Déclaration de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur l'Union européenne face à la crise économique et sanitaire, au Sénat le 23 mars 2021.

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Circonstance : Débat préalable au Sénat à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires européennes, le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président Rapin, monsieur le président Cambon, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous présenter ce soir les sujets qui seront à l'ordre du jour du Conseil européen de jeudi et vendredi prochains. Celui-ci, pour des raisons sanitaires, se tiendra en visioconférence, et c'est le Président de la République qui représentera notre pays.

Le premier sujet qui sera abordé, sans doute le plus longuement, est celui de la situation sanitaire liée à la crise de la covid, dans toutes ses dimensions. Nous étudierons en particulier comment mieux coordonner les mesures de gestion que peut prendre l'Europe et les réponses qu'elle peut apporter.

Pour être très clair, la priorité est simple : il faut accélérer la campagne de vaccination en Europe, augmenter l'approvisionnement en doses de vaccin. À cette fin, je suis convaincu qu'il est essentiel de maintenir le cadre européen d'acquisition de ces doses, cadre qui, à ce jour, est non pas un problème mais la solution. Néanmoins, il faut renforcer la pression sur les laboratoires, s'assurer de la bonne exécution des contrats et ne négliger aucun outil, aucun mécanisme, pour garantir le plus rapidement possible, de manière complète et équitable, l'approvisionnement de l'Union européenne et de ses États membres en doses de vaccin.

Vous le savez, un débat s'est fait jour voilà quelques semaines sur le contrôle des exportations de vaccin. Un tel mécanisme a été mis en place, notamment à la demande de la France, par les institutions européennes au début du mois de février. La France défend le principe de réciprocité et d'équité qu'a proposé la Commission européenne. C'est ce à quoi veille celle-ci au travers des contrôles systématiques qui sont exercés sur les livraisons effectuées depuis l'Union européenne. Je précise que le but n'est pas de les interdire, car tel ne serait pas notre intérêt dans la mesure où, ayant aussi besoin d'importer des doses, nous devons en permettre, dans certains cas, l'exportation.

C'est donc dans ce cadre européen que nous assurerons au mieux la défense de ces intérêts. Nous en discuterons donc jeudi et vendredi.

Vous le savez, afin de tirer les leçons de ce qui n'a pas été suffisamment anticipé et de ce qui s'est révélé insuffisamment efficace dans cette crise sanitaire, la Commission européenne a également proposé – là aussi, c'était une demande qu'avait formulée la France voilà plusieurs mois – de mettre en place une forme d'agence européenne s'inspirant du modèle de l'agence fédérale américaine, la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda), dans le but de financer davantage, plus en amont et en prenant plus de risques, la recherche de solutions technologiques et médicales.

Si l'on veut être tout à fait honnête et transparent, il faut bien dire que c'est grâce à cela que les États-Unis d'Amérique ont pu obtenir un avantage décisif dans cette campagne de vaccination. C'est pourquoi nous devons en tirer les leçons pour l'Union européenne.

De fait, au mois de février, la Commission européenne a proposé de créer une autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, appelée HERA (Health Emergency Response Authority). De premiers financements ont été proposés en préfiguration de cette agence.

Sur ce front sanitaire et vaccinal, ce point sera donc également à l'ordre du jour du Conseil de la fin de semaine.

Dans cette crise, il est important aussi que les Européens continuent à faire preuve de fermeté, d'unité et de solidarité. Vous avez constaté les tensions qui sont parfois apparues entre États européens face aux difficultés sanitaires et vaccinales que nous rencontrons tous. Je note d'ailleurs qu'à deux exceptions près, aucun État européen, malgré les tentations, n'est sorti de ce cadre, car il n'existe pas de solution miracle pour trouver des doses « cachées ». Chaque pays a donc fait l'expérience qu'il était dans notre intérêt de demeurer dans le cadre européen, pour une plus grande sûreté sur les plans tant scientifique qu'industriel.

Quand un pays membre est confronté, ponctuellement, à d'importantes difficultés, notre intérêt à la fois sanitaire et géopolitique doit nous conduire à faire jouer la solidarité européenne. C'est ce que nous avons fait collectivement à l'égard de deux pays européens particulièrement touchés ces dernières semaines, la République tchèque et la Slovaquie.

