où notre endettement est rendu supportable à court terme par la faiblesse sans précédent des intérêts.
Mais il faut dire que votre gouvernance a répandu le mirage de l'argent magique, alimentant le fantasme de l'annulation pure et simple de la dette. Le ventilateur à milliards tourne à plein régime, et l'on recourt de manière systématique à l'emprunt. Vous creusez toujours plus le déficit sans jamais nous dire – et sans jamais dire aux Français – comment vous allez rembourser. La crise sanitaire a bon dos : la dette française s'élève aujourd'hui à 120 % du PIB, mais elle frôlait déjà les 100% avant la crise, il y a un an, contre 60% en Allemagne et 80% en moyenne dans l'Union européenne.
Monsieur le ministre, allez-vous laisser en 2022 une ardoise colossale aux Français et aux générations futures, ou proposerez-vous, dans un esprit de responsabilité, un plan pluriannuel de désendettement public ? Par ailleurs, sur quelle base et selon quels critères précis cantonnerez-vous la dette covid, puisque c'est, semble-t-il, ce que vous proposez ? Comment cantonner une dette sans recette affectée ?
La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales détiennent désormais 3 120 milliards d'euros de dette publique, dont 800 milliards acquis en 2020 en lien avec la crise de la covid-19. Nous pourrions notamment envisager, grâce à la Banque centrale européenne, de faire rouler la dette covid sur une très longue période. Quelle action concrète le Gouvernement mène-t-il du côté des banques centrales, devenues les plus gros créanciers des États ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je commencerai par répondre à la deuxième partie de votre question. Oui, le Gouvernement tiendra son engagement ; il tiendra les engagements que prend la France lorsqu'elle contracte des emprunts. Nous faisons face à nos engagements, nous payons le service de la dette. Il nous arrive évidemment, comme tous les gouvernements, d'emprunter pour renouveler cette dette et la faire « rouler », pour reprendre l'expression que vous avez employée, mais en aucun cas nous ne faisons défaut. Cela a été rappelé : dès lors qu'on est une grande nation, on ne fait pas défaut. Bref, la dette se rembourse.
Pour rembourser, il nous faudra à la fois rétablir la croissance – cela a été dit –, maîtriser les dépenses publiques et travailler sur les modalités de gouvernance. Je reprends évidemment à mon compte le sentiment exprimé par Bruno Le Maire : nous envisageons avec confiance la proposition de loi organique soutenue notamment par Laurent Saint-Martin ; nous adhérons à l'immense majorité des mesures proposées dans ce cadre.
Dans la première partie de votre question, vous avez parlé d'un « ventilateur à milliards » et d'une stratégie qui laisserait penser que l'argent est magique. Je vous sais prudent, et je vous invite à l'être plus encore, car l'exercice est un peu périlleux : ceux qui nous reprochent d'avoir mis en route une machine à milliards ou de dépenser trop d'argent sont ceux-là mêmes qui nous critiquent pour tel ou tel trou dans la raquette et qui, année après année lors de l'examen du projet de loi de finances, nous proposent des crédits d'impôt ou des dépenses nouvelles sans jamais prévoir de recettes pour les compenser.
M. Fabrice Brun. Nous proposons une politique différente !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Nous portons très certainement, les uns et les autres, une responsabilité partagée quant à l'état des finances publiques. J'ai dit tout à l'heure que la dette, indépendamment de la part liée au covid, était le fruit de cinquante années de déficit chronique ; c'est bien la preuve que toutes les familles politiques sont concernées.
Dans la situation que nous vivons aujourd'hui, nous avons la possibilité de dépenser pour répondre à la crise et accompagner celles et ceux qui en souffrent. C'est une chance que nous devons saisir, mais cela ne nous exonérera pas des efforts que nous devons consentir pour retrouver un niveau plus soutenable de dépense publique à moyen terme et un niveau soutenable de dette publique à moyen et à long terme.
Mme la présidente. La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine.
Mme Emmanuelle Anthoine. La dette publique est un sujet trop important pour que nous ne l'abordions avec suffisamment de sérieux. C'est un enjeu de souveraineté : certains pays ont été mis sous tutelle pour ne pas avoir été capables de rembourser leur dette.
