Extraits d'un entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, avec France Culture le 28 mars 2021, sur le commerce extérieur.

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Intervenant(s) : 
  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Média : France Culture

Texte intégral

(...)

Q - Nous allons maintenant nous intéresser essentiellement à la question du commerce extérieur, export, import, on le disait en début d'émission. Au fond, vous êtes un peu le chef de la diplomatie économique française.

R - Le chef, je ne sais pas, mais en tout cas, effectivement, c'est au coeur de ma mission et finalement, on représente assez bien la volonté du Président de la République et du Gouvernement, en matière économique, c'est-à-dire d'externaliser, d'internationaliser notre économie, de faire en sorte que nous puissions avoir les meilleures conditions de développement des affaires dans notre pays pour favoriser le développement des entreprises, pour attirer de nouveaux investisseurs, y compris des investisseurs étrangers qui viennent investir en France, et de permettre à toutes ces entreprises de pouvoir se déployer à l'international, développer des exportations, développer des filiales dans un certain nombre de pays, parce que nous savons bien qu'aujourd'hui, nous avons besoin de bâtir aussi des partenariats gagnant/gagnant sur le long terme avec un certain nombre de pays, je pense notamment à l'Afrique. Et donc, c'est finalement dans l'intitulé de mon ministère un bon résumé de l'ambition économique du Gouvernement.

Q - Lorsque l'on regarde ces questions, elles étaient souvent est longtemps été gérées au ministère de l'économie, comme vous le savez, depuis Laurent Fabius, je crois, c'est revenu au Quai d'Orsay et cela suscite parfois des tensions. C'est bien que ce soit au Quai d'Orsay ? Vous allez nous le dire sans doute, mais il y a un débat.

R- Oui, mais en tout cas, je travaille bien évidemment avec une partie des administrations du ministère de l'économie, des finances et de la relance, avec une partie des administrations du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, et je suis en lien en permanence avec Jean-Yves Le Drian, bien évidemment, qui est le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et avec Bruno Le Maire qui est le ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Q - Entre les deux ?

R - Il y a beaucoup d'interministérialité dans mon poste. D'ailleurs, je travaille aussi avec Julien Denormandie pour l'agroalimentaire, avec Jean-Baptiste Djebbari pour ce qui concerne l'aéronautique, par exemple, ou les transports. Nous voyons bien qu'il y a une dimension absolument interministérielle, mais en même temps, la logique de l'appartenance au ministère de l'Europe et des affaires étrangères est importante parce que, in fine, c'est tout de même le travail à l'international qui fait la différence, c'est comment, avec les postes économiques des différentes ambassades, avec les services économiques des ambassades, avec Business France qui est l'opérateur en charge de l'exportation, si je puis dire, et de l'accompagnement des entreprises à l'international qui sont implantées dans un certain nombre de pays, ce sont les relations avec les Chambres de commerce et d'industrie française à l'étranger. Ce sont les relations avec les conseillers du commerce extérieur de la France que les choses se font dans les pays. La dimension diplomatique et la dimension internationale est absolument prégnante dans ce poste, et bien évidemment la question économique, parce que pour pouvoir, encore une fois, se déployer à l'international, vendre les produits sur les marchés à l'étranger, il faut avoir les bons produits, il faut avoir des produits compétitifs, innovants et au bon prix. C'est donc la raison pour laquelle il faut donc être en lien permanent avec le ministère de l'économie, les filières économiques, avec aussi la Direction générale du Trésor, parce qu'il y a toute une dimension de financement de l'économie à l'international.

Q - J'admire votre passion dans la vente, comme ça un côté un peu, comment dire, presque VRP. On dit que vous pourriez vendre du coulommiers à quelqu'un qui serait allergique au fromage, tellement vous défendez votre cause qui est la nôtre d'ailleurs !

R - Vous savez, on a aujourd'hui des résultats qui sont mauvais, qui ne sont pas à la hauteur de l'ambition que nous avons.

Q - Notamment à cause du COVID on y reviendra, mais plus globalement ?

R - Plus globalement, il y a structurellement un déficit du commerce extérieur français, des biens, le commerce extérieur des biens puisque l'on est en excédent sur la balance commerciale des services. Ce déficit structurel. Pour moi, il n'a pas vocation à être éternel. Nous devons changer les choses, nous devons retrouver des excédents commerciaux. Et pour cela, oui, il faut de l'énergie, oui, il faut de l'ambition et oui, il faut de l'enthousiasme. Nous avons des hommes, des femmes, des produits et des services qui sont absolument exceptionnels et que nous devons mieux mettre en valeur et mieux vendre à l'international.

