Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, à Radio J le 12 avril 2021, sur les vaccins contre le coronavirus, les élections régionales, la suppression de l'ENA et la réforme de la fonction publique.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Amélie de MONTCHALIN, bonjour.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous êtes en charge au gouvernement de la Fonction publique, mais surtout de la transformation publique, et l'innovation, un mot pour commencer du changement de stratégie sur la vaccination ouverte aux plus de 55 ans, les deux doses espacées pour qu'on puisse faire plus de primo-injections ; je vais être un peu mal pensant, j'ai l'impression qu'on veut écouler le stock D'ASTRAZENECA dont les Français se méfient, et qu'on veut en étalant les deux doses monter plus vite à 20 millions, pour dire que le gouvernement a atteint son objectif.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bon, d'abord, on se bat contre ce virus, et les Français font, je le crois, beaucoup d'efforts, et parce qu'ils font beaucoup d'efforts, nous devons nous aussi être extrêmement clairs sur l'ambition vaccinale, qui est la lumière au bout d'une année extrêmement rude et difficile, nous avons toujours dit que dès que les doses seraient là, nous accélérerions…

CHRISTOPHE BARBIER
Elles arrivent…

AMELIE DE MONTCHALIN
Elles arrivent, et par ailleurs, que nous ouvrions les choses de manière graduelle pour les publics qui sont les plus exposés à faire des formes graves et à se retrouver en réanimation, voire à, eh bien, connaître les conséquences tragiques que l'on sait, qui ont touché beaucoup trop de familles dans notre pays, à qui je souhaite aujourd'hui penser.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, on a déjà dix millions de vaccinés, on va avoir les vingt millions, là, dans quelques semaines. Pourquoi ne pas rouvrir les restaurants, les théâtres en les réservant à ces millions de vaccinés, c'est un stock de clients, si j'ose dire, pour faire repartir l'économie ?

AMELIE DE MONTCHALIN
La première chose, à nouveau, c'est que nous devons créer la confiance sur cet enjeu vaccinal, vous avez parlé d'ASTRAZENECA, vous avez parlé des autres vaccins, je crois que dans cette période, nous devons tous en responsabilité ne pas agiter les peurs, ne pas créer de la défiance, et donc être extrêmement organisés, séquencés pour que les Français se vaccinent. Vous me parlez ensuite de l'accès que pourraient avoir ceux qui sont vaccinés à la vie collective, nous avons toujours dit que se faire vacciner n'était pas une obligation, et que nous ne pouvions pas créer un pays à deux vitesses entre ceux qui avaient pu être vaccinés, et aujourd'hui, vous voyez que c'est 60 % à peu près des plus de 70 ans qui ont eu une première dose, mais nous devons aller au bout de la vaccination pour vraiment les protéger. Donc, de toute façon, les conditions ne sont absolument pas réunies, même en termes d'immunité pour ces personnes-là d'être aujourd'hui pleinement protégées, il faut qu'il y ait eu la deuxième dose, et ensuite que l'immunité soit construite, et donc ensuite, nous ne sommes pas un pays où nous allons créer un système à plusieurs vitesses sur des critères sanitaires, la démocratie va imposer à ce que nous ré-ouvrions les choses de manière sécurisée, évidemment, être vacciné est sécurisant, mais ça ne peut pas être la condition pour créer ceux qui peuvent aller aux festivals, ceux qui peuvent aller au cinéma et ceux qui doivent rester dehors, notamment parce que, on le sait, nous serons pas en capacité par effet de doses, de vacciner l'ensemble des français de plus 18 ans qui le voudront avant plutôt le milieu ou la fin de l'été, et donc d'ici-là, il faut qu'on puisse réouvrir les choses de manière organisée, c'est l'objectif que nous a fixé le président et le Premier ministre, de préparer les choses, s'assurer que l'épidémie ne reprendra pas. Mais ça, ça veut dire d'abord qu'il faut que dans les prochains jours, prochaines semaines, nous continuions les efforts pour continuer de casser la courbe.