À cette aune, l'idée d'une annulation de la dette apparaît dangereuse. Une telle annulation entraînerait une rupture de confiance avec les investisseurs, qui refuseraient par la suite de prêter à nouveau à notre pays, ou alors à des taux rédhibitoires ; nous nous retrouverions ainsi privés des marges de man?uvre nécessaires pour financer le budget de l'État.
En outre, l'idée de recourir à la Banque centrale européenne pour procéder à cette annulation de dette conduirait à une dégradation de son bilan. La crédibilité de l'euro serait alors fragilisée et les investisseurs se tourneraient vers le dollar. Au regard de la conjoncture, un tel scénario est à éviter absolument.
En réalité, il va falloir rembourser la dette, et nous devons aux Français un discours de vérité. Face à cette réalité difficile, qui impliquera de faire des efforts accrus, nous pouvons blâmer votre gouvernement pour son manque de sérieux dans la gestion des dépenses publiques au cours des trois années qui ont précédé la crise du covid.
M. Alain David. C'est vrai !
Mme Emmanuelle Anthoine. Nous avons en effet abordé la crise avec un endettement parmi les plus élevés des pays de l'OCDE – en décembre 2019, la dette avait déjà franchi les 100 % du PIB. Tout au long de ces trois années, le Gouvernement s'est abstenu de fournir les efforts nécessaires, alors que la conjoncture était favorable aux réformes structurelles. Sur cette période, la dette a augmenté de 190 milliards d'euros, et le déficit de l'État, de 25 milliards. Au mépris des règles européennes, le Gouvernement a manqué l'ensemble de ses objectifs de redressement des comptes publics, lesquels manquaient déjà d'ambition. Nous subissons aujourd'hui les conséquences de cette attitude profondément coupable.
Ce soir, vous nous avez présenté les quatre piliers de la sagesse : un cantonnement de la dette, la croissance, la maîtrise de la dépense publique, des réformes structurelles. C'est précisément ce que nous appelons de nos v?ux depuis le début de la législature. Aussi, quel sérieux le Gouvernement peut-il vraiment nous proposer en ce qui concerne le remboursement de la dette ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Jean-Louis Bricout. Les Républicains s'achètent une nouvelle conduite !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Jusqu'à la première minute et quinze secondes de votre intervention, madame Anthoine, j'étais d'accord avec vous. Ce que vous disiez me convenait parfaitement : il faut dire que nous allons rembourser ; il est faux de dire que les règles européennes peuvent être modifiées d'un tour de main ou en claquant des doigts ; il est dangereux de prétendre qu'annuler la dette de la BCE serait sans effet ni sur le bilan de celle-ci ni sur celui des banques centrales nationales des différents États membres.
Au bout d'une minute et quinze secondes, j'ai eu un désaccord avec vous lorsque vous avez affirmé que la politique menée par le Gouvernement depuis 2017 n'était pas une politique de redressement des comptes, et lorsque vous avez ajouté que nous n'avions pas atteint nos objectifs.
Au cours des trois années que vous avez évoquées, le déficit de la France a été, pour la première fois, inférieur à 3 % du PIB, pendant trois années consécutives. Au cours de ces trois mêmes années, nous avons réduit le poids de la dépense publique de 3 points et nous avons diminué le taux des prélèvements obligatoires de 1 point en le faisant passer de 45,1% à 44,1 du PIB, conformément aux engagements du Président de la République. Nous veillons aujourd'hui à ce que ce taux n'augmente pas ; c'est la raison pour laquelle nous continuons à baisser les impôts des ménages et des entreprises.
Nous veillons aussi à ce que le poids de la dépense publique redevienne ce qu'il était avant la crise : nous nous employons à ce que les mesures que nous prenons, tant les mesures d'urgence que celles du plan de relance, soient les plus réversibles possible, afin qu'à l'issue de la crise, lorsque le PIB aura retrouvé son niveau d'avant 2019, une nouvelle couche de dépense publique n'ait pas sédimenté. Je peux vous assurer que ces engagements ont été tenus et continueront à l'être ; ils restent notre boussole pour ce quinquennat et pour le prochain.
Mme Emmanuelle Anthoine. On verra !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bolo, pour le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés.
M. Philippe Bolo. Le montant de la dette, 2 674 milliards d'euros, donne le vertige. Ces 2 674 milliards sont une somme déconcertante pour de nombreux Français, dont le budget se chiffre en milliers d'euros. Ces 2 674 milliards sont la preuve que la contagion du covid-19 a également touché nos finances.