Q - C'était une plaisanterie, évidemment, parce que vous étiez maire de Coulommiers, mais plus sérieusement, vous êtes aussi là pour, il y a 46 AOP, je crois, de fromages, pour le vin, cela fait partie de votre métier tout cela.

R - Oui, il y a ce qu'on appelle les indications géographiques, qui permettent de protéger les savoir-faire français. Il y a eu, par exemple, et c'est l'une de mes missions au sein de l'Europe, au sein de la politique commerciale européenne, de protéger ces indications géographiques. On a eu un accord avec la Chine sur ces indications géographiques récemment, et on met systématiquement dans nos accords de libre-échange que nous négocions cette dimension-là. Parce que dans mon portefeuille ministériel, j'ai à la fois les outils de l'export : comment accompagner au mieux les entreprises à l'international quand on sait qu'il y a 300.000 entreprises allemandes qui exportent 220.000 italiennes et que 130.000 françaises, on doit pouvoir faire mieux. Il y a aussi les outils qui sont les outils de la politique commerciale. Ce sont des outils européens, puisque la politique commerciale est une compétence européenne ; et donc, je discute avec les Etats membres, avec la Commission pour pouvoir définir la meilleure politique commerciale de l'Europe. Et bien évidemment, on pourra y revenir si vous le souhaitez, l'enjeu aujourd'hui, c'est la révision de cette stratégie de politique commerciale pour mieux défendre nos intérêts et mieux prendre en compte un certain nombre de préoccupations, comme les préoccupations de développement durable qui n'étaient pas prises en compte, préalablement, dans les politiques commerciales de l'Union.

Et puis, j'ai les outils de ce que l'on appelle l'investissement, c'est de faciliter les investissements étrangers en France.

Q - C'est pour attirer vers nous.

R - Exactement. C'est de faire venir des investisseurs qui investissent en France dans des usines, par exemple, plutôt que d'investir en Allemagne, en Espagne ou plus largement en Amérique, au Moyen-Orient ou en Asie. Et un certain nombre d'investisseurs prennent des décisions au niveau global, au niveau du monde entier, et le fait que la France, ces dernières années, ait amélioré son attractivité, sa compétitivité et son attractivité, réoriente un certain nombre d'investissements vers la France. Pour vous donner un exemple, en 2019, la France était le pays d'Europe qui avait le plus de projets d'investissements directs étrangers sur son sol, devant l'Allemagne, même ! Ce qui était évidemment inédit.

Q - Distinguons deux situations, COVID et hors COVID. Commençons peut-être par la question du COVID. On en est où au niveau des échanges commerciaux, en ce moment, je dirais, compte tenu de ce qui se passe ?

R - Alors, comme le monde entier, on a été touché de plein fouet par la crise COVID. Nous avons des exportations qui sont en baisse de l'ordre de 16%.

Q - 2020 par rapport à 2019, c'est ça ?

R - 2020 par rapport à 2019, lorsque les échanges mondiaux ont baissé de 10%. Donc, nous avons été plus touchés que le monde et que l'Europe, notamment parce que l'on a des filières très exportatrices qui ont été particulièrement touchées par la crise, l'aéronautique en est un parfait exemple. Et on a eu donc au printemps un trou très important de nos exportations qui progressivement, mois après mois, ce qui démontre la résilience de nos entreprises, se sont remises à exporter. Ce qui fait qu'en janvier 2021, par rapport à janvier 2020, donc avant la crise COVID, on a retrouvé quasiment le même volume d'exportations.

Q - Et au niveau des importations ?

R - Au niveau des importations, on a eu une baisse aussi des importations. Le déficit commercial des biens s'est accru. On est passé de 58 milliards d'euros en 2019 à 65 milliards d'euros en 2020.

Q - Donc ça, c'est la balance commerciale en déficit ?

R - En déficit, c'est la différence entre les exportations et les importations. Il y a eu une dégradation, inférieure à ce qu'on imaginait. A un moment donné, au printemps, on était parti sur une prévision à moins 80 milliards d'euros sur les biens. On finit à moins 65 milliards d'euros. Par contre, la mauvaise nouvelle, c'est que les services qui se tenaient souvent bien, on avait des excédents régulièrement sur les services, ils se sont aussi détériorés, ce qui fait que l'on a un excédent de services qui n'est que de huit milliards d'euros.

Q - Plus faible que d'habitude.

R - C'est beaucoup plus faible que d'habitude, ce qui fait qu'on a une dégradation de notre balance courante plus importante que d'habitude, avec un déficit important. Et pourquoi les services se sont effondrés aussi ? C'est le tourisme. Le tourisme était pour nous évidemment très générateur d'excédent. Or, le tourisme est l'un des secteurs qui est le plus impacté par la crise COVID.