CHRISTOPHE BARBIER
L'autre suspense du jour, ce sont les maires de France qui doivent répondre avant midi, ils sont 34.970, à une question simple : veulent-ils oui ou non un report des élections régionales prévues les 13 et 20 juin ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce n'est pas la question qu'on leur pose…

CHRISTOPHE BARBIER
Non, c'est : est-ce qu'ils se sentent en capacité ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est, alors qu'ils sont très investis, on le sait, notamment dans l'effort vaccinal et sanitaire, alors que le Conseil scientifique a posé un certain nombre de préconisations, eux, qui sont ceux et celles qui organisent, qui ont la responsabilité juridique d'organiser ces élections, considèrent-ils qu'ils seront en capacité de le faire au mois de juin…

CHRISTOPHE BARBIER
Vous connaissez beaucoup de maires, notamment en Ile-de-France, notamment dans votre département, l'Essonne, qu'est-ce qu'ils vont répondre à votre avis ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien, ils vont répondre ce qui est adapté à la situation de leur ville, ils vont répondre ce qui semble être la possibilité pour eux de mobiliser des agents publics. Christian ESTROSI hier dans le Journal du Dimanche a montré quelles étaient les questions qu'il se posait très concrètement pour que ces élections puissent se tenir dans de bonnes conditions. Moi, je voudrais vous dire que sur ce sujet, je suis quand même un peu interloquée, on est un pays où beaucoup nous reprochent parfois de ne pas assez consulter, de décider, j'entends parfois seuls, sans consulter, qui, les parlementaires, qui, les élus de terrain, dans cette affaire, qu'est-ce que sont les étapes ? Le Premier ministre a pris l'engagement de proposer au Parlement une stratégie permettant d'organiser, il l'avait dit, une présomption de maintien des élections, pour ce faire, nous devons partir du terrain, des réalités concrètes, et donc le Premier ministre, et le gouvernement, a pris initiative de s'assurer que pour faire cette proposition au Parlement, il puisse se fonder sur l'avis concret de terrain, de ceux et celles qui organisent les élections. Et on entend maintenant que ce serait sacrilège, que ce serait une crise de confiance que de demander leur avis aux maires, j'entends Gérard LARCHER notamment qui nous explique que ce ne sont pas les bonnes manières, la bonne manière en démocratie, c'est d'écouter ceux et celles qui font vivre la démocratie, et donc les maires...

CHRISTOPHE BARBIER
Mais une association des maires de France, ça suffisait peut-être son avis ?

AMELIE DE MONTCHALIN
L'association des maires de France a un avis qu'elle a constitué dans son bureau, c'est tout à fait son droit, d'ailleurs, son avis sera pris en compte, il nous a semblé dans les derniers jours qu'entre la réponse qui m'était faite par l'AMF et ce que les uns et les autres entendaient remonter du terrain et des maires qui parfois n'avaient pas forcément été, vous imaginez, les 35.000, à tenir le crayon de la position commune de l'AMF, que nous avions besoin, pour que le Premier ministre puisse proposer une stratégie, de nous assurer que l'ensemble de ceux qui doivent l'organiser ait été consulté.

CHRISTOPHE BARBIER
Et ça se terminera par un vote du Parlement, c'est le Parlement qui décidera ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est, de toute façon, soumis à un vote, ensuite, je tiens à dire qu'on est aussi là dans une période très particulière, la dernière fois qu'on a consulté le Parlement sur les mesures sanitaires, ce que je peux voir, ce qu'est-ce qui s'est passé, et d'un certain nombre des parlementaires, des sénateurs notamment, ceux que Gérard LARCHER nous expliquer être les représentants absolus, permanents, engagés de la politique démocratique, ils n'ont pas pris part au vote. Donc on est dans une démocratie aujourd'hui où c'est un peu facile, tout le monde a raison, après, et quand il s'agit de prendre ses responsabilités, il y a quand même beaucoup qui quittent la salle avant d'avoir pu faire ce qui est dans leur rôle de parlementaires, j'ai été députée, le rôle d'un parlementaire, c'est de dire oui, de dire non, de s'engager, d'assumer d'avoir une position pour ou contre. Et donc j'espère bien que dans la suite des événements, face à cette question, qui est une question démocratique importante, moi, je vais m'engager, vous le savez, en Essonne pour la liste de Laurent SAINT-MARTIN aux élections régionales ; j'ai donc bien envie que ce soit un moment de vérité, un moment où les électeurs puissent être consultés, où on puisse faire une vraie campagne, donc vous voyez, on n'est absolument pas dans la magouille, mais il faut encore que les élections puissent se tenir de manière organisée.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors il y a eu du tollé chez certains, de l'approbation ailleurs. Comment jugez-vous l'accueil réservé à l'annonce du remplacement de l'ENA par l'Institut du service public ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne vais pas juger ici les commentaires des commentateurs, en revanche, je peux vous dire pourquoi on fait ça. On fait ça parce que dans la suite de vos questions, on a aujourd'hui un problème collectif, comment on fait pour que les Français, que les politiques, en vue de 2022 et en vue des prochaines échéances, considèrent que la démocratie est efficace contre les mots que les politiques prononcent, et la réalité que vivent les Français, il y a un lien, l'efficacité, c'est comment on transforme ce discours politique en actes concrets, en résultats tangibles, et qu'on sorte de cette rhétorique de l'impuissance, de l'irresponsabilité qui n'a eu qu'une seule conséquence, faire monter les extrêmes, faire le lit de Marine LE PEN…