Depuis mars 2020, notre économie et nos activités sont mises à mal. Une réponse politique forte a été donnée pour faire face aux effets du confinement et des mesures prises pour contenir la circulation du virus. Des dépenses nouvelles et imprévisibles sont venues creuser la dette en la faisant progresser de 215 milliards.
Cette prise de poids de la dette publique est une réalité au-delà de nos frontières : l'augmentation de la dette se chiffre à 1 065 milliards pour l'ensemble de l'Union européenne, à 254 milliards en Allemagne et à 142 milliards en Italie.
Si les dépenses étaient nécessaires pour protéger les entreprises et les ménages, la dette reste un piège dont il faudra sortir. Certains préconisent un abandon de dette par la BCE, solution juridiquement impossible, économiquement dangereuse et politiquement illusoire. Reste alors l'option du remboursement, qui exige de définir un horizon temporel et des arbitrages en matière de dépenses et de recettes.
L'équation est complexe, d'autant plus qu'elle nécessite une cohérence européenne : la cohésion des Vingt-sept risque de souffrir si certains pays se dirigent vers un remboursement rapide tandis que d'autres lui préfèrent une approche étalée dans le temps en pariant sur la croissance pour rembourser. La stratégie retenue va également influencer la capacité de la France à mener à leur terme d'importantes réformes structurelles et conjoncturelles. La manière de gérer la dette peut ainsi amener à renoncer aux défis que nous devons relever.
Monsieur le ministre délégué, quels scénarios de désendettement va-t-on comparer ? Comment le Parlement sera-t-il associé au processus de décision ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Vous avez raison d'évoquer le cadre européen et le rôle des vingt-sept États membres. J'y reviens en un mot pour dire que nous soutenons les initiatives de la Commission et du Conseil européen, notamment en ce qui concerne les décisions relatives aux ressources propres. C'est pour nous une façon de renforcer à la fois l'Union européenne et notre capacité à agir. Nous souhaitons tout particulièrement que la Commission puisse avancer sur la taxation du numérique et sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui ont fait l'objet de discussions que nous avons eues récemment avec elle.
Il faut que nous élaborions des scénarios. Je ne reviens pas sur ce que j'ai indiqué tout à l'heure dans ma réponse à M. Marilossian, si ce n'est pour dire que nous aurons l'occasion d'en débattre dans les toutes prochaines semaines, lorsque nous présenterons devant votre assemblée, conjointement ou peu s'en faut, le programme de stabilité et le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020. Le Parlement disposera ainsi de toutes les perspectives nécessaires pour aborder ces questions et débattre des trajectoires à adopter.
Ensuite, si l'idée d'un cantonnement de la dette devait prospérer – je sais que le débat est ouvert et qu'elle n'est pas nécessairement consensuelle à ce stade –, nous devrions de toute manière prendre des dispositions organiques, comme cela a été le cas pour la dette sociale. Celles-ci seraient évidemment débattues devant le Parlement.
Enfin, même si ce n'est pas la priorité du moment, qui est de répondre à la crise, il nous reviendra de discuter ensemble d'une nouvelle loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Ce sera l'occasion de tracer et d'inscrire dans la loi un certain nombre de perspectives et de trajectoires de redressement des finances publiques.
Je souhaite aussi que nous évoquions, au cours de la même période, les propositions défendues notamment par Laurent Saint-Martin en matière de gouvernance. Ce sera là encore l'occasion d'associer le Parlement.
Lors de ces quatre échéances, nous veillerons à ce que le Parlement soit pleinement associé à la définition des nouvelles trajectoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Bricout, pour le groupe Socialistes et apparentés.
M. Jean-Louis Bricout. Nous débattons ce soir de la dette publique. C'est un temps fort pour exprimer des convictions politiques, économiques et même philosophiques. C'est aussi un moment consacré à des échanges techniques, certes nécessaires mais pas toujours passionnants, avouons-le, pour les Françaises et les Français. Pourtant, nos concitoyens ne demandent qu'à comprendre quels seront les effets de nos décisions sur leur vie quotidienne. Quelles que soient nos opinions, un débat doit être un moment de vérité et de clarté. Je vous invite donc, monsieur le ministre délégué, à vous adresser à nous et, surtout, aux Français de manière directe et simple.