Q - L'aéronautique, le tourisme.

R - La France, première destination touristique au monde, est le pays le plus touché par la crise COVID.

Q - Le troisième secteur, c'est l'automobile. C'est cela, ce serait cela ?

R - Le deuxième secteur le plus exportateur français, c'est le secteur de la chimie et des cosmétiques.

Q - qui lui s'est maintenu.

R - Il a un peu baissé, mais beaucoup moins que la partie aéronautique. Ensuite, vient l'agroalimentaire qui lui s'est maintenu. C'est le seul secteur avec le secteur pharmaceutique qui n'est pas négatif. Et le secteur pharmaceutique est le quatrième secteur en termes d'exportation et d'excédent d'exportation pour la France.

En revanche, les secteurs sur lesquels nous sommes très déficitaires, c'est le secteur bien sûr de l'énergie et le secteur de l'automobile aussi qui est surprenant et puis le secteur des biens manufacturés, tous les biens qui sont fabriqués en Chine et que nous importons.

Q - Vous venez de citer, c'est une parenthèse, mais qui me paraît être importante, vous venez de citer le secteur pharmaceutique. Une enquête extrêmement fouillée et vraiment très bonne de Dominique Nora dans l'Obs, ce week-end, plusieurs pages longue enquête : "L'histoire secrète d'une déroute." Elle raconte la faillite française pharmaceutique autour de Sanofi Pasteur. Elle décrit l'entre-soi, l'ENArchie, les cabinets ministériels fabiusiens notamment, des préfets et des sous-préfets qui décident au fond, dans le secteur scientifique. Les patrons qui sont des hauts fonctionnaires un peu coincé et qui ont la culture franco-française plutôt que celle du risque. Elle cible évidemment le patron de Sanofi, Serge Weinberg, qui est en train de devenir un peu l'homme le plus haï de France, puisqu'on lui doit, finalement, le reconfinement.

Mais, sans rentrer dans le détail de Sanofi, de cet article de Dominique Nora dans l'Obs, qu'est-ce qui ne marche pas dans la recherche française ? Qu'est-ce qui explique qu'en matière pharmaceutique de notre pays n'a pas le premier, ni le deuxième ni le troisième, ni le quatrième, ni le cinquième, ni le sixième, ni le septième vaccin ?

R - Encore une fois, sur les chiffres, le secteur pharmaceutique est le quatrième secteur excédentaire en matière de commerce pour la France. Nous exportons plus de produits pharmaceutiques que nous n'en importons. En revanche, il faudra que l'on tire évidemment tous les enseignements de ce qui s'est passé avec la crise COVID.

Sur la question des vaccins, je ne suis pas un spécialiste des questions de santé, mais un vaccin, ce sont des protocoles de recherche et on peut trouver plus ou moins vite. Il y a des paris qui sont faits, qui n'ont manifestement pas été faits de la même façon par Sanofi que par d'autres, notamment le pari de l'ARN messager.

Q - Ce sont souvent des plus petites sociétés, des startups qui ont osé finalement aller sur ces domaines.

R - Oui, c'est vrai. Après, il y a des problématiques de fond. D'abord, il y a la problématique qui touche toute l'industrie française.

Q - celle de la recherche.

R - Ce sont des problèmes de compétitivité, et cela passe par des questions de fiscalité. Cela passe par des questions de dispositifs d'accompagnement à la recherche et au développement. On a un dispositif assez performant, qui est le crédit impôt recherche dans notre pays. Mais on s'aperçoit que, malgré tous les moyens que nous mettons sur la recherche et l'innovation, cela ne se traduit pas suffisamment d'un point de vue industriel. Donc, c'est un des grands chantiers auxquels on s'attelle pour améliorer notre industrie en France.

Et puis, il y a aussi un autre sujet, qui est la question du prix des médicaments et des remboursements par l'assurance santé des médicaments. On sait que c'est un secteur régulé, depuis des années, parce que nous avons des déficits très importants, nous avons serré la vis du prix du médicament. Et nous voyons bien que l'on a des dispositifs qui n'étaient pas suffisamment accompagnateurs des innovations. Pour que ceux qui investissent dans des innovations, cela coûte de l'argent, puissent avoir la possibilité, si jamais ils trouvent, si jamais ils produisent des médicaments efficaces, d'avoir leur retour sur investissement. Il y a eu des décisions prises, les choses sont en train d'évoluer dans le bon sens, et c'est vrai qu'il y avait vraiment besoin de bouger en la matière.

Q - Vous êtes pour qu'il y ait une commission d'enquête sur ces questions. C'est ce qui a été demandé par plusieurs députés de l'opposition, notamment la France Insoumise ?