Et puisque cette entraide européenne fait parfois moins de bruit dans les médias que d'autres gestes géopolitiques, je tiens donc à le souligner : c'est d'abord d'un soutien européen dont ont bénéficié ces deux pays et d'autres, comme l'Autriche, plutôt que de solutions externes à l'Union européenne.

Cette approche de solidarité doit aussi se penser à l'échelle internationale. C'est la raison pour laquelle la France défend depuis plusieurs mois, par la voix du Président de la République, l'idée que le vaccin doit être considéré comme un bien public mondial et que l'accès à celui-ci doit être progressivement généralisé, indépendamment des moyens financiers, des capacités industrielles ou sanitaires de telle ou telle région du monde.

Non seulement cela correspond à nos valeurs, mais c'est aussi notre intérêt pour que la pandémie ne continue pas de frapper l'ensemble de la population mondiale et donc, in fine, l'Europe et la France.

C'est notamment l'initiative Covax qui porte cette ambition de solidarité internationale. Financée à plus de 40 % par l'Union européenne, elle a déjà permis d'ailleurs d'assurer de premiers approvisionnements à destination de pays en développement, en particulier en Afrique.

Il faut également accélérer la campagne vaccinale et préparer l'avenir. C'est pourquoi le Conseil européen se penchera sur l'après-crise sanitaire, qui devra être gérée de manière coordonnée. C'est notre devoir d'Européens d'anticiper et de coordonner ensemble, notamment – rêvons un peu – la levée progressive des mesures restrictives de circulation, mieux que nous ne l'avons fait après la première vague de la pandémie, l'été dernier.

C'est dans cet esprit que, le 17 mars dernier, la Commission européenne a proposé de créer un « certificat vert numérique », qu'on appelle parfois " pass sanitaire ". Selon nous, cette proposition va dans la bonne direction.

Cette solution de pass sanitaire n'est certes pas pour aujourd'hui. Nous avons dit à plusieurs reprises qu'elle était prématurée, ce qu'a répété le Président de la République lors du dernier sommet européen. Mais nous devons l'anticiper.

Deux critères principaux doivent être retenus.

D'une part, cette solution doit être européenne pour nous préserver de solutions nationales non coordonnées, voire incohérentes ou contradictoires, ce qui ne serait dans l'intérêt d'aucun pays. C'est ce vers quoi tend la proposition qu'a formulée le commissaire Thierry Breton voilà quelques jours.

D'autre part, cette solution ne doit pas reposer sur le seul vaccin car, même si nous nous employons à ce que la campagne de vaccination s'accélère partout en Europe, il est évident qu'à l'été, elle n'aura pas encore été généralisée à l'ensemble de la population, en particulier aux jeunes. Et donc opérer une discrimination entre générations et entre catégories d'âge serait une approche injuste. C'est aussi pour cette raison que la proposition de la Commission européenne intègre comme preuve sanitaire non seulement le vaccin, mais aussi d'autres éléments, comme un test négatif ou une infection préalable à la covid, laquelle apporte une protection au moins pour quelques mois.

Autre enjeu de ce Conseil européen, au-delà de l'après-crise sanitaire : renforcer notre économie, faire face aux conséquences de cette crise en poursuivant la construction d'une autonomie stratégique de l'Europe, redonner aux secteurs économiques les plus touchés une ambition européenne plus forte. Seront donc évoquées les questions de politique industrielle et le marché unique.

La France défend en l'espèce, depuis plusieurs années, un certain nombre de priorités, notamment le renforcement de notre politique commerciale qui, tout en restant ouverte vers le monde extérieur, doit être capable de garantir une meilleure lutte antidumping, une meilleure autonomie stratégique, l'équité dans l'accès aux marchés publics.

Nous demanderons une nouvelle fois, à l'occasion de ce Conseil européen, que soit relancé le travail législatif au niveau de l'Union européenne.