Notre peuple connaît la situation du pays et son endettement endémique. Il comprend les décisions qui ont été prises pour soutenir les secteurs d'activité affectés par la crise. Ce qui est moins compréhensible, c'est d'où viennent soudainement ces milliards, alors même que l'on demande depuis un certain temps au service public, notamment à nos hôpitaux, de réaliser des économies.
Député d'une circonscription qui a vu naître Condorcet et Desmoulins, d'un territoire qui n'aime ni les inégalités ni les injustices, je pense pouvoir me faire, comme d'autres, le porte-voix des catégories populaires et des classes moyennes.
Dans cet hémicycle, nous parlons du remboursement de la dette, de l'allongement de sa maturité, voire de son annulation par la BCE. Mais que dit la rue, qu'elle soit thiérachienne, axonaise ou française ? La rue se pose des questions : que va nous annoncer le Gouvernement pour le monde d'après ? La recherche de croissance suffira-t-elle ? Alors même que les impôts des plus riches ont baissé, y aura-t-il un tour de vis supplémentaire pour les ménages modestes ? Va-t-on encore parler de déficit plutôt que de besoin de financement pour nos services publics, alors que ceux-ci, à l'image de nos courageux services de santé, n'ont pas failli à leur mission ?
En un mot, monsieur le ministre délégué, qui va payer ? La première ligne, la deuxième ? Merci de nous donner, si possible, une réponse plus claire que votre attestation de déplacement. (Sourires.)
M. Alain David. Pas mal !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Avec vous, monsieur Bricout, on n'est jamais déçu. C'est une constante, mais cela ne veut pas dire que c'est une qualité.
Puisque vous parlez de la rue comme si vous en étiez le porte-parole, je vais énumérer des mesures que nous avons prises. Cette majorité a baissé les impôts.
Mme Christine Pires Beaune. Des plus riches !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. D'ici à la fin de l'année 2021, cette réduction atteindra 45 milliards d'euros, la moitié étant accordée aux entreprises – dont 10 milliards d'euros de baisse des impôts de production –, l'autre aux ménages. Pour ces derniers, il s'agit essentiellement d'une baisse de 15 milliards d'euros de la taxe d'habitation, qui va bénéficier à 80% d'entre eux – que vous classez peut-être parmi les plus riches ? – et d'une réduction de 5 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu, concentrée sur les deux premières tranches d'imposition – donc les classes populaires et moyennes, et non les plus riches, contrairement à ce que vous répétez sans cesse.
À la rue, vous pouvez aussi rappeler que cette majorité a mis en place le reste à charge zéro sur les prothèses auditives, sur les prothèses dentaires et sur les lunettes, ce qui était attendu depuis vingt ans. Dites-lui aussi que cette majorité a créé la cinquième branche de la sécurité sociale, dotée de 31 milliards d'euros et, à compter de 2025, de ressources affectées, à savoir 0,15 point de CSG. Rappelez-lui enfin qu'elle a dédoublé les classes. Je pourrais multiplier les exemples pour vous convaincre, si j'en étais capable, que l'action de cette majorité est très éloignée des caricatures qu'on en fait.
Je le dis et le répète : nous allons rembourser la dette, grâce à la croissance que nous allons susciter – tel est notre objectif. Nous ne la rembourserons pas en augmentant les impôts, car, après chaque crise, nous avons constaté que les hausses d'impôts tuaient la croissance. En 2008-2009, le choc fiscal – 30 milliards d'euros – a été supporté par les ménages, tandis qu'en 2012-2013, il l'a été par les entreprises. Ces expériences nous montrent que ce n'est pas le bon chemin, donc nous ne le suivrons pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Becht, pour le groupe Agir ensemble.
M. Olivier Becht. Tout d'abord, je voudrais remercier nos collègues – hélas absents – du groupe de la Gauche démocrate et républicaine pour ce débat sur l'annulation de la dette.
L'idée d'annuler la dette peut paraître très sympathique, encore faut-il ne pas avoir besoin d'emprunter par la suite : quand on ne paie pas ses dettes, on ne trouve plus personne, à court terme, pour nous prêter. L'Argentine ou le Venezuela – pays cher au groupe La France insoumise – ne se portent d'ailleurs pas particulièrement bien après leur défaut de paiement.
