Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec CNews le 26 mars 2021, sur l'Union européenne face à l'épidémie de Covid-19.

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Média : CNews

Texte intégral

Q - Bonjour, Clément Beaune. Vous êtes le secrétaire d'Etat aux affaires européennes, vous venez de passer neuf heures auprès du Président de la République, hier, lors de ce Conseil européen, où il a été notamment question de ce renforcement du mécanisme européen pour les exportations. Mais je voulais vous interroger, Monsieur le Secrétaire d'Etat, sur cette dernière nouvelle que l'on vient d'apprendre : l'Allemagne classe la France entière comme zone à haut risque. Cela aurait-il pu être évité, des négociations ont-elles échouées entre Paris et Berlin ?

R - Bonjour. Non, vous avez raison, le classement de la France en zone dite à risque a été annoncé, il y a quelques secondes, par l'Allemagne. Ce n'est pas une surprise parce que c'est un système automatique, à partir du moment où des seuils sont franchis ; donc, là-dessus, il n'y a pas, même si je regrette cela, il n'y a pas de négociation avec les autorités allemandes, en revanche, il y a une négociation que je mène avec les autorités allemandes pour atténuer, limiter les conséquences de ce classement, c'est ce qui est important, notamment aux frontières, pour les travailleurs frontaliers qui quotidiennement ont besoin de se rendre d'un côté ou de l'autre de la frontière pour leur travail, tout simplement, ou parfois pour leur vie quotidienne essentielle.

Et dans quelques minutes, je m'entretiendrai avec les élus français des régions frontalières et de nouveau avec les autorités allemandes pour que l'on mette en place un dispositif qui soit le moins pénalisant possible et qui, en tout cas, n'aboutisse pas à une fermeture de la frontière, comme on l'avait négocié pour la Moselle, il y a déjà quelques jours.

Q - Oui, parce que quelles sont les marges de manoeuvre dont vous disposez pour ces frontaliers dont on imagine la légitime inquiétude, à cette heure ? Car si on en reste en l'état, Clément Beaune, l'Allemagne fermera sa frontière avec ces travailleurs ?

R - Oui, mais on va l'éviter, j'en suis convaincu, par cette coopération, cette concertation ; c'est une décision difficile qui est désagréable, c'est clair, mais la priorité, ce sont les frontaliers, leur vie et leur travail, avec un système, je l'espère, le plus espacé possible de tests réguliers pour entrer sur le territoire allemand, nous éviterons la fermeture des frontières par cette discussion, et j'espère que nous limiterons aussi le caractère difficile, parfois handicapant du processus de contrôle, qu'il n'y ait pas de contrôle à la frontière elle-même, qu'il y ait des tests, je l'espère deux fois par semaine, maximum tous les 48 heures. C'est de cela que nous discutons avec les Allemands pour atténuer les conséquences de ce classement et ne pas avoir de fermeture des frontières en tout cas.

Q - Et on attendra les annonces, donc. Au sujet de ce Conseil européen, on a entendu le Président de la République décréter la fin de la naïveté. Comment cela va-t-il se traduire, Clément Beaune ?

R - D'abord, c'est produire, produire, produire, la priorité. C'est cela qui a été discuté au Conseil européen. Nous allons avoir, nous avons déjà mais cela va s'amplifier, une vraie accélération des livraisons de doses de vaccins en Europe, avec plus de 300 millions de doses au deuxième trimestre qui sont attendues et qui tiennent compte des mauvaises nouvelles que l'on a eues sur Astrazeneca. Ce sont donc des provisions prudentes qui tiennent compte de ces difficultés, mais qui sont trois fois supérieur à ce que l'on a eu sur le premier trimestre. Donc, c'est vraiment une grosse accélération qui va avoir lieu au deuxième trimestre et sur laquelle nous nous sommes mobilisés.

Nous nous sommes mis d'accord aussi pour préparer l'avenir, parce que, le Président l'a dit, ce qui a péché, au niveau européen, c'est que nous n'avons pas assez innové, assez tôt sans doute. Nous devons rattraper, accélérer et augmenter nos capacités de production pour les vaccins actuels mais aussi pour les vaccins de nouvelle génération qui seront par exemple adaptés aux variants.

Et puis, une Europe qui n'est pas naïve, une Europe qui est utile et qui protège, c'est une Europe qui défend ses intérêts. Moi, je défends le cadre européen parce que je pense qu'il protège, mais pour aller jusqu'au bout de la logique, il faut que l'on contrôle les exportations et que l'on applique un principe très simple de réciprocité : on livre des doses à l'extérieur si on est livré, et si les autres pays et les laboratoires respectent leurs engagements. Là, je crois que c'est du bon sens et une Europe qui défend nos intérêts légitimes.

Q - L'Europe qui protège, vous répétez ce slogan qui est celui d'Emmanuel Macron. Jusqu'ici l'Europe n'a pas rempli son rôle, elle n'a pas forcément protégé. L'image de l'Europe que l'on décrit parfois comme trop technocratique va durablement être marquée, notamment ici, en France, elle ne cesse d'être critiquée depuis le début de la crise sanitaire.

R - Vous savez, ce qui me préoccupe avant l'image, c'est la réalité. Dans le cadre européen d'achat des vaccins, je crois qu'on a bien fait de rester ensemble. Tous les pays d'ailleurs qui sont allés chercher ces dernières semaines des doses ailleurs, qui apparaitraient comme ça un peu d'ailleurs par miracle ou par facilité, sont revenus ou sont restés dans le cadre européen. Puisque notre problème, c'est la production. Donc, réglons-le, et réglons-le ensemble. Si on avait des solutions nationales, on serait en train de se faire la guerre entre pays européens et je ne suis pas sûr que notre pays sortirait gagnant. En tout cas dans la durée, c'est sûr que l'on serait tous perdant.