R - C'est du ressort du Parlement et ce n'est pas à l'exécutif de recommander quelque chose au Parlement.

Q - Vous êtes à la tête d'un groupe parlementaire, même si vous n'êtes plus parlementaire. AGIR.

R - Oui, exactement. Je suis le président d'AGIR et on a un groupe à l'Assemblée nationale présidé par Olivier Becht. Ils prendront leurs responsabilités. Mais de toute façon, nous voyons bien que sur cette question de la crise Covid, le Parlement....

Q - Mais ce n'est pas forcément pour attaquer, c'est juste pour comprendre.

R - Mais vous savez, je suis attaché à la séparation des pouvoirs. J'ai bien compris votre question. Je suis de toute manière, d'une façon générale, attaché à ce que le Parlement fasse son travail et dans ce qu'a à faire le Parlement, il y a le contrôle de l'exécutif et le regard que porte le Parlement sur des crises comme celle-là est utile.

Q - Pour terminer sur le Covid, quels sont les dispositifs, au fond, pour aider les entreprises mis en place par la France, à travers le plan France Relance et les plans sectoriels ?

R - Vous savez, en matière d'attractivité, et même de déploiement à l'international de nos entreprises, nous avons trois leviers : la transformation en profondeur de notre pays et je ne vais pas y revenir, mais beaucoup de réformes fiscales, beaucoup de réformes sur l'organisation du marché du travail, beaucoup de réformes en matière d'assouplissement des contraintes administratives. Il y a le plan France Relance qui est un plan de cent milliards d'euros et qui doit permettre à notre économie, d'être plus décarbonée, plus digitalisée...

Q - Cela fait partie de vos priorités. C'est-à-dire la transition écologique...

R - Exactement, et plus cohérente après la crise, dans le cadre d'une cohésion territoriale et sociale. Et puis, il y a eu les mesures qui ont été prises d'une façon massive et rapide au moment de la crise, que nous continuons à affiner, en fonction des besoins - on le voit là, cela a été fait notamment pour les commerces - qui permettent de protéger notre outil économique au maximum, de protéger les emplois, c'est-à-dire nos talents, pour que quand la relance va partir, quand on va pouvoir à nouveau commercer librement, ce qui est objectivement moins le cas aujourd'hui, on puisse saisir toutes les opportunités avec beaucoup plus de force, parce que l'on aura protégé notre outil économique, parce que l'on aura transformé notre économie, et parce que l'on aura un plan de relance qui répond vraiment aux besoins de transformation du pays et d'investissements.

Q - Vous citiez tout à l'heure le chiffre de 128.000, je crois, 130.000 entreprises françaises qui exportent, ce qui est peu par rapport à d'autres pays du même poids économique. On est classé où, pour terminer sur ces questions, au niveau exportations mondiales ?

R - Sixième.

Q - Donc, la France, c'est le sixième pays, c'est-à-dire...

R - En volume.

Q - C'est-à-dire une grande puissance moyenne.

R - Tout à fait.

Q - Je vous propose maintenant de nous intéresser toujours dans ces questions de commerce extérieur - puisque je rappelle que vous êtes ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, Franck Riester est notre invité ce soir - à l'environnement international. Un certain nombre de pays avec lesquels on a des relations. Et pour commencer, je vous propose d'écouter le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. C'était vendredi, chez nos confrères de France Info.

[Enregistrement des propos de Jean-Yves Le Drian : "il a tenu des propos qui ne me paraissent pas être des propos d'excuses. Je l'ai convoqué fermement et il a été reçu par le directeur d'Asie du ministère des affaires étrangères. Nous lui avons fait observer que ce type d'expression et de comportement était inadmissible, d'autant plus que des mesures avaient été prises contre les sanctions qui ont été prises par l'Union européenne à l'encontre d'acteurs de la répression contre les Ouïghours. J'ai fait savoir au ministre des affaires étrangères chinois, lui-même, que je connais bien, que je rencontre régulièrement, mes observations et je lui ai dit que ce type de comportement était inacceptable, d'autant plus que l'on s'adressait à des élus du peuple"]

À l'instant, Jean-Yves Le Drian, le ministre des affaires étrangères. J'avais oublié de dire juste avant qu'il revenait sur les propos tenus par l'ambassadeur de Chine en France. L'ambassadeur a notamment qualifié de "petite frappe" Antoine Bondaz, un chercheur de la Fondation pour la recherche stratégique, travaillant sur Taïwan. Petite frappe, ce n'est pas très gentil.