Qu'il faille s'interroger sur la dette covid est une chose. On peut imaginer un cantonnement ou, à tout le moins, un isolement de cette dette qui permettrait de la rééchelonner, comme nous l'avons fait dans le passé pour d'autres créances – je pense notamment à la « bad bank » créée pour gérer les créances des collectivités territoriales à la suite des déboires de Dexia. Ces pistes sont envisageables.
Pour ma part, je souhaiterais interroger le Gouvernement sur les créanciers de la France. Lorsque l'on emprunte près de 1 milliard d'euros par jour, il vaut mieux se demander qui sont les prêteurs. Quels sont les États étrangers qui détiennent de la dette française et à quelle hauteur la détiennent-ils ?
M. Michel Castellani. Très bonne question !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. La dette française bénéficie d'une diversification excellente – les investisseurs sont variés tant du point de vue de la géographique que de celui de leur typologie – et stable, ce qui constitue un atout plutôt qu'une menace pour notre pays. Cette répartition ne pose aucun problème de souveraineté, puisqu'elle nous permet de minimiser les taux d'intérêt en renforçant la concurrence et en éloignant le risque de refinancement. Rappelons que les obligations françaises à dix ans ont été souscrites en moyenne à + 0,11% en 2019 et à – 0,14% en 2020. Lors des dernières émissions, les taux sont restés faiblement négatifs mais négatifs.
La détention de la dette française est, je viens de le dire, relativement stable. Seule la mise en ?uvre et de la politique monétaire de la BCE par la Banque de France conduit à déformer cette tendance, mais il ne faut pas s'y tromper : les investisseurs étrangers…
M. Alain Bruneel. Qui nous tiennent par la barbichette !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. …représentent toujours 65 % des détenteurs de la dette française une fois retraité cet effet d'optique lié à la politique monétaire de la BCE.
La détention de la dette française fait l'objet d'une publication trimestrielle par la Banque de France et semestrielle par le Fonds monétaire international. Il en ressort que la dette de l'État est actuellement répartie en quatre quarts : la Banque de France, les résidents, les non-résidents en zone euro, les non-résidents hors zone euro.
Ce sont ces derniers qui suscitent votre interrogation. Il s'agit, je le répète, de pays très divers : il n'y a pas de pays type, hors zone euro, parmi nos prêteurs. À chaque émission d'obligations, nous veillons à garder la possibilité de faire jouer la concurrence. Précisons que le taux de couverture des obligations émises est, depuis quelques années, supérieur à deux, ce qui nous donne une vraie latitude pour choisir et diversifier nos créanciers.
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Thill, pour le groupe UDI et indépendants.
Mme Agnès Thill. Dans le rapport qu'elle a récemment remis, la commission pour l'avenir des finances publiques propose notamment d'« installer une vigie budgétaire pour une approche de long terme » des finances publiques et de l'endettement, autrement dit un gardien de la soutenabilité. " Le renforcement de la transparence des finances publiques passerait par la transformation de l'actuel Haut Conseil des finances publiques en une institution budgétaire indépendante dotée d'un mandat ambitieux et de moyens en propre, à l'image de ce que nous observons dans la plupart des pays qui ont réussi à s'engager dans une plus grande transparence et sincérité budgétaires ", explique la commission. Et de poursuivre : " Cette institution se verrait confier la responsabilité de la production indépendante de prévisions. Elle réaliserait les analyses de soutenabilité de la dette. Elle serait chargée du suivi de l'exécution de la trajectoire de finances publiques par rapport à la programmation pluriannuelle. "
Cette recommandation, qui a le mérite de lancer une réflexion pertinente sur nos organismes de programmation et de contrôle budgétaires, pourrait être le point de départ d'un travail fructueux. Monsieur le ministre délégué, envisagez-vous la création d'une telle institution ? Si tel est le cas, serait-elle issue de la transformation du Haut Conseil des finances publiques ou d'une autre entité ? Serait-elle placée auprès de la Cour des comptes ? Comment pourrait-elle s'articuler avec la commission des finances de l'Assemblée nationale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je ne vais pas préempter les conclusions du débat autour des préconisations du rapport de Jean Arthuis et de la commission qu'il a présidée. Il propose effectivement de créer une autorité indépendante pour veiller à la soutenabilité des comptes publics et de lui donner la capacité d'émettre des avis sur divers sujets importants.
