Entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, avec RTS le 1er avril 2021, sur le commerce extérieur.

Prononcé le 1er avril 2021

Intervenant(s) : 
  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Texte intégral

Q - Bonjour, Franck Riester.

R - Bonjour.

Q - Merci d'être avec nous, vous êtes à Genève, en direct, escapade de travail en terre helvétique pour vous le ministre français, ministre délégué au commerce extérieur. Point d'orgue : une rencontre avec la nouvelle directrice de l'OMC, Mme Ngozi Okonjo-Iweala, mais aussi avec des dirigeants d'entreprises suisses. D'abord l'actualité des dernières heures, Franck Riester, le président Macron annonce hier la fermeture des écoles, reconfinement étendu à l'échelle du pays. C'est une décision qui est commentée dans la presse suisse aujourd'hui, dans "La Liberté", notamment, on parle de "pari perdu" pour un président qui voulait finalement tenir jusqu'à l'arrivée des vaccins. C'est un constat d'échec, ce nouveau serrage de boulon, Franck Riester ?

R - Non, ce sont des mesures supplémentaires pour contraindre le virus, pour limiter l'expansion de la circulation du virus. On a fait des choix qui étaient d'essayer à la fois de protéger la population, prendre des mesures comme par exemple le couvre-feu à 19 heures pour essayer d'endiguer la circulation du virus, sans bloquer l'économie, sans empêcher les jeunes d'aller à l'école ; c'est cet équilibre difficile que tous les pays européens, tous les pays du monde sont obligés d'essayer de trouver. Donc, ce n'est pas un pari que nous avions fait, nous avions des chiffres de circulation du virus, d'occupation des services de réanimation qui nous laissaient penser que nous pouvions continuer à maintenir un équilibre sans complètement fermer le pays. Et pendant ces semaines et ces mois, c'est autant de temps pour les jeunes d'aller à l'école, et autant de temps pour les gens d'aller travailler. Aujourd'hui, l'évolution...

Q - Mais au final, cela n'a pas marché, cela n'a pas suffi ?

R - Non, cela n'a pas suffi. Mais vous savez, il y a un nouveau variant, le variant britannique qui circule 60 à 70% plus vite que l'autre, qui est plus contagieux que l'autre, qui est plus mortel aussi que l'autre. Et donc, voilà, nous devons faire face à une sorte de nouvelle épidémie. Voilà, comme d'autres pays : vous avez vu que l'Italie est reconfinée, et même depuis longtemps. L'Allemagne a confiné pendant de nombreuses semaines, cet hiver ; pas la France. Chacun essaie - comme cela a été très bien dit d'ailleurs par l'interlocuteur qui a parlé juste avant - de trouver le bon équilibre d'une façon pragmatique, en apprenant aussi de la gestion de la crise pendant ces derniers mois, et en se disant de trouver le meilleur équilibre entre protection sanitaire de nos compatriotes, économie, possibilité pour nos jeunes d'aller à l'école, et puis, aussi, acceptabilité sociale de tout cela. Pendant un mois, effectivement, on renforce les mesures, sans être dans un blocage total du pays comme on l'avait eu par exemple en mars et avril, au printemps dernier. J'espère que cet équilibre-là va nous permettre, ensuite, de rouvrir et de pouvoir bénéficier de tous les avantages et les avancées que vont nous apporter les vaccins, parce que nous allons passer, maintenant, à une nouvelle étape de vaccination beaucoup plus intense.

Q - Franck Riester, tout cela, ce sont des mauvaises nouvelles, bien sûr, pour le commerce aussi, le commerce mondial qui est en panne. Il est si fragile. Il y a une image qui dit tout : c'est ce porte-conteneurs, au milieu du canal de Suez. Est-ce que l'on peut dire, aujourd'hui, que ce commerce mondial est dans une impasse ?