R - C'est inacceptable. J'ai moi-même pris la parole aux questions au gouvernement au Sénat pour dénoncer ces propos. C'est très bien qu'il ait été reçu au Quai d'Orsay, à la fois pour ses propos en direction d'un chercheur et en direction aussi de parlementaires. Ce n'est pas à la Chine et à un ambassadeur chinois de dire quel doit être l'agenda de parlementaires français ; mais aussi pour dire à quel point nous étions choqués par la réaction chinoise aux sanctions qui ont été prononcées pour la première fois, depuis trente ans, par l'Union européenne.

Q - Mais qui étaient inévitables, qui étaient attendues, non ?

R - C'était inévitable. Mais pour la Chine, ce n'est pas en étant dans une espèce de course à l'échalote de sanctions qu'elle réussira à répondre aux questions légitimes qui se posent sur la façon dont sont traités les Ouïghours en Chine. Nous voyons bien qu'il y a là une atteinte aux droits de l'Homme. Et donc, la Chine doit trouver les réponses à ces questions légitimes, encore une fois, de la communauté internationale, de l'Union européenne, de chercheurs français ou de parlementaires français.

Q - Est-ce qu'il faut interdire l'importation des produits issus notamment du travail forcé ou de ce que l'on en sait, ou du travail des enfants, des Ouïghours, sous contrôle chinois ?

R - Cette question est une question essentielle. Nous y répondons à travers la mise en place de travaux pour permettre que l'Union européenne se dote d'un instrument permettant, effectivement, à terme, de pouvoir bloquer l'importation de produits dans l'Union européenne fabriqués, tout ou partie, par du travail forcé. Cela nécessite un instrument juridique qui n'est pas encore en possession de l'Union européenne, mais la Commission a dit qu'elle s'y intéressait. Et la France souhaite que l'on avance et que l'on puisse avoir cet instrument qui nous permettra, dans l'avenir, de pouvoir bloquer ces produits.

Q - On en est où des relations UE/Etats-Unis, qui sont parfois aussi des relations entre l'Union européenne, les Etats-Unis ou la France et les Etats-Unis ?

R - Ecoutez, les relations sont meilleures. Des signaux très positifs ont été envoyés par les Etats-Unis depuis l'arrivée de l'administration Biden. Je citerais le retour des Etats-Unis dans l'accord de Paris. Je citerais le fait que les Etats-Unis ont retiré leur veto à la nomination de la Nigériane Dr Ngozi Okonjo-Iweala comme directrice générale de l'OMC. C'est le fait aussi...

Q - Vous allez la rencontrer ?

R - Je la rencontre, oui, jeudi, à Genève, avec Bruno Le Maire. Nous avons une session de travail avec elle. Il y a de nombreux sujets, très importants, que nous devons voir avec elle.

Q - C'est l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC.

R - Exactement. Le fait aussi, par exemple, que les Etats-Unis reviennent à la table de l'OCDE pour discuter d'une fiscalité des services numériques. C'était un point qui avait été refusé par Donald Trump et qui est pourtant essentiel, à la fois en termes d'impôt minimum pour ces grands acteurs du numérique, et de localisation de la fiscalité, au niveau des services, et la façon dont les services sont fournis dans les différents pays.

Q - Sur l'aéronautique et notamment les taxes liées au conflit entre Airbus et Boeing... ?

R - Et le fait d'avoir accepté un moratoire demandé par l'Union européenne de quatre mois, des taxes sur l'aéronautique, c'est-à-dire en gros Airbus et un certain nombre de fournisseurs d'Airbus, et sur un certain nombre de produits agroalimentaires européens, à commencer par les vins et spiritueux français. Ce moratoire est un très bon signal et nous travaillons avec Bruno Le Maire et l'Union européenne, ainsi que l'USTR, c'est-à-dire la ministre du Commerce extérieur américaine qui est Katherine Taï, qui vient d'être confirmée par le Congrès, pour que l'on puisse sortir de ce contentieux Boeing-Airbus, qui date de plus de dix ans, par le haut, et lever définitivement cette épée de Damoclès de tarifs douaniers, notamment sur le secteur de l'aéronautique et des vins et spiritueux.

Q - On parlait de l'Europe. En marge de l'Europe, un mot sur la Turquie. Juste avant, on écoute le Président Emmanuel Macron, qui a été interrogé mardi dans le cadre d'un documentaire de l'émission "C'est dans l'air", c'était sur France 5 :

[Propos d'Emmanuel Macron : "Il y aura des tentatives d'ingérence pour la prochaine élection.

Q - De la part des Turcs ?