De mon point de vue, la vigie de la soutenabilité des finances publiques reste le Parlement, et uniquement lui : c'est lui qui autorise le Gouvernement à lever l'impôt et à procéder à des dépenses. En application de ce principe d'autorisation parlementaire, au cours des dernières années, nous avons toujours évité les décrets d'avance, préférant soumettre au Parlement, autant que cela était nécessaire, des projets de loi de finances rectificative.
À titre personnel, je serais davantage intéressé par un débat sur les compétences du Haut Conseil des finances publiques – ou d'une institution autre – et sur la nature des avis qui lui sont demandés. Il serait utile, par exemple, que le Haut Conseil des finances publiques puisse donner un avis sur les lois de programmation pluriannuelles sectorielles et dire si elles sont compatibles avec la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Il serait intéressant qu'il donne aussi son avis sur certains éléments qui ont un impact pluriannuel sur les décisions que nous avons à prendre. Un tel débat me semble plus essentiel que celui sur la nature ou le statut juridique de l'organisme. La discussion parlementaire nous donnera l'occasion de trancher ce dernier point au cours des prochaines semaines.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Castellani, pour le groupe Libertés et territoires.
M. Michel Castellani. Le maintien des taux d'intérêt à un niveau bas autorise à augmenter l'endettement public sans en ressentir le poids : le coût marginal de l'endettement supplémentaire reste assez faible en termes de charges d'intérêt et la soutenabilité de la dette semble assurée pour le moment. On ne peut pourtant pas ignorer le danger d'une éventuelle remontée des taux d'intérêt. Une reprise de l'inflation, par exemple, serait de nature à modifier les orientations de la politique monétaire de la BCE. Elle se traduirait par une hausse des taux d'intérêt et une méfiance des marchés à l'égard de pays susceptibles de ne pas rembourser leur dette. Il est donc risqué de miser sur le fait que les taux d'intérêt vont demeurer bas à moyen et long terme. Considérez-vous que la France est prémunie face à une éventuelle augmentation des taux d'intérêt ? Je sais que la question a déjà été soulevée et que vous y avez déjà répondu en partie.
J'aimerais aussi vous interroger sur le financement du plan de relance. Dès le début de la crise sanitaire, dans le cadre du projet de loi de finances, j'avais soutenu un amendement visant à l'émission de bons du Trésor essentiellement destinés au marché intérieur. Un an plus tard, avez-vous le sentiment que suffisamment de mesures ont été prises pour que l'endettement de l'État soit davantage assumé par l'épargne intérieure, afin de minimiser les risques potentiels que recèle une détention majoritairement étrangère des titres ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Permettez-moi, monsieur Castellani, de ne pas m'étendre sur la question des taux d'intérêt, qui a déjà été abordée. Nous sommes convaincus que le risque d'une remontée des taux existe, même si les orientations actuelles de la politique monétaire de la BCE et la structure de notre dette concourent à nous rassurer sur les effets de cette éventuelle remontée.
Quant au plan de relance, il est actuellement financé par l'endettement. Compte tenu du niveau actuel des taux, nous considérons que cette stratégie est opportune. Si nous décidions d'emprunter sur le seul marché intérieur, afin de répondre à votre souci de rééquilibrer les sources de financement, nous financerions le plan de relance à des conditions moins avantageuses pour l'État : sans parler de la possibilité juridique de réserver des produits d'emprunt aux acteurs du marché intérieur, je pense que nous serions très certainement amenés à les émettre à des taux assez nettement positifs, ce qui n'est pas le cas lorsque nous émettons des obligations dans les conditions actuelles. C'est pourquoi nous restons fidèles à la stratégie que nous avons défendue lors des débats sur le projet de loi de finances.
Mme la présidente. La parole est à M. Adrien Quatennens, pour le groupe La France insoumise.
M. Adrien Quatennens. La dette publique doit faire l'objet d'une discussion politique rigoureuse, car ce débat engage la France pour des décennies. Disons les choses très directement : cette dette, dont vous vous plaignez souvent, est en réalité votre meilleur allié, et elle l'était déjà avant la crise sanitaire. C'est en la convoquant que vous appelez de vos v?ux de nouvelles réformes antisociales comme celle des retraites.