Nous défendrons aussi, dans cet esprit de reconstruction économique, l'accélération des plans de relance, du plan de relance européen en particulier. Voilà maintenant six semaines, votre assemblée a voté les ressources propres permettant de financer ce plan ; cependant, il reste encore quatorze pays européens qui doivent faire de même. C'est aussi ce message d'urgence et d'accélération que nous ferons passer.

Dans ce débat sur le marché unique et sur le renforcement de notre économie, un point spécifique sera consacré à la question du numérique.

Vous le savez, depuis maintenant plus de trois ans, la France porte l'ambition d'une taxation juste des entreprises du numérique, qui, souvent, échappent à quasiment toute imposition. Il y a un peu plus de deux ans, les pays européens ont collectivement pris la décision de renvoyer ces travaux à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La nouvelle administration américaine a adressé des signaux positifs en faveur de leur reprise dans un tel cadre international.

Néanmoins, il faut être très clair : si ces travaux n'aboutissent pas ou, dans le cas où ils aboutiraient, s'ils doivent faire l'objet de précisions, nous devrons reprendre le fil des discussions européennes dès la fin du premier semestre 2021. Nous attendons d'ailleurs de la Commission européenne une proposition législative sur de nouvelles ressources propres budgétaires, notamment une taxe numérique au niveau européen. Ce sera là sans doute un point de débat difficile de ce sommet européen, mais nous devrons à nouveau porter cette initiative.

Le Conseil européen sera l'occasion de discuter de l'agenda international. Plusieurs points ont été renvoyés à ce sommet, cependant qu'un nouveau – je le signale à votre assemblée – vient de s'ajouter à cet agenda : le président du Conseil européen, Charles Michel, a annoncé cet après-midi que le président américain Joe Biden serait, en fin de journée jeudi, connecté à la visioconférence des chefs d'État et de gouvernement pour un échange sur la nouvelle relation transatlantique.

Plusieurs points étaient déjà à l'ordre du jour de ces échanges, notamment une question relative à la Turquie. Nous avons demandé, au mois de décembre, au Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, de faire un point complet de la relation entre l'Union européenne et la Turquie pour étudier les signaux adressés par celle-ci après la pression que les Vingt-Sept, la France en tête, avaient exercée sur elle à la suite du Conseil européen qui s'est tenu à la fin de l'année 2020.

Vous le savez, ces signaux sont ambigus et parfois contradictoires. Certains, il faut le reconnaître, sont positifs.

Ainsi, en Méditerranée orientale, les forages illégaux ont, à ce stade, cessé et des bateaux qui menaçaient de porter atteinte à la souveraineté de la Grèce ou de Chypre ont été retirés des eaux concernées. A contrario, dans d'autres domaines, qui touchent à son paysage politique et partisan, la Turquie a adressé ces derniers jours encore des signaux préoccupants. Ce week-end, dans un registre différent mais tout aussi préoccupant, elle a annoncé se retirer de la convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, une décision que, avec Jean-Yves Le Drian et Elisabeth Moreno, nous avons profondément regrettée.

Par conséquent, Josep Borrell fera donc un point aussi transparent et complet que possible. Si besoin était, nous avons préparé des mesures restrictives, mais nous donnerons sans doute jusqu'au mois de juin à la Turquie pour clarifier sa position, pour marquer sa volonté de dialogue ou d'escalade. Nous restons ouverts au dialogue, mais l'Europe se prépare à faire preuve de fermeté, si nécessaire, dans la continuité de celle qu'a fait prévaloir la France ces derniers mois.

Une même approche de dialogue et de fermeté sera poursuivie à l'égard de la Russie. Un point sur cette question est également inscrit à l'ordre du jour de ce Conseil européen.

J'ajoute un dernier élément.

Un sommet entre l'Union européenne et l'Inde étant prévu au mois de mai, sous la présidence portugaise, la France souhaite ajouter à la discussion de l'agenda international un point sur la région indo-pacifique, dans le but de construire une stratégie européenne à destination de cette zone. Ces derniers jours, les États-Unis et le Royaume-Uni, en manifestant une volonté d'implication plus forte, ont signifié que cet espace géopolitique était pour eux une priorité. Le souhait de la France est que l'Europe manifeste une pareille ambition.

Pour conclure, je veux indiquer que, voilà quelques jours, un accord a enfin été trouvé pour le lancement de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.