CHRISTOPHE BARBIER
Et les gilets jaunes aussi…

AMELIE DE MONTCHALIN
Et de faire monter... qu'au fond, les politiques et l'administration travaillent pour eux-mêmes et pas pour les Français, c'est ça.

CHRISTOPHE BARBIER
... Vous allez dans le sens du populisme, en supprimant l'ENA…

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est populiste, c'est que depuis des décennies, la droite a affaibli profondément l'Etat et cette capacité à transformer les politiques publiques en vidant les préfectures et sous-préfectures sous Nicolas SARKOZY, en retirant cette capacité d'action au plus près du terrain, la gauche de son côté a mené de la décentralisation de manière assez cynique, sans accompagner le mouvement, et donc, en fait, à nouveau, en rendant l'Etat impuissant, parfois même impotent. Notre réforme depuis 2017 avec le président, c'est de redonner de l'efficacité à l'action publique, l'efficacité, c'est-à-dire à nouveau cette capacité à transformer le discours en résultats, qu'est-ce qu'on a fait, on a fait le prélèvement à la source, on a fait la réforme du droit à l'erreur, on a installé France Services, pour rapprocher les services publics de tout le territoire, on a fait la réforme de la Fonction publique. On a deux conséquences, une confiance et une satisfaction les Français dans les services publics qui augmentent, qui est à son plus haut niveau depuis 2010, plus de 76% des Français sont satisfaits des services publics, c'est une très bonne nouvelle, et aujourd'hui, on doit aussi s'interroger sur les structures, sur le sommet de la décision administrative, et donc, on fait cette réforme de la haute Fonction publique.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que le problème, ce n'est pas plutôt les grands corps, le Conseil d'Etat, l'Inspection des finances, ça va prendre des années avant que ça change ça ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Notre réforme, elle a plusieurs étapes, 1°) : qui est la nouvelle génération qui doit en 2021 reconstruire le pays, regarder l'avenir, être formé aux enjeux de notre…

CHRISTOPHE BARBIER
Ça, c'est l'Institut…

AMELIE DE MONTCHALIN
Ensuite, comment on forme, comment notamment on forme en commun tous nos hauts fonctionnaires, qu'ils soient sous-préfets, magistrats, directeurs d'hôpitaux, administrateurs des collectivités territoriales, avec un tronc commun, chacun gardera bien sûr son métier, mais comment on forme à des enjeux du 21ème siècle et comment on forme tout au long de la vie et pas seulement au début de la vie. Et puis, ensuite, il y a ce que vous citez, comment on gère les carrières, comment on gère l'évaluation, comment on sort de cette logique de corps, c'est-à-dire que votre classement à 25 ans détermine non seulement votre métier, mais il détermine votre carrière, il détermine tous les... Donc nous, on est vraiment sur ces trois enjeux-là, le recrutement, la formation, la gestion des carrières, pour recréer de l'efficacité.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que le moment n'est pas venu de décentraliser vraiment, c'est-à-dire de donner des responsabilités, comme en Allemagne pour les Länder, l'Education, la Culture, les régions ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, moi, je suis aujourd'hui très sensible à un élément de notre patrimoine, notre identité nationale. Nous sommes en France une nation qui s'est construite autour de l'Etat. Le mouvement des gilets jaunes l'a rappelé, les Français attendent de l'égalité, ils ne comprendraient pas pourquoi au nom d'une décentralisation politique, la vie, les conditions de vie quotidiennes seraient très différentes du nord au sud du pays, la seule institution qui peut permettre de garantir cette égalité, c'est l'Etat, mais il doit pour cela être pleinement efficace, vous ne pouvez pas effectivement avoir un Etat qui crée de la lenteur, qui crée de la lourdeur, être déconnecté du terrain, parce que sinon, vous avez une égalité dans les mots, et vous avez une impuissance et des inégalités dans les faits. Notre enjeu aujourd'hui, c'est évidemment d'accompagner les collectivités, c'est que les collectivités et l'Etat travaillent ensemble, c'est aussi que l'Etat soit renforcé sur le terrain, c'est d'avoir des préfets qui ont plus de pouvoirs, c'est d'avoir plus d'hommes et de femmes dans les préfectures, dans les sous-préfectures, plutôt que dans les ministères centraux. Pour faire ça, il faut qu'on ait en face de nous des collectivités locales qui soient aussi dans un discours de travail commun, moi, je récuse ceux qui, comme Xavier BERTRAND, nous expliquent que, au fond, leur projet politique, quand il s'agit d'être président de région, c'est de taper sur l'Etat, c'est d'avoir comme projet de critiquer en permanence l'Etat et de finir par dire que quand ça marche, c'est les collectivités, et quand ça ne marche pas, c'est l'Etat. Moi, notre idée est très simple, nous avons besoin des collectivités, les collectivités ont besoin de l'Etat, les Français attendent l'Etat pour créer de l'égalité, nous renforçons les pouvoirs d'action des préfets, nous allons les évaluer différemment, et nous allons surtout remettre chacun devant ses responsabilités, ce n'est pas un projet politique que de considérer que l'Etat est responsable de tous les maux, au contraire…