La dette d'un État ne peut pas – et ne doit pas – être comparée à la dette d'un ménage. Fort heureusement, la dette d'un ménage n'est pas ramenée à une seule année de ses revenus ! Même si nous devons nous prémunir d'une remontée des taux, commençons par dire qu'ils sont actuellement si bas que la France consacre actuellement moins de ressources pour servir la charge des intérêts qu'en 1981, alors que la dette publique a été multipliée par cinq dans l'intervalle.
Rappelons ensuite que vous êtes responsables, dans la continuité des actions conduites au cours des quinze dernières années, des baisses d'impôts inutiles qui pèsent pour 25% de la dette publique, sans compter la fraude et l'évasion fiscales, évaluées à 100 milliards d'euros, soit deux fois plus que le service annuel de la dette l'an dernier.
Selon vous, il faudrait maintenant réduire les dépenses publiques afin de retrouver des marges de man?uvre en cas de nouvelle crise. N'est-ce pas précisément en réduisant les dépenses publiques que l'on a rendu nos infrastructures plus vulnérables face à la crise ? N'est-ce pas au nom de la baisse des dépenses publiques que l'on a fermé 120 000 lits à l'hôpital en vingt ans et 7 400 en deux ans, au début de ce quinquennat ? Suivre les vieilles recettes du passé serait criminel sur le plan social. Surtout, cela nous ferait prendre un retard considérable pour réaliser la bifurcation écologique de notre économie, qui va nécessiter énormément d'investissements.
Alors, faisons avancer le débat ! Vous le savez : il est possible pour la Banque centrale européenne de continuer à racheter aux États leurs titres de dette et de les classer en dette perpétuelle. Vous le savez : aux États-Unis, la Réserve fédérale vient d'en racheter pour 2 300 milliards de dollars. Vous le savez : en 1953, il fut décidé d'éponger 50 % de la dette de l'Allemagne.
Bien sûr, vous êtes en désaccord politique avec ces solutions alternatives parce que vous avez besoin de la dette pour justifier votre préférence pour la baisse des dépenses publiques. Mais, à tout le moins, pouvez-vous admettre qu'il existe d'autres solutions que vos vieilles recettes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Vous avez raison : la dette publique doit faire l'objet d'une discussion sérieuse, ce qui implique que l'on reste jusqu'au terme de la séance. C'est votre cas, du fait de votre position dans l'ordre des inscrits, mais aussi, sans aucun doute, par choix – contrairement à ceux qui sont à l'initiative de ce débat et contrairement à d'autres membres de votre groupe qui ne sont plus présents.
M. Pierre Cordier. Ça, c'est facile ! On pourrait dire la même chose à propos de Bruno Le Maire, qui est parti lui aussi !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Parmi nos points de désaccord, l'un est majeur. Nous considérons en effet, comme la majorité des intervenants ce soir, me semble-t-il, qu'un État tient ses engagements et rembourse sa dette. Nous allons le faire et, si nous allons le faire, c'est aussi parce que nous sommes accompagnés dans cette entreprise par la politique menée au niveau européen par la Commission, par le Conseil européen et par la Banque centrale.
Je n'y reviens pas en détail, cela a été fait à de multiples reprises, mais nous savons par exemple que la BCE va accroître le rythme de rachat des titres dans le cadre de l'instrument SURE – instrument européen de soutien temporaire à l'atténuation des risques de chômage en situation d'urgence –, qui permet aux États de bénéficier d'un appui plus marqué, notamment sous forme de liquidités, et d'être mieux accompagnés et financés par les marchés. C'est grâce à ce cadre européen, ce cadre communautaire que nous pouvons faire face à la situation que nous vivons, que nous pouvons nous endetter et nous financer sur les marchés.
Allons au bout du débat. Puisque j'interviens sans doute pour la dernière fois ce soir – je ne vois pas le dernier orateur inscrit –, permettez-moi de vous poser à mon tour une question, même si ce n'est pas l'usage : comment imaginez-vous que la France puisse survivre du point de vue financier, faire face à ses engagements, si elle essaie de briser, comme vous le proposez parfois, le cadre communautaire dans lequel elle évolue…
M. Adrien Quatennens. C'est ce cadre-là qui pose problème !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. …et si elle perd les appuis de la BCE et de la Commission ?
Mme la présidente. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 24 mars 2021