Même s'il ne fera pas l'objet d'une discussion entre les chefs d'État et de gouvernement, il s'agit là d'un point d'actualité important. Il devrait trouver dans les prochaines semaines une traduction concrète puisque le 9 mai seront lancés les premiers débats entre les trois institutions européennes. Seront sollicitées les contributions de l'ensemble des parlements nationaux, de l'ensemble des gouvernements des États membres et de toute autre instance – association, fédération, etc. – qui souhaiterait, pour une année, participer à ce débat sur les orientations à long terme de l'Union européenne.

Puisque nous parlions de l'après-crise, nous devrons aussi réfléchir aux réformes importantes qui pourront être mises oeuvre au sein de l'Union européenne, et dont la présidence française aura à connaître à partir de 2022. (M. André Gattolin applaudit.)

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, après les propos pleins d'optimisme et de légèreté de M. Duplomb, je vais m'efforcer, une fois n'est pas coutume, d'être le lièvre de la réponse ! (Sourires.)

Si vous m'y autorisez, je veux vous offrir quelques éléments de réponse qui soient les plus complets possible, en regroupant par grands thèmes les remarques et interpellations qui ont été formulées.

J'aborderai en premier lieu la question de la vaccination, car c'est, à juste titre, celle qui préoccupe le plus et sera donc en tête de l'ordre du jour du Conseil européen. Je veux notamment rétablir certains faits et apporter plusieurs précisions au sujet du cadre européen de vaccination.

On voit bien – je l'ai dit très honnêtement – que ce cadre n'est pas parfait aujourd'hui. C'est un fait qu'il y a dans le monde des pays qui vont plus vite en la matière que les États membres de l'Union européenne. Il faut savoir pourquoi et essayer d'y remédier, sans pour autant noircir un tableau qui n'en a pas besoin.

Si l'on procède à des comparaisons internationales, on peut constater qu'il y a essentiellement trois pays qui vont plus vite que les pays de l'UE.

Deux grandes économies importent particulièrement, du fait de leur taille : les États-Unis et le Royaume-Uni. Quant au troisième, Israël, qui est souvent cité en exemple, il s'agit d'un cas assez particulier : cet État a accepté de conclure avec un laboratoire pharmaceutique un accord permettant de lui fournir des données médicales, en échange d'une livraison plus rapide de doses de vaccination. Je ne crois pas que nous aurions fait un tel choix.

Il faut aussi relever – je ne m'en félicite pas ! – que certains pays dont on nous dit qu'ils ont trouvé la solution miraculeuse pour procéder à une campagne de vaccination n'ont pas, de fait, réalisé de miracles. On nous avait vanté les prétendus mérites de la Chine dans la gestion globale de la crise sanitaire ; on nous promet le vaccin libérateur de la Russie. Pourtant, ces deux puissances vaccinent, en proportion, deux fois moins vite que les pays de l'Union européenne.

Précisons enfin, puisque des comparaisons imprécises, voire fausses, sont parfois faites, que la France n'est pas la lanterne rouge de la vaccination au sein de l'Union européenne, très loin de là. En proportion de la population adulte, même si nous devons collectivement aller plus vite, nous sommes devant l'Allemagne, devant l'Italie et devant l'Espagne.

M. Guillaume Chevrollier. Mais derrière la Roumanie !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Certes, monsieur le sénateur, nous ne sommes pas les premiers du classement de l'Union européenne, mais les différences sont très faibles entre les différents pays, hormis quelques exceptions assez atypiques, comme Malte, qui a pu aller très vite du fait de sa petite taille.

Toujours est-il que nous ne sommes pas la lanterne rouge de l'UE : nous sommes plus rapides que les Allemands, que les Espagnols ou que les Italiens, pour prendre des pays comparables au nôtre par leur taille. Je ne dis pas que tout va bien, mais il faut tout de même remettre les choses dans leur contexte et à leur juste place.

On sait que le sujet, pour l'Union européenne, c'est l'accélération de la production et de la livraison de vaccins. Cela se fera, non par des stratagèmes ou des tensions, mais en éprouvant toutes les solutions, jusqu'aux plus innovantes, pour que nous soyons livrés plus vite.