Réponse d'Emmanuel Macron - Mais évidemment, c'est écrit. Et les menaces ne sont pas voilées. Donc je pense qu'il faut que nous soyons très lucides. Moi, je considère que c'est insoutenable. Après, moi, j'ai noté depuis le début d'année une volonté du Président Erdogan de se réengager dans la relation. C'est ce que je lui ai dit tout à l'heure. Et donc, je veux croire que c'est possible ce chemin. Mais je pense que l'on ne peut pas réengager quand il y a des ambiguïtés. Mais je pense qu'en tout cas, je ne veux pas réengager une relation apaisée s'il y a derrière de telles manoeuvres qui se poursuivent. Oui, il faut un dialogue avec la Turquie. Oui, il faut absolument tout faire pour que la Turquie ne tourne pas le dos à l'Europe et n'aille vers plus d'extrémisme religieux, des choix géopolitiques qui soient encore plus dangereux ou négatifs pour nous."]

Q - Franck Riester, sur la Turquie ?

R - Oui, eh bien, la Turquie, nous souhaitons, nous, que les relations s'apaisent, mais nous sommes très vigilants et nous sommes prudents ; et déterminés. Vous voyez que le Président Macron l'est, et nous le sommes tout autant. Vous voyez que la Turquie souffle le chaud et le froid. Ils ont soufflé le chaud avec la volonté de revenir dans une relation beaucoup plus apaisée, ils ont retiré leurs bateaux de Méditerranée orientale, vous savez, qui avaient fait l'objet de beaucoup de discussions en 2020. Mais aussi le froid avec la sortie de la Convention d'Istanbul sur la lutte contre les violences faites aux femmes ou avec toujours cette volonté...

Q - Et des propos inadmissibles contre le Président de la République, etc....

R - Les propos qu'il y a pu avoir contre le Président de la République, le fait que sont toujours instrumentalisées un certain nombre d'associations... Alors, il y a la fameuse affaire de la mosquée de Strasbourg, qui est un point spécifique, mais il y a, par exemple, également, tout ce qui s'est passé après l'attentat contre Samuel Paty, avec la transformation des propos du Président de la République, salissant à la fois le Président de la République et l'image de la France. Et donc, nous voyons bien qu'il ne faut pas être naïf, mais en même temps, c'est un partenaire important, à la fois stratégiquement, puisque c'est un allié au sein de l'OTAN - il faut d'ailleurs clarifier son attitude au sein de l'OTAN -, et un partenaire commercial, et un grand voisin avec lequel nous avons des partenariats, notamment sur l'immigration, très importants.

Donc, nous souhaitons avoir des relations apaisées avec la Turquie, mais nous sommes prudents. Il y aura un rendez-vous en juin pour voir si, oui ou non, les Turcs évoluent dans leur comportement.

Q - Un mot sur le Brexit et les relations avec le Royaume-Uni. Quel avenir pour ces relations après un accord trouvé, fin décembre ?

R - Et bien là aussi, il y a souvent avec Boris Johnson le chaud et le froid qui est soufflé. Nous avons su signer un accord qui, même si nous ne souhaitions pas le Brexit, est le meilleur possible, qui permet notamment de favoriser encore les échanges commerciaux et économiques avec le Royaume-Uni, tout en s'assurant que le Royaume-Uni ne devienne pas une espèce de concurrent déloyal à nos portes. D'où un certain nombre de dispositifs, tant de gouvernance de l'accord futur que de dispositifs nous permettant de lutter contre une éventuelle concurrence déloyale organisée par les Britanniques, en faisant en sorte de faire du dumping social, fiscal ou environnemental. Et avec toute une série, c'est un peu technique, mais de dispositions permettant de bien identifier la provenance des différents composants de produits qui seraient produits en Grande-Bretagne et qui viendraient de pays avec lesquels nous n'avons pas des accords commerciaux au même niveau que la Grande-Bretagne qui viendrait donc se transformer en plate-forme de réexportation de produits fabriqués ailleurs.

Q - Quelles que soient les conditions écologiques, par exemple.

R - Quelles que soient les conditions écologiques, sociales, le travail forcé, le travail des enfants et autres. Nous devons absolument être vigilants. Nous l'avons été avec cet accord. Pour autant, on voit qu'avec la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, les choses ne sont plus aussi simples qu'avant, malgré tout. Il y a des contrôles administratifs, il y a des contrôles douaniers qui sont faits et cela perturbe le commerce. Vous avez peut-être pu voir un certain nombre d'analyses sur l'effondrement des exportations de biens agroalimentaires britanniques en Europe. Nous, nous avons aussi une baisse d'exportations vers le Royaume-Uni, moins forte que depuis le Royaume-Uni vers l'Union européenne.