R - Non, pas du tout. On voit qu'il est fragile. On voit qu'il est fragile avec une pandémie comme celle que nous avons connue. Mais c'est une pandémie historique, qui a touché le monde entier ; donc, on comprend que le commerce international soit impacté par une telle crise. On voit aussi qu'il est vulnérable à un simple coup de vent sur un bateau, dans le canal de Suez, et ce qui explique bien que nous sommes globalisés. Notre commerce international est global. Et c'est donc très important d'avoir des règles qui permettent que ce commerce soit équitable, soit juste, et fonctionne dans l'intérêt de toutes nos économies, dans l'intérêt donc de notre prospérité. Pour autant, on voit que depuis la fin de l'année, ce commerce international a bien rebondi : c'est vrai en Asie, tout particulièrement, c'est vrai en Amérique et c'est vrai aussi en Europe, par exemple, en France, où nous avons vu nos entreprises exportatrices revenir toutes à la conquête de l'international, depuis la fin de l'année.

Q - L'année passée a été très dure, par contre, pour vos entreprises exportatrices. C'est même un constat de plus bas historique, quasiment, un déficit commercial qui a atteint 65 milliards d'euros. La reprise est difficile. Est-ce que votre visite à l'OMC contribue à l'idée que cela va repartir rapidement ? Qu'est-ce que vous pouvez faire, vous, ministre français, pour faire redémarrer cette machine ?

R - Alors, d'abord, nous n'avons pas un plus bas historique, nous avons structurellement un déficit du commerce des biens en France qui s'est aggravé en 2020 par rapport à 2019, à 65 milliards d'euros de déficit du commerce extérieur des biens contre 58 milliards de déficit en 2019. Mais nous étions sur une tendance très positive d'amélioration de ce déficit. Pour autant, nous avons structurellement des problèmes d'exportation, c'est pour cela que nous travaillons sur l'amélioration de la compétitivité du pays. Et beaucoup de choses ont été faites depuis 2017. C'est ce que, d'ailleurs, je dirai à un certain nombre d'investisseurs suisses, tout à l'heure. Nous avons protégé, par des mesures massives et importantes, l'outil économique de notre pays pendant la crise, ce qui nous permet d'imaginer que nous allons mieux rebondir peut-être que d'autres pays. Et puis, nous avons préparé, à la demande du Président de la République, sous la houlette du ministre de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, un plan de relance ambitieux de cent milliards d'euros. On pense que ce plan-là va nous permettre de rebondir, dans l'économie française, mais aussi à l'international, parce que dans ce plan, il y a un plan spécifique pour l'export, pour accompagner nos entreprises à l'international, notamment en Suisse, car nous avons de nombreux échanges avec la Suisse et nous voulons les amplifier, parce que nous avons des vrais partenariats, très positifs. Et puis, c'est important que ce commerce international, comme je le disais tout à l'heure, puisse être serein, être stable, être juste, équitable, durable. Et pour cela, il faut moderniser l'OMC. Il y a une fenêtre d'opportunité exceptionnelle, avec l'arrivée de la nouvelle directrice générale de l'OMC et avec la nouvelle administration Biden.

Q - Alors, je rebondis sur vos mots, équitable, durable, ce grand marché mondial se pose des questions sur sa responsabilité environnementale, mais franchement, Franck Riester, le libre-échange propre, cela n'existe pas, non ?

R - Ecoutez, en tout cas, il est clair qu'il faut, dans les accords de libre-échange, mettre beaucoup plus de préoccupations qui dépassent les questions commerciales et économiques, comme les préoccupations autour des biens communs mondiaux, comme l'environnement, comme la forêt, et donc lutter contre la déforestation, comme aussi les questions sociales. Et donc, non, les échanges commerciaux peuvent être respectueux de l'environnement, ils peuvent être respectueux de la biodiversité. Pour l'instant, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas, et c'est la raison pour laquelle nous sommes très mobilisés, tant au niveau de l'Union européenne, dans la modernisation de notre politique commerciale, qu'au niveau de l'OMC, pour que cette institution si importante, encore une fois, pour le commerce international, puisse mieux se saisir des questions de développement durable, à la fois en matière d'environnement, mais aussi en matière de droits sociaux.