Cela implique tout d'abord de passer des contrats supplémentaires ; c'est ce que nous avons fait, notamment, avec le laboratoire Pfizer, qui nous a déjà livré au premier trimestre plus de doses que prévu et qui nous livrera encore au deuxième trimestre 10 millions de doses supplémentaires par rapport aux prévisions. Cela fait partie des bonnes nouvelles !

Il faut ensuite mettre la pression sur les laboratoires qui connaissent des retards ; on sait bien qu'il est question ici d'un laboratoire en particulier, à savoir AstraZeneca.

Dans de tels cas, il faut utiliser tous les leviers qui sont à notre disposition. Cela peut aller, comme je l'ai dit, jusqu'à des recours juridiques, mais soyons honnêtes : à court terme, ce n'est pas un recours en justice qui va nous apporter des flacons de vaccin !

On essaie donc de régler les problèmes industriels et de trouver des solutions créatives, innovantes, voire exceptionnelles – la période l'exige ! –, comme des accords croisés de production. C'est ce que nous avons incité le laboratoire Sanofi à faire, afin de produire, dès cet été, des vaccins Johnson & Johnson et Pfizer dans ses sites français et allemands. Nous mobilisons toutes ces solutions.

Ensuite, nous défendons nos intérêts. Je défends le cadre européen, parce qu'aucun de ces vrais problèmes de production ne serait mieux réglé dans un cadre national, me semble-t-il ; si vous voulez connaître ma conviction, je pense même que ce serait exactement le contraire, parce qu'on ajouterait aux problèmes actuels une guerre entre pays européens pour les doses de vaccin.

Beaucoup d'entre vous ont fait l'éloge de la coopération européenne et réaffirmé sa nécessité. Je partage volontiers cette position, d'autant que je ne suis pas sûr que, si l'on était en train de se faire la guerre entre Français, Allemands, Espagnols ou Italiens pour acheter des doses de vaccin, nous en sortirions gagnants ; je suis même persuadé que nous sortirions tous perdants d'un tel conflit, parce que la campagne de vaccination en Europe serait bien plus décalée d'un pays à l'autre, alors que c'est aussi notre intérêt que de voir les vaccinations aller au même rythme dans des pays voisins.

La défense de nos intérêts implique la mise en place de mécanismes tels que des contrôles des exportations. De nombreux orateurs ont souligné leur pertinence ; je le prends comme un encouragement pour cette réunion du Conseil européen. Vous avez notamment évoqué, monsieur Rapin, l'idée d'un principe simple de réciprocité.

On peut comprendre les problèmes industriels d'un laboratoire comme AstraZeneca, parce qu'il s'agit d'une campagne exceptionnelle et, somme toute, d'une prouesse industrielle.

Pour autant, on ne peut pas comprendre que, quand on a signé un contrat, on soit moins bien traité que d'autres signataires de contrats ; je pense au Royaume-Uni, qui a signé son contrat avec AstraZeneca en même temps que nous, et même un jour plus tard ! Une fois de plus, ne nous concentrons pas sur les faux problèmes : ce n'est pas une affaire de signature ou de délai administratif dans la signature des contrats.

Vous avez également justement rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous devrons tirer de la crise des leçons en matière de compétence sanitaire européenne. Celle-ci n'existait pas auparavant ; on l'a construite au cours de la crise. Le problème que nous avons rencontré à l'échelle européenne est que nombre de pays européens, dont la France, ont subi un retard industriel par rapport à d'autres puissances pharmaceutiques ou d'innovation.

C'est notamment le cas vis-à-vis des États-Unis d'Amérique, qui ont plus investi que nous, plus vite, et sur plus de vaccins et de technologies risquées. En outre, ils avaient dès l'origine une capacité de production plus grande, même si nous la rattrapons à un rythme rapide.

Plusieurs d'entre vous ont cité à cet égard les efforts déployés par le commissaire français Thierry Breton pour accélérer nos capacités de production. Nous sommes en voie de tenir notre objectif : d'ici à la fin de l'année, la capacité annuelle de production de vaccins sur le territoire de l'Union européenne atteindra 2 à 3 milliards de doses. Cela fera de nous, avec les États-Unis, le premier producteur mondial de vaccins, et de loin !