Et donc, il faut que l'on trouve les voies et moyens pour maintenir des échanges commerciaux et économiques nombreux avec les Britanniques. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je vais avoir un échange avec mon homologue, dans la semaine, pour parler de ces sujets-là. Mais vous avez vu aussi que Boris Johnson continue de souffler le froid, notamment au niveau des vaccins, en disant parfois des choses contradictoires. Là aussi, nous devons avoir une relation entre deux grands partenaires, deux grands alliés, deux grands amis que sont la Grande-Bretagne et l'Union européenne. Ce n'est pas toujours le cas avec Boris Johnson. J'espère que cela va changer dans l'avenir.

Q - Sur les accords de libre-échange, au-delà de l'Europe, je pense notamment avec le Mercosur, le projet avec le Brésil, notamment, de Bolsonaro, on en est où ? Quelle est la position de la France ?

R - La position sur cet accord est que nous ne signerons pas en l'état. Pourquoi ? Parce que nous disons que oui, renforcer les échanges commerciaux, c'est utile pour notre économie. Je suis là pour augmenter les exportations...

Q - Mais pas au prix des contraintes environnementales ?

R - Mais pas à n'importe quel prix, pas au prix de nos valeurs et pas au prix de l'environnement ou d'autres prises en compte de ce que l'on appelle aujourd'hui les biens communs de l'humanité. Ces biens communs, c'est notamment le climat, c'est notamment la forêt amazonienne. Or, aujourd'hui, nous voyons que notamment le Brésil prend des dispositions qui vont à l'encontre de cet effort pour lutter contre le réchauffement climatique, et prend toujours des mesures qui ne vont pas à l'encontre de la déforestation.

Tant qu'il n'y a pas un changement de comportement, tant que nous n'avons pas non plus un certain nombre d'instruments, nous-mêmes, nous, Européens, dans notre boîte à outils commerciale, qui nous permettent de lutter contre la déforestation importée, qui nous permettent de lutter contre le réchauffement climatique, et donc d'inciter nos partenaires à respecter de l'accord de Paris, nous ne signerons pas l'accord sur le Mercosur. Et d'ailleurs, il y a un grand nombre, enfin un certain nombre de pays européens qui nous suivent, et c'est tout le débat que nous avons actuellement avec la Commission et nos partenaires du Mercosur.

Q - Cela veut dire que, autour des négociations commerciales de la France à venir, il faut des standards exigeants, et que l'on doit les imposer ?

R - Tout à fait. Nous allons pouvoir, je l'espère, avec ce travail, autour de cette question de l'accord de libre-échange du Mercosur, bâtir, je dirais, des accords commerciaux d'un nouveau genre du XXIème siècle, qui permettent à la fois de développer des échanges commerciaux avec des partenaires, mais en renforçant des outils permettant de favoriser la lutte contre le réchauffement climatique, favoriser la biodiversité, veiller à ce que ce ne soient pas des produits faits par le travail forcé. Ces dispositifs qui sont nouveaux et qui sont la fierté et de la France et de l'Europe que de s'inscrire dans cette dynamique essentielle pour l'avenir du commerce international.

Q - Nous n'avons pas évoqué l'Afrique : il y a un enjeu, notamment dans la Tech, dans le commerce avec les pays africains. On en est où depuis le discours de Ouagadougou en 2017, je crois, d'Emmanuel Macron, qui portait une ambition ?

R - Tout à fait. L'ambition est toujours là. Nous voulons développer encore davantage nos échanges commerciaux, nos partenariats économiques avec l'Afrique. C'est l'une des grandes ambitions du Président. Nous la mettons en oeuvre, tant dans la partie Tech, avec notamment un dispositif qui s'appelle Digital Africa, qui permet d'investir dans des start-up africaines, avec le dispositif Choose Africa "choisir l'Afrique", qui permet d'investir dans des startups, pas forcément de la tech, ou des entreprises africaines, parce que nous pensons que l'avenir des partenariats avec l'Afrique, de nos relations économiques avec l'Afrique, passe par des échanges entre PME et ETI.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, avant le sommet France-Afrique de Montpellier de juillet, sera organisé un forum économique Choose Africa, où nous inviterons un grand nombre de PME africaines, où il y aura des PME et des ETI françaises et où les partenariats, les échanges seront évoqués, pour voir de quelle manière nous pouvons bâtir des relations gagnant/gagnant, sur le long terme, avec l'Afrique.

Q - Alors on a évoqué une série de pays. Si on résume et si l'on essaie d'un peu synthétiser, quelles sont selon vous - il y a déjà maintenant de longs mois, plusieurs mois, que vous êtes en charge du commerce extérieur et de l'attractivité de la France. Au fond, quels sont nos forces ? Et après, je vous demanderai quelles sont nos faiblesses.