Et en revanche, il faut muscler notre jeu, si je puis dire, réformer l'Europe dans ce sens de plus de protection. Cela changera la réalité de la vaccination, cela changera l'image de l'Europe après, mais d'abord la réalité de la vaccination. C'est pour cela qu'on ne peut pas imaginer qu'un laboratoire comme AstraZeneca livre le Royaume-Uni et ne livre pas l'Union européenne. Et si cela devait être le cas dans les prochaines semaines, nous ne tolérerons pas que des doses d'AstraZeneca quittent le territoire européen tant que le contrat n'est pas amélioré et honoré avec nous. Là, je crois que si on ne le faisait pas, on serait pour le coup naïf, et on ne serait pas dans une Europe efficace. Et donc, c'est le message qu'a porté le Président de la République hier pour que l'on mette en place ce mécanisme qui s'applique dès maintenant.

Q - Clément Beaune, il y a eu une incompréhension autour du vaccin russe Sputnik. Quand on n'est pas content d'un commerçant, en l'occurrence un laboratoire, AstraZeneca, est-ce qu'il ne faudrait pas se tourner du côté d'un autre laboratoire, en l'occurrence, c'est l'Etat russe ? Jean-Yves Le Drian ce matin, votre ministre de tutelle, déplorait un "moyen de propagande et de diplomatie agressive", a-t-il dit. Dans le même temps, l'Allemagne se dit prête à utiliser le vaccin Sputnik, si l'Agence européenne du médicament l'approuvait. Est-ce qu'il n'y a pas une dissonance entre Paris et Berlin, à nouveau, sur ce sujet ?

R - Non. Pour être très clair, le vaccin russe a le droit de déposer un dossier à l'agence européenne du médicament comme tout vaccin, quelle que soit sa nationalité. Ce sera examiné, on l'a dit, avec les mêmes critères. Mais il ne faut pas l'exclure par principe ou par idéologie, de notre part. Mais il ne faut pas non plus y voir une solution miracle, comme si l'on excluait un remède à notre lenteur de vaccination, qui serait le vaccin russe. Ce n'est pas exact. Il est examiné, mais ce ne sera pas examiné, autorisé, vraisemblablement sur le plan scientifique (par parce qu'on le ralentit, mais sur le plan scientifique) avant le mois de juin, nous disent les experts. Et, par ailleurs, sa production est aujourd'hui très faible ; donc, on n'exclut pas une option qui serait utile, mais il se trouve que, en pratique, de manière concrète, ce vaccin n'est pas autorisé scientifiquement, et il n'est pas disponible en termes de production. Donc, ne faisons pas croire qu'il y a une solution miracle qu'on aurait écartée. On n'écarte rien. Mais aujourd'hui, la solution, c'est de faire avec les vaccins qui sont autorisés, de regarder éventuellement d'autres, mais surtout de produire davantage, parce qu'on ne va pas attendre le mois de juin ou le mois de juillet, et d'éventuels autres vaccins, pour mener notre campagne de vaccination. L'accélération, c'est maintenant, c'est à partir du début du mois d'avril surtout, avec les vaccins Pfizer, principalement, et les autres qui sont aujourd'hui autorisés en Europe. C'est cela qui est concret, qui est efficace, et pas un débat théorique sur d'autres vaccins qui ne sont pas là aujourd'hui.

Q - Dernière question, Clément Beaune, il y a quelques minutes, notre correspondante à Londres nous faisait remonter les informations outre-manche : Emmanuel Macron est décrit là-bas comme un dur de dur. Jean-Yves Le Drian ce matin accusait Londres de faire du chantage parce qu'ils manquent de deuxièmes doses là-bas. Est-ce que vous, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, cela vous inquiète, cette situation de tension naissante et grandissante avec le Royaume-Uni ?

R - Non, moi, je ne pense pas que l'on doive chercher, ce n'est pas ce que l'on fait, ce que fait le Président, à créer de la tension, pour le principe, ou pour embêter un autre pays. Mais en revanche, notre responsabilité, en situation sérieuse, très grave, c'est de protéger. Et donc, on ne peut pas accepter qu'un pays ou un laboratoire soit livré plus que nous, alors que, je le répète, nous avons le même contrat avec AstraZeneca, il a été signé même au niveau de l'Union européenne un jour avant ce qu'ont fait les Britanniques. Il y a un prix qui a été fixé. Il y a des volumes qui ont été décidés. S'il y a des difficultés industrielles, elles doivent être réparties entre les différents destinataires (Royaume-Uni, Europe, ou autres), et ne pas utiliser l'Union européenne comme une variable d'ajustement. Cela, on ne le permettra pas. Si cela crée des remous à court terme, assumons-le, parce que l'enjeu, c'est de protéger et de vacciner. Mais je crois que ces tensions vont être dépassées, que c'est en défendant d'ailleurs nos intérêts que l'on va faire comprendre au Royaume-Uni qu'il vaut mieux avoir une solution négociée, coopérative. C'est notre intérêt et c'est surtout l'intérêt du Royaume-Uni. Donc, trouvons ce chemin ensemble pour éviter des querelles inutiles. Mais pas au sacrifice des intérêts des Européens bien sûr. On les défendra toujours en priorité.

Q - Merci, Clément Beaune.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mars 2021