M. Laurent Duplomb. On en est loin !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Il convient de replacer les choses dans ce contexte et de relever les améliorations que l'on est en train d'apporter, au fur et à mesure et le plus vite possible. Je le répète : le seul sujet sur lequel nous allons nous concentrer est la production et la livraison de vaccins ; quant au reste, il ne s'agit pas de vraies réponses à une situation qu'il faut, objectivement, améliorer.

Je veux à présent vous apporter quelques éléments de réponse au sujet de la relance et de la stratégie économique, qui ont été évoquées par nombre d'entre vous et, en particulier, par M. le rapporteur général de la commission des finances.

Pour être précis et apporter une note positive en cette heure tardive, je ferai remarquer que plus de neuf États membres, de fait, sont arrivés au bout de la procédure d'autorisation du plan de relance européen : la procédure parlementaire est en effet achevée dans quatre États supplémentaires, auxquels il ne reste plus qu'à notifier la ratification aux autorités européennes ; on peut donc considérer que treize États ont aujourd'hui ratifié ce plan de relance, soit près de la moitié des membres de l'Union. Il faut encore accélérer !

Une dernière phase doit, elle aussi, être accélérée, à savoir la discussion avec la Commission européenne de chacun des plans de relance nationaux. Pour répondre à la question qui m'a été posée sur le calendrier, je préciserai que c'est à la fin du mois d'avril que le programme national de relance et de résilience sera communiqué, en même temps que le programme de stabilité ; il fera sans doute alors également l'objet d'un débat devant votre assemblée.

Je veux brièvement revenir sur les comparaisons, parfois imprécises, qui sont établies entre le plan européen et le fameux « plan Biden » de relance de l'économie américaine. Il ne convient pas de comparer celui-ci aux 750 milliards d'euros du plan de l'Union européenne, parce qu'il ne s'agit pas d'un plan de relance, mais principalement de mesures d'urgence portant sur le pouvoir d'achat ou le chômage partiel.

De telles mesures sont mises en place dans les États membres de l'UE en dehors du plan de relance : quand vous additionnez l'ensemble des mesures d'urgence et des plans de relance nationaux et européens qui ont été mis en place, même si le total est encore imprécis, on avoisine sans doute les 2 000 milliards d'euros, soit une somme très voisine de celle du plan américain.

Rappelons également qu'une partie des mesures du « plan Biden », notamment les mesures sociales de soutien au pouvoir d'achat des ménages, sont liées au fait que l'économie américaine a vingt points de dépense publique de moins que la France, ce qui a des inconvénients en temps de crise.

Il y a dans ces dispositifs un effet de rattrapage qui empêche une comparaison directe avec nos mesures, en particulier de chômage partiel. Je ferai remarquer à ce propos que la Commission européenne a relevé la semaine dernière que la France avait été le pays de l'Union européenne qui avait décaissé le plus de moyens pour aider les entreprises, les salariés et le pouvoir d'achat durant cette crise.

Je veux maintenant faire un point sur les questions numériques, qui sont également à l'ordre du jour de cette réunion du Conseil européen et que plusieurs d'entre vous ont évoquées.

La taxation du numérique sera évoquée, de même que la souveraineté numérique au sens large, dont M. Pellevat a parlé. La boussole numérique pour 2030 est un concept important ; concrètement, il s'agit de chantiers que l'on doit faire avancer d'ici à la présidence française et au cours de celle-ci.

Des propositions législatives seront faites en ce sens, autour de la cryptomonnaie ou de cryptoactifs, mais aussi de la souveraineté de nos centres de stockage de données, un sujet très important. Vous savez d'ailleurs que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne nous incite à relocaliser ces centres.

Nous avons subi le dramatique incendie du centre de stockage de l'entreprise OVH, à Strasbourg, mais il existe des acteurs européens qui peuvent être nos champions du stockage de données. Parfois, on n'a pas le réflexe d'imposer le recours à des solutions européennes pour le cloud ou, en meilleur français, les centres de données ; parfois, on ne dispose pas des règles nécessaires pour le faire.