Q - Une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne, c'est un des projets dont on discute, finalement, pour taxer les produits qui viendraient de pays qui ne sont pas sur la ligne des accords sur le climat. Les Etats-Unis, eux, grimacent. Est-ce vraiment un projet vers lequel on va ?

R - En fait, quelle est l'idée ? C'est de dire : nous avons pris des décisions et nous continuons d'en prendre pour améliorer l'empreinte carbone de nos entreprises. Dans le plan France Relance, par exemple, nous mobilisons des milliards d'euros pour aider les entreprises à décarboner leur production. Et donc, nous disons : ces efforts que nous demandons aux entreprises européennes, il faut que ces efforts soient aussi fournis par les entreprises, partout dans le monde, parce que notre planète est unique, et les émissions carbone en Chine ou aux Etats-Unis viennent dans l'atmosphère et donc touchent aussi l'Europe. Et donc, nous devons trouver des mécanismes qui permettent à tous les pays de monter leurs exigences, en matière de décarbonation de leur économie. Ce mécanisme doit être dans le cadre de l'OMC, donc ne doit pas être un outil au service du dumping, ou de lutte contre le dumping, mais au service de l'amélioration de nos émissions carbone dans le monde entier. Je crois que l'administration Biden a changé véritablement, vous l'avez vu, sa ligne de conduite en matière environnementale, en revenant dans les Accords de Paris. J'espère qu'avec les Etats-Unis, mais aussi avec nos autres partenaires commerciaux, nous trouverons les bons dispositifs qui permettent d'être beaucoup plus exigeants avec nos entreprises en matière d'émissions carbone, sans pénaliser celles et ceux qui sont les plus vertueux.

Q - Vous êtes en Suisse, aujourd'hui, Franck Riester. La Suisse se pose des questions dans sa relation, pour l'avenir de sa relation avec l'Union européenne. Il y a un accord-cadre qui est là, qui est censé donner un nouveau souffle à cette relation. Mais il y a un blocage, le certificat de décès est prêt à être signé en Suisse, tous les partis politiques, ou presque, n'en veulent plus. Jusqu'à quel point la Suisse pourrait compter sur la France pour rester en bons termes avec l'Union européenne ? Quel soutien pourriez-vous apporter à la résolution de cette relation ?

R - Nous souhaitons qu'il puisse y avoir la signature de cet accord-cadre. Nous avons besoin de moderniser la relation entre l'Union européenne et la Suisse. Et l'accord qui avait été trouvé va vraiment dans le bon sens. Et la France est volontaire pour que l'on trouve une solution, parce que nous devons avoir un cadre à nos relations. Nos relations sont nombreuses, et elles doivent augmenter, encore, dans l'avenir. Nous avons de nombreux Français qui habitent en Suisse, de nombreux Suisses qui habitent en France. Nous avons beaucoup de frontaliers, dans un sens ou dans un autre. Nous avons besoin d'enrichir, de nous enrichir mutuellement, de partenariats. Pour le coup, il faut, pour ce faire, un cadre. Un cadre qui permette que le commerce et les échanges soient justes, et que, encore une fois, nous puissions être dans un partenariat gagnant/gagnant. C'est ce que nous essayons de faire et vous pouvez effectivement compter sur la France pour faire les efforts qu'il faut pour permettre cet accord.

Q - Et si les Suisses vous disent non, pas d'accord-cadre, vous dites "rétorsion" ?

R - Non, vous savez, de fait, les choses seront différentes. Nous avons à coeur de renforcer ces relations, de les pérenniser et de les renforcer. Si les Suisses, en toute souveraineté, prennent une décision différente, nous le regretterons, et nous continuons de nous mobiliser pour que cela ne se passe pas, mais nous en prendrons acte et nous continuerons, avec un contexte différent, à essayer d'entretenir les meilleures relations avec les Suisses, tant au niveau économique qu'à tout niveau.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2021