CHRISTOPHE BARBIER
Mais résultat, la France est sur-administrée, comme dit Gérard LARCHER…

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, parce qu'il faut que nous puissions remettre aussi de la clarté dans les responsabilités des uns et les autres, c'est l'enjeu de la loi 4D, que nous partagions bien qui fait quoi, mais de nous dire que nous aurons toujours besoin d'un Etat fort, d'un Etat bien organisé, d'un Etat avec des bonnes compétences au bon endroit, d'un Etat qui réinvestit l'échelon déconcentré, c'est-à-dire l'échelon territorial, là où les choses se passent, mais des collectivités qui jouent le jeu en face, et qui sortent de cette facilité qui objectivement est une irresponsabilité, qui est de considérer, par exemple, comme Xavier BERTRAND, que quand il y a un problème dans les Hauts-de-France, c'est l'Etat, et quand il y a un succès, c'est lui. C'est ensemble qu'on réussit, c'est pour ça qu'on signe des contrats, pourquoi on signe des contrats de relance…

CHRISTOPHE BARBIER
Des contrats de plan Etat-régions, les contrats de relance…

AMELIE DE MONTCHALIN
Pourquoi on signe des contrats, pour faire la transparence et la vérité sur ce que font les uns et les autres.

CHRISTOPHE BARBIER
Le candidat Emmanuel MACRON voulait supprimer 200.000 postes de fonctionnaires, l'objectif a été…

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, jamais…

CHRISTOPHE BARBIER
... Sans suite, ça sera zéro finalement…

AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, cette logique comptable, elle est mortifère, ce que les Français attendent, c'est un Etat efficace, c'est des services publics de qualité, c'est une réponse de proximité, c'est de la rapidité dans la réponse. Evidemment que nous avons à nous réorganiser, aujourd'hui, avec le Premier ministre, pour 2021, on a pris, non pas une approche comptable, non pas, voyez, le laminage noir fin qui consiste à dire parce qu'on va réduire ci ou ça, va mieux marcher. Nous avons pris un engagement, 1°) : on stabilise le nombre d'agents de l'Etat, 2021, il y aura autant de fonctionnaires d'Etat qu'en 2020, on est quand même dans une période où c'est déjà en soi un effort, mais on le fait en nous réorganisant, en réallouant les compétences, en ré-envoyant 2.500 fonctionnaires des ministères parisiens vers l'Etat territorial, c'est une réforme d'efficacité, les Français aujourd'hui, les grands chiffres, ça ne veut rien dire, ils attendent dans leur département qu'il y ait des résultats, c'est aussi pour ça qu'on a présenté... et je finirai par-là, sur le site du gouvernement, chaque Français peut voir dans son département quels sont les résultats des 25 réformes prioritaires, sous " gouvernement.fr ", vous tapez votre code postal, et nous rendons compte de l'action publique, dans ce qu'elle a bien avancé depuis 2017, aussi dans ce qu'elle a moins avancé, et là où nous devons accélérer, nous mobiliser, mettre des moyens, et nous assurer que tous les Français, dans tous les départements, ont accès aux mêmes résultats de politique publique.

CHRISTOPHE BARBIER
Amélie de MONTCHALIN, merci. Bonne journée.

AMELIE DE MONTCHALIN
Je vous remercie.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 avril 2021