J'en avais pris un exemple très concret lors de notre précédent échange, parce que la souveraineté numérique passe d'abord par ce genre de choix : nous avons refusé une solution de stockage sur des serveurs non européens pour les données de la présidence française, au profit d'une solution européenne, à savoir OVH.

C'est possible, et il faut renforcer cet avantage : cela fera partie des discussions relatives à la souveraineté numérique. Ce concept figure d'ailleurs pour la première fois dans le projet de conclusions de ce Conseil, qu'il conviendra de préciser.

J'en viens aux questions relatives à la francophonie, confus que je suis d'avoir utilisé le terme de cloud. (Sourires.) M. Gattolin a souligné à juste titre l'importance de ces questions.

Je pourrai en faire un long exposé, quelques jours après la Semaine de la francophonie et sa Journée internationale, mais je puis d'ores et déjà vous annoncer que Jean-Baptiste Lemoyne et moi-même serons accompagnés de la secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie, l'OIF, le 8 avril prochain, à Bruxelles, pour rencontrer la présidente de la Commission, le président du Conseil européen et beaucoup d'autres acteurs des institutions européennes et souligner auprès d'eux la nécessité, pendant la présidence française et au-delà, de recourir davantage au français.

En effet, il s'agit non pas seulement de francophonie, mais plus largement de multilinguisme, et il ne faut pas tomber dans un réflexe anglophone qui est d'autant moins justifié après le Brexit.

Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Cette approche est justifiée d'un point de vue défensif : nous devons être extrêmement fermes pour que tous les documents et les interventions soient traduits et disponibles en français et dans d'autres langues ; la présidence française sera l'occasion de s'en assurer.

Toutefois, il nous faut aussi une approche plus offensive, en renforçant à l'occasion de notre présidence nos actions de formation et nos démarches en faveur de l'attractivité de la langue française, notamment dans la pratique quotidienne des institutions européennes. Vous avez raison, monsieur Gattolin, ce sujet est extrêmement important.

Permettez-moi, madame la présidente, de revenir brièvement sur un autre point tout aussi important que j'ai omis de mentionner au sujet de la vaccination : on a affirmé de beaucoup de pays qu'ils étaient sortis du cadre européen, mais tel n'est pas le cas, même s'ils en ont eu la tentation. Il y a parfois eu en la matière, si vous me permettez l'expression, un peu d'« intox » ou de communication politique.

Ainsi, le Danemark et l'Autriche n'ont pu trouver en dehors du cadre européen, des millions de doses de vaccin : il n'y a pas de solution miracle ! De fait, ils n'en ont même trouvé aucune et n'ont procédé à aucun achat en dehors du cadre européen. On avait un moment évoqué un contrat complémentaire conclu par l'Allemagne avec Pfizer et BioNTech : ce contrat n'a pas été signé, et l'Allemagne a intégré de nouveau le cadre européen, pour une nouvelle commande de 300 millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech.

Pour être tout à fait précis, deux pays ont passé des commandes complémentaires : la Hongrie et la Slovaquie. Vous avez d'ailleurs pu constater que cette commande va entraîner la chute du gouvernement slovaque, parce que les formations minoritaires de la coalition au pouvoir n'ont pas accepté ce choix de sortir du cadre européen.

Or les doses promises par la Russie n'arrivent qu'au compte-gouttes ; les Slovaques se sont en outre aperçus qu'il était assez risqué de recourir à un vaccin qui n'était pas autorisé, à ce stade, par l'Agence européenne des médicaments : ces doses russes, en nombre limité, ne sont donc même pas utilisées à ce jour en Slovaquie !

Je le répète, il n'y a pas de solution miracle en Europe, avec des vaccins russes ou chinois qui nous sauveraient. À ce propos, la Pologne a eu des contacts avec la Chine, mais elle n'a finalement pas commandé de vaccins chinois.

Monsieur Laurent, vous avez évoqué la question de la propriété intellectuelle et des brevets, en citant le Président de la République quant à l'idée d'un accès généralisé aux vaccins, considérés comme un bien public mondial.