R - Nos forces, c'est d'abord l'image de la France. L'image de la France qui est un élément absolument clé en matière de produits de luxe, en matière aéronautique, en matière d'industries culturelles et créatives. Nous avons une très bonne image. Il y a une envie de France. Après, souvent, on ne chasse pas suffisamment en meute, en France, c'est-à-dire que les grands groupes, ETI et PME ne vont pas suffisamment ensemble, comme, par exemple, les Allemands et les Italiens, à la conquête des marchés internationaux. Et donc, nous devons progresser de ce point de vue-là. Et puis, bien évidemment, je l'ai évoqué tout à l'heure, il y a les fondamentaux de notre économie qui sont essentiels. C'est la compétitivité, c'est notre stratégie industrielle, et c'est la politique commerciale de l'Union qui doit être plus défensive, qu'on soit moins naïf, que l'on se dote d'outils pour protéger nos entreprises, y compris à l'international. Mais pour que l'on chasse plus en meute, nous devons absolument encore mieux accompagner nos entreprises. Et c'est tout l'objet d'ailleurs d'une partie du plan France Relance, puisque nous avons voulu qu'il y ait dans ce plan France Relance une partie sur l'export. Il y a un plan de relance export qui vise à doter de moyens nouveaux celles et ceux qui travaillent avec les entreprises à leur déploiement à l'international, ce que l'on appelle la Team France Export, l'équipe de France à l'international, c'est Business France, je l'ai dit tout à l'heure...

Q - Team France Export, Team France Investissements, la marque France...

R - Bpifrance, les régions, les organisations professionnelles, les filières professionnelles...

Q - Il y a même l'Export-Tour. Tout cela est en anglais, mais c'est normal, on parle au monde.

R - Ce qu'il faut comprendre, c'est que, pendant des années, tout le monde travaillait en silo. Ceux qui, de près ou de loin, étaient nécessaires aux entreprises pour exporter. Aujourd'hui, elles travaillent ensemble. Elles sont fédérées ensemble, chacun avec ses atouts, chacun avec ses responsabilités. C'est la Team France Export. Et cela fonctionne avec les Chambres de commerce et d'industrie, par exemple. Nous devons renforcer leurs outils. C'est au coeur du plan de relance export et cela va permettre, j'en suis convaincu, cela l'a déjà démontré depuis quelques mois, d'accélérer les exportations françaises à l'international. Vous voyez que, même si l'on a des points forts, il faut que l'on travaille sur nos faiblesses, et ces faiblesses-là, c'est notamment le fait que nous ne chassons pas suffisamment en meute.

Q - Vous êtes donc placé auprès du ministre des affaires étrangères, donc en direct avec nos ambassades, nos Business France, les agences, les services économiques, les conseillers commerciaux. Il y a aussi ce qu'on appelle les VIA et les VIE. C'est peut-être plus marginal, mais ce sont des jeunes que l'on envoie un peu dans une sorte de service civique ou dans des ambassades ou dans des entreprises. Pourquoi est-ce que l'on ne multiplierait pas ces types de postes qui non seulement sont très formateurs pour les jeunes qui y sont nommés, mais aussi très utiles pour notre économie et nos ambassades, au moment où l'on dit qu'il faut des services civiques et il faut créer ce type de postes ?

R - Mais c'est vrai que l'on a besoin de trouver à nos jeunes des opportunités de rentrer sur le marché du travail. C'est pour cela que d'ailleurs on a investi six milliards et demi dans le plan France Relance pour l'apprentissage et les premières embauches.

Q - Mais cela reste difficile d'obtenir ces postes...

R - Et pour les VIE, c'est à dire les volontaires internationaux en entreprise, cela fait 20 ans, c'est un programme unique français dont nous sommes fiers et qu'il faut effectivement démultiplier. Alors, évidemment, nous sommes un peu contraints par les contraintes, justement de la Covid.

Q - Mais au-delà ?

R - Donc, j'ai des rendez-vous, des échanges réguliers avec mes homologues de certains pays pour trouver les voies et moyens pour permettre, malgré tout, le départ de ces jeunes. Et puis, pour renforcer les moyens pour les entreprises qui ont recours à ces VIE, on a mis en place, dans le cadre du plan France Relance Export, un chèque VIE qui permet de baisser le coût des VIE pour les entreprises. C'est formidable : pendant deux ans, des jeunes mettent leur énergie, leur formation, leurs compétences au service d'une entreprise. C'est très bon professionnellement pour ces jeunes et c'est très bon aussi personnellement, parce que quelle meilleure formation que de s'ouvrir sur le monde, voir ce qu'il se passe ailleurs et de se mettre au service d'entreprises qui ont la volonté d'aller à la conquête de l'international ?(...).


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mars 2021