C'est exactement ce que nous faisons, mais la levée des brevets n'est pas la bonne réponse, car elle créerait un doute sur la rémunération de l'innovation dans un domaine où – cela a d'ailleurs constitué une difficulté – des start-up, parfois européennes, ont investi massivement et ont besoin de cette rémunération. Certains laboratoires, dont AstraZeneca, il faut le reconnaître, vendent déjà leur vaccin à prix coûtant. Ce n'est pas le cas d'autres laboratoires, qui ont besoin d'amortir leur investissement dans une certaine mesure.

En revanche, ce n'est pas aux pays qui n'ont pas les moyens d'accéder aux vaccins, notamment en Afrique, d'assurer cette rémunération du secteur privé.

C'est exactement pour cette raison que la France a, la première, proposé l'initiative européenne et le mécanisme Covax. Nous avons commencé à livrer un certain nombre de doses, même si nous sommes tous confrontés à un problème de rareté. Malgré ces difficultés, nous avons déjà envoyé près de 30 millions de doses dans 33 pays.

C'est le Président de la République qui, lors du dernier sommet européen, a proposé que nous vaccinions en priorité, malgré nos propres difficultés d'approvisionnement, tous les soignants africains d'ici à l'été prochain. Il le redira jeudi, car c'est la priorité absolue si l'on veut que leurs systèmes de santé tiennent dans une période extrêmement difficile.

Nous sommes à la manoeuvre sur ce point. Aussi, dépassons les postures : la bonne solution est de passer par ce système où nous achetons des doses pour les donner à des pays qui n'en ont pas les moyens. C'est d'ailleurs pourquoi l'Union européenne est la zone qui, dans le monde, a commandé le plus de doses – 2,6 milliards, soit bien plus que nos propres besoins –, de manière à en donner un certain nombre et à assurer une vaccination mondiale.

Au vu de l'heure qui avance, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d'être plus rapide dans ma réponse à vos autres questions, voire à pratiquer une forme d'oubli plus ou moins délibéré ! (Sourires.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Vous y répondrez devant notre commission !

M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Bien volontiers ; je serai ravi de poursuivre ces échanges devant votre commission des affaires européennes.

Je veux cependant répondre en un mot à M. Fernique, qui a fait allusion au mécanisme dit « CBCR », pour Country by Country Reporting, si vous me pardonnez cet affreux anglicisme. C'est grâce à la France que l'on a trouvé un accord au Conseil européen. Certains points, relatifs notamment à la phase de transition, doivent encore être réglés. Il est normal qu'une telle phase soit ouverte.

Pour vous répondre précisément quant aux informations comptables que les entreprises pourraient garder pour elles, nous avons demandé que la clause de sauvegarde s'applique à un nombre très restreint d'informations. La discussion se poursuivra avec le Parlement dans les prochaines semaines ; le rapporteur de ce projet de directive sera un député français de la délégation Renaissance. Ce débat va continuer, mais je tiens à répéter que c'est grâce à la France que ce projet a été débloqué après plusieurs années.

Je reviendrai, si vous le voulez bien, pour un débat plus large sur les droits à polluer et l'articulation avec le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Quant aux certificats sanitaires, il ne s'agit certainement pas d'instaurer un passeport, ou un passe, vaccinal. Quoi qu'il arrive, et même quand la campagne de vaccination aura porté ses fruits pour la population adulte, d'ici à l'été, on ne peut pas exclure toute une partie de la population, en particulier les jeunes, de la possibilité de circuler en Europe.

Si passe il y a, il doit être sanitaire, et non pas seulement vaccinal : il faut donc, monsieur Kern, qu'il intègre d'autres modalités, comme le test PCR ou la preuve d'immunité consécutive au fait d'avoir contracté la covid-19.

Je ne reviendrai pas sur la question des supercalculateurs, mais je pense que mes éléments de réponse sur la souveraineté numérique pourront être pertinents face aux interrogations de Mme de Cidrac.

Quant à la PAC, madame Gruny, je vous propose de revenir plus en détail sur cette question dans le prolongement de notre précédent échange. Sachez en tout cas que je partage vos préoccupations !


Source http://www.senat.fr, le 29 